CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
BIBLIOTHÈQUE LITTÉRAIRE DE LA RENAISSANCE
dirigée par Pierre de Xoi.hac. de TAcadémie française.
PREMIÈRE SÉRIE, petit in-8.
T. I. H. CocHix. La Chronologie du Canzoniere de Pétrarque. ]h9S. 6 fr.
T. II-III. L. Thuasne. R. Gaguini Epistolae et orationes, texte publié sur les
éditions originales de 1498. 1904 37 fr. 50
T. IV. H. CocHiN. Le îrère de Pétrarque et le livre « Du repos des religieux ».
1904 6 fr.
T. V. M. Thuasxe. Études sur Rabelais (Sources monastiques du roman de
Rabelais. — Rabelais et Erasme. — Rabelais et Folengo. — Rabelais et Colon-
na. — Mélanges). 1904 15 fr.
T. VI. M. M. Capelli. Pétrarque. Le traité « De sui ipsius et multorum ignorari-
tia''.1906 9 fr.
T. VII. J. DE Zaxgroniz. Montaigne, Amyot et Saliat. Étude sur les sources des
Essais de Montaigne. 1906 9 fr.
T. VIII. R. Sturel. Amyot traducteur des Vies parallèles de Plutarque. 1909.
Avec 4 fac-similés 18 fr.
T. IX. P. ViLLEY. Les Sources italiennes de la « Defîense et illustration de la
langue îrançoise » de Joachim Du Bellay. 190S 7 fr. 50
T. X. Mario Schiff. La îille d" alliance de Montaigne, Marie de Gournay. 1910.
Avec un portrait 7 fr. 50
T. XI. H. LoxGNON. Essai sur P. de Ronsard. Avec un portrait. 1912. 12 fr.
T. XII. H. Hauvette. Études sur la Divine Comédie, la composition du poème
et son rayonnement. 1922 10 fr.
DEUXIÈME SÉRIE, gr. in-8 raisin.
T. I-II. P. DE XoLHAC. Pétrarque et Ihumanisme. Xouvelle édition revue et con-
sidérablement augmentée, avec un portrait inédit de Pétrarque et des fac-
similés de ses manuscrits. 2 vol. et planches. (Épuisé).
T. III. P. CouRTEAULT. Gcoffroy de Malvyn, magistrat et humaniste bordelais
(1545-1617), étude biographique et littéraire, suivie de harangues, poésies et
lettresinédites. 1907 11 fr. 25
T. IV. H. Guy. Histoire de la poésie française au XVF siècle. T. I. LÉcoIe des
rhétoriqueurs. 1910 15 fr.
T. V. L. Zanta. La Renaissance du stoïcisme au XVP siècle. 1914. 18 fr.
T. VI. H. BussoN. Charles dEspinay, Évêque de Dol, et son œuvre poétique
(1531 ?-1591).1923 15 fr.
T. VII. H. Franchet. Le Poète et son œuvre, d"après Ronsard. 1923. 30 fr.
T.VIII.H.Franchet. LePhilosopheParîaict et le Temple de vertu. 1923. 10 fr.
T. IX. P. DE XoLHAC. Un poète rhénan, ami de la Pléiade : Paul Melissus.
1923 12 fr.
T. X. Maurice MiGxox. Études sur le théâtre français et italien de la Renais-
sance. 1923 12 fr.
T. XI. P. ViLLEY. Les Grands écrivains du XVF siècle. Évolution des œuvres
et invention des formes littéraires. Tome I. Marot et Rabelais. 1923. 25 fr.
BIBLIOTHÈQUE LITTÉRAIRE
DE
LA RENAISSANCE
NOUVELLE SÉRIE
ÏOME XII
HISTOIRE DE LA POÉSIE FRANÇAISE
AU XVL SIÈCLE
TOME II
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
PAR
HENRY GUY
RECTEUR D2 L'ACADÉMIE DE GRENOBLE
PARIS
LIBRAIRIE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L'HISTOJRE DE FRANCE
5, Quai Malaquais, 5
1926
LIVRE QUATRIEME
Principaux caractères de la Renaissance.
Le roi François l^^ — La cour ; les Mécènes,
I
PRINCIPAUX CARACTÈRES DE LA RENAISSANCE
1-3. Position et division du sujet. — 4. Pourquoi le moyen âge
s'est désinte'ressé de plusieurs problèmes essentiels. — Pre-
mier CARACTÈRE DE LA RENAISSANCE, LA CURIOSITÉ :
5. Les textes sacrés sont traduits en langue vulgaire ; le retour
à l'antiquité. — 6. L'étude du droit et celle de la méde-
cine sont renouvelées. — 7. Les découvertes géographiques. —
8. L'astronomie. — Second caractère de la renais-
sance, LE GOUT DE LA JOIE : 9. Que ce goiH n'a pu fleurir
au moyen âge. — 10-11. Mais il apparaît clairement dans
r architecture du XVI^' siècle. ■ — 12-13. L' « invention » de
la nature consolatrice et maternelle. — 14. La joie éclate dans
maintes œuvres de ce temps. — 15-16. Troisième caractère
DE LA RENAISSANCE : ELLE ASPIRE A LA LIBERTÉ. —
17. « Le seizième siècle est un héros. » — 18. Lutte émouvante de
l'avenir et du passé. — 19. Les deux partis s'efforcent d'entraîner
le roi.
1. La période qui s'étend de 1515 à 1550 est, dans l'histoire
des hommes, un moment sacré, si riche en œuvres, si sympathi-
que par le courage et par les sublimes aspirations des ouvriers,
qu'on se sent, lorsqu'il s'agit de peindre cette époque, comme
accablé par l'ampleur du sujet. C'est toute une genèse à décrire,
l'enfantement d'un monde nouveau — le nôtre — qui vient au
jour parmi des luttes terribles, et s'élève sur les ruines d'un som-
bre passé, presque barbare. Le regrette qui voudra ! On peut,
à la vérité, accorder une vive sympathie et même de l'admi-
ration à certaines formes d'art du moyen âge, rendre justice à
l'enthousiasme et à la candeur de sa foi, s'attendrir au spectacle
de sa patience et de sa résignation, mais on doit aimer la Re-
naissance comme étant une ère libératrice, qui nous a donné
des espérances jusqu'alors inconnues, des raisons d'agir et de
vivre que nos pères soupçonnaient à peine. Et quand je dis la
Renaissance, je veux parler aussi de la Réforme. Ces deux ter-
8 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
mes, au fond, désignent des faits qui procèdent d'une origine
unique, et ne sauraient être séparés. La Réforme n'est qu'un
des aspects (mais essentiel) de l'évolution des esprits au XVI^
siècle, et si elle intéresse au plus haut point les historiens de la
littérature, ce n'est pas tant parce qu'elle a constitué une nou-
velle Église chrétienne que pour avoir préparé, sans l'avoir ni
désiré ni prévu, l'autonomie de la conscience.
2. Et ainsi Réforme et Renaissance nous apparaissent comme
des « phénomènes » connexes que les mêmes causes ont dû pro-
duire. Ces causes, quelles sont-elles ? On a très souvent énuméré
celles qu'on peut appeler extérieures, et qui se laissent facile-
ment saisir. Oui ne comprend, par exemple, que l'invention et
le progrès de l'imprimerie ont favorisé les grands changements
dont nous parlons, et comment nier l'influence que les guerres
d'Italie ont eue sur eux ? Il est évident que les Français auraient
langui plus longtemps dans une ignorance à la fois résignée et
dogmatique s'ils n'avaient été conduits, par l'ambition de leurs
rois, vers cette terre où les ruines d'un sublime passé offraient
des enseignements tant à l'artiste qu'au penseur, et où venaient
d'affluer, après la prise de Constantinople, les trésors de la Grèce
antique. Oui, ce furent là d'heureuses conjonctures : mais elles
ne suffisent pas à expliquer pourquoi, renonçant à des tradi-
tions séculaires, nos aïeux ont osé accomplir, dans le domaine
spirituel, une audacieuse révolution. Le vrai motif, la raison
profonde de cette crise est, peut-être, des plus simples : le
remède est sorti de l'excès du mal ; on s'est enfin débattu parce
que, décidément, on étouffait ; l'âme a voulu renaître, revivre,
parce que, au déclin du moyen âge, elle se sentait à l'agonie ;
l'épaisseur de l'ombre suscita le besoin de la lumière, et, bref,
un nouveau monde se trouva créé en vertu de ce dynamisme
ou de cet instinct qui poussent les individus et les peuples à
craindre de mourir, à vouloii être.
3. Si maintenant on demande quels furent les caractères domi-
nants de cette époque où l'humanité, comme Lazare, se réveilla,
on peut répondre, ce semble, qu'ils se réduisent, en somme, à
trois : la curiosité ou la soif de connaître et de comprendre ;
le goût de la joie ; l'amour — timide encore — de la liberté.
4. Que le mo^^en âge n'ait pas été curieux, il n'y a pas lieu
de s'en étonner. Ayant la foi, il croyait n'avoir rien à appren-
dre. La vie, la mort étaient sans énigmes, et la religion impo-
sait, pour chaque problème, une solution catégorique. Alors de
quoi donc s'inquiéter ? Tranquille sur l'essentiel (l'existence de
Dieu, le règne du Père, la réalité d'un paradis et d'un enfer), on
dédaignait ce petit tas de boue où nous sommes, cette vallée de
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
larmes, cette piison. A quoi bon s'intéresser à la terre, puisqu'on
possédait d'avance, pourvu qu'on se montrât docile, l'immensité
entière du ciel ? Toutes les énergies étaient tendues vers l'au-
delà et vers le futur. La vraie vie commençait après la vie, et
cette hantise métaphysique rendait également méprisables la
nature condamnée à périr, le corps de l'homme, chair de péché,
et les sciences qui s'occupent de ces pauvres choses transitoires.
5. Au contraire, les hommes de la Renaissance jettent de
perçants regards autour d'eux, et aspirent au fruit défendu.
Ils portent d'abord la main sur l'arche, et prétendent voir,
inaugurant ainsi une guerre inexpiable, le fond et la valeur de
ces mystères qu'on avait acceptés jusqu'alors avec révérence
et tremblement. L'usage que l'Église faisait du latin était l'un
des nuages qui dérobaient aux yeux ce Sinaï : mais les nova-
teurs déchirent le voile ; ils ramènent au grand jour des langues
vulgaires les dogmes, les textes sacrés, et la foi va devenir par
là un objet de discussion. Rien n'arrêtera plus des gens capa-
bles d'un tel coup d'audace, et leur curiosité s'étendra à la fois
dans tous les sens. Ce qui, d'abord, les fascine, c'est l'antiquité.
Ils la devinent belle, la savent si riche ! En vain ils cherche-
raient, dans l'héritage qu'ils tiennent de leurs pères, les réserves
de sagesse, les trésors d'expérience, les méthodes dont ils ont
besoin. Ils sentent qu'il leur faut, pour construire au monde un
noble avenir, le secours du plus lointain passé, et que ce qui
leur manque ne se trouve que dans les ouvrages des anciens.
Voilà pourquoi ils ont le culte de la Grèce et de Rome. Ils atten-
dent d'elles le salut. Les textes et les statues antiques remon-
tent en foule à la lumière, et sont reçus comme une révélation
d'en haut, une « bonne nouvelle » inespérée. Au demeurant,
cet enthousiasme est presque toujours lucide. Les érudits du
XVI^ siècle concilient l'admiration avec le désir de bien juger,
et ces hommes si fervents furent les fondateurs de la critique.
Pour mieux entendre les enseignements des vieux livies, ils ont
poussé fort loin l'étude des langues. L'hébreu, suspect au moyen
âge, a été connu de plusieurs d'entre eux, et, quoique le grec
passât pour hérétique, ils s'y adonnaient avec passion. Quant au
latin, — à ce même latin qu'ils refusaient à l'Église — ils rê-
vaient de le refaire vivant, d'en vulgariser l'usage, de le par-
ler et de l'écrire si bien qu'il reléguât au second plan le fran-
çais. Un tel dessein n'avait aucune chance d'aboutir, mais si
les humanistes ne l'avaient pas formé, peut-être n'auraient-ils
pas édifié ces monuments que l'on admire aujourd'hui : les
Commentaires d'Etienne Dolet et le Thésaurus de Robert Es-
tienne, qui est de 1535.
10 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
6. Et que de choses encore sollicitent, vers cette date, la
curiosité de nos aïeux ! Leur programme est celui de Gargan-
tua, tracé par le génie pour des géants. Ils veulent devenir « un
abysme de science » [P., II, 8], tout rajeunir ou tout créer d'un
seul coup, léguer à leurs descendants une encyclopédie complète
et remaniée. Ils se livrent au labeur avec une furie dionysiaque,
une sorte d'ivresse sacrée. Tantôt poètes, tantôt prophètes, ils
inventent ou devinent, et indiquent, en chaque matière, ce qui
sera la loi de l'avenir. L'étude du droit, où le moyen âge ne
voyait qu'un formalisme épineux et qu'une scolastique laïque,
incline, grâce à eux, du côté de la philosophie et de l'histoire.
Le grand Alciat s'applique moins à ergoter sur les lois qu'à en
montrer l'origine, et ses rivaux ou ses disciples — Arnoul du
Ferrier, André Tiraqueau et plusieurs autres — préparent la
voie à Cujas... La médecine, pendant ce temps, progresse, évo-
lue aussi. L'anatomie, malgré bien des résistances, force la porte
des vieilles écoles, et le corps humain, dont on ne connaissait
que les dehors, va perdre une partie de son mystère. Sans par-
ler ni d'André Vésale ni de notre Fernel, signalons, en passant,
un fait que l'on peut considérer comme le tout premier germe
de la médecine moderne : à l'époque où François Rabelais exer-
çait les fonctions de médecin à l'hôpital de Lyon, il disséqua,
devant une assistance nombreuse, le cadavre d'un supplicié, et
expliqua à ses auditeurs « fabricam corporis », la structure des
membres, des organes. Cette initiative ne demeura pas ina-
perçue et fut, par Dolet. célébrée en vers latins.
7. Pendant que la Renaissance travaillait ainsi à la décou-
verte de l'homme ph3'sique, ce microcosme, elle marchait à la
conquête du vaste monde, et parcourait enfin notre univers en
entier. En septembre 1519, Magellan quitte San Lucar ; il tou-
che aux Canaries, au Brésil, atteint la Terre de Feu, et rencon-
trant (27 novembre 1520) les eaux du Pacifique, il s'y engage
hardiment, cingle droit jusqu'aux Philippines. Là, il meurt (27
a\Til 152 1) ; mais l'un de ses lieutenants, Sébastien del Cano,
continue à aller de l'avant, double le cap de Bonne-Espérance,
et, ayant accompli le tour du monde, rentre, le 6 septembre
1522, à San Lucar. Le vaisseau qu'il montait s'appelait Victo-
ria. Victoire, en effet, très belle, et pour plus d'une raison. Ce
n'étaient pas seulement des pays ignorés et de nouveaux aspects
de la nature que les explorateurs et les Conquistadores faisaient
connaître : ils révélaient encore des sociétés qu'on ne soupçon-
nait point, des mœurs qu'on n'avait jamais prévues, des reli-
gions insolites, des peuples qui ne savaient pas que Jésus-Christ
fût mort pour eux. La création, dès lors, apparaissait plus riche,
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE 11
plus complexe qu'on ne l'avait cru ; la foi et la sagesse qu'on
s'imaginait universelles prenaient le caractère d'une opinion que
bien des hommes ne partageaient point, et il fallait bien admet-
tre qu'il existait ici-bas diverses manières d'être raisonnable
et pieux. Ample sujet de méditation ; grande leçon de modestie
et, avec le temps, de tolérance. Lisez, chez Montaigne [I, 30],
l'admirable chapitre Des Cannibales.
8. Restait à pénétrer les effrayants mystères du ciel... Cela,
faute d'avoir les instruments nécessaires, la Renaissance ne le
pouvait, et l'honneur de fonder l'astronomie fut cédé par elle
à l'âge suivant. Mais si elle n'a presque rien fait pour constituer
cette science sublime, elle a, du moins, senti ce qu'il y avait
lieu de faire, et deviné que le succès futur serait dû à l'obser-
vation directe, à la méthode expérimentale. C'est là, sans doute,
ce que veut nous signifier Rabelais lorsqu'il nous raconte [G.,
I, 23] que Ponocratès conduisait, « en pleine nuict », son élève
« au lieu de leur logis le plus descouvert », et que, là, ils obser-
vaient « les figures, situations, aspects, oppositions et conjunc-
tions des astres ». Maître et disciple terminent de la sorte une
journée de prodigieux labeur, symbole de ce que fut, en ce
temps — de l'aube au soir, c'est-à-dire de la naissance à la
mort — la vie des lettrés ou des savants. Par ce qui précède
on aura vu que leur curiosité avait été vraiment universelle,
et qu'elle s'était portée à la fois sur le passé et l'avenir, sur
l'homme entier, corps et âme, sur les lois divines et humaines,
sur les mondes mal connus, le nôtre d'abord, puis ceux du ciel.
9. Quant à ce goût de la joie que j'ai signalé ci-dessus comme
l'un des caractères de la Renaissance, il semble qu'il ait tiré
son origine du désir ou du besoin de réagir contre la tristesse
du moyen âge. Cette tristesse n'est que trop réelle, et il suffira,
pour la bien sentir, de s'adresser au grand Michelet. Quoique,
de nos jours, on se plaise à dénigrer son histoire, elle reste admi-
rable en bien des parties, et nul n'écrira de plus belles pages
que celles où il a montré les terreurs, les douleurs, l'accable-
ment du pauvre Jacques. Comment ne mènerait-il pas une exis-
tence tremblante et consternée ? Les impôts, la corvée l'écra-
sent ; le roi, le seigneur et le prêtre lui crient : « Il faut payer ! » ;
les guerres ne cessent point, et il redoute, lorsque les gens d'ar-
mes courent la campagne, tout autant l'ami que l'ennemi ; il
n'a que des devoirs et point de droits ; non content de l'exploi-
ter, on le méprise, et chaque mouvement de la machine politi-
que lui cause une souffrance, aigrit ses plaies. Voilà, pensez-
vous, des maux cruels. Oui, mais ce ne sont ni les seuls, ni les
pires. Ajoutez les troubles d'une âme pleine de craintes mysti-
12 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
ques, et que hante l'idée de l'enfer. D'ailleurs, même avant la
mort, on risque de tomber entre les griffes du diable. Il cir-
cule, invisible, parmi les vivants ; il gâte et rend suspect tout
ce qui pourrait être des consolations : les plaisirs du lit et de
la table, la beauté des femmes, l'innocence de l'enfant, la lu-
mière du jour, les douces nuits étoilées... Vraiment, c'est trop,
et l'on comprend qu'une heme soit enfin venue où le peuple,
nouvel Enée, a tiré son épée contre les spectres. Ce retour à
une autre (et meilleure) conception de la vie était fatal : la seule
chose étonnante, c'est qu'il ait pu tarder si longtemps.
10. Si maintenant on demande quelles sont, au XVI^ siècle,
les preuves de cette joie dont je parle, on a, semble-t-il, le droit
de répondre que c'est dans l'architecture qu'elle se manifeste
de la façon la plus expressive. L'architecture civile, au moyen
âge, offre un caractère défensif ; elle révèle les transes de ceux
qui font bâtir, se tient en garde contre le dehors, et tend à assu-
rer un abri, des « fermetés >; à des gens que tout menace, et dont
le sort est précaire. Que souhaiter, tandis que les routiers, les
mauvais garçons désolent sans cesse le plat pays, et rôdent, les
dents longues, autour des villes, sinon une salle bien close, une
maison aux fortes murailles, peu de fenêtres, une porte étroite
à clous de fer, des rues étranglées que barre une chaîne, et, enve-
loppant ces rues, la ceinture de tours, les douves de la cité ?
Autant, certes, vaudrait une prison : mais que faire ? C'est seu-
lement sous ces bonnes voûtes noires et derrière ces remparts
qu'on a, comme l'escargot dans sa coquille, des chances de
salut, une impression de sécurité.
11. Il s'en fallait, au XVI^ siècle, que la tranquillité publi-
que fût établie, et qu'on pût négliger les précautions d'autre-
fois. Cependant, sous l'influence italienne, la maison française
perdit peu à peu sa mine de donjon, et cessa de paraître cons-
truite en vue d'un siège. Repliée sur elle-même, hostile et dé-
fiante naguère, elle se tourna enfin vers l'extérieur, s'ouvrit à
l'air et à la lumière, et regarda avec sympathie le paysage. Les
larges fenêtres, les périst^^es, la loggia, le portique proclamaient
que le maître du lieu avait changé comme sa demeure, qu'il
souhaitait une vie moins claustrale, des mœurs plus accueil-
lantes, plus enjouées. Et c'est ce que signifiait aussi la vogue
d'un art nouveau, l'art des jardins. L'architecte concevait en-
semble le jardin et l'édifice ; sa pensée ne les séparait point ;
il les créait l'un pour l'autre selon des affinités très délicates,
et l'harmonie produite était due à la collaboration de l'homme
et de la nature. La maison et son cadre se prêtaient mutuel-
lement leur beauté : les formes des arbres, les eaux courantes.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 13
la ligne — au loin — de l'horizon travaillaient à l'impression
totale aussi bien que les toits d'ardoise, les pierres ouvrées.
12. Est-ce le goût de la joie qui amena la Renaissance à
découvrir la nature ou cette découverte qui lui donna ce goût ?
Question insoluble et, peut-être, oiseuse. Bornons-nous à dire
que, manifestement, nos aïeux ne parvinrent pas d'eux-mêmes
ni sans aide à comprendre que, du monde extérieur, émanait
assez de joie pour que chaque destinée humaine en fût, suivant
les cas, exaltée ou consolée. Mais un moyen si simple d'être
heureux eût fait, si elle l'avait connu, horreur à l'âme chré-
tienne ; elle y aurait vu un piège subtil de l'Ennemi, et eût
laissé aux matérialistes le damnable privilège de transformer en
plaisirs le jeu et les aspects des choses terrestres. Ce ne fut donc
pas le moyen âge, mais la sagesse antique ressuscitée qui ensei-
gna au XVI^ siècle à quel point le décor de l'univers pouvait
ou conseiller l'allégresse ou inviter, du moins, à la patience.
Cette vérité, seule base morale du panthéisme, la poésie grec-
que et latine l'avait exprimée tantôt par des mythes riches de
sens, tantôt en tableaux qui dépeignaient à la fois la grâce et
la bonté de la nature. Les Bucoliques surtout, puis, dès que
Henri Estienne les eût tirées de l'oubli, les odelettes d'Ana-
créon révélèrent une source de joies non point cachées ni pro-
blématiques, mais à la portée de nos mains comme les autres
présents de Cybèle. Les chevriers des vieilles idylles semblaient,
du fond des temps, engager l'homme nouveau à se contenter,
pour être heureux, de cueillir l'heure qui passe et de ne recher-
cher que les biens réels : l'ombre délicieuse des saules, la chan-
son du ruisseau contre sa rive, l'aimable magie de la lumière
et le sourire de Galatée. La mort même, à ces conditions, pou-
vait être acceptée avec douceur : on revenait, pour de prochaines
métamorphoses, au sein fécond de la terre, et l'on quittait la
vie en la bénissant lorsqu'on l'avait passée en Arcadie.
13. Tels furent les sentiments qu'empruntèrent aux anciens
les artistes de la Renaissance. Considérant, eux aussi, la nature
comme créant sans cesse de la joie, ils ne lui ont demandé que
cela, et ne l'ont guère chérie qu'à ce titre. Par suite, il manque
encore à cet amour, déjà romantique à certains égards, un élé-
ment qu'il devra aux disciples de Rousseau. Les paysages su-
blimes, dont l'étendue accable nos âmes ou qui suscitent des
idées émouvantes, déplaisent à l'homme du XVI^ siècle ; il ne
les décrit pas, il s'en écarte, il les estime inhumains, et leur
reproche précisément ce qui, aujourd'hui, nous séduit en eux :
leur solitude insociable et les rêves troublants qu'éveille leur
mélancolie. Je ne vois, à cette époque, aucune peinture de la
14 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
grande montagne ni de la mer. Jamais les poètes ne furent plus
nomades qu'alors, mais les contrées les plus chères au touriste
d'à présent, ils les ont parcourues sans lever les yeux et en si-
lence. Marot n'observa que deux choses en passant les Alpes,
c'est qu'elles sont grandes (c'est-à-dire pénibles à franchir) et
froides [G. III, 305]. Qu'elles fussent belles, il ne s'en est pas
aperçu. Ce qu'il lui fallait, à lui et à ses contemporains, c'étaient,
limitée par un amphithéâtre de molles collines, une plaine très
plantureuse, un fleuve riant et pacifique, des près, des vignes
et, pour s'y asseoir à l'ombre, un bocage. Embrassé d'un coup
d'œil, tout cela charmait l'esprit, donnait l'impression d'une vie
facile, abondante, attestait des dieux amis et une nature ma-
ternelle, engageait enfin à cette joie à laquelle on aspirait.
14. De fait, elle éclate dans maintes œuvres. Marot, qui a
tant souffert, se livre peu souvent à ses douleurs ; s'il verse une
larme, il l'essuie à l'instant, puis, honteux de sa faiblesse, nous
montre un visage rasséréné, et nous force, en jouant l'insou-
ciance et en prodiguant les traits d'esprit, à oublier son chagrin.
Bien d'autres — Dolet, par exemple — se conduisent ainsi.
Leurs maux, cependant, étaient réels et, parfois, terribles : mais
ils ne les pleuraient pas en public, les contaient d'un ton badin,
et les exposaient avec une pudeur que nos poètes récents n'ont
pas gardée en exposant des peines imaginaires. Marguerite de
Navarre, à qui ne furent épargnées ni les épreuves ni les amer-
tumes, nev cesse de vanter les graves joies qu'elle demande soit
à la science, soit à la certitude d'avoir trouvé Dieu, soit à l'at-
tente d'un meilleur avenir. Mais c'est Rabelais surtout qui dédie
à la nouvelle espérance et à la vaillante gaieté du sage un monu-
ment énorme, triomphal. Son livre, d'un bout à l'autte, n'est
que le symbole de sa foi en la bonté de la vie ; les voyages de
ses héros nous mènent, à leur suite, vers les Iles Fortunées ;
il soutient que la joie est une preuve de santé morale, et que le
monde sera guéri par l'exercice des belles passions et si, jusqu'à
l'ivresse, il vide la coupe des vérités. Victime de la tempérance,
plein d'humeurs noires, il s'abêtit, il décline ; le deuil, depuis
plus de mille ans, le « mine et consomme » ; faute d'aimer à
vivre, il se meurt, et rien ne peut le sauver s'il n'arrive pas à
comprendre que « le propre de l'homme », c'est le rire.
15. Rire, c'est, avant tout, une manière de s'affranchir, car
ils font « acte de maître » (Renan) ceux qui rient avec ironie.
Il y a, entre la joie et la liberté, un étroit rapport que le XVI ^
siècle saisit fort bien. La gaieté épique de frère Jean des Entom-
meures aboutit logiquement à la fondation de cette Thélème, où
chacun se conduit « non par lois, statuts ou règles », mais selon
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 15
la devise : Fay ce que vouldras [G. I, 57]. Il ne s'agit pas ici, on
le conçoit, de liberté politique. La Renaissance — sans même
excepter l'auteur du Contr' un — n'a jamais rêvé un gouver-
nement républicain ; le principe monarchique lui semble intan-
gible, presque divin, et elle ne souhaite rien tant, fût-il absolu,
qu'un bon roi. La seule chose qu'elle revendique, c'est, pour
chacun, le droit de penser selon sa conscience et d'être, en ce
qui concerne les idées ou les dogmes, de son propre avis. La
Réforme entière, puis toutes les guerres de religion sont direc-
tement sorties de là. Mais on aurait tort de condamner, à cause
de ses effets sanglants, une si légitime prétention. Ce qu'elle a
produit vaut mille fois ce qu'elle a coûté, et la libération de l'es-
prit ne saurait se payer trop cher. Combien l'histoire des hom-
mes paraîtrait médiocre et vile si tant de braves gens n'avaient
péri pour défendre le royaume intérieur, les biens les plus sacrés,
ceux qui ne rapportent rien ! Et que serions-nous aujourd'hui,
nous autres, sans ces martyrs ? Notre âge, moins troublé, moins
asservi, ne l'emporte que grâce à eux sur leur temps, et doit à
leur vaillance ce qu'il a de meilleur.
16. Penser, parler par soi-même, voilà donc ce à quoi vont
s'appliquer, sous le règne de François i^r, non pas tous les écri-
vains, mais presque tous ceux qui comptent. Marot, s'adressant
au roi lui-même, déclare avec vigueur [G. III, 300] qu'on doit
laisser la bride longue au poète ; que, pour lui, il n'existe point
de livre défendu ; qu'il peut étudier sans contrôle les plus sus-
pectes (i doctrines '> (la nécromancie, la magie, la cabale), et
qu'on viole, en assignant une borne à ses enquêtes, le privilège
des saintes Muses. François Habert, quoiqu'il ne soit qu'un plat
courtisan, proteste à deux reprises contre ceux qui ne veulent
pas qu'on traduise les Écritures en langue vulgaire, et il par-
tage, à cet égard, les idées de la grande Marguerite. Mais per-
sonne, mieux qu'elle, n'a médité le problème de la liberté ; per-
sonne n'a senti davantage que la conquête du vrai présuppose
une âme indépendante, et que la beauté ni la vertu ne décorent
jamais les consciences qui cèdent et plient. C'est un émouvant
spectacle que de voir cette reine, qu'enserrent et que contrai-
gnent des dogmes politiques et religieux, rechercher, parmi tant
de raisons (et qu'elle croit bonnes) de rester esclave, un moyen,
pour elle et poui ses pareils, de s'affranchir sans déranger la ma-
chine sociale, sans toucher à Dieu. La solution qu'elle adopte,
et qui, dans la mesure du possible, ménage la foi et la raison,
semble, poui l'époque, toute nouvelle, et offre un caractère de
spiritualité sublime. Être libre, proclame Marguerite, c'est com-
prendre ; c'est donner à la Sagesse éternelle une adhésion vou-
16 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
lue, intelligente ; c'est consentir, mais après examen et par choix,
à substituer aux opinions de l'homme qui passe la Loi de Celui
qui est :
Ou l'esprit est divin et véhément,
La liberté y est parfaitement.
Et ailleurs :
Ou est l'esprit la est la liberté.
17. Voilà, pour le moment, ce qu'il importait de dire sur les
éléments qui constituent l'âme de la Renaissance. Les chaînes
qu'elle a brisées étaient si lourdes, les idées qu'elle a répandues
ont été si bienfaisantes, et nous lui devons tant de vérités capi-
tales, que tout historien — s'il estimait moins (comme il serait
juste !) l'éclat d'un art accompli que la découverte des prin-
cipes qui changèrent les destinées du monde — pourrait, de
ce point de vue, soutenir sans paradoxe que le vrai « grand
siècle », c'est le XVI®. Et il est grand encore pour une autre
raison que Michelet a résumée en cette trop romantique mais
exacte formule : « Le seizième siècle est un héros. »
18. On conçoit, en effet, bien aisément que tout le passé, pour
ainsi dire, se dressa contre les novateurs, et que ce fut parmi
les pires épreuves, au prix de leur repos ou de leur sang qu'ils
durent établir leur credo. Il n'y a rien, dans nos annales, de plus
pathétique, et personne n'assistera, sans se sentir ému, exalté,
à ce déchirement, à cette guerre qui met aux prises l'homme
d'autrefois et celui de demain. Ma sympathie va droit à celui-ci,
et c'est pour sa cause que je fais des vœux. J'aime son courage,
son abnégation ; il a raison, selon moi, de vouloir que le temps
marche, de croire au progrès ; en le persécutant, on lui confère
le droit d'être admiré. Mais l'autre aussi, l'héritier du moyen
âge, le conservateur, mérite au moins qu'on le plaigne. S'il
avait combattu à armes égales, s'il avait eu horreur des deux
arguments qui se nomment la piison et le bûcher, on excu-
serait, on comprendrait même sa résistance. Cela est si dur,
quand on est fermement assis sur un bloc de doctrines qu'on
juge inusables, d'avoir à se lever pour changer de base !
La vie entière est, alois, bouleversée ; il semble que tout
s'écroule, que jamais ce que l'on vous offre ne remplacera ce
qu'on vous prend, et que, pour vous, la paix est perdue. De
là, une colère, une douleur qui s'expliquent... Et, ainsi, au
XVI*^ siècle, en cette ardente lutte du passé et de l'avenir, l'un
des partis avait de bonnes raisons, l'autre des raisons qu'il
croyait bonnes, et tous les deux — l'un par la patience ou le
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 17
génie, et l'autre souvent par la violence, — allaient essayer de
vaincre.
19. Mais qui pouvait décider de la victoire ? Ils s'imaginaient
que c'était le roi, illusion naturelle à ce moment. Absolue déjà,
aussi puissante que vénérée, la monarchie était réputée capable
d'établir, d'imposer une opinion officielle et de mettre fin, rien
qu'en touchant du sceptre un plateau de la balance, aux que-
relles qui divisaient les esprits. En fait, alors même que le prince
eût penché de tout son poids du côté des traditions, il n'aurait
pas empêché le monde d'évoluer, et le triomphe des novateurs
était fatal. Mais un souverain nettement hostile aurait pu le
retarder, le rendre encore plus onéreux, en sorte qu'il importe
de bien connaître les goûts, le caractère et le rôle de celui qu'on
appelle non sans cause « le roi de la Renaissance ».
BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES
6. Steph. Dole'i... carminum lihri quatuor, p. 164, n» XVIII. Cuiusdam Epitaphium
qui, exeinplo edito strangulalus, publico postea spectaculo Lug.iuni sectiis est, Francisco
Rabelaeso, medico doctissinio, fabricant corporis interprétante.
15. Renan, Essais de morale et de critique, 312.
16. Habert, Nouvelle luno, pp. 19, 26. — Dernières poésies de Marguerite de Navarre,
pp. 297 et 244.
17. Michelet,/fii7.rffFf. [Flammarion], VII, 13.
Clément Marot et son écolo
II
LE ROI FRANÇOIS \''
20. Le caractère intime de François I^' le prédestinait à aimer
les arts. — 21-23. Ce qu'il a fait pour l'architecture. — 24. Les
grands peintres qu'il a employés. — 25. Benvenuto Cellini. —
26. Quelques mots sur Pierre Lescot, Philibert de l'Orme et Jean
Goujon. — 27-28. Les écrivains italiens en France. — 29. La
traduction en langue vulgaire des ouvrages grecs et latins est
encouragée par le roi. — 30-32. Sa générosité envers les artistes
et les gens de lettres. — 33. Il a, parfois, soutenu les novateurs.
— 34. Comment s'explique sa tolérance. — 35-36. Ses rapports
avec les chefs de la Réforme. — 37-40. Louis de Berquin. —
41-46. Fondation du collège des u lecteurs royaux ». — 47-53.
Les fautes et les vices de François I^^ trouvent une manière
d'excuse dans l'idolâtrie de son entourage. Exemples tirés des
œuvres de Marguerite et de ce qui se passa (1541) lors du ma-
riage de Jeanne d'Albret. — 54-55. Le roi n'a jamais supporté
ni critiques ni résistance. — 56-57. Ame versatile, il a donné
maintes preuves d'égoïsme et d'ingratitude. — 58. Actes tyran-
niques : les Vaudois, les martyrs de Mcaux. — 59. Les der-
niers jours du père des lettres. — 60. Les écrivains du XVI^
siècle lui conservent, malgré tout, une longue et fidèle gratitude.
— Les Œuvres de François pr : 61. Une partie des pièces
publiée sous son nom est authentique. — 62-64. Caractères
généraux de ce qu'il a produit. — 65-69. Poésies et lettres
galantes. — 70-72. Pièces relatives à la bataille de Pavie et à
la captivité en Espagne. — 73. Vers composés pour Marguerite
de Navarre. — 74. Jugement d'ensemble.
20. Ce serait être très injuste envers François I^r que de ne
pas avouer à quel point il avait le sentiment et même la passion
des arts. Il les a tous aimés avec la plus intelligente ardeur, non
seulement comme propres à illustrer son règne, mais encore pour
son plaisir personnel, et parce que sa nature le voulait ainsi.
N'eût-il pas été roi, qu'il n'aurait point, en tant qu'homme,
CLÉAIENT MAROT ET SON ÉCOLE 19
laissé de comprendre les belles choses, et ce n'était là, parmi
d'autres moins recommandables, qu'un des aspects de cette âme
sensuelle qui a regardé le monde comme créé en vue de son agré-
ment, et a prétendu épuiser toutes les joies de la vie. Les por-
traits de ce prince décèlent d'insatiables instincts : on devine
qu'il ne perdra, fût-elle honteuse, aucune occasion de se satis-
faire, et qu'il entend convertir en bonheur immédiat chaque
désir ou chaque caprice. Entraîné à maintes fautes par ce culte
de la volupté, il y a gagné, en revanche, de sentir que, puisqu'il
voulait mener une existence exquise et dorée, l'un des meil-
leurs moyens de réaliser son rêve, c'était encore d'inviter les
écrivains et les artistes à travailler en chœur à le charmer, à
le louer. Eux seuls, en somme, pouvaient lui offiir ce dont on ne
se fatigue jamais, ces biens si riches et si divers qu'il y a peu
d'âmes capables de les saisir à la fois. Mais François P^, redi-
sons-le, avait ce privilège d'être vraiment touché par tous les
arts, en sorte qu'il s'entoura des hommes les plus experts en
chaque genre, et qu'il les accueillit avec une égale bienveillance,
quelle que fût leur spécialité.
21. Et, par exemple, que n'a-t-il pas fait pour l'architecture !
Il fut, presque autant que Louis XIV, un roi constructeur, et
n'a rien édifié que d'admirable. Ses moindres pavillons (JMadrid,
La Muette) avaient une élégance raffinée : mais comment pein-
dre l'ampleur fastueuse et l'harmonieuse majesté de ses grands
châteaux ou de ses palais ? Avec ses toits d'une complication
ravissante et inouïe, ses flèches et ses campaniles, Chambord,
vu de loin, donne l'impression d'une demeure aérienne, et sem-
ble être dû au coup de baguette d'une bonne fée. L'enchante-
ment persiste à l'intérieur, et les yeux se lassent à contempler
les jolis détails de l'escalier, tant de médaillons inimitables, la
richesse des voûtes, des corniches et toutes ces salamandres
enroulées. En cette œuvre d'un homme de génie, Pierre Nepveu,
notre architecture nationale s'épanouit et triomphe pour la
dernière fois. Le roi, qui lui a fourni cette occasion de s'affir-
mer encore, va se tourner vers les Italiens, et, de plus en plus,
il tiendra pour barbares les créations, les traditions du passé.
La grosse tour du Louvre lui paraîtra indigne de son goût et
de sa fortune, et il ordonnera qu'on la détruise (1528). Les Pari-
siens en gémirent : ils sentaient que l'art d'autrefois et l'ancienne
France s'écroulaient. Le Bourgeois de Paris observe que « ce fut
grand dommage )) de démolir cette tour, « car elle estoit très
belle, haulte et forte, et estoit appropriée à mettre prisonniers,
gens de grand renom ». Un tel donjon n'était-il pas plus utile
que le « logis de plaisance » qui devait le remplacer ?
20 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
22. Ce fut aux chantiers de Fontainebleau que les Italiens
s'installèrent en vainqueurs. A ce palais, tel qu'on le voit au-
jourd'hui, plusieurs siècles ont collaboré, en sorte que nous ne
savons pas bien sur quel plan on l'avait conçu, au temps où
François i^^ en avait ordonné la construction (1528) « pour soy
aller esbattre, a cause que le lieu et pays est beau ». Une chose
paraît sûre,- c'est que les plus excellentes parties de cet édifice
incohérent appartiennent à sa période primitive. Sébastien Ser-
lio assuma, durant quelques années, la direction des travaux.
C'était un savant artiste, un homme loyal et libéral. Philibert
de l'Orme, qui l'avait fréquenté à Rome, constate qu'il était « de
fort bonne âme », car il se plaisait à faire profiter les autres de
ses découvertes et beaux secrets. Il fut l'ami de Jean Martin
et de Jean Goujon, qui l'admire comme (f ayant esté le commen-
cement de mettre telles doctrines [de Vitruve] en lumière au
royaume ». Marguerite de Navarre lui accorda (6 décembre 1541)
une pension annuelle de cent écus d'or. Serlio, vers la fin de sa
vie, alla s'établir à Lyon. Il y connut, dit-on, la misère, et il
lui fallut vendre ses manuscrits pour payer l'impression du grand
ouvrage où les résultats de son expérience restent consignés. Il
mourut en 1552, non à Lyon, mais à Fontainebleau.
23. Le palais, à cette date, avait déjà usé plus d'un archi-
tecte. Le Rosso, de Florence, que les nôtres appelaient maître
Roux, s'était complu à couvrir le monument de mille décorations
à la fois éclatantes et tourmentées. L'invention surabondante
de ce génie séduisait le roi, qui prodigua au Rosso les dons, les
titres. Valet de chambre, intendant des bâtiments, chanoine de
la Sainte-Chapelle, bien payé, bien en cour et exerçant, sur les
arts, une sorte de dictature, qu'avait-il encore à désirer ? Mais
sa carrière, qui fut assez courte, s'acheva tragiquement (1541).
— Alors le Bolonais Primatice régna à son tour à Fontaine-
bleau, et reçut, lui aussi, des abbayes et des pensions. Il com-
mença par détruire en partie les œuvres de son prédécesseur,
auxquelles il substitua, selon la méthode qu'il tenait de son maî-
tre, Jules Romain, de larges compositions à l'antique. Une
pléiade d'artistes travaillait sous ses ordres, et Fontainebleau
devint une véritable école, une manière de a petite Rome ».
24. Longue serait la liste des peintres que François i^^ a em-
ployés. Ce fut grâce à lui et à Marguerite que Jean Clouet, dit
Janet ou Johannet, originaire des Flandres, put faire chez nous
sa fortune. Son fils François, né à Tours en 1522, hérita du
talent, du surnom et (1540) des titres et offices paternels. Il
excellait dans les portraits ; fidèle observateur de la vie, il
l'exprimait directement et d'une façon intense. Sa gloire lut
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 21
grande, il eut de flatteuses amitiés, et Ronsard [Blanchemain, I,
i^6]V appelle mon J an et.- — Mais l'influence flamande ou française
ne pouvait guère lutter, à la cour, avec celle des Italiens. Songez
que, parmi ceux qui furent aux gages du roi, on compte Léonard
de Vinci et Andréa del Sarto. Il est bien vrai que l'un mourut
dans les premières années du règne, et que l'autre, s'étant rendu
coupable envers le maître, dut le quitter : toutefois, à défaut
de nombreux ouvrages, leurs deux noms suffisent à illustrer cette
époque et ce milieu.
35. A son tour, accourant comme vers la terre promise, Ben-
venuto Cellini franchit les monts. En celui-là est vraiment incar-
née la Renaissance. Il veut tout savoir et peut tout faire. Flû-
tiste éminent, poète à ses heures, bon soldat à l'occasion, archi-
tecte, sculpteur, fondeur, ciseleur, orfèvre, invincible à l'escrime,
cavalier accompli, il jette sur le monde un regard de maître,
grince des dents, met la main à sa dague dès qu'on lui résiste,
et pense ce que les rois disent : Cay tel est notre plaisir... Intel-
ligence passionnée, âme trépidante et sans frein, il tire sa force
d'un orgueil monstrueux : ses patrons eux-mêmes ne le font pas
céder ; il traite en égaux les papes et les ducs, discute leurs or-
dres, repousse leurs conseils, accueille insolemment les menaces,
et abonde en ripostes flamboyantes. Il soulève, à chaque pas,
une nuée d'ennemis : mais, loin de l'abattre, l'adversité décuple
son énergie, alimente sa gaieté, et le rend encore plus ingénieux.
C'est qu'il a confiance en son étoile, et se croit prédestiné. Son
ange gardien lui apparaît, lui parle, et Dieu même lui envoie
des visions. Lorsqu'il arrive en France, il a juste quarante ans,
et son existence offre déjà autant d'aventures qu'il en faudrait
pour remplir un roman en plusieurs tomes : intrigues d'amour,
faveur et disgrâce, chefs-d'œuvre créés en se jouant, fêtes et mas-
carades, querelles et agressions nocturnes, siège soutenu au
Château-Saint-Ange, une cruelle captivité, puis cette si fameuse
évasion, — tel est, à vol d'oiseau, le passé de Cellini. Son voyage
même, de Rome à Fontainebleau, présente maintes péripéties.
Mais il débarque frais et fringant ; ses infortunes ne l'ont pas
touché ; il a confiance, il est sûr de lui. D'abord, il prie le roi
d'accepter l'aiguière qu'il lui apporte ; ensuite il se met à la
besogne, et produit presque à la fois (il lui restera du temps
pour s'amuser de bien des façons) une immense salière d'or ;
un Jupiter d'argent ; la nymphe appuyée sur un cerf qui devait,
à Fontainebleau, orner l'une des portes du palais ; une coupe
qu'il destine à la duchesse d'Etampes, mais qu'il donne au car-
dinal de Lorraine, et beaucoup d'autres moindres ouvrages que
lui commandent dames ou seigneurs. Il rêve, en outre, une fon-
22 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
taine monumentale, et commence un « grand colosse », si grand
même que sa tête suffit à abriter les rendez-vous d'un des élèves
de Cellini.
26. Voilà, sur les artistes qui entouraient François i^^, un
aperçu très rapide. Les noms que j'ai cités ont été choisis parmi
les plus significatifs, et rien n'eût été plus facile que d'allon-
ger cette liste. On s'étonnera, peut-être, de n'y pas voir figurer
trois hommes dont le génie a jeté un vif éclat : Pierre Lescot,
Philibert de l'Orme et Jean Goujon. C'est, d'abord, que la
meilleure période de leur activité appartient aux règnes sui-
vants ; c'est, ensuite, qu'ils n'ont guère, jusqu'à l'avènement
de Henri II, travaillé que pour l'Église ou pour des particuliers.
François I^^" approchait de sa fin lorsqu'il signa (3 août 1546)
la commission de Lescot comme aichitecte du Louvre. Philibert
de l'Orme fut au service de Paul III, et construisit (1536) l'hô-
tel d'Antoine Bullioud, avant d'être distingué par le roi, qui
le fit, contre toute attente, <( inspecteur des côtes de Bretagne ^'.
Quant à l'inimitable Jean Goujon, c'est à Rouen qu'il avait
débuté. Nous l'y voyons, en 1540-1541, bâtir le piédestal des
orgues de Saint-Maclou et sculpter la porte de cette église. Des
quittances, qui le qualifient « tailleur de pierres et masson »,
nous le montrent, un peu plus tard, installé à Notre-Dame de
Rouen où il exécute, moyennant trente livres, la statue de
Georges II d'Amboise. Il va, enfin, à Paris, et là, collaborant
avec Lescot, il affirme sa maîtrise par im bel ouvrage, le jubé
de Saint-Germain-l'Auxerrois (1544-5). Ainsi Jean Goujon et
de l'Orme mirent assez longtemps à obtenir la faveur du prince,
et il leur fallut, en attendant, chercher une moins haute protec-
tion. Nous verrons qu'ils surent la trouver.
27. Mais passons maintenant aux écrivains qui vécurent au-
près de François I^^ ou furent, de loin, soutenus par lui. Ici
encore nous allons rencontrer bon nombre d'Italiens. Le plus
célèbre est, sans doute, Luigi Alamanni, qui nous est actuelle-
ment bien connu grâce à l'étude que M. Hauvette lui a consa-
crée. — On doit citer ensuite Benedetto Tagliacarne (Theocre-
nus) qui fit chez nous une rapide fortune. Précepteur du dau-
phin François et de Henri, duc d'Orléans (1524), évêque de
Grasse en 1535, il a laissé divers ouvrages, parmi lesquels il con-
vient de noter ses « Poemata », qui parurent en 1536, l'année
même où (18 octobre) il mourait à Avignon. — Nous savons
aussi que ce fut le roi qui engagea Balthazar Castiglione à ter-
miner ce livre du Cortegiano, où l'on rencontre souvent son
éloge, et qui eut un immense retentissement. — N'oublions enfin
ni Giulio Camillo qu'imitèrent, à l'occasion, Mellin de Saint-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 23
Gelays et Joachim Du Bellay, ni le Florentin Niccolô Martelli
dont le séjour en France (1543) ne fut pas exempt d'amertume,
ni Gabriello Simeoni. Les travaux — si divers ! — de ce der-
nier, l'histoire de tout ce qu'il tenta pour avoir part aux bien-
faits des rois François et Henri, ses rapports avec les luthériens,
puis avec les savants et les libraires de Lyon, les louanges qu'il
prodigua au Cardinal de Lorraine, à Hélène de Boisy et à tant
d'autres exigeraient un ample développement. Bornons-nous à
dire que Simeoni fut lié et avec Saint-Gelays auquel il adressa
(12 décembre 1550) l'une de ses lettres familières, et avec Clé-
ment Marot, dont il pleura la mort en un sonnet que l'on vou-
drait plus touchant.
38. Doit-on ranger Amomo parmi les Italiens, ou croire qu'il
était Français et l'identifier, ainsi que l'a fait M. Picot, avec
Jean de Maumont, fils de Charles de Maumont et d'Anne de
Bourdeille, tante de Brantôme ? Laissant de côté cette ques-
tion, et désignant le personnage par le nom qu'il a pris (ou qu'il
avait), rappelons seulement que, né vers 1505, Amomo sut gagner
la confiance des puissants et l'affection, aussi, de ses confrères.
Ami et protégé de Salel, cultivant tous ceux qui pouvaient le
servir (Jacques Colin, par exemple), il a publié un livre de vers,
très riche en adroites flatteries. Ce recueil placé sous le patro-
nage ou, mieux, sous l'invocation du cardinal Jean de Lor-
raine, renferme, outre une « Favola di Piramo e Tisbe » et main-
tes pièces qui célèbrent les charmes de Charlotte d'Hisca, deux
poèmes vraiment curieux : d'abord, une « Selva », dédiée à
François P^, où se trouvent encensés divers auteurs et, notam-
ment, Saint-Gelays ; ensuite, sous le titre de Trionfo délia Bel-
lezza, une sorte de fresque où figurent, couronne d'étoiles autour
du roi, les plus jolies femmes de sa cour. Panégyrique ingénieux !
Les souvenirs de la mythologie y abondent, et l'auteur a donné
un air antique à cet Olympe nouveau et profane. La beauté,
ici, ne triomphe pas seule, et ce qui éclate surtout, c'est l'art
intéressé, mais captivant, d' Amomo.
29. François I^r, on le voit, a fait le meilleur accueil aux
écrivains venus d'Italie, et leur a même si libéralement accordé
emplois, bénéfices ou pensions, que les nôtres s'en sont mon-
trés jaloux, et ont regardé comme une plaie l'invasion de ces
sauterelles d'outre-monts. Le roi, pourtant, n'a jamais refusé ni
les encouragements ni les récompenses à ses propres sujets, et
ce fut — naturellement — à eux que ses faveurs allèrent de pré-
férence. Encore qu'il laissât aux auteurs la liberté de travailler
à leur goût, et qu'il payât presque aussi bien ce qu'on lui offrait
spontanément que les œuvres commandées par lui, il faut lui
24 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
rendre cette justice qu'il jouait son rôle de protecteur avec quel-
ques idées arrêtées et d'après certains principes. Convaincu, par
exemple, que notre langue vulgaire n'était ni assez noble ni
assez « copieuse », et que l'unique moyen de l'enrichir et de
rUlustrer, c'était de traduire les livres anciens, il a poussé les
prosateiu-s, les poètes à entreprendre des traductions. Par son
ordre, Jacques Colin imprima d'abord (car elles étaient restées
manuscrites) celles de Claude de Seyssel, puis en publia d'autres
de son cru. Ce genre, bientôt, devint à la mode, et chacun, pour
faire sa cour, voulut dédier au souverain une « version » soit
grecque, soit latine. Hugues Salel, Amyot, Marot, Dolet, Lazare
de Baïf, Jacques Peletier s'attaquèrent à l'envi, mais non pas
avec le même bonheur, aux plus beaux monuments du génie
antique. Les résultats dépassèrent, je crois, l'espérance qu'on
avait fondée sur ces translations. Très utiles, sans doute, à la
langue nationale, elles mirent à la portée du peuple un trésor,
jusque-là peu accessible, d'images, de pensées, et révélèrent aux
ignorants un merveilleux instrument de culture. François l^^,
parmi ses titres de gloire, n'en a guère de plus solide que celui-
là, et ce fut un souci magnanime que d'avoir tenu à partager
également entre tous l'héritage de la Grèce et de Rome.
30. Il n'y a pas lieu d'exposer ici en détail ce que « le père
des lettres « a fait pour chacun de ses protégés, la suite du pré-
sent volume devant fournir, sur ce point, d'assez nombreux ren-
seignements. Mais il importe de savoir que nul prince n'eut la
main plus ouverte, une plus naturelle générosité. Cet art si
difficile de bien donner, François I^^ même aux heures de crise
politique et financière, le pratiqua magistralement. Il ne fut pas
de ceux qui finissent, à bout de patience, par accorder de mau-
vaise grâce moins qu'on ne leur a demandé. Ses présents sui-
vaient de près la prière, et la devançaient parfois. Surprendre et
ravir les solliciteurs en allant au delà de leur désir lui semblait
un privilège royal. Et puis // ajoutait le sourire, augmentait, par
une bonne parole, la valeur de l'argent, et soulignait l'intention
morale et cordiale de ses bienfaits. Non content de multiplier,
pour les auteurs et les artistes, ces charges de valets de chambre
qui leur permettaient juste de \àvre, il cherchait les occasions
de leur être utile, favorisait le cumul des fonctions, provoquait
des aubaines inattendues. Ce serait peu de dire qu'il a bien traité
ceux qui lui plaisaient davantage : il les a comblés.
31. On verra plus loin que Marot a reçu de lui, outre sa pen-
sion annuelle, de magnifiques cadeaux : cent écus d'or soleil, une
maison... — Et, pour Cellini, que n'a-t-il pas fait ? Il tâche,
d'abord, de lui concilier l'indulgence du pape Paul III qui le
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 25
tient en prison, puis, dès que Benvenuto arrive en France, il lui
offre, après un court débat, autant qu'avait eu Léonard de
Vinci, sept cents écus par an, presque une solde de grand sei-
gneur. Or, ce n'est là qu'un commencement. Bientôt, le château
du Petit-Nesle est livré par le roi à Cellini, afin qu'il y installe
ses ateliers. Il s'établit sur l'heure, jette à la rue divers artistes
qui occupaient les dépendances de ce domaine, et, notamment,
un fabricant de salpêtre, dont il prend d'assaut le logis et réduit
en miettes tous les meubles. François I^^" approuve cette vio-
lence, n'écoute pas les plaintes de l'homme ainsi lésé (un pro-
tégé, pourtant, de la duchesse d'Étampes), et donne raison à
l'Italien. Il lui confère, sans nulle requête de sa part, des lettres
de naturalité (juillet 1542), le titre de seigneur du Petit-Nesle,
et lui cède par acte authentique (15 juillet 1544) le terrain d'un
jeu de paume attenant à ce château. Plusieurs fois, il rend visite
à l'artiste, le regarde travailler, cause avec lui familièrement,
et l'appelle mon ami. Craignant qu'il ne quitte son service, il ne
lui ménage pas les promesses, s'engage à le nommer abbé de
quelque grosse abbaye, et lui jure qu'il le noiera dans l'or.
32. Pourquoi non ?... Noyés dans l'or et comme accablés des
grâces du prince, d'autres ne l'avaient-ils pas été ? Voyez Jac-
ques Colin et Luigi Alamanni. Ce dernier n'a eu qu'à tendre la
main pour recevoir. S'il voulait des titres, on ne les lui refusait
pas ; s'il souhaitait de l'argent, il affluait. En novembre 1531,
on le prie d'accepter quinze cents livres ; l'année suivante, on
lui accorde mille écus soleil, somrne énorme pour l'époque ; rien
n'est plus ordinaire, en son histoire, que des cadeaux de cette
sorte, et François P^ se plaît à renoncer, en sa faveur, à une
part de ses biens : il lui abandonne successivement les revenus
d'une terre, dite « le jardin du roi », auprès d'Aix, — les reve-
nus « de la chatellenie, terre et seigneurie de Tullins », — « tout
le revenu, proufict et esmolument de nostre terre et seigneurie
de Castellane » (26 février 1541)... Voilà bien des revenus. Ajou-
tez qu'Alamanni est, en cette même année, chargé d'une am-
bassade à Venise. Il ira aussi à Gênes pour les affaires de son
maître, et l'on peut affirmer qu'il ne perdait pas sur ces voyages.
Soucieux de son intérêt, il ne néghgeait pas non plus l'avance-
ment de sa famille. Battista, son fils, obtint l'abbaye de Belle-
ville, en attendant les évêchés de Bazas et de j\Iâcon qui lui
furent donnés après la mort de François pi".
33. Certes, la générosité de ce roi est l'un des traits remar-
quables de sa physionomie, et le rend fort sympathique. Mais
sa principale originalité ne consiste pas en cela. Ce qui le dis-
tingue, je crois, de tous ceux qui ont porté une couronne, c'est
26 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
d'avoir été quelquefois du parti des novateurs. Il ne manquait
pas de gens pour lui dire que les huguenots méditaient le ren-
versement du trône ; que les libres penseurs mèneraient la France
à l'anarchie, et que, si l'on touchait à la religion de l'État, ferme
colonne de l'édifice politique, tout allait crouler du même coup...
Mais ces noirs présages ne le troublaient que de loin en loin ; il
les écartait, d'ordinaire, comme dictés par un pessimisme insi-
dieux, et offrait, de la sorte, à ceux qui jugeaient solidaires l'in-
térêt de l'Église romaine et le sort de la monarchie, le spec-
tacle d'un souverain hostile à sa propre cause, et qui s'enrôlait
dans l'opposition. De fait, les réformés, les indépendants, les
libertins, tous ceux qu'un Louis XIV voudra ou convertir ou
proscrire, parce qu'il verra en eux les ennemis-nés de sa puis-
sance et du bon ordre, François I^^", du moins à certaines heures,
les a défendus contre les persécutions, reçus à la cour avec hon-
neur.
34. Cela ne prouvait point qu'il fût, comme l'en accusaient
les papistes, trop peu soucieux de son autorité. Jamais per-
sonne, au contraire, n'a été plus royaliste que ce roi, et sa con-
duite assez souvent tolérante, c'est l'égoïsme qui l'explique en
partie. Je sais bien que l'âme de François I^^" n'était pas natu-
rellement cruelle, qu'il estimait barbares l'esprit et les mœurs
du moyen âge ; que les idées neuves ne l'effrayaient point, et
qu'il devait, en conséquence, accueillir sans haine l'hétérodoxie :
mais s'il a soutenu parfois l'hérétique et le dissident, ce fut
encore pour d'autres motifs. Aussi éloigné que possible du zèle
des vrais chrétiens, les opinions qui déchiraient l'Église le lais-
saient, au fond, presque indifférent, et il ne demandait pas à
ceux qui lui étaient utiles ou qui l'amusaient selon quelles règles
ils servaient Dieu. Ses fluctuations religieuses ont suivi la courbe
de son ambition ; il ne songea, en flattant tour à tour catholi-
ques et luthériens, qu'à plus de gloire personnelle, qu'au meil-
leur profit, et il a ménagé la Réforme comme il faisait alliance
avec les Turcs.
35. La psychologie d'un tel personnage — si puissant, si vo-
lontaire,... si faible — est, on le voit, très complexe, et il arrive
qu'on ne démêle pas facilement les raisons de ses actes. Mais les
actes sont là, indiscutables, et ils attestent que, plus d'une fois,
il a penché vers le <( nouvel Évangile ». C'était Marguerite de
Navarre qui, non sans trembler de lui déplaire, l'inclinait dou-
cement de ce côté, tantôt plaidant elle-même la cause qui lui
était chère, tantôt seivant d'intermédiaire entre les Réforma-
teurs et le roi. Il a connu par elle quelques-unes des rêveries
mystiques de Guillaume Briçonnet ; elle lui communiqua les
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 27
livres de Lefèvre d'Étaples, les idées de Gérard Roussel, et obtint
de lui, à diverses reprises, le salut de ces précurseurs ; elle son-
gea enfin à faire venir en France, tant pour convaincre son frère
que pour confondre la Sorbonne, d'illustres apôtres étrangers ;
elle espérait que son « bon cousin », M. de Haute-Flamme (le
comte Sigismond de Hohenlohe, doyen du chapitre de Stras-
bourg), montrerait à François I^^" la voie, la vérité, et ce fut
elle encore qui conseilla, comme Jean Du Bellay, le voyage à
Paris de Philippe Mélanchthon (1535). Ces projets n'aboutirent
pas : mais il reste certain que le roi les avait approuvés, donnant
ainsi confiance aux luthériens. Dès lors on s'explique qu'ils aient
longtemps compté se l'attacher de tout point. Même à l'heure
où il se montrait leur bourreau, ils gardaient l'illusion d'un revi-
rement possible, et Calvin lui dédie son Institution de la religion
chrestienne (23 août 1535) juste à l'époque où le prince conserve
de l'affaire des placards un ressentiment qui le rend féroce. Je
n'ignore pas, lui dit Calvin, que ton cœur est maintenant « des-
tourné et aliéné de nous, j'adj ouste mesme enflambé : toutefois
je pense que nous pourrons regaigner sa grâce ». Aussi bien,
écrit-il ailleurs, si l'Église de Christ est, aujourd'hui, déchirée
et foulée, cela est « advenu par la tyrannie d'aucuns Pharisiens,
plustost que de ton vouloir ».
36. Calvin se trompe, car le roi, après l'affaire des placards,
s'était mis de lui-même à haïr et à persécuter les luthériens ;
mais la conduite qu'il avait tenue envers eux auparavant auto-
risait les espérances du réformateur, et il ne pouvait oublier que
la cour de France avait longtemps offert aux dissidents asile et
protection. Nombreux furent, en effet, ceux que François \^^
arracha à la prison ou disputa à la mort. J'ai déjà cité Lefèvre
d'Étaples et Roussel qu'il a énergiquement soutenus ; on verra
plus loin ce qu'il a fait pour Marot et pour Dolet. Ce sont là
de notables exemples de sa bonté : mais ce qui la caractérise
mieux encore, c'est la façon vigoureuse dont il défendit Louis
de Berquin.
37. Curieux personnage que celui-là ! Bien que né à Passy,
il était, comme Calvin et Lefèvre, d'origine picarde, descendait
d'une race noble, et portait le titre d'écuyer. Le Bourgeois de
Paris, qui ne l'aime pas (il n'aime, ce Bourgeois vraiment bour-
geois, que ceux qu'il peut comprendre), et qui applaudit à ses
malheurs avec une barbarie ingénue, constate qu'il était « moult
grand clerc, expert en science et subtil » ; qu'il tirait de u ses
terres et possessions » environ cinq cents livres de rentes ; qu'il
était ordinairement couvert de « robbes de veloux, satin et da-
mas », et qu'il portait au cou une chaîne d'or. Manifestement,
28 CLÉMENT WAROT ET SON ÉCOLE
le Bourgeois n'arrive pas à s'expliquer pourquoi cet homme si
bien vêtu, et qui avait de quoi vivre, a, comme un pauvre dia-
ble, risqué sa peau pour une idée, et embrassé le mart3n:e au
lieu de prospérer tranquillement. Cette abnégation anormale
paraît avoir surpris et scandalisé toutes les bonnes têtes du
parlement et de la Sorbonne. Nul n'a été traqué avec plus de
rage que ce mauvais riche qui se mêlait d'être un apôtre ; on
l'eût excusé davantage s'il n'avait eu rien à perdre, et l'on espé-
rait, par son supplice, donner une meilleure leçon qu'en brûlant
des gens de peu. Lui, il n'ignorait pas l'acharnement de ses
ennemis, les risques terribles qu'il courait : mais il persistait,
en lettré et en gentilhomme, à répandre l'erreur de Luther. Let-
tré, il traduisait, il divulguait les livres d'Érasme ; gentilhomme,
il jouait sa vie ainsi que sur un champ de bataille. Son hérésie
n'était pas tremblante ; loin de pâlir au tribunal ou de chercher,
par des concessions et des excuses, à s'attirer l'indulgence ou
la pitié, il citait en justice ses juges, les provoquait sur leur
siège, et, du haut de son innocence, les regardait avec mépris.
Attitude moins sage que belle ! Elle consternait les partisans
de Louis de Berquin, et ils reprochaient sa témérité et son arro-
gance à cet accusé qui tenait plus à son droit qu'à son salut.
38. C'est assez dire qu'il devait périr, et qu'il demeura, en
attendant la catastrophe, presque toujours emprisonné. S'il ne
succomba point du premier coup, s'il prolongea quelque temps
une existence précaire et menacée, ce fut grâce à Marguerite et
à son frère, qui — littéralement — l'enlevèrent plusieurs fois,
et de force, à ses geôliers. Le 8 août 1523, les ouvrages de Ber-
quin sont brûlés devant l'église Notre-Dame, et il se trouve
en danger de subir le même sort que ses livres, lorsque le roi
envoie, pour le tirer du cachot où le retient l'évêque de Paris,
« son cappitaine Frédéric et des archers de sa garde ». Rendu à
la liberté par cette violente intervention, Berquin, malgré les
conseils d'Érasme qui supplie son traducteur de ne pas le com-
promettre, s'obstine en ses imprudences, et rassemble sur lui de
nouveaux nuages. Profitant de la captivité de François I^^, le
parlement, en janvier 1526, fait arrêter, à Abbeville. l'intraita-
ble hérétique, puis ordonne qu'il soit conduit à Paris, puis incar-
céré à la Conciergerie du Palais. Il comparaît alors devant une
commission extraordinaire, fondée par le pape (20 mai 1525)
et composée de quatre membres que la cour romaine avait
choisis. L'inculpé, cela étant, n'a aucune chance d'échapper :
de fait, tandis que la Sorbonne (12 mars 1526) censure tout ce
qu'il a écrit, le tribunal le condamne à mort, et il ne reste plus
qu'à procéder à l'exécution. Mais elle n'aura pas lieu. Margue-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 29
rite veille, et la régente, à sa prière, ordonne qu'on attende le
retour du roi. Celui-ci, à peine revenu, s'oppose (i^r avril) à
la cruelle sentence, puis, comme les chats fourrés gardent étroi-
tement leur victime à la Conciergerie et lui refusent même l'ac-
cès du préau, il la soustrait brusquement à leurs rancunes, et
commande, en novembre, à ses archers de la transférer au Lou-
vre. — Berquin, une fois encore, triomphait.
39. Pour peu de temps... Un autre serait rentré dans l'om-
bre, et eût soigneusement gardé le silence. Lui, il accusa d'héré-
sie (9 juillet 1527) le chef de ses adversaires, Béda, et se retourna
avec véhémence contre ce tribunal d'exception qui l'avait traité
en criminel. Sa protestation fut entendue, et Clément VII finit,
à la requête de François I^^", par établir une nouvelle commis-
sion, dont tous les membres étaient laïques, et qui comprenait
quelques amis de Berquin, par exemple Guillaume Budé. Mais
cette victoire des libéraux perça le cœur des ultramontains, du
farouche Béda et de ses pareils. Le pape reçut des plaintes en-
flammées, et nous savons, par une lettre anonyme que M. Ro-
main Rolland a publiée, jusqu'où allèrent à ce moment {i^^
juillet 1528) la colère et le chagrin des catholiques. Crevant de
douleur, l'auteur de cette épître affirmait que le saint-père avait,
en cherchant à plaire au roi de France dans les choses de la foi,
ouvert — et toute grande — la porte à Luther ; que le diable
en personne avait conseillé la nomination de ces juges laïques,
et que, si on ne l'annulait pas, les théologiens n'auraient plus
qu'à s'occuper de cuisine, n'ayant rien à faire en un pays qui
serait, avant peu, aussi hostile à Rome que Tx^llemagne. Ces
alarmantes prédictions troublèrent le faible Clément VII : il
crut bon de détruire, une fois encore, son propre ouvrage, et
envoya au légat Salviati un bref qui révoquait la seconde com-
mission.
40. Le légat fut joyeux mais perplexe. Il lui fallait, mainte-
nant, communiquer le bref à François I^i", et il hésitait beau-
coup, sentant qu'il allait être mal accueilli, et que l'entrevue
serait pénible. Elle le fut, en effet, et plus même qu'il ne l'avait
craint. Le roi, indigné de cette ingérence du pape dans les affaires
civiles de l'État, ordonna à Salviati de « ne présenter le bref
pour rien au monde ». Ensuite il déclara qu'il reconnaissait, en
ce revirement du saint-siège, l'influence des premiers juges, les
théologiens, et que, s'il avait la preuve de leur intervention, il
les ferait aussitôt mettre aux galères. Il ajouta, enfin, que leurs
sentences lui semblaient iniques, et que, selon ce qu'il avait
appris, « Berquin n'était pas coupable ». Qu'on ne s'étonne point
d'entendre François I*^'" parler ce langage vigoureux. A l'heure
30 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
OÙ il s'exprimait ainsi, il croyait, observe j\I. Romain Rolland,
être encore puissant en Italie et n'avoir aucun besoin de Clé-
ment VII. Mais il sortait à peine de sa conférence avec le légat
lorsqu'un courrier vint lui annoncer l'événement le plus désas-
treux : Lautrec était mort, et le siège de Naples était levé (15
août 1528). Cette catastrophe changea la politique royale ; il
fallut se rapprocher du pape, le ménager, sacrifier Louis de
Berquin... Son étoile, décidément, pâlit, et sa vie si agitée et
tragique touche à son terme.
41. On peut se demandei si la protection accordée par Fran-
çois I«^ à certains libéraux découlait uniquement d'une sympa-
thie individuelle pour quelques personnes de ce parti, ou bien
si c'était le parti lui-même qu'il voulait défendre, l'approuvant
en général et cherchant, en vue de son propre avantage et de
l'intérêt public, à lui donner gain de cause. La question n'est
pas facile à trancher. Que ce prince ait aimé en Clément Marot,
par exemple, l'amuseur et non le novateur, c'est là un fait de
toute évidence ; mais lorsque, au contraire, il institue le corps
des lecteurs royaux (disons le Collège de France, quoique le
XVI^ siècle ne se soit jamais servi de cette appellation), il se
propose très clairement de ruiner la Sorbonne, citadelle de l'in-
tolérance et de la sottise scolastiques, et d'établir, sur les débris
des traditions périmées, le temple de la vraie et de la libre science.
42. Je prévois les deux graves objections qu'on va me faire :
d'autres pays avaient déjà songé à des créations de ce genre ;
l'idée de les imiter chez nous n'appartient pas à François I^^".
Il est indén'able, en effet, que, dès le siècle précédent, Venise
avait eu, grâce à Bessarion, une école réservée à des élèves venus
de Grèce ; que Léon X avait (en 1515) fondé, lui aussi, un ms-
titut destiné aux jeunes Grecs qui devaient propager leur langue
dans l'Italie ; que, de 1498 à 1508, le cardinal Ximénès avait
institué la riche université d'Alcalâ de Henarès, où prospéra
longtemps l'humanisme, et qu'enfin, pour ces raisons, le projet
d'ouvrir à Paris des cours de latin, de grec et d'hébreu n'offrait,
à la date où on le forma, rien de bien original.
43. Et il 'aut reconnaître, d'autre part, que si le roi consentit
— lentement et non sans peine — à jeter les bases du Collège
de France, il a obéi en cela aux patientes suggestions tant de
Marguerite de Navarre que des plus notables érudits. Son con-
fesseur, Guillaume Petit, Jacques Colin, l'évêque Etienne Pen-
cher et, avec une foi tenace et ardente, Guillaume Budé le sup-
plièrent, pendant treize ans, d'accomplir cette œuvre glorieuse.
Leurs prières le trouvaient tantôt très résolu, tantôt assez froid,
et il se bornait, selon sa coutume, à des commencements d'exé-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 31
cution. Il chargea, dès 151 7, le polyglotte Agostino Giustiniani,
évêque de Nebbio, de professer l'hébreu à Paris ; puis il songea
à faire venir Érasme en France et à lui confier a. direction de
l'établissement encore à naître ; puis il créa (1520) un collège
de jeunes Grecs à Milan, et le confia à Lascaris; puis il ne pensa
plus à Lascaris ni à ses élèves, oublia d'envoyer de l'argent, et
pe:dit de vue (1522-1529) l'ample dessein qu'il s'était engagé
à accomplir. Ce fut en 1529 que, dans la préface de ses Commen-
iarii linguae gyaecae, Budé lui rappela ses engagements en termes
énergiques et sur un ton de reproche. François 1^"^, du coup,
s'exécuta, et, après avoir annoncé des intentions grandioses, il
finit par instituer à petit bruit quelques chaires. Les leçons sem-
blent avoir commencé dès 1530. La première pièce officielle que
nous possédions, celle du 27 mars 1531, concerne les honoraires
des lecteurs et non leur fondation.
44. Oui, tous ces faits sont incontestables, et ils diminuent
sensiblement le mérite de François I^r. Mais ce mérite demeure
très grand. Si le roi ne s'est pas spontanément avisé d'ériger
le collège dont nous parlons, il a, du moins, suivi les conseils
qu'on lui donnait à cet égard, et s'il a mis trop longtemps à se
résoudre, encore est-il parvenu à faire ce qu'on attendait de
lui. Or, ce qu'on lui demandait, c'était, il ne l'ignorait point,
un acte hardi et sans précédent. Entre le corps des lecteurs et
les écoles d'Italie, d'Espagne, créées vers la même époque, il
n'existe, en réalité, que des rapports extérieurs. Les tendances,
l'esprit ne sont pas les mêmes. Léon X avait-il, en favorisant
l'hellénisme, l'arrière-pensée d'affaiblir le parti papiste ? L'in-
quisiteur Ximénès, les mains rouges du sang des Juifs et des
Maures, espérait-il, par son université, répandre les doctrines
libérales et briser la tyrannie qui accablait l'âme humaine ?
Non, sans doute. Il voulait préparer des savants, non des apô-
tres ; il prétendait orner l'intelligence, non l'émanciper. Tout
autre est le plan des humanistes qui entourent le roi de France.
Ils comptent, en enseignant le grec et l'hébreu qui sont, d'après
la Sorbonne, « langages d'heretiques » [Marot, G. III, 290], prou-
ver la fragilité et l'arbitraire de la théologie du moyen âge, dis-
cuter les titres du catholicisme romain, dissiper les ombres mys-
tiques dont on s'est plu à couvrir les Écritures et amener, de
la sorte, l'ère des libres opinions et de la foi consentie. Bref, leur
collège, à eux, sera une Antisorbonne, une machine de guerre.
Ils disent au roi : « Donnez-nous des armes. » Il les leur donne,
et, s'ils triomphent, ils lui devront leur victoire.
45. N'est-ce pas lui, en efïet, qui choisit ou, du moins, dési-
gne les membres du nouveau musée ?... Or, les maîtres qu'il
32 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
accepte et va pa3'er de son argent, ils s'appellent Danès, Jacques
Toussaint, François Vatable, Oronce Finet, Paul Paradis, Bar-
thélémy Le Masson (Latomus), Guillaume Postel. Ce sont là
de grands noms, et vénérables. Protégés de Marguerite d'An-
goulême, amis de Lefèvre d'Étaples ou d'Érasme et de Budé,
tous ces personnages, à cette date (Danès, plus tard, évolua),
se montrent s}Tnpathiques à la Réforme, soutiennent des idées
avancées, et aspirent à détruire l'étroit dogmatisme médiéval.
Voilà pourquoi la « trilingue et noble Académie » [Marot, G.
III, 289], ces cours largement ouverts à qui voulait, sans frais
d'études, et professés par des gens qui se passaient de la « li-
cence » et des grades officiels, excitèrent, chez les libéraux, au-
tant de joie que d'enthousiasme. Mais, pour les mêmes raisons,
les partisans du passé furent pleins d'indignation, de douleur,
et la Sorbonne travailla à rendre la vie dure aux lecteurs royaux.
Dès le 30 avril 1530, elle condamna leur institution comme témé-
raire, hérétique et scandaleuse. Vers la fin de 1533, Vatable, Para-
dis, Danès et Agathias Guidacerius ayant annoncé, au moyen
d'une affiche, les leçons qu'ils se proposaient de faire, la Faculté
de théologie chargea son syndic Noël Béda — homme convaincu,
mais à la fois aveugle et forcené — d'aller demander au par-
lement d'interdire l'interprétation des textes hébraïques et
grecs jusqu'à ce que la Faculté eût donné la permission de les
commenter publiquement. Les lecteurs résistèrent, et l'affaire
se plaida le 10 janvier 1534.
46. Quel fut l'arrêt de la cour ? Nous l'ignorons. Il ne dut
pas, la chose est évidente, répondre aux souhaits de la Sor-
bonne, car les maîtres qu'elle dénonçait continuèrent leur ensei-
gnement, et, souvent persécutés, préparèrent d'héroïques lettres
de noblesse au futur Collège de France. François I^^, en fondant
cette école indépendante et en trouvant moyen, parmi tant
d'obstacles, de la faire subsister, s'est montré vraiment un grand
roi, et je regarde l'histoire de cette création comme la conclu-
sion naturelle des quelques lignes que j'ai consacrées aux goûts
artistiques de ce prince et à la façon dont il a soutenu la cause
des novateurs. Au reste, je n'ai pu, dans ce qui précède, lui
rendre entière justice. Pour retracer tout ce qu'il y eut en lui
de louable, il eût fallu, non content de le considérer du point
de vue littéraire, peindre le gentilhomme qu'il fut, le paladin
aux gestes splendides. Personne ne s'affirmait, sans effort et
d'instinct, plus chevaleresque, ; sa conduite envers l'ennemi du
dehors le révélait à la fois magnanime et plein de bravoure ;
désigné aux coups par sa haute taille, la richesse et l'éclat de
ses armes, il risquait joyeusement sa vie comme un soldat de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 33
fortune, et il conviendrait donc de le contempler plutôt à la
guerre que dans sa cour pour bien savoir tout ce qu'il valait.
47. En somme, dans les divers rôles joués par lui, il a montr/'
d'excellentes parties... On voudrait, après lui avoir décerné cet
éloge, s'en tenir là, ne point ternir cette image si flatteuse du roi.
de la Renaissance, laisser croire aux lecteurs qu'il mérite un
panégyrique sans restrictions. Mais il n'en va pas ainsi. La belle
médaille a son revers, et, regardé sous un autre jour, ce prince,
que nous avons vu admirable, nous paraîtra un assez pauvre
homme, violent et faible (cela marche ensemble), et fort peu
digne d'être estimé. Tel est le point qu'il s'agit de traiter main-
tenant. Mais, avant de faire connaître ce que l'on doit blâme"
chez François I^^^ q sera juste d'alléguer l'excuse qu'il aurait pu
donner. Et la voici : il a été l'objet d'une idolâtrie qui eût, sans
doute, tourné des têtes plus saines que la sienne, et il lui eût
fallu la sagesse de Marc-Aurèle ou la piété de saint Louis po^or
résister à tant d'adulation et ne pas se juger un demi-dieu, un
être au-dessus de la morale, qui n'avait que des droits et point
de devoirs.
48. Négligeons — bien qu'énormes et délirantes — les flat-
teries que lui ont prodiguées les écrivains, ce grand nombre de
poèmes, ces mille préfaces ou dédicaces qui le représentent dé-
passant en vertu, en vigueur et en beauté tous les héros de Plu-
tarque et tout l'Olympe païen : ces platitudes, d'ailleurs tradi-
tionnelles, n'étaient pas de nature à le griser, et il aurait pu se
rappeler la fable du corbeau et du renard en respirant un encens
qui brûlait à ses frais sur son autel. Mais ses intimes, ses pro-
ches, ceux qui avaient le droit de lui parler sans se prosterner
au préalable et de ne pas déguiser la vérité entièrement, cons-
piraient eux-mêmes avec les courtisans, et ne lui ménageaient
pas les actes d'adoration. Louise de Savoie, son ange noir, l'ap-
pelait tantôt son César pacifique, tantôt son triomphant César,
et avait pour lui une complaisance plus que maternelle. Mar-
guerite, qui fut cependant son bon génie, Marguerite, d'ailleurs
si clairvoyante, lui avait voué un culte aveugle ; persuadée qu'il
planait au-dessus des autres hommes, elle s'exprimait, en s'a-
dressant à lui, avec une admiration, une soumission tellement
ferventes et passionnées qu'elles ont (bien à tort !) paru suspec-
tes, comme plus convenables à une amante qu'à une sœur.
49. La vertu de la reine de Navarre ne saurait être mise en
cause, et discutera qui voudra la frêle et fâcheuse hypothèse de
M. Génin ! Mais on doit reconnaître que nul ne lira, sans éprou-
ver un étonnement pénible, une sorte de malaise, les lettres de
Marguerite à son frère. Vraiment, c'est trop, et sa vénération,
Clément Marot et son ôcole 3
34 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
sa tendresse approchent de la manie. Ah, dit-elle au roi, mon
unique bonheur en ce monde, c'est de me trouver auprès de
vous ! Ke me refusez donc pas, à côté de votre litière, une petite
<( place de laquais ». Plutôt que de ne point vous voir, je renonce-
rais au sang royal « pour estre chamberière de vostre lavan-
dière )). Plusieurs fois (en prose, en vers,) elle le nomme son
Christ, sans remarquer le ridicule ni le scandale de cette assi-
milation... François pr a-t-il daigné lui écrire quelques mots ?
Ce sont alors des transports de joie, une gratitude agenouillée,
et l'on croirait que ce qu'elle a reçu provient du mont Sinaï.
Le billet que le roi m'a envoyé ne bougera jamais de dessus moi,
et je le porterai comme reliques. Pourquoi non ? Elles opèrent,
ces lettres royales, des miracles. Rien qu'en entendant lire l'une
d'elles, Henri de Navarre guérit de la colique. Louise de Savoie,
qui a la main enflée, constate, dès qu'on lui donne d'heureuses
nouvelles de son iils, que cette main n'ose plus lui faire mal.
Marguerite, grâce à des épîtres de ce second Messie, voit dis-
paraître en un clin d'œil un « desvoyement d'estomac », ou
bien, durant une grossesse, elle se sent légère merveilleusement.
L'enfant qu'elle porte s'émeut lui-même, et remonte si haut
qu'il semble vouloir ouïr ce qu'a tracé la « grant main » de ce
m.aître chéri et redouté. Après avoir conté ce prodige, la « très
humble sœur » ajoute ce vœu : a Dieu me doint grâce que... je
puisse accoucher de chose qui puisse estre pour le service de
vous et des vostres ! »
50. Un tel souhait nous invite à penser qu'elle aime beaucoup
plus son frère que son mari, que ses enfants. Cette préférence,
du reste, elle ne la cache pas, elle la proclame même, et s'en fait
gloire. Durant la maladie qui lui enleva son premier mari, le
duc d'Alençon, elle écrit au roi : Je vous supplie de ne pas vous
en donner ennui. Une autre fois, elle lui déclare (Jeanne d'Albret
avait failli mourir) qu'elle n'eût pas trouvé — elle, la mère ! —
raisonnable de le tourmenter « pour si peu de chose que la mala-
die de sa fille », et qu'elle n'avait, d'ailleurs, cessé d'espérer la
guérison, gardant toujours « cette ferme foy que ceux qui vous
aiment et que vous faites l'honneur d'aimer ne sauroient périr ».
Au moment de se rendre à la cour de France, elle proteste que
ce qui l'attire, ce n'est pas sa fille (elle résidait alors près de
son oncle), et elle s'écrie : « Vous me feriez bien grand tort.
Monseigneur, si vous pensiez que, au prix de celuy [le désir]
que j'ay de vous voir, mary ni enfant ne feussent riens. » Voilà
qui est clair. Et non moins explicite est cette autre lettre où,
parlant des fils de François pr elle assure qu'elle n'aimera
jamais û tant ceux on clic a portes que le mioindre d'eux i>.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 35
51. Mais de tels propos, dira-t-on, ne peuvent être sincères ;
celle qui les tenait a pris, par jeu ou par intérêt, plaisir à dé-
passer la mesure ; il n'y a là qu'une affectation innocente au
fond, quoique choquante, et l'auteur de ces phrases outrées
et contre nature n'exprimait point ses vrais sentiments... Er-
reur ! Le culte du nouveau « Christ « a été la folie de la sage
Marguerite, sa réelle hérésie, et on aurait eu, en dépit de sa
piété admirable, le droit de lui reprocher, comme Arnauld d'An-
dilly à la marquise, d'être « une jolie païenne >•, et de se faire une
idole dans son cœur. Lorsqu'elle se vantait d'immoler à cette
idole les plus instinctives affections de la femme, elle ne men-
tait pas, elle n'exagérait pas ; les sacrifices qu'elle se déclarait
prête à faire, elle les a faits, le moment venu, et l'histoire de sa
vie est là pour nous le prouver.
52. Les intérêts de son mari lui ont paru négligeables chaque
fois qu'ils ont contrarié l'ambition de son frère. Celui-ci, crai-
gnant que Henri de Navarre ne fiançât Jeanne d'Albret à un
prince espagnol, l'enleva, alors qu'elle était encore toute jeune,
à ses parents, et la garda, réservée à sa propre politique, dans
le château du Plessis-lez-Tours. La mère ne se plaignit point,
et se résigna, semble-t-il, aisément. Plus tard, François I^^ réso-
lut de marier sa nièce (elle avait à peine douze ans) à Guillaume
de La Mark, duc de Clèves, de Berg et de Juliers. La France
gagnait à cette union autant que la Navarre risquait d'y per-
dre. Comme le duc de Clèves était à la fois ennemi de l'empereur
et luthérien, François I^i" espérait, en le faisant entrer dans sa
famille, se servir de lui contre Charles-Ouint et se concilier les
bonnes grâces de toute l'Allemagne réformée. Le calcul, sans
doute, était juste en soi. Mais Henri de Navarre comptait, lui,
sur une alliance espagnole pour recouvrer ses terres d'au-delà
les monts, la moitié de son royaume perdue en 1512. Qu'on
juge, en conséquence, de sa colère et de sa douleur lorsqu'il
connut le projet de son beau-frère ! La petite princesse, de son
côté, montrant déjà une âme décidée et volontaire, répétait
qu'elle aimerait mieux se jeter dans un puits que d'épouser
un simple duc étranger, en sorte que Marguerite se trouvait en
face de cette très cruelle alternative : agir contre sa fille et son
mari ou irriter ce frère qu'elle adorait.
53. Il y eut des scènes violentes. Henri, qui accusait sa femme
d'être la cause de cet embarras, annonçait l'intention de se
venger d'elle, jurant qu'il lui ménageait une mauvaise vieillesse.
Mais, surpris de sentir une résistance, François \^^, d'autre part,
commença à gronder, impérieux. Et aussitôt, ne voyant plus
que lui, sa sœur (plus sœur que mère) n'eut qu'un désir, une
36 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
idée : lui obéir. D'abord, elle lui écrivit une longue lettre vrai-
ment servile où elle le suppliait — car son courroux donne la
mort à elle et aux siens — de leur rendre la vie en leur rendant
son affection, et de prendre en pitié une pauvre femme « oultrée
de douleur » par la révolte de son enfant. Ensuite, elle commanda
à la gouvernante de Jeanne, Aimée de La Fayette, baillive de
Caen, d'employer, pour contraindre son élève à épouser le duc
de Clèves, entre autres arguments, les verges. Et cet ordre fut
exécuté. Dans les protestations qu'elle signa contre cette union
qu'on lui avait imposée, Jeanne d'Albret, duchesse malgré elle,
raconte que la baillive de Caen lui disait : Si vous ne cédez pas,
vous serez « tant fessée et maltraictée » que l'on vous fera
mourir. Par de tels moyens et à ce prix, le mariage finit par
avoir lieu (14 juin 1541, d'après de Ruble). Et voilà qui prouve
— n'est-ce pas ? — que Marguerite n'a menti ni lorsqu'elle d''-
clarait à son frère : mes enfants, en comparaison de vous, ne
me sont rien, ni lorsqu'elle lui écrivait : que ne puis-je, pour
votre service, 0 mettre au vent la cendre de mes os ! »
54. Comment un homme qu'on plaçait sur un si haut piédes-
tal, et que même ses parents, ses familiers contemplaient avec
respect et tremblement, n'aurait-il pas été amené à croire que
tous ses caprices étaient sacrés, que nul n'avait le droit de juger
ses actes, et qu'on ne pouvait, sans se rendre coupable d'im-
piété et de blasphème, lui adresser la moindre critique ? Aussi
n'a-t-il été bon que pour ceux qui, loin de le discuter, l'abor-
daient ainsi qu'un Jupiter armé de la foudre, et ne se risquaient
dans le temple qu'en récitant les litanies du dieu. Il traitait en
criminels les mécontents, et montrait aux satiriques une sévé-
rité implacable. J'ai déjà dit [I, § 499] qu'il oubUa trois longues
années dans leur prison les auteurs et les imprimeurs de quel-
ques libelles relatifs aux charges qui accablaient le peuple. Mais
la rigueur de François I" est attestée par d'autres exemples.
En février 1524, un religieux bénédictin, Jean Josse, qui avait,
en ses prédications, blâmé « la pollice mauvaise » du royaume,
est enfermé à la Conciergerie, et y reste jusqu'au 20 mars 1525.
Et plus triste encore est l'histoire de messire Cruche, prêtre
et « grand fatiste ». Il avait fait représenter, sur la place Mau-
bert, « certains jeux et novalitez » qui censuraient le luxe des
courtisans et, chose plus grave, les amours du maître. Les allu-
sions n'étaient que trop claires : on voyait là une salamandre
(le roi) assidue auprès d'une poule (la fille de Le Coq, conseiller
au parlement), capable de perdre dix hommes (Jacques Disome,
le mari trompé). Ces calembours faciles coûtèrent cher au fa-
tiste. Huit ou dix jeunes seigneurs l'attirèrent (avril 1515) dans
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 37
un guet-apens, et, après l'avoir mis en chemise, le battirent de
sangles « merveilleusement )>. Il eut bien de la peine à obtenir
de ne pas être jeté à la Seine. Un sac était là, tout préparé...
Le Bourgeois de Paris, qui relate cette scène sauvage, assure
que les bourreaux du pauvre Cruche avaient été envoyés par
le roi.
55. Dès lors, nous distinguons nettement la qualité et les
limites de sa tolérance. Parce que les questions religieuses le
laissaient assez indifférent, il eût volontiers permis à chacun
de publier librement son opinion, quand il ne s'agissait que de
Dieu. Son vrai, son seul Dieu, c'était lui-même. A ses yeux, il
n'y avait qu'une hérésie : ne pas le croire infaillible, et quicon-
que lui disait, comme sa sœur Marguerite [Génin, II, 45], Fiat
voluntas tua ! lui paraissait bien pensant. Mais si l'on osait,
par contre, ne pas être de son avis, si l'on s'opposait tant soit
peu à ce qu'il avait résolu, aussitôt la fureur envahissait, trans-
portait son âme orgueilleuse et immédiate ; il voyait rouge et
songeait à de brutales vengeances. Dès qu'on lui eut, par exem-
ple, appris que Jeanne d'Albret refusait le duc de Clèves, sa
colère éclata, épouvantable ; il accusa ceux qui entouraient l'en-
fant de l'avoir mal conseillée, écouta à peine leurs protestations,
puis s'écria, hors de lui : « Assez ! Assez ! Je jure Dieu que j'en
ferai couper des têtes ! » Le sang ne coula point cette fois : mais
l'affreuse affaire des placards est là pour nous montrer jusqu'où
ses mouvements de rage effrénée ont pu conduire François 1*^^.
S'il devint, alors, sans pitié, ce n'était pas qu'il fût bien sensi-
ble au tort que les affiches luthériennes risquaient de causer à
la Vierge Marie, au culte des saints et à la messe. Non, ce n'était
pas là ce qui le touchait, et si de tels intérêts avaient été seuls
en jeu, il ne les aurait guère pris à cœur. D'autres raisons le
poussèrent à sévir : d'abord, la crainte, car on lui peignit les
hérétiques en factieux ; ensuite, la rancune personnelle, parce
qu'on avait eu l'insolence de coller un des placards en question
sur la porte même de sa chambre. Il jugea impardonnables ce
crime de lèse-majesté humaine, cet outrage qui l'atteignait, lui,
et voilà comment le père des arts fut amené à abolir un moment
l'imprimerie (13 janvier 1535), à remplir Paris de hideux^ sup-
plices et à déployer une si « exécrable » rigueur qu'elle eut le
privilège sans précédent de scandaliser le pape.
56. Dominé par de fougueux désirs, mais attaché peufde
temps aux mêmes choses, François I^r était difficile à manier.
Ni maîtresses ni favoris ne pouvaient se vanter de plaire tou-
jours à cet homme absolu et mobile qui délaissait, à la façon
des enfants, les jouets qu'il avait aimés le mieux. C'était de lui
33 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
qu'on aurait dû dire : Fol qui s y fie ! Il ressemblait jusqu'à un
certain point à ces califes des Mille et une nuits dont l'humeur
était si fantasque qu'on ne savait pas, lorsqu'ils vous mandaient
au divan, si c'était pour vous faire empaler ou pour vous offrir
une robe d'honneur, une bourse de mille dinars. Sans doute on
n'avait pas à craindie, à la cour de France, d'aussi extrêmes
vicissitudes : mais l'accueil reçu la veille n'était pas une garan-
tie pour le jour d'après, et tel qui avait quitté le prince affable
et tout souriant le retrouvait bientôt méconnaissable, la voix
menaçante et « l'œil obscur » [Marot, G. III, 302]. Ces change-
ments ont encore une autre cause que celles dont je viens de
parler. On ne les explique pas entièrement lorsqu'on les attri-
bue à ce qu'il y avgit à la fois d'impérieux et de faible chez
François I®^ : il faut y ajouter qu'il aimait pour lui, non pour
eux, ceux à qui il semblait tenir. Leurs mérites ne lui étaient
chers qu'autant qu'il en tirait profit ; les vertus, les talents
qu'il ne pouvait employer n'avaient aucune valeur à ses yeux ;
il voulait être servi, adulé, amusé. Ne vous trouvait-il plus
utile ou divertissant ? Il vous rejetait, vous ignorait, vous re-
gardait comme mort, comme n'ayant même jamais vécu... Et
cela revient à dire qu'il se montrait versatile et mal sûr parce
qu'il était égoïste.
57. Égoïste à fond, naïvement, royalement ! — Il a, en con-
séquence, abusé de son pouvoir, et s'est placé au-dessus de ces
maximes d'honnêteté courante que respectent les simples par-
ticuUers. Estimant incompatibles les restrictions de la cons-
cience et l'exercice de l'autorité, il ne s'est pas laissé enchaîner
par les scrupules, et personne, autant que lui, n'a gardé cette
indépendance du cœur que le vulgaire nomme ingratitude. Aussi,
parmi ceux qu'il a paru aimer ou défendre, n'en voyons-nous
aucun (ou presque) dont il ne se soit fatigué, et qu'il n'ait soit
banni de sa présence, soit abandonné aux coups du destin. Je
ne citerai pas sa maîtresse, M^e de Chateaubriant, qui n'obtint
pas de lui un mot de compassion, alors qu'elle était, à ce qu'on
prétend, livrée à la longue vengeance de son mari. Bien que tout
ne soit pas mensonge dans cette histoire, les romanciers l'ont
trop défigurée pour qu'on puisse en faire état. Mais à ceux qui
voudront accuser François P^" d'avoir eu l'âme naturellement
infidèle, les preuves, certes, ne manqueront point. N'a-t-il pas
tour à tour opprimé ou protégé les luthériens de France, selon
qu'il avait besoin du pape ou des protestants d'Allemagne ?
N'a-t-il pas considéré sa sœur Marguerite et son beau-frère
comme des instruments de sa grandeur ? Ne s'est-il pas sou-
vent joué d'eux en leur promettant, très décidé à ne pas tenir
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 39
parole, de leur conquérir la Haute-Navarre ? Et les amis de sa
jeunesse, Anne de Montmorency et les princes lorrains, n'ont-ils
pas connu son double visage, une éclatante faveur que la dis-
grâce suivit ? Cela étant, qu'on ne s'étonne pas de voir finir
misérablement les apôtres, les écrivains qui attendaient leur
salut de ce maître plus violent que ferme. Longtemps il avait
soutenu Marot, Berquin, Etienne Dolet : et Marot, pourtant,
meurt en exil; et Berquin monte sur le bûcher ; et Dolet subit
le même sort. Que conclure sinon que François I^r, le roi gen-
tilhomme, a, sans malice, trahi tout le monde, et que son orgueil
compliqué d'inconstance fut parfois aussi funeste que les noirs
calculs d'un méchant ?
58. A mesure qu'il vieillit, il écoute davantage les conseils
des fanatiques, et se résout ou se résigne, par suite, à des actes
abominables. Lui qui s'était longtemps refusé à persécuter les
Vaudois de Provence, il les livre enfin à leurs ennemis, lâche
la bride au parlement d'Aix, au vice-légat qui ne prêche
qu'extermination, au cardinal de Tournon qui souffle sur le
feu, au baron d'Oppède, une bête fauve. Et qui s'agissait-il
d'anéantir ? Des brigands ? Des révoltés ? Non, un petit
peuple innocent, qui vivait dans la paix et le travail, et deman-
dait seulement '|u'on lui permît de se conduire selon la pure
morale évangélique. Et voilà pourquoi le bourg de Mérindol
fut saccagé (i8 avril 1545) ; voilà pourquoi la ville de Cabrières,
qui avait ouvert ses portes parce qu'on avait juré aux habi-
tants qu'on respecterait leurs biens et leurs personnes, devint
le théâtre de scènes atroces ; voilà pourquoi des enfants,
des infirmes furent égorgés, et pourquoi le vice-légat d'Avi-
gnon, ayant appris qu'une troupe de femmes s'était réfugiée
dans une caverne, les y fit enfumer comme des renards. On
aimerait à croire que le roi eut horreur de ces excès et qu'il
désavoua les bourreaux. Point. Le cardinal de Tournon obtint
de lui un satisfecit pour le d'Oppède et, par lettres patentes
(18 août), il approuva tout. Bien mieux, il était prêt à conti-
nuer, et les meurtres ne lui coûtaient plus rien. L'an d'après,
ce fut le tour de la si vénérable Église de Meaux. En cette cité
luthérienne, quatorze potences, entourées de fagots, furent à
la fois plantées en cercle, et on y attacha quatorze martyrs qui,
tandis que montait la flamme, louaient le Seigneur à pleine voix.
59. Oui donc reconnaîtrait ici le roi de la Renaissance ? Ou'est
devenu le jeune héros de Marignan, ce paladin protecteur des
faibles, l'ami des artistes, des novateurs ? Les promesses qu'il
avait données au monde, il ne les a pas tenues, et son règne qui
s'était annoncé clément et très libéral, c'est en tyran qu'il l'a-
40 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
chève. Au reste, il semble avoir eu l'intuition de cette déchéance
et le regiet d'être sorti d'un rôle qui, joué jusqu'au bout, l'au-
rait fait bénir à jamais. C'est peut-être à cela qu'il songe, aux
belles tâches qu'il a mal remplies, à sa vraie vocation qu'il n'a
pas eu la force de suivre, lorsque, au terme de son existence,
malade et lassé de tout, il erre, fantôme couronné et comme se
fuyant lui-même, de place en place, d'ennui en ennui. Nous le
voyons promener çà et là son désœuvrement, ses souffrances :
il va de La Muette à Villepreux, de Villepreux à Dampierre ;
puis il visite le Limousin, repart bientôt pour allei à Loches,
quitte Loches avec le projet de s'établir à Saint-Germain, et
s'arrête en route à Rambouillet. C'est sa dernière étape, et il
meurt là (31 mars 1547). Son entourage ne le pleura guère ;
plusieurs se réjouirent cyniquement. Telle Diane de Poitiers qui
trouvait trop lente l'agonie du roi ; tels ]\Iontmorency et les
Loirains. François de Guise disait, radieux : « Il s'en va, le
galant ! »... Quant à l'héritier du trône, il déclarait, lors des
funérailles de son père, qu'elles lui omTaient — à lui, le fils,
— une ère de « félicité >>.
60. Mais si les siens (excepté Marguerite) ne regrettèrent pas
François I^^, il laissa, malgré tout, une mémoire honorée ; les
vices qu'il avait eus et le mal qu'il avait fait parurent, à dis-
tance, excusables, et l'on se rappela de préférence ses heures
de générosité, l'amour qu'il montrait pour les belles choses et
le zèle intermittent qui le poussait à défendre, contre le par-
lement et la Sorbonne, les Réformés, les indépendants. Et puis,
il y avait un sûi moyen de découvrir en lui de la grandeur et
quelque bonté : c'était, on le devine, de le comparer à ses suc-
cesseurs. Dès qu'on le mettait en parallèle avec Henri II, qui
avait le goût et l'intelligence d'un homme de sport, avec Charles
IX, ce demi-fou, ou bien ce misérable Henri III, on le procla-
mait (comment non ? ) admirable, et l'on regardait son règne
comme un âge d'or. Après avoir cékbré les progrès de la langue
et de la pensée françaises au XVI^ siècle, Joachim Du Bellay
ajoute : « Mais a qui, après Dieu, rendrons-nous grâces d'un tel
bénéfice, si non a nostre feu bon roy et père Francoys, premier
de ce nom et de toutes vertuz ? Je 4y premier, d'autant qu'il
a en son noble royaume premièrement restitué tous les bons ars
et sciences en leur ancienne dignité... » Ailleurs (et en vers, cette
fois) ce même écrivain constate que François P^ a ramené chez
nous la tioupe des Muses, et que, soleil des esprits, il leur a
enlevé le noir bandeau d'ignorance. On rencontre souvent chez
les autres membres de la Pléiade de pareilles louanges. Ronsard
évoque l'auguste figure du prince défunt, de ce « nourrisson de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 41
Phebus )) qui, semblable à Mercure, avait une persuasive élo-
quence, et connaissait à fond « les secrets de la terre et des
cieux ». Les Protestants eux-mêmes, qui n'oubliaient pourtant
point ce qu'avaient enduré leurs frères, se rappelaient parfois
avec sympathie le fondateur du collège trilingue, le frère de
Marguerite, et si Calvin le nomme Sardanapalus, Théodore de
Bèze glorifie cet « amateur des bonnes letties », et ne s'étonne
point qu'on lui ait, « d'un tacite consentement de tous », attribué
le titre de gra7id : tant il est vrai que, désarmant jusqu'à ceux
qui auraient pu le haïr, François I^r est resté à leurs yeux le
principal artisan et le tuteur de la Renaissance.
61. Non content de pensionner les poètes, il a voulu aussi
rivaliser avec eux, et a trouvé le temps de composer quelques
œuvres dont il faut maintenant nous occuper. Elles sont mani-
festement siennes ; il n'a pas dérobé les plumes dc^ paons, et
nul ne fut chargé, moyennant finance, d'avoir de l'esprit à sa
place et sous son nom. La véridique leine de Navarre parle
souvent de sa prose élégante, des vers qu'il rimait, et nous
savons par elle que personne n'ignorait ses talents. Marot [G.
n, 290] nous le représente s'appliquant à apprendre les règles
des belles chansons, et Claude Chappuys exalte la « doctrine »
de ce nouveau César qui se montre non seulement invincible à
la guerre, mais encore « orateur » inimitable et poète de valeur.
Ce sont là des témoignages concluants, et l'on voit que si, parmi
les pièces qu'on a publiées comme étant de François I^^", cer-
taines paraissent appartenir plutôt à son milieu qu'à lui-même,
plusieurs, en revanche, (et on les distingue sans trop de peine)
furent vraiment faites par ce prince, qu'il y a lieu, dès lors,
d'étudier en tant qu'écrivain.
62. Ses œuvres nous prouvent qu'il était bien doué, qu'il
avait le sens du rythme, une facilité agréable et, pour un ama-
teur, assez de métier et d'expérience. Les défauts de ses vers pro-
viennent de ce que le temps lui manquait ; il les rimait en se
jouant, à la hâte, et des soucis plus graves, plus urgents, ne
lui permettaient pas de s'astreindie au minutieux agencement
des mots. Peut-êtie aussi, étant gentilhomme, pensait-il qu'il
devait laisser « aux malheureux qui composent pour vivre »
leurs scrupules professiionnels et cette patiente application qu'on
ne saurait avoii sans déroger. Son génie, dont les flatteurs ne
lui reconnaissaient pas le droit de douter, il préférait ne le tenir
que de la nature, et il l'aurait cru moins honorable s'il lui avait
coûté quelque travail.
63. Faute d'avoir pu ou d'avoir voulu limer avec diligence
les pièces qu'il produisait, François I®'" n'a rien fait de réelle
42 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
ment accompli. Pourtant il n'ignorait point les règles de l'art
qu'il cultivait, et ce n'était que par nonchalance ou par dédain
qu'il lui arrivait de s'en affranchir. Il avait aussi de la lecture,
et l'influence de l'antiquité et des Italiens est, chez lui, très
manifeste. Mais il n'usait pas en pédant de l'érudition qu'il
avait acquise, et n'aimait ni les allusions ni les citations. Je
ne vois que peu de passages où il ait soit imité de façon for-
melle, soit rappelé des textes classiques. Il se souvient parfois
de l'Enéide, tantôt évoquant le Neptune virgilien et son Quos
ego... [p. 9], tantôt mentionnant la vierge « qui Turnus secou-
rut » [p. 70], on se comparant au héros troyen qui portait son
père sur ses épaules [p. 78]. Ailleurs, il reproduit à sa façon la
phrase inoubliable de Dante :
Et lors i'auray pour douleur plus amère
Le recorder, au temps de la misère,
Dô 1 heur passé de ma félicité [p. 52]
64. Mais, en somme, ce qu'il paraît avoir le mieux connu,
ce sont les idées et les sentiments qui étaient de mise à son épo-
que. Il ne prétend point, ce poète-roi et ce roi des poètes, don-
ner le ton ; il n'impose pas ses goûts : il subit ceux qui existent,
et, loin de s'appliquer à ouvrir des voies nouvelles, s'efforce de
suivre docilement celles qu'il trouve déjà tracées. Il tient moins
à s'affirmer or-'ginal qu'à se montrer averti. Être loué comme
bien au courant, quoique n'étant pas de la partie, des pensées
qu'affectent les écrivains, des caractères artificiels que doivent
prendre les passions pour entrer dans la littérature, du voca-
bulaire spécial auquel les gens du métier sont seuls initiés, voilà
ce à quoi il vise. Et il atteint pleinement et sans peine le but
qu'il s'est fixé. Les vers qui nous restent de lui révèlent un homme
du monde qui possède l'exacte notion des procédés qu'emploient
les auteurs, des tournures de style propres aux différents sujets,
des opinions et des émotions qu'il s'agit de feindre, quand on
veut être à la mode du jour, représenter son temps et lui plaire.
65. On devine les résultats qu'entraîne ce désir de se plier
aux bienséances de l'heure et du milieu. Les lieux communs foi-
sonnent dans les œuvres de François \^^, et c'est surtout lors-
qu'il parle d'amour qu'il veille à se conformer au protocole et
aux conventions établies. Cette passion de l'amour, la plus
spontanée et la plus naïve qui soit, il la maquille, l'altère et la
complique de son mieux, car il sait que la loi du genre exige
que le rimeur courtois n'exprime rien de ce qu'il éprouve réel-
lement, et ne confie, par contre, aux lecteurs que des sentiments
qu'il n'a jamais eus. L'art ne consiste pas à être sincère, mais
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 43
à paraître délicat, et il reste entendu une fois pour toutes que
l'amour ne mériterait point qu'on le traduisît en rondeaux, s'il
cessait un moment d'être maniéré, timide, malheureux. Le roi
lui-même ne s'estime pas au-dessus de ces rites de la galante-
rie, et il soupire selon la formule. Parmi les chansons et les ron-
deaux qu'on lui a attribués (et dont plusieurs, sans doute, lui
appartiennent) une seule pièce, où se reconnaît, d'ailleurs, l'in-
fluence des élégiaques latins, offre un caractère sensuel [p. 150].
A cela près, les vers d'amour contenus en ce recueil aspirent à
peindre une mélancolie distinguée (mais très monotone), et sui-
vent tant bien que mal les méandres d'une psychologie précieuse
et quintessenciée. Le thème qui revient le plus souvent est, je
crois, celui de la séparation et de l'absence. Presque à chaque
page il reparaît avec ses implacables variations, et le poète —
corps sans âme — s'épuise à prouver qu'il a perdu l'esprit de-
puis que sa belle s'en est allée.
66. François I^r était, en ce qui concerne les choses du cœur,
documenté parfaitement : ses maîtres, ses maîtresses (et sa
sœur, je pense) lui avaient enseigné « le grand fin, le fin du
fin », et il avait appris et même compris la doctrine en vogue
de son temps, ce néo-platonisme qui voulait voir, dans le culte
qu'on vouait à la Femme, une aspiration vers la sphère où res-
plendit la Beauté en soi et une manière détournée, mais exquise,
d'adorer, en son œuvre la plus accomplie, le Créateur. L'in-
fluence de cette théorie est sensible en deux endroits du recueil
qui nous occupe : d'abord, en un huitain (je ne sais de quel au-
teur) où l'amour nous est donné comme « un rayon du beau,
qui sur tous se divise » [p. 160] ; ensuite, dans une épître, dont
l'attribution n'est pas douteuse, puisque le poète constate qu'il
a, pour prendre la plume, délaissé le sceptre [p. 104]. Le roi,
ici, écrit à une dame qui n'est point nommée, et lui fait une très
platonicienne déclaration. Lorsque je vous contemple, lui dit-il,
je me sens meilleur. Votre vue m'élève « jusqu'au plus hault »,
jusqu'à Celui à qui est dû le miracle de vos charmes. Vous éveil-
lez en moi l'idée du ciel, de la vertu, et je vous regarde avec
ravissement comme une « chose conforme a Dieu » [pp. 105-6].
Ces vers sont fort joliment tournés, et François I^'" n'a rien
laissé, dans le genre galant, de comparable à cela. Seule une
chanson d'allure populaire, qui se lit à la page loi de notre
recueil, serait digne, mais pour des raisons bien différentes,
d'être louée, elle aussi. Vraiment, elle me paraît chai mante ;
je goûte sa feinte simplicité, son air de tendre tristesse, la rési-
gnation de l'amant qui raconte en vain sa peine aux arbres
« secret.^, muets et sourds »... Resterait à savoir si ce pastiche
44 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
des licder rustiques est réellement l'œuvre du roi. L'éditeur
l'affirme : mais sur quelle preuve ?
67. Quoi qu'il en soit, il demeure manifeste, lorsqu'on étudie
dans leur ensemble les pièces courtoises de François I*^^, qu'il
s'est inquiété, en les rimant, de ne violer aucune convention lit-
téraire et d'asservir au bel usage toutes ses effusions. J'ajoute
que ses lettres en prose (entendez celles que Champollion-Figeac
a publiées) trahissent la même préoccupation. Vous ne les croi-
riez point rédigées par un de ces hommes dont les désirs ont
force de loi. Ici encore, c'est un amoureux déférent et transi qui
tient la plume. Les deux mots « vostre commandement » sont
ceux qu'il répète le plus volontiers ; il ne parle que d'obéir,
et affecte des attitudes humiliées. A chaque instant, il se con-
fond en excuses, s'afflige de mal écrire et d'exprimer, sans art
et sans grâce, des choses indignes d'être lues. Il ne cherche
jamais à avoir l'air naturel; sa phrase est concertée, surveillée,
tendue, et les sentiments qu'il donne comme siens se rencon-
trent chez tous les auteurs affiliés à l'école de la métaphysique
galante. Le ton, en général, est fort grave. Aucune gaieté. Un
seul billet [p. 205] peut sembler alerte et jovial : mais il n'est
pas destiné à une femme, et s'adresse au connétable.
68. Pas n'est besoin de réfléchir longtemps sur ces faits pour
en dégager la sûre conséquence. Et la voici : Il n'y a rien de
sincère, rien qui parte du cœur, rien de vraiment intime dans
les vers d'amour de François I^r. H ne voulait, en les alignant,
que se divertir, se li\Ter à une manière de sport intellectuel,
prouver aux spécialistes qu'il était capable de les égaler et faire
croire qu'il avait les idées ou qu'il éprouvait les impressions
que la mode imposait alors aux personnes bien nées et de bonne
compagnie. Lui aussi, il aurait pu dire : » Je trouve deux hom-
mes en moi. )' Deux hommes, en effet : Vliomme et le poète. Or,
quoique inséparables, le poète et l'homme ne s'accordaient nul-
lement ; ils avaient des tendances incompatibles, des âmes
ennemies, et les maximes, les discours de l'un semblaient une
satire des actions de l'autre. La vie du roi démentait brutale-
ment les goûts éthérés qu'il affichait en tant qu'écrivain. Lors-
que, assis devant son papier, il imitait le style platonique, chan-
tait un pur amour sans organes, et jurait à ses maîtresses qu'il
vénérait en elles l'image du grand u facteur », il se donnait la
comédie à lui-même. C'étaient là des illusions voulues, des fic-
tions qui se déroulaient en dehors et au-dessus de l'homme réel,
dans la conscience de son double.
69. Dès qu'il cessait d'être auteur, François I^^ oubliait à
l'instant son spiritualisme, ne demandait plus aux dames de le
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 45
rendre vertueux et recherchait, en leur commerce, des joies à
meilleur marché. Insatiable et parfois lubrique, il s'enflammait
et se lassait vite ; la femme qui ne lui plaisait plus, il l'écartait
d'un geste indifférent, sans s'inquiéter des souffrances ni des
drames qui pouvaient résulter de ses caprices. Veut-on, après
avoir entendu sa muse pudique et roucoulante, savoir au juste
quelle sorte d'amant il a été ? Qu'on lise alors, pour estimer les
siennes à leur valeur, la lettre que lui écrit [p. 215] une Aiiane
abandonnée : c Sire, vous estes donc délibéré de me lesser mo-
rir ?... Mes enfants et moy ne mangeons aultre chose [que du
poison] sans que je y sache mettre remède. Il n'est possible de
vous dire la cruoté : parcoy je vous supplie me secourir, ou je
suis morte. C'est pour l'amour de vous que l'on me fet tant de
mal, et vous l'endurez ! >; — Que deviennent, placées en face
de ce document, les œuvres galantes de François I®'" ?
70. Passons maintenant à ceux de ses poèmes qui ont un
accent plus sincère, et commençons par les trois pièces qu'il a
consacrées à la bataille de Pavie et à ses prisons. C'est dans une
très longue épître, adressée à l'une de ses maîtresses, qu'il a
raconté la bataille. Il prend les choses de loin, énumère, depuis
le jour où il a quitté la France jusqu'à l'heure de la catastro-
phe, ses opérations militaires, et marque les principales étapes
de l'armée en route vers l'Italie. De tels détails, sans doute, ont
leur intérêt : mais, comme ils sont purement historiques, il eût
été naturel de nous les donner en prose. Le narrateur, semble-t-il,
a prévu l'objection, et c'est pourquoi il s'est efforcé d'ajouter,
cà et là, à son récit quelques ornements propres à l'épopée :
il introduit [p. 27] la déesse Renommée qui descend auprès de
lui pour l'engager à bien faire ; lui-même, afin d'animer ses
troupes, prononce [p. 29] une harangue qu'on croirait tirée du
Contiones ; il prête à la Durance [p. 30] des sentiments si loya-
listes qu'elle s'empresse de baisser devant lui et se laisse fran-
chir à gué. Grâce à des artifices de cette espèce, l'écrivain s'ima-
gine rendre moins plate la première partie de son ouvrage, celle
qui amène et prépaie la scène où il va jouer le rôle principal,
comme héros, puis comme victime. Mais, dès qu'il arrive à cette
crise, c'est-à-dire à la déroute de Pavie, il renonce à tous les
trucs épiques ; il pense (et il a raison) que le courage qu'il a
déployé, la grandeur de son infortune, l'ampleur des événements
produiront d'eux-mêmes assez de poésie, et suffiront, sans apprêt
ni fioritures, à remuer les âmes profondément.
71. L'échec que j'ai subi, écrit le roi, ne saurait m'être im-
puté. Si chacun avait accompli son devoir, nous tenions la vic-
toire ; elle était certaine. ^lais la plupart de ceux qui me sai-
46 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
vaient se sont lâchement conduits, et je n'étais pas < le vray
maistre « des cœurs [p. 30]. Le mauvais exemple venait de
haut, et les chefs manquaient, eux aussi, de vaillance, de déci-
sion. Il ne me restait qu'une ressource : me comporter en bon
chevalier. C'est ce que j'ai fait, et l'on nous rendra cette jus-
tice, à moi et à mes fidèles, que nous avons succombé avec hon-
neur [p. 35]... En somme, il parle de lui modestement, et n'a
pas tort de prétendre qu'il fut mollement servi. Il retrace d'une
manière exacte ce qui s'est passé, et rappelle même, un peu plus
loin, d'humiliants souvenirs. Tombé aux mains de mes adver-
saires, j'ai été, dit-il, promené dans leur camp et comme mis en
spectacle [p. 36]. Et me voilà captif, à présent !... Ici, il s'émeut,
s'attendrit. Sa mère, il le prévoit, sera.brisée par un tel malheur;
il songe au chagrin de Marguerite, à «ia. jeunesse tant tendre »
de ses enfants, à la femme qu'il aime, à la patrie. Il se trouve
bien seul ; il souffre ; il lui est dur d'être séparé
De mère, sœur, enfans, amie et France [p. 37].
On peut regretter que cette épître, où l'on remarque beaucoup
de franchise et assez de verve, ne se termine pas sur ce vers, et
que l'auteur ait jugé à propos d'ajouter quatre ou cinq pages,
toutes pleines de niaiseries courtoises. Délivré ou non, je jure de
rester dans vos chaînes, tel est le thème que, s'adressant à sa
maîtres.se, il traite avec insistance. Pour subtile qu'elle fût,
cette pointe ne méritait guère d'être répétée plusieurs fois. L'in-
térêt du poème n'est pas là.
72. Prisonnier en Espagne, François I^^ ^'a pu conserver une
complète égalité d'âme. Tantôt il a montré de la constance, et
s'est bravement dominé et raidi ; tantôt, en revanche, exaspéré
par la lenteur du temps, le manque d'espace et la privation de
ses plaisirs coutumiers, il a connu des heures soit de révolte soit
de dépression, et ses geôliers ont vu l'instant où, trop faible
pour l'épreuve, il leur échapperait par la mort. Ces deux états
si opposés ont fait naître en lui des sentiments contraires qu'il
a exprimés, les uns dans une chanson, et les autres dans un
rondeau. La chanson [p. 49] est toute pleine de la sagesse stoï-
cienne. L'homme fort, déclare le roi, ne doit jamais se laisser
abattre, car sa volonté maîtrise les événements. Au fond d'un
cachot, il reste libre, attendu qu'on peut bien charger ses mem-
bres de fers, mais non pas son esprit. L'esprit ne sauiait être
mis en cage ; les grilles ne l'arrêtent point ; il se rit des contrain-
tes matéiielles. Et puis c'est une bonne école que celle du
malheur. Rien de plus utile .ni de plus moral que la sont-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 47
france ; grâce à elle, notre fermeté trouve l'occasion de se pro-
duire :
Cueur résolu d'aultre chose n'a cure
Que de l'honneur.
Le corps vaincu, le cueur reste vaincueur.
Voilà, certes, de nobles vers... Mais, par un revirement très
naturel et très humain, (ces velléités d'être impassible et ces
défaillances de l'énergie, qui donc ne les a pas éprouvées ?) le
captif cesse de lutter contre la tristesse qui l'envahit, et courbe
la tête sous le poids de l'adversité. Mes douleurs, écrit-il dans
le rondeau mentionné ci-dessus, triomphent de ma patience.
Vienne bientôt la mort charitable, et qu'elle anéantisse à la
fois et moi-même et mes chagrins ! [p. 52.]
73. Signalons enfin, quoique moins curieuses et moins émou-
vantes, les pièces qu'à diverses dates François I^^ a composées
pour sa sœur. Elles sont au nombre de quatre : 1° [p. 14] une
épître antérieure à 1531. Elle répond à des vers de Marguerite,
et tend à lui prouver que, si Louise de Savoie déplore l'absence
de son fils, lui, de son côté, se sent seul et triste, d'autant qu'il
parcourt un pays que la guerre a dévasté, et qu'il commande
« a cent mille ygnorans » — 2° Une autre lettre rimée [p. 77].
Elle se place entre 1526 et 1530 et ressemble assez à la pré-
cédente. — 30 Encore une épître du même à la même [p. 69].
Par son secrétaire, Jean de Frotte, la reine de Navarre avait
envoyé à son frère, en janvier 1543, un David (tableau ou sta-
tuette) pour ses étrennes. A son tour, il lui offre une sainte Ca-
therine, et ce lui est une occasion de citer quelques noms de
vierges illustres et d'avouer qu'on ne doit point, comme sa sœur
l'avait fait, le comparer à David. — 40 Et voici enfin [p. 187]
une ballade. On pourrait l'intituler Oraison devant le crucifix.
Le roi, adorant l'image de Jésus « cloué et lié », confesse que
c'est à Dieu qu'il appartient d'exalter les humbles, d'abaisser
les superbes ; il remercie ensuite « l'infiny donneur » de lui avoir
prodigué les biens terrestres, et demande à Marguerite absente
de revenir au plus tôt, pour que, tous deux ensemble, ils ren-
dent grâces à l'auteur de lem étonnante prospérité.
74. Ces poèmes sont d'un genre neutre ; on ne sait trop qu'en
dire, sinon qu'ils ne semblent ni très bons ni franchement mau-
vais. Ils se déroulent, clairs et fluides, et le lecteur ne remarque
au passage rien de choquant, rien de frappant. Mais de ces piè-
ces, vraiment ternes et grises, il y a lieu néanmoins de tenir
compte au moment de porter un jugement général sur Fran-
çois I«r écrivain. Aussi hizn que ses œuvres gaJcjites, les quel-
43 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
ques vers dévots qu'il nous a laissés attestent qu'il a mal connu
le caractère et les limites de son talent. Pourquoi, avide de
j ouir, incapable de dompter ses passions et vivant dans la flamme
ainsi que la salamandre, a-t-il célébré l'amour platonique ?
Pourquoi s'est-il ignoré au point de se croire chrétien et de
rimer sans vocation la pieuse ballade dont j'ai parlé ? Il y avait
en lui l'étoffe d'un poète de second ordre, qui aurait pu, en
somme, produire d'agréables choses : mais il aurait fallu qu'il
travaillât dans le sens de sa nature, et se bornât à chanter les
belles maîtresses accueillantes, la danse, la chasse, le luxe des
festins, le charme des arts, la douceur de commander sans con-
trôle, d'entrer dans les villes au son des cloches et d'attirer sur
soi, à chaque bataille, tous les coups, toute la gloire.
BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES
21. Démolition de la grosse tour du Louvre : Journal d'un Bourgeois de Paris sous
le règne de François /«' ; nouvelle édition publiée par V.-L. Bourrilly (Paris, Picard,
1910), p. 374.
22. « ...Poursoy aller esbattre... »: Ibid., 275. — Les citations de Philibert del'Orme
et de Jean Goujon sont tirées de VHist. générale, ...ouvrage publié sous la direction de
MM. Lavisse et Rambaud, (Paris, Colin, 1894) t. IV, p. 269. — Pension de la reine de
Navarre à Serlio : de La Perrière- Percy, Marg. d'Angoulême. Son livre de dépenses.
Étude sur ses dernières années, (Paris, Aubry, 1862), p. 47, le texte et la note 2, — Les
différentes parties de « l'Architecture » de Serlio furent publiées séparément à diverses
dates et en diverslieux. C'est le VP livre qui a paru à Lyon sous le titre: Extraordina- |
rio Libre di archi- | tettura di Sebastia- | no Serlio, architetto | del Re christia- |
nissimo... |[ In Lione, \ Per Giouan di | Tournes. \ M. D. LI. || Con Privilegi del
P apa, Imperatore, Re Christianiss, et Senato Venetiano. In fol. Ce volume comprend,
outre de nombreuses planches, le texte italien et sa traduction en français. Jean Martin
a traduit les livres I, 1 1 et V de Serlio. L'ouvrage ne fut édité en son entier qu'assez tard :
Tutte l'opère d' Architettura di Serlio ; Venetia, Francesco de Franceschi, 1584. Grand
in-80 . planches.
23. Louis Dimier, Le Primatice, peintre, sculpteur et architecte des rois de France ;
Paris, 1900. In-S».
25. Cellini est venu deux fois en France. Il s'agit ici de son second voyage (1540).
Voyez — passim et surtout pp. 281-349 — les Mémoires de Benvenuto Cellini, orfèvre et
sculpteur florentin, écrits par lui-même et traduits par Léopold Leclanché, traducteur de
Vasari; Paris, Labitte, s. d. Un vol.de VII-492 pages.
26. Philibert de l'Orme a volontiers parlé de lui, et sa biographie nous est, par suite,
assez bien connue. Consulter de préférence l'ouvrage intitulé : Instruction de Monsieur
d'Ivry, dict de l'Orme, abbé de Sainct-Sierge et cestuy M^ architecteur du roy ; B. N. mss.
Coll. Moreau, Box, publié par A. Berty dans les Grands architectes de la Fr., 1867, puis
dans sa Topo graphie du vieux Paris, 11,179. — A. deMontaiglon,/ean Goujon et la vérité
sur la date et le lieu de sa mort d'après un document découvert par M, Sandcnnini; Gazette
des Beaux- Arts, 1884, pp. 381-8.
27. H. Hauvette, Un exilé florentin à la cour de Fr. au XVI^ s. : Lutgi Alamanni.
Thèse de Paris, 1903. — Francesco Flamini, Studi di storia letteraria italiana e stranicri ;
Livorno, 1895. Voyez, en cet ouvrage, le cl.apitre qui a pour titre :« Le le ttereitaliane alla
corte di Francesco I, re di Francia. » — E. Picot, Les Italiens en France au XVI^ siècle
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 49
(Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux : Bulletin italien, t. I, rgoi et suivants). —
J. Vianey, Le Pétrarquisme en France au XVI» siècle ; Montpellier et Paris, igoy. —
{Pour les imitations de Camillo faites par Mellin de Saint-Gelays et Joachim Du Bellay,
cf. Flamini, op. cit., 329, et Vianey, op. cit., 94.]
28. Flamini, op. cit., 249 sqq. — E. Picot, Les Français italianisants au XVI* siècle ;
2 vol. in-S", (Paris, Champion, 1906-7), t. I, chapitre VI. — • Rime toscane d'Arao- |
mo per madama | Chadotta [ d'Hisca. || Stampato in Parigi per Simone Colineo il
giorno X di Nouembre. L'anno M. D. XXXV. In-8" de 72 ff. non chiffrés. (Réédité
€ in Vinegia » en 1 5 38). — Le Trionfo délia Bellezza, qui comprend 63 tercets, a été publié
par Flamini, op. cit., 423. On trouvera, chez E. Picot, le texte de la Selva.
29. Sur les encouragements donnés par le roi aux traducteurs, cf. i» J. Du Bellay,
Déf. et m. de la langue fr. (édition Chamard, Paris, Fontemoing, 1904), p. 78, n. 3 ; 2»
Bourrilly, Jacques Colin, pp. 42-6.
31. Cellini, Mémoires, pp. 253, 283-5, 286, 299, 304, 307-8, 33i. 334. 34». 456-7. 453,
460.
32. Hauvette, Luigi Alamanni, pp. 100-102, 115-116, 135, 538 sqq.
35. Sur le projet de faire venir en France Sigismond de Hohenlohe, cf. Lettres de Mar-
guerite d'Angoulêrne [Génin], pp. 211-215. — Calvin, Institution de la religion chrétienne,
texte de la l'a édition fr, réimprimé, sous la direction d' Abel Lefranc, par H. Châtelain
«t J. Pannier, (Paris, Champion, 1911), pp. IX et XLI,
37. Bourgeois de Paris [Bourrilly], 317, 322. — Parmi les traductions de Berquin,
voici, peut-être, la principale : Enchiridion du chevalier chrestien, aorné de commande-
wens/j-essa/w/aîVes par Desideré Erasme de Roterodame..., [Anvers], 1529. In-8o.(Réim-
primé par Dolet en 1542). On attribue encore à Berquin beaucoup d'autres translations,
et, par exemple : Levray moyen de bien et catholiquement se confesser, opuscule fait premiè-
rement en latin par Erasme, et depuis traduit en françois, (Lyon, 1542) ; Déclamation des
louenges de mariage par Erasme de Rttferdam, docteur en théologie, reduict de latin en
françois (28 ff.) ; Le Symbole des apostres {qu'on dict vulgairement le Credo) contenant les
articles de la Foy : pir mi:tière de dialogue : par demande et par response. La plupart
extraict d'ung traicté de Erasme de Roterdam intitulé Devises famillieres (14 ff.).
38. Bourgeois de Paris, 142, 234, le texte et les notes.
39-40. Romain Rolland, Le dernier procès de Louis de Berquin. (École fr. de Rome :
Mélanges d'archéologie et d'histoire, XII» année, 1892), pp. 314-325.
42-45. Abel Lefranc, Hist. du Collège de Fr. depuis ses origines jusqu'à la fin du Pre-
mier empire ; Paris, Hachette, 1893. In-8<'de XIV-432 pages.
48. Journal de Louise de Savoie, {Petitot, Coll. des mém. relatifs àr hist. de Fr., t. XVI),
pp. 390,398.
49-50. I. Lettres de Marguerite d'Angoulêrne... publiées d'après les mss. de la Biblio-
thèque du roi par F. Génin; Paris, Renouard, 1841. — II. Nouvelles lettres de la reine de
Navarre adressées au roi François I^', son frère, et publiées par F. G^nm; Paris, Renouard,
1842. — L'accusation d'inceste, portée par l'éditeur avec une indignation qui n'exclut
pas une certaine joie, se lit aux premières pages du tome 1 1. Quant aux citations faites
en ces §§ 49-50, en voici les références: II, 44, 161, 243 ; I, 377-8 ; II, 102-3, i95. 105-6,
■65, 30, 171-2, 150, 105.
53. Ibid., Il, 176-8, 292, 42. Consultez encore 1° de Ruble, Le mariage de Jeanne
d'Albret, (Paris, Labitte, 1877) ; 2" Mary James Darmesteter, La reine de Navarre,
Marguerite d' Angoulême, (Paris, Calmann-Lévy, 1900), pp. 179 et suivantes.
54. Bourgeois de Paris, 156, 196, 14-15. — .\ux faits relatés en ce paragraphe ajoutez
ceque j'aiditailleurs[I, §§ 648-9] sur trois basochiens incarcérés par ordre de Fran-
çois lof.
55. I J'en ferai couper des têtes!... «Lisez cet te scène chez de RubIe,o/>.ct7.,96-roo. —
■Sur la démarche que Paul III a faite, en juin 1535, auprès de François I«' pour le prier
de « vouloir appaiser sa fureur », voir Bourgeois de Paris, 359-360, et Guiffrey, Œuvres
de Marot, III, 303, n. r.
Clément Marot et soq école *
50 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
58. Louaient le Seigneur à pleine voix... Th. de Bèze, Hist. ecclis. des Églises réformées
au royaume de Fr., (Lille, 1841), I, 33.
60. Joachim Du Bellay, Déf. et III. [Chamard], 76-7; Rec. de Poésie, odi XV (Marty-
Laveaux, I, 264). Voyez encore I, 142 et 225-6. ■ — Ronsard [Blanche niaiii], VII, 178,
Cf. II, 50, 97 ; m, 275 [« Tel fut le roy François, des princes le monaïque... »] ; IV,
100. — Th. de Bèze, Hist. ecclés., I, 2-3. Cf., en outre, p. 42.
61. Dernières poésies de Marg. de Navarre [Lefranc], 2S0 : « De son sça\oir [de Fran-
çois I*'] et de l'amour aux lettres, — De ses escriptz tant en prose qu'ei; mettres, 'Je
m'en tairay : ils sont assez congneus. » ■ — Nouvelles lettres de Marguerite [{icnin], 243. —
Cl. Chappuys, Panégyrique récité au... Roy François premier de ce nom...
62-74. Poésies du roi François I^r, de Louise de Savoie, duchesse d'AngouUme, de
Marguerite, reine de Navarre, et correspondance intime du roi avec Dmr.e de Poitiers et
plusieurs autres dames de la cour recueillies et publiées par M. Aimé Champo' jion-Figeac ;
Paris, Impr. royale, 1847. Un vol.in-4°de XI-235 pages. [Jemesuis seulement attaché
aux poésies qui sont ou paraissent être du roi. Champollion-Figeac ne s'ist pas donné
beaucoup de mal pour les distinguer des autres. Au reste, son recueil fait pU^s d'honneur
à l'imprimerie royale qu'à lui-même : les pièces se présentent en un désordre choquant*
Celles (assez nombreuses) dont la date est évidente sont groupées d'une manière qui
bouleverse la chronologie. La ponctuaction massacre le sens, et prouve que l'éditeur
ne comprenait pas ce qu'il publiait. ]
65. Le thème de l'absence est développé, notamment, dans les Ep. II, III, IV ; dans
les deux premières Chansons (pp. 5-6) ; dans les Rondeaux X et X I (pp. 22-3).
III
LA COUR ET LES MÉCÈNES
75. Que la cour de François I^^ a été un milieu littéraire. —
Louise de Savoie : 76. Son caractère. — 77. Rien ne la
prédestinait à la -poésie. — 78-79. Vers qui nous restent d'elle.
— François de Tournon : 80. Ce qu'il a fait pour les
humanistes, les poètes, les savants. — 81-82. Son fanatisme ;
son égoïsme. — 83. // a écrit quelques petits poèmes. — Anne
DE Montmorency : 84. Coup d'œil sur son existence si bril-
lante et si remplie. — 85. Il fut, à certains égards, très esti-
mable. — 86-90. Sa cruauté, ; son ambition ; sa rapacité. —
91-92. Ami des belles choses, il emploie et protège les artistes.
— 93. Ses rapports avec les écrivains. — 94. Son panégyriste,
Jean de Luxembourg. — 95-96. Différents ouvrages de cet au-
teur. — 97-99. Le Triomphe et les Gestes de Mgr Anne de
Montmorency. — 100. François de Tournon et le connétable
donnent une idée de ce que fut souvent le grand seigneur de la
Renaissance. — Le Cardinal Jean de Lorraine : 101. Son
opulence. — 102. Ses mœurs. — 103-106. Érudits, humanistes
et poètes en langue vulgaire qu'il a protégés. — Le Cardinal
Jean du Bellay : 107. Ses dignités ecclésiastiques et sa pro-
digalité. — 108-109. Rôle diplomatique qu'il a joué. — 110. Le
château de Saint-Maur. — 111-114. Jea^i Du Bellay patron des
gens de lettres et surtout de Rabelais. — 115. Les poèmes latins
du cardinal. — Jacques Colin : 116. Débuts de sa carrière.
• — 117-119. Ses missions à l'étranger. Il connaît la faveur, puis
la disgrâce. — 120. Le joyeux abbé de Saint-Ambroise. —
121. Les amis de Jacques Colin. — 122-123. // publie les
traductions de Claude de Seyssel, et fait lui-même des transla-
tions. — 124-126. On a de lui un petit nombre de vers. La
Conformité de l'Amour au Navigaige. — 127. L'influence de
ce personnage est plus notable que ses écrits.
75. Les textes édités par Champollion-Figeac permettent
d'affirmer que la cour de François I^^ a été un cercle littéraire,
52 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
et que, à l'exemple du prince, ceux qui l'entouraient ont, poui
la plupart, aimé, cultivé la poésie. De cette académie du palais
ont fait partie, outre des auteurs vivant de leur plume, quelques
prélats, quelques puissants seigneurs, quelques membres de la
famille royale. Les uns ont voulu n'être que des Mécènes ; les
autres, ayant ou croyant avoir le don du ciel, ont — peu ou
beaucoup — écrit en vers : et c'est des uns et des autres qu'il
s'agit à présent de nous occuper. La bonne méthode exigerait
que l'on commençât par le personnage le plus éminent, à savoir
la reine de Navarre. Mais sa vie est si émouvante, son âme est
si riche, et ses œuvres, en un certain sens, ont tant de beauté
et de prix qu'on doit traiter à part et à l'aise un tel sujet, et
qu'il faut le réserver pour plus tard. Passons, en conséquence,
directement à d'autres grands de la terre qui, sans avoir les
talents ni le cœur de Marguerite, ont encouragé les arts ou même
aligné des rimes. Et c'est une femme que nous rencontrons
d'abord : la mère de François I^r, Louise de SavoIe.
76. En tant que protectrice des lettres, elle n'a pas joué un
rôle important. Le goût, sans doate, ne lui manquait point,
mais, aussi longtemps qu'elle végéta en son humble château de
Cognac, elle ne put, faute d'argent, y réunir beaucoup d'écri-
vains, et dut se borner à nourrir le clan, d'ailleurs avide, des
Saint-Gelays. Plus tard, d'autres passions la dominèrent ; elle
aima mieux prendre que donner, et c'est pourquoi son nom n'est
pas de ceux qui viennent souvent dans les dédicaces. Lorsqu'elle
disparut (22 septembre 1531), on ne la regretta guère. Marot
qui lui consacra des vers funèbres, Nicolas Bombon et Antoine
Héroet, qui firent son épitaphe, s'inquiétaient moins d'honorer
sa mémoire que de plaire au roi. Odieuse au peuple, elle fut
critiquée plus d'une fois par les auteurs de Soties ; ils lui impu-
taient les malheurs de la France, et plaignaient ce pauvre pays
qu'une telle femme gouvernait. Vo3^ez, entre autres, la pièce
intitulée Farce morale de trois pèlerins et Malice... Elle avait,
cette Malice, de quoi s'exercer. Tenace, ambitieuse, pleine de
ruses, Louise de Savoie qui avait connu une sorte de misère
dorée, regardait comme une revanche « l'exaltation de son Cé-
sar -I [Journal, 391], et se jetait avec rapacité sur les finances
publiques Coûte que coûte, « Madame )> — toujours souffrante
toujours larmoyante, — accrochait au passage l'argent des tailles
A sa mort, on trouva des sommes énormes : elle avait, en
les détournant causé la perte du Milanais, condamné à la mi-
sère nos armées d'Italie, et conduit Semblançay à la potence.
77. On ne saurait facilement admettre qu'une âme desséchée
pa^- un égoïsme si féroce ait été réellement sensible à la poésie.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 53
Pourtant il est manifeste que Louise de Savoie a eu quelques
prétentions littéraires. Même lorsqu'elle rédige, pour elle-mêm.e
et sans beaucoup de soin, son Journal, elle imite çà et là le style
emphatique des rhétoriqueurs, et se montre parfois assez pédante.
Le verbe naître est traduit, chez elle, par " prendre la première
expérience de lumière mondaine » ; elle appelle son iils <( le sub-
jugateur des Helvetiens )> ; après avoir noté que Henri VIII est
arrivé à Calais, elle observe que cette ville se nomme en latin
Caletum ou bien Portus Itius, et ajoute qu'on trouve ce ren-
seignement au cinquième livre des Commentaires de César. De
là on peut conclure qu'elle avait du goût pour les tournures ora-
toires, et que, mérité ou non, le titre de femme savante ne lui
aurait pas fait peur. Mais il ne s'ensuit nullement que la nature
l'ait prédisposée aux idées poétiques. D'où les aurait-elle tirées ?
De la piété ? Non. Elle abandonnait à sa fille cette source d'ins-
piration, et l'on a même le droit de douter qu'elle ait été vrai-
ment religieuse. Je n'oublie pas que, racontant la mort de sa
mère [Dernières poésies, 271-9], Marguerite affirme qu'elle eut
des moments d'extase, et qu'elle ne souffrait point qu'on lui
parlât, tant elle était comme perdue en Dieu. Rappelons-nous,
en outre, que ce fut grâce à elle que François de Paule fut cano-
nisé (5 juillet 1519). Mais son catholicisme ne l'empêchait pas
de se livrer à des pratiques superstitieuses ; elle avait autant
de confiance en son astrologue qu'en frère François, et comp-
tait, pour réussir, non moins sur la magie que sur la prière.
Qu'on ne s'étonne donc point qu'elle n'ait pas exprimé en vers
une foi si mêlée et si suspecte.
78. De fait, dans les trois pièces qui nous restent d'elle, Louise
de Savoie n'a tâché de traduire qu'un seul sentiment : l'amour
maternel. C'est uniquement à son fils ■ — car la reine de Navarre
semble avoir été moins près de son cœur — qu'elle a dédié ses
rimes. Sa tendresse n'était pas toute feinte. Mais aimait-elle le
roi comme une simple femme aime son enfant, sans arrière-
pensée ni calcul, pour lui et non pas pour elle ? C'est une ques-
tion. La peur de l'avenir, le goût de l'intrigue, l'avarice et l'in-
térêt ont fini par modifier ou même par pervertir, chez Louise
de Savoie, les plus naturelles inclinations, et l'égoïsme s'est
étendu en elle jusqu'à empiéter sur les droits de l'instinct. Qu'elle
se soit montrée une mère affectueuse, je le veux ; mais elle ne
fut pas une bonne mère, ni (tout uniment et sans épithète ) une
mère. Une vraie mère n'aurait pas augmenté sa foi tune en pil-
lant les finances de son fils ; elle n'aurait pas soulevé, par des
abus de pouvoir, l'opinion publique contre lui ; elle ne lui eût
pas, de sa propre main, donné une nouvelle maîtresse pour évin-
54 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
cer la favorite qu'elle haïssait. Or, « Madame » a fait tout cela ;
elle n'a perdu aucune occasion d'user, d'abuser de son crédit ;
elle ne s'est jamais effacée, ni oubliée.
79. Aussi ne faut-il pas attendre d'elle, considérée en tant
qu'auteur, ces naïves effusions d'une âme qui ne serait que ma-
ternelle, ni ces mots éloquents mais ingénus que les femmes
trouvent sans les chercher, lorsqu'elles parlent à leurs enfants.
Louise, qui s'adresse à un roi, se surveille ; un visible souci de
l'étiquette gêne ses épanchements, et ce qu'elle dit — elle, la
mère, — une sœur, une amie, un familier ou l'avaient dit ou l'au-
raient pu dire. Elle se borne, imitant un rondeau de la reine de
Navarre, à déclarer : Vous et moi, mon cher fils, nous n'avons
qu'un seul vouloir, qu'une seule pensée et qu'un seul cœur,...
et, vaille que vaille, elle traite aussi le thème de l'absence :
Confinée en mon château, je languis loin de vous. Je ne me porte
pas bien, mais la maladie m'afflige moins que notre séparation.
Vous parti, plus de joie pour moi ni pour ceux qui m'entou-
rent, car vous êtes « nostre paradis » [p. 148]. Certes, à de telles
pensées la simple prose eût suffi : mais qui donc, à la cour de
François I^^, savait s'abstenir de rimer ? Les jardiniers mêmes
étaient atteints de cette manie, et nous voj^ons ceux de Fontai-
nebleau annoncer en vers un envoi d'artichauts, de groseilles
et de cocomhres.
80. Cela nous prouve que Louise de Savoie n'était pas la seule
à cultiver, malgré ]\Iiner\^e, les belles-lettres et à consacrer, sans
rien avoir de ce qui fait le poète, un peu de son temps à la poé-
sie. Une aberration toute pareille se remarque chez un autre
personnage à qui l'ambition et l'intolérance, ses \Taies Muses,
laissaient le loisir de composer un petit nombre de vers. Il s'agit
de Fraxçois de Tourxox (1489- 1562), abbé de la Chaise-Dieu,
archevêque d'Embrun, puis cardinal (décembre 1529). C'était
un homme intelligent lorsque le fanatisme ne l'aveuglait pas ;
négociateur assez habile, il avait, en Espagne, moj^enné de son
mieux la délivrance du roi ; il se montrait favorable à la science,
à l'humanisme, et l'on compte, parmi ses familiers ou ses pro-
tégés, André Alciat, Denis Lambin, Guillaume Rondelet. Il
édifia (1542) un magnifique collège en sa ville de Tournon, et l'on
devine que ce Mécène, qu'on savait en crédit auprès du prince
et qui,enoutie,pa3'ait si bien, n'a pu manquer de flatteurs. Marot
lui-même, quoique ayant des raisons de ne pas l'aimer, a tâché de
lui plaire, l'a couvert de fleurs : il salue en lui l'ami des « Muses
très sacrées », l'auteur dont Apollon agrée les œu\Tes ; il l'ap-
pelle (( hoir de Turnus 1» [G. III, 547-8], et indique, par ce ca-
lembour à la Jean Lemaire, que la noblesse du cardinal remonte
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 55
aux orignes de l'histoire, aux années qui suivirent la guerre de
Troie.
81. Mais s'il mérite, à certains égards, qu'on s'associe aux
louanges que ses contemporains lui prodiguèrent, François de
Tournon se révèle, d'un autre point de vue, fort peu sympathi-
que et même odieux. Personne n'a travaillé autant que lui à
rendre impossible tout essai de conciliation entre le catholicisme
et la Réforme ; il n'a jamais voulu se prêter à la recherche d'un
terrain d'entente, et n'a eu, au sujet des dissidents, qu'une inva-
riable opinion, à savoir qu'on devait les exterminer. A son avis,
mieux valaient, pour mettre fin au nouveau schisme, le fer et
le feu que la parole, et il souhaitait que Rome obtînt la victoire
et non la paix. Lorsque Marguerite de Navarre tâcha d'attirer
Mélanchthon en France, espérant qu'il amènerait le roi à l'Évan-
gile et les docteurs de Sorbonne à un accord, ce fut le cardinal
de Tournon qui s'opposa à ce voyage et à ce projet de conférence.
Plus tard à la veille presque de sa mort, il protesta avec la même
ardeur contre le Colloque de Poissy : sa haine était restée jeune,
et il persistait, au seuil du tombeau, à enfermer les hérétiques
dans ce dilemne : ou croire comme moi, ou périr. Cette théorie
meurtrière, il ne se bornait pas à la soutenir verbalement ; ses
actes, durant sa vie entière, ont été dignes de sa doctrine, et
souvent, dans la pratique, elle l'a incité à verser le sang, à de-
mander, au moins, qu'on le versât et plus vite et davantage.
Encore qu'il n'ait pas assisté à la tuerie de Mérindol et de Ca-
brières, on peut dire qu'il s'y trouvait de cœur, et que, tout
aussi bien que d'Oppède ou le vice-légat, il tenait le couteau
et la torche. C'est ici son coup de maître : mais si la joie d'un
pareil ca^^nage ne lui fut donnée qu'une fois, il a eu le plaisir de
collaborer de temps en temps à quelques supplices individuels.
Il se fit, pour perdre Michel Servet, le complice de l'inquisiteur
Orri, et fut au nombre de ceux qui livrèrent à ses bourreaux le
grave, rh^'-roïque Anne du Bourg.
82. Évidemment, on pourrait plaider les circonstances atté-
nuantes et dire, par exemple, que François de Tournon s'ima-
ginait servir les intérêts de l'Église et du royaume en travail-
lant, sans faiblesse humaine, à étrangler l'hétérodoxie. Qu'il ait
pensé être agréable à Dieu lorsqu'il lui sacrifiait des gens qui
ne le priaient pas en latin, cela ne me semble guère douteux, et
je veux môme qu'il ait cherché, en multipliant ces holocaustes,
à préserver de la contagion les consciences chancelantes et à
s'assurer, de surcroît, une place parmi les élus. Mais, pour que
de telles excuses fussent vraiment recevables, il faudrait que
le cardinal eût attendu jusqu'à l'autre vie la récompense de ses
56 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
actes de foi. Il n'en va pas ainsi, et il a, dès ce bas monde, été
paye de son zèle. On a vu déjà [§ 80] quelques-unes des dignités
qui lui furent dévolues : ajoutons — sans citer en détail ses
abbayes ou prieurés — qu'il fut, en outre, archevêque de Bour-
ges, archevêque de Lyon et gouverneur du Lyonnais (lo octo-
bre 1536). Certains, à la mort de Paul IV (18 août 1559), le
souhaitaient comme pape. Il ne fut point élu, et cette gloire
manqua à sa vieillesse. Mais il n'avait pas le droit de se plain-
dre : puissance, honneurs, richesse, la fortune lui avait tout
accordé, et, dominant les voix ennemies, le chœur de ses cour-
tisans s'était complu, par crainte ou par intérêt, à vanter sa
piété si cruelle, sa politique et ses vers.
83. Il n'a pas beaucoup écrit, ou, du moins, il ne reste de lui
que peu de chose : un huitain, sept dizains et deux épîtres. Les
dizains, maniérés et galants, ne sauraient guère retenir l'atten-
tion. Plus curieuses sont les épîtres. L'une est faite au nom des
dames de la cour : le cardinal leur sert d'interprète, mais ce sont
elles qui parlent. Au roi qui va partir pour la guerre (1525 ?)
elles disent adieu avec chagrin, très iiritées contre l'empereur
qui force leur prince à s'absenter pour aller le battre et contre
« Honneur ;•, ce dieu t3.Tannique, auquel, dès qu'il élève la voix,
ceux qu'elles aiment les sacrifient. Ces gentillesses, peut-être
élégantes, n'ont aucune originalité. François I" avait déjà reçu
au moins une pièce de ce genre [Cf. mon tome I, § 495], et il
devait louer, en celle qui nous occupe, plutôt l'intention que
l'invention. — Quant à l'autre épître de François de Tournon,
elle s'adresse à l'écuyer Sala, et traite (problème éminemment
sacerdotal !) la question suivante : l'art d'amour a-t-il été dé-
couvert par une femme ou par un homme ? Par une femme,
répond l'auteur, et il conclut de là que le beau sexe aurait tort
de ne pas se montrer facile... Tels sont les vers de François de
Tournon. Considérés en eux-mêmes, ils paraissent quelconques.
Mais lorsqu'on songe à la vie du cardinal, au rôle tragique qu'il
a joué ces minces poèmes qu'il cro3ait badins et tendres ac-
quièrent de la valeur en tant qu'ils éclairent sa ps3-chologie. Ils
attestent le calme d'une conscience que nous nous figurions
bourrelée, et l'on ne s'accoutume pas sans peine à l'idée que le
personnage qui a contresigné le massacre des "\'audois a pu,
un jour, prendre la plume pour notifier à l'écuyer Sala
Que la femme doit estre plus encline
Envers l'amant, sans user de reffus,
Que d'ung nenny le rendre mat confus...
Quel mélange, en cette âme, de férocité, de mièvrerie, et
l'étrange prêtre que c'était là !
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 57
84. Quelques mots, à présent, sur un homme d'une bien autre
envergure, Anne de Montmorency, marcchal de France,
Grand-Maître et connétable. Il ne peut être question ici de re-
tracer sa carrière : un volume n'y suffirait pas, car cette exis-
tence si remplie se confond, durant de longues années, avec
l'histoire générale du siècle. Né en 1492 et ami, dès sa jeunesse,
de François I^^^ Anne de Montmorency, à certains égards et à
certains moments, avait été plus roi que le roi. Disgracié en
1540, il triompha de nouveau sous Henri II, rentra ensuite,
pour un temps, dans l'ombre, et finit par reconquérir et par
conserver jusqu'à sa mort beaucoup d'autorité et d'influence.
On se figure aujourd'hui malaisément le pouvoir presque sans
mesure qu'il a exercé au fort de sa faveur et la variété, l'énor-
mité des privilèges dont il a joui. Il y a eu des heures où il fai-
sait marcher à sa fantaisie toute la machine de l'État : il tenait
à la fois sous sa main la « maison » royale, la liste des pensions,
l'armée, la politique étrangère et les affaires religieuses. A la
cour, il avait sa cour ; il gardait l'entrée de chaque avenue me-
nant aux bonnes places, et nul n'y arrivait sans passer par lui.
Une légion de solliciteurs et de clients s'attachait à ses pas ; les
plus grands seigneurs le craignaient et le ménageaient ; les prin-
ces de l'Église lui envoyaient des cadeaux, et l'on a vu des reines
acheter sa bienveillance en s'humiliant devant lui. Marguerite
de Navarre, qui le savait hostile à sa personne et à ses idées,
se résigne pourtant, lorsque la mort de François P^" eut fait de
lui une manière de vice-roi, à lui écrire [Génin, I, 386-8] deux
lettres très flatteuses, très déférentes. Elle lui demande d'être
son « baston de v^ieillesse », et signe « vostre bonne tante, mère
et vraye amie ». Ce mensonge devait lui coûter : mais c'était
l'unique moyen qu'elle eût de sauver la pension (25.000 livres)
que son frère lui avait accordée, et sans laquelle il lui eût été
impossible d'entretenir son estât [Ibid., 385].
85. Anne de Montmorency ne nous paraît pas absolument
indigne de sa fortune. Ce n'était pas un beau caractère, mais
c'était un caractère. Il possédait, au moins, l'un des mérites
nécessaires à qui prétend gouverner : l'esprit de suite. Il savait
ce qu'il voulait. S'il se trompait (et il se trompait !), il ne tom-
bait point d'une erreur dans l'autre, et il a cherché jusqu'à sa
dernière heure le triomphe de la politique adoptée par lui dès
la jeunesse. Elle ne fut, cette politique, ni clairvoyante ni libé-
rale : mais l'ardeur, la ténacité, la violence même dont il fit
preuve en la défendant nous montrent qu'elle était sincère, qu'il
a commis ses fautes de bonne foi, et qu'il croyait agir pour le
mieux. Il avait, à sa façon, le sentiment de l'honneur, je veux
58 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
dire d'un honneur particulier que l'on pourrait appeler cheva-
leresque ou féodal. En tant que connétable, il ne se fût jamais
conduit comme Charles de Bourbon, et, fort capable d'exploiter
le roi, il ne l'aurait pas trahi. Il gardait sa parole religieusement;
ses partisans, son Dieu et son prince avaient le droit de compter
sur lui. Il manquait de tendresse, non de constance. Ses mœurs
— étant donnés le milieu, l'époque, — nous semblent relativei-
ment austères, et il ne fut pas de ceux qui varient pour plaire
aux femmes. Je ne lui vois aucune des faiblesses de l'homme de
plaisir. Il a travaillé, lutté toute sa vie, et n'a craint ni fatigues
ni dangers. Général plus que médiocre, il fut, en revanche, un
vrai soldat. Persuadé que les gens de sa caste doivent au pays
l'impôt du sang, il allait de bon cœur à la bataille, et ne se ména-
geait pas. La dernière page de son histoire est émouvante, et
on ne lira pas sans respect la relation de cette journée de Saint-
Denis où, patriarche héroïque entouré de ses enfants, le conné-
table résista avec fougue aux huguenots qui l'accablaient, frappa
non seulement d'estoc et de taille, mais aussi du pommeau de
son épée, refusa obstinément de se rendre, et finit par tomber,
l'échiné rompue... Deux jours après (12 novembre 1567), il
succombait à ses blessures. Un cordelier l'exhortait à franchir
le passage en ferme croyant : « Pensez-vous, lui répondit-il, que
moi, qui ai bien vécu pendant près de quatre-vingts ans, je
ne sache pas mourir un quart d'heure ? »
86. Il se vantait, et sa vie, en somme, reste moins exemplaire
que sa mort. Admirable parfois, il ne fut jamais aimable. Il
avait une âme rude et hautaine, étroite et froide. Ses « domes-
tiques », ses officiers étaient par lui tenus à distance, et, fier
de son nom, de ses titres, il traitait arrogamment son armée de
serviteurs. La pitié lui semblait une faiblesse. A Pavie, ayant
pris d'assaut l'une des bastilles de l'enceinte, il en fit pendre
tous les défenseurs (1524). Après la révolte de Bordeaux, il
livra d'abord cette ville à ses lansquenets, puis ordonna ou sug-
géra lui-même des supplices raffinés, atroces. Il y eut, sans
parler (car c'était normal !) de ceux qui périrent par le feu ou
sur la roue, des gens démembrés et empalés (octobre-novembre
1548). D'un homme qui réprimait ainsi les tentatives de sou-
lèvement, les Réformés, on le devine, n'avaient rien à attendre
de bon. En fait, il les a haïs avec cette persévérance qu'il appor-
tait à toute chose, et leur a nui autant qu'il a pu : son influence,
durant un demi-'^iècle, a été sans cesse tournée contre eux ; il
leur a patiemment aliéné l'esprit du peuple et des rois, usant,
en outre, de la violence à chaque occasion favorable. Ce fut lui
qui, en plein parlement, arrêta de sa propre main les conseillers
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 59
du Faut et Anne du Bourg (lo juin 1559). Plus tard, en 1562,
il incendia, suivi de la plèbe parisienne, les prêches de Popin-
court et du faubourg Saint- Jacques : exploit indigne de celui
à qui était confiée l'épée de la France. Mais, s'il y trouvait
son avantage, nulle besogne ne le rebutait. La rancune, l'ambi-
tion réglaient sa conduite, et il avait en vue, dans ses démar-
ches, le profit, non la moralité. Peu d'hommes se sont montrés
plus positifs, et il ne fut pas de ceux que désarment un mouve-
ment d'instinctive bonté, une réflexion sentimentale.
87. Une circonstance, dont les contemporains paraissent avoir
été émus, révèle à quel point le connétable, dédaignant les déli-
catesses du cœur, jugeait déraisonnable de tenir, si elles deve-
naient gênantes, les promesses dictées par la passion. Il était,
lui, bien incapable d'en faire de telles : mais François, l'aîné
de ses fils, ne l'égalait pas en prudence, et, très amoureux de
Jeanne de Halluie, demoiselle de Pienne, il s'était, pour vain-
cre ses résistances, engagé secrètement à l'épouser. Cette liaison
fut, d'abord, sans nuages, et elle aurait peut-être duré long-
temps si ne s'était produit à l'improviste un événement fâcheux.
Le roi avait donné comme femme à Horatio Farnèse, duc de
Castro, sa fille naturelle, Diane ; or, le duc ayant été tué, le 18
juillet 1553, au siège de Hesdin, Henri II chercha un nouveau
parti pour la veuve, et jeta les yeux sur François de Montmo-
rency. La proposition était flatteuse, et, fier de cette alliance
qui plaçait, en quelque sorte, les fleurs de lis dans sa famille,
Anne déclara qu'on ne devait pas hésiter. Les droits de made-
moiselle de Pienne, le serment qu'elle avait reçu, ne l'arrêtèrent
pas une minute, et, par des procédés tantôt violents et tantôt
hypocrites, il évinça enfin cette amante qui avait le double tort
de ne pas être de sang royal et d'avoir cru à la foi jurée.
88. Mais, condamnant à la fois Henri II et le connétable,
l'opinion publique embrassa la cause de la délaissée, et se mon-
tra sensible à son malheur. Nous en avons la preuve en deux
chansons populaires qui parlent d'elle avec sympathie. La pre-
mière exprime les regrets du séducteur qui déplore d'avoir à
trahir sa belle ; il maudit « la fureur h de son père, proteste qu'il
n'oubliera jamais la femme dont on le sépare, et ne cache point
que
Le parti qu'on lui présente
Ne contente
Son las cueur aucunement.
La seconde chanson met en scène Jeanne de Halluie : elle
cunonce qu'elle va entrer au cloître, et qu'elle y restera jusqu'à
la mort. Là, plus d'œillades ni de gambades ! Sans cesse, avec
60 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
les nonnes, je réciterai VAve, Maria. Mais cela ne m'empêchera
point de me rappeler, ô cher amant, notre passé. Mon âme te
sera fidèle, sois-en certain ; et puisses-tu, toi aussi, penser à
moi :
Montmorency, te souvienne
De ta Pienne
. Qui ne dort ne nuit ne jour !...
Visiblement, les auteurs (ou l'auteur) de ces couplets ont voulu
y introduire tous les éléments propres, dans les livres, aux dra-
mes d'amour : les parents tyranniques, Roméo réduit au déses-
poir, et la jeune personne qui prend le voile. Mais, en réalité,
l'aventure qui nous occupe se termina d'une manière moins
romanesque. L'héroïne devint, au lieu de languir au couvent,
la femme de Florimond Robert et. Quant au héros, loin d'avoir
les sentiments que lui prête la chanson, il se fit le complice des
manœuvres paternelles, et se résigna de bonne grâce à une
rupture si profitable.
89. Anne de Montmorenc}' croyait, je pense, avoir accompli,
en cette conjoncture, son devoir de chef de famille, et il nous
faut, en effet, reconnaître que, si le rôle d'un père ne consiste
qu'à assurer le bonheur matériel de ses enfants, le connétable
fut le meilleur des pères,... le meilleur — aussi — des oncles.
Aux dépens du roi et de l'Église, il avait généreusement prodi-
gué emplois, dignités, pensions d'abord à ses cinq fils, ensuite
aux fils de sa sœur, ces trois Châtillons qui allaient bientôt, en
se tournant du côté de la Réforme et en se sacrifiant à leur foi,
acquérir plus de gloire que les faveurs de la cour n'auraient su
leur en donner. Mais comme ils n'avaient pas, à l'avènement de
Henri II, trouvé encoie leur chemin de Damas, et que, de nou-
veau tout-puissant, leur oncle traitait alors l'État en pays con-
quis, ils voulurent une part du butin. Ayant tant d'appétits à
satisfaire, Anne disputa aux autres rapaces, à Claude de Guise
et à ses six enfants, à Diane de Poitiers et à « ses fils et gendres »
chaque « bon morceau ». A eux trois, le duc Claude, la favorite
et Anne engloutissaient le trésor public. Ils dévoraient le prince
« comme ung lion sa proye », et rien de ce qui était à prendre
ne leur échappait, « non plus qu'aux arondelles les mousches ».
De là naissaient des plaintes, des procès. Mais Montmorency
peuplait les parlements « de presidens et conseillers faits de sa
main », en sorte qu'il avait « toutes robbes a sa dévotion ».
90 Et ce n'étaient pas les seuls moyens qu'il eût de s'agran-
dir, de s'enrichir. A la guerre, il mettait à rançon les prison-
niers, taxait les villes où il entrait, ne leur évitait qu'à prix
d'or le pillage, et enlevait, pourtant, ce dont il avait envie.
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
Même pendant la paix, il ne rendait pas, il vendait ses services,
et son influence était un capital qu'il faisait valoir. Obtenait-on,
par son entremise, quelque office ou bénéfice ? Il touchait une
grosse commission, et s'il se chargeait de contraindre les juges
à déclarer bonnes les mauvaises causes, il fallait qu'on lui payât
ses démarches, car il ss fût refusé à une iniquité gratuite. Très
dur quand l'indulgence ne devait rien lui rapporter, il suffisait
de la promesse d'un héritage pour changer sa rigueur en com-
plaisance. On le vit bien lors de son traité avec le gouverneur
de Bretagne, Jean de Laval, sire de Chateaubriand, qui s'était
approprié les sommes votées par les États, et redoutait une
enquête. Cette enquête, le connétable feignit de l'entreprendre,
et il effraya tellement le coupable qu'il l'amena enfin à lui assu-
rer par testament le plus clair de sa fortune. Jean de Laval y
gagna que son heureux légataire le proclama aussitôt le modèle
des gouverneurs et envoya dire au roi qu' « il n'y avoit province
sous sa couronne mieux conduite, régie ny policée que celle de
Bretagne ». — C'était une donation princière que Montmorency
recevait là : mais, à l'occasion, il acceptait de moindres cadeaux,
des statues, par exemple, ou des fragments d'anciens monu-
ments. En 1560, Lancelot de Carie lui écrit : « Je n'oubliray,
estant à Rome, de pratiquer les marbres pour vous. » L'évêque
de Pavie lui offre les bustes de Septime-Sévère, de Caracalla ;
le cardinal Sermonetta lui fait parvenir un beau Marc-Aurèle,
et le comte de Tende s'empare, à son intention, de deux colonnes
antiques qui ornaient une église marseillaise [de Lasteyrie, 2^
article, 101-2]. En somme, le connétable procédait un peu comme
Verres, et aurait pu fournir la matière d'un De Signis.
91. Toutes ces œuvres d'art qu'il se procurait à si bon compte,
il les destinait soit à ses quatre hôtels de Paris, soit à ses châ-
teaux. Celui de Chantilly, remanié et décoré pai ses soins, devint
une résidence dont un roi aurait pu S3 contenter. Mais Anne
voulut mieux ; il rêva une demeure qui fût à la fois un monu-
ment sans pair et un musée, et choisit, pour y bâtir cet édifice,
la colline où s'élevait le village d'Écouen. Les travaux commen-
cèrent vers 1541. Jean Ballant (1512 ? — 10 octobre 1578) les
dirigeait. Jeune alors et peu connu, il fit là son coup de maître.
Très élégante et très noble, quoique simple, est l'ordonnance
de la construction, et il y a lieu d'approuver, comme heureuse-
ment conçues, la chapelle, les quatre façades et les deux gale-
ries de la cour d'honneur. L'ensemble produit une impression
de grâce logique et mesurée. Au reste, il eût fallu voir cette
maison au moment où s'y trouvaient encore les vases, les vi-
traux, les peintures, les statues qui la paraient, et où il était
62 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
possible d'admirer, dans les galeries, les sublimes Captifs de
Michel-Ange et les quarante et quelques veriières qui retra-
çaient, en délicats dessins, l'histoire entière de Psyché. A qui
attribuer cet ou\Tage ? A Jean Cousin, affirment les uns ;
à Bernard Pahssy, prétendent les autres... Pourquoi non ?
Il est certain que Bernard a été plus tard aux gages de Mont-
morency ; qu'il a composé pour lui une « grotte rustique » ;
qu'il nous dit lui-même avoir établi son atelier de Saintes
avec l'argent du connétable, et que celui-ci, qui haïssait
pourtant les huguenots, l'a protégé à chaque occasion, et
lui a même sauvé la vie en 1562. Il ne paraît pas, en conséquence,
déraisonnable de conjecturer que l'inventeur des «rustiques
figulines » a contribué, au début de sa carrière, à l'embellisse-
ment d'Écouen.
92. ]\Iais si sa collaboi ation demeure, malgré tout, douteuse,
celle de Jean Goujon ne l'est point, et nous avons le droit de
regarder comme dus à son ciseau plusieurs groupes ou statues
qui ornaient la chapelle du château : les vertus théologales, les
quatre évangélistes, puis un émouvant retable de marbre, figu-
rant le sacrifice d'Abraham. A décorer cette chapelle, quelques
peintres, aussi, avaient travaillé, et l'on y remarquait un Christ
au tombeau de maître Roux (le Rosso) et une copie, exécutée
par Marco d'Oggione, de la Cène de Léonard de Vinci. On n'en
finirait point si l'on voulait citer tous les artistes qui ont, pour
Écouen ou pour ses autres logis, reçu les commandes du con-
nétable. Étonnant contraste : cet homme fort peu érudit, sans
cesse en mouvement, accablé de mille affaires, qui se plaisait
à la cour ou à l'armée, et n'a vécu chez lui que ses années de
disgrâce, eut néanmoins une passion qui suppose de la culture,
du calme, des loisirs, et fut un ardent collectionneur. Mais il
ne se bornait pas à rassembler, en aussi grand nombre que pos-
sible, tels ou tels objets de même espèce ; toute belle chose le
fascinait, et il s'appliquait à acquérir, à obtenir, ou à prendre
ce que l'industrie humaine peut, en chaque genre, produire de
rare et d'excellent. Marbres, tableaux, verres peints, manuscrits,
li\Tes aux précieuses reliures, émaux, joyaux, armures ciselées
et niellées, tapis d'Orient, mosaïques, gravures, que sais-je ?...
le charmaient également. Cet ignorant était donc un « connais-
seur » universel, et il recueillait les plus dissemblables œuvres
d'art, sans rien préférer, sinon, peut-être, les faïences et les
émaux. L'émailleur Léonard Limousin a fait pour lui deux mer-
veilles : le portrait d'Anne (1556) qui est aujourd'hui au Lou-
vre; un vaste et magnifique plat destiné à être offert à Diane de
Poitiers. C'est une adaptation du Banquet des dieux de Raphaël
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 63
On y voit la favorite avec les attributs de Vénus, Henri II changé
en Jupiter et, sous les traits de Mars, Montmorency en personne.
93. On conçoit qu'il a dû être apprécié, recherché par les
artistes. Mais il ne semble pas que les écrivains se soient sentis
attirés vers lui. Les poètes, pourtant, l'ont chanté. Marot compte
parmi ceux qui tentèrent de l'amadouer. Le 6 août 1529, il
lui envoie, de Saint-Quentin, le rondeau De la paix traictée à
Camhray [J. II, 160] qu'il venait de lire au roi, et dont il veut,
dit-il, « donner le plaisir » au Grand-Maître. En 1532, il rime à
son intention l'épître qui commence par En attendant le moyen
et pouvoir... [G. III, 202], et il lui adresse enfin, au mois de
mars 1538, le si curieux manuscrit intitulé Recueil des dernières
œuvres... non imprimées, qui se trouve maintenant à Chantilly.
Le pauvre Clément perdait son temps, sa peine, son encre : ni
présents, ni compliments, ni dédicaces ne pouvaient rendre un
homme aussi remuant que lui sympathique au connétable. Je
pense qu'il estimait davantage le bon courtisan Claude Chap-
puys ou le dévot Jean Salmon, dit Maigret (Macrinus), qui lui
offrirent des vers l'un et l'autre. Ils n'étaient pas révolution-
naires, ces deux-là ! Salmon Macrin, en particulier, ne touchait
guère aux sujets brûlants, et s'il a osé, en pleurant la mort de
Lefèvre d'Étaples, traiter de Béotiens ces messieurs de la Sor-
bonne, jamais, en revanche, il n'a cessé de célébrer la Vierge
Marie, sa petite ville de Loudun, la femme qu'il aimait, non une
maîtresse, mais cette chère Gélonis [Gillonne de Boursault] qu'il
avait, en 1528, bel et bien épousée.
94. Pour en revenir au connétable, il tiendrait, en somme,
peu de place dans la littérature de son temps, si quelqu'un qui
le touchait d'assez près n'avait exalté sa gloire en un vaste
poème, Le Triomphe et les Gestes de Mgr Anne de Montmorency.
Ce panégyrique, où s'exprime à grands coups d'hyperboles une
admiration sans frein, est l'œuvre de Jean de Luxembourg,
fils de Charles, comte de Brienne, et de Charlotte d'Estoute-
ville. Le mariage de son frère Antoine avec Marguerite de Savoie-
Tende, belle-sœur d'Anne, l'avait rapproché de ce dernier dont
il aimait à se dire 1' « humble et obeyssant allyé )>. On ne sau-
rait expliquer à quel titre il avait — car il l'affirme expressé-
ment [p. 37] — assisté, lui qui était d'Église, à la bataille de
Pavie. Pourvu, en 1525, de l'abbaye d'Ivry (diocèse d'É\Teux),
il obtint, en outre, avant 1532, celle de Larrivour (diocèse de
Troyes). Il devint, vers 1540, évêque de Pamiers, et mourut à
Avignon en 1547.
95. Ce fut un prélat fort éclairé, et nous avons de lui, outre
le poème qui nous occupe, au moins quatre ouvrages : 1° Avant
64 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
1538, une traduction des Verrines de Cicéron. — 2^ Dédiée à
la reine de Navarre, une épître d'environ sept cents vers. Elle
constitue un « débat » véritable, et résume une causerie de salon.
Rassemblés au château de Nancy, plusieurs seigneurs, princesses
et demoiselles s'étaient, après la danse, mis à discuter les points
suivants : Où donc la beauté réside-t-elle ? Est-ce dans l'âms ?
Est-ce dans le corps ? Est-ce dans le corps et l'âme à la fois ?
Et, si cette dernière hypothèse est recevable, quelle est, de la
beauté physique ou de la beauté morale, la plus propre à en-
flammer l'amour ? Bien divisées étaient les opinions, et l'on
ne s'entendait guère. Heureusement Jean de Luxembourg sî
trouvait là. Il prit la parole, et traita (c'est lui-même qui noas
le dit) avec tant d'abondance et de verve les questions en litige
que les auditeurs furent pleins de regrets lorsque s'éteignirent
ensemble son éloquence et les chandelles. Dès le lendemain, il
rédigea, pour l'offrir à la reine Marguerite, « ce grant discours
■p3X .luy faict de Beaulté ». A distance, on s'explique mal les
transports que l'auteur prête aux hôtes du château de Nancy ;
il a beau prétendre que ses idées étaient nouvelles, elles
nous semblent, au contraire, banales, et sa conclusion, qui
consiste à déclarer qu'il faut rechercher également « ce qui
est bon et qui est bel aussi, » ne paraît pas de la première fraî-
cheur. La pièce, en définitive, ne prouve qu'une chose, c'est
que l'écrivain suivait la mode, et se sentait capable, toit
comme un autre, d'exprimer en vers les lieux communs du
platonisme.
96. 30 II a donné, entre 1538 et 1545, une traduction du
Phédon, qui s'ouvre par une dédicace en prose où le roi et le
connétable reçoivent d'énormes louanges. — 40 Vient ensuite
un mémoire relatif à la répudiation d'Anne de Clèves par Henri
VIII. Ce hardi et assez véhément pamphlet, qui ne fut édité
que quatre ans plus tard, commença, dès 1541, à circuler ma-
nuscrit. L'un des exemplaires qui couraient ainsi fut envoyé,
le 26 janvier 1542, à Londres, et provoqua un petit incident
diplomatique. L'ambassadeur d'Angleterre, William Paget, alla
se plaindre à François I^r de l'injure qu'on faisait à son maître,
et accusa nettement M. d'Ivry (le nom de l'abbaye passait pat -
fois à l'abbé) d'avoir composé et répandu ce very foolish hook.
Mais l'émotion finit par se calmer, et alors le plaidoyer en faveur
d'Anne de Clèves fut publié ouvertement par Nicole Paris, de
Troyes. C'était l'un des protégés de Jean de Luxembourg qui
l'avait autorisé à se dire son imprimeur ordinaire et à dater de
Larrivour ce qui sortait de ses presses. Homme de goût plus
encore que 'marchand, Nicole Paris se montra digne de >on
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 65
Mécène : on lui doit quelques belles impressions, notamment
celle de V Institution du Prince. Ce livre honore le typographe,
mais non l'éditeur, qui n'est autre que Jean de Luxembourg.
Tantôt amplifiant le texte de Guillaume Budé et tantôt le muti-
lant, il a aussi estropié les noms propres et donné mille preuves,
en somme, de désinvolture ou de négligence.
97. Son Triomphe d'Anne de Montmorency ne saurait lui
valoir les mêmes reproches, car il l'a préparé avec conscience,
et a puisé aux meilleures sources. S'il interprète les faits à sa
manière, il les relate très exactement, en sorte que les historiens
pourraient tirer de lui quelque chose, à la condition de consul-
ter ses récits et de se défier des commentaires. Il prend son
héros au moment où il fut présenté au roi Louis XII, et, depuis
cette date jusqu'à l'année 1538, il ne le quitte plus d'un pas,
et l'accompagne en sa vie si agitée sans se croire le droit d'omet-
tre aucun incident. Les lecteurs s'essoufflent à suivre les che-
vauchées de ce guerrier qu'on trouve toujours par monts et par
vaux, qui défend ou assiège tant de villes, et paraît au premier
rang chaque fois que se livre une bataille. Sa conduite, certes,
est glorieuse : mais comme ses exploits se ressemblent fort, les
vers qui les racontent manquent de variété, et provoquent un
sentiment de fatigue. Le poète lui-même s'en aperçoit et tra-
vaille de son mieux à rendre son épopée moins monotone : il
introduit çà et là des « narrations » à l'antique ; il développe
certains épisodes qu'il juge émouvants ou agréables ; il inter-
rompt la marche des événements pour chanter, en longs dithy-
rambes, les louanges d'Anne et de François pi" ; quittant le
simple style histoiique, il feint des élans d'enthousiasme, et
multiplie les exclamations ; il formule de temps en temps des
sentences morales ou politiques; il s'exprime, vaille que vaille,
en images, et compare Montmorency au gerfaut, à l'aigle, au
lion, bref, à tous les animaux intrépides ; il se répand en invec-
tives contre les ennemis de la France, et insiste volontiers, dès
qu'il en a l'occasion, sur les faits qui n'ont rien de militaire. Les
cérémonies, les réjouissances l'arrêtent et le retiennent lors-
qu'elles ont lieu en l'honneur d'Anne, ce qui arrive assez fré-
quemment : Anne [p. 13] brille dans les tournois, et s'y révèle
« des plus adroictz » ; il est (23 mars 1526) nommé Giand-Maî-
tre [p. 38] ; il reçoit l'ordie de la Jarretière [p. 41] ; au milieu
de l'allégresse universelle et en grande pompe, il se marie (1527)
avec Madeleine de Savoie :
0 luy heureux, o elle bien heureuse !
O luy sans per, o elle sans seconde !
O luy d'honneurs, elle d'enfans féconde ! [P. 42.]
Clém3:il Alirot et son école 5
66 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
98. Et, enfin, cet homme incomparable, ce nouvel Alexandre
et cet autre Fabius, ce sage plus « discret » que Caton et qui
surpasse « tous les Platons et tous Papiniens « est créé conné-
table à Moulins, le dimanche lo février 1538. Alors Jean de
Luxembourg, qui contemple d'en bas ce faîte de la grandeur,
se sent l'âme ravie, extasiée ; puis son admiration prend une
forme frénétique, et il applaudit avec délire. Ah, c'est à ce coup,
s'ccrie-t-il, qu'il me faudrait du génie ! Si j'avais je ne dis pas
celui du roi (car ce serait trop), mais « quelque scintile » de son
esprit divin, je pourrais chanter en vers un tel événement [p.
48] : mais, n'aj-ant qu'un st3^1e rustique, je ferais mieux de me
taire... Qu'on se rassure ! Il ne se taira point. Il ouvre même
toute large l'écluse de sa rhétorique, entasse les allégories et les
tropes, brandit son encensoir de vingt manières, et n'économise,
en ce jour solennel, ni interjections ni métaphores. D'abord,
i] apostrophe [p. 50] la « saincte espée » du connétable, et —
multipliant les phrases qui commencent par ô ! — récite dévo-
tement les litanies de cette arme, qu'il salue comme étant le
repos des bons, l'effroi des méchants, le gage de la paix, le sou-
tien du petit peuple, le « remède es bellicques dangiers ». En-
suite, il évoque [pp. 5S-9] les fêtes antiques, mais c'est pour
montrer qu'elles n'étaient rien en comparaison de celle dont il
parle. Les couronnes d'or ou de laurier que décernaient les Grecs
et les Romains ne lui semblent que « fumée et vent » lorsqu'il
songe à la dignité que son héros vient d'obtenir. Le triomphe de
César dura « cinq fois cinq jom-s » : la belle affaire ! Celui d'Anne
ne se terminera qu'avec sa vie. Et qu'on ne nous dise pas que
Pompée, montant au Capitole, traînait après lui des éléphants,
ces léopards et des tigres ! « Chercher gloire en telles bestes,
qu'est-ce », je vous le demande, « sinon brutalité » ? Montmo-
renc}^ lors de la cérémonie de Moulins, n'était pas entouré de
fauves : le plus grand roi du monde le conduisait.
99. Arrivé là, notre poète se calme un instant. Vous le croyez
peut-être épuisé ? Non, il se recueille, il reprend haleine, et bien-
tôt son éloquence rebondit. Cette foi?, il laisse tranquilles les
anciens ; il s'inspire du moyen âge, des rhétoriqueuis, et invente
[pp. 60-2] un Olympe allégorique digne du Roman de la Rose.
Le connétable trône au centre de cette assemblée de dieux :
devant lui marchent en bel ordre Prouesse, Prudent-Avis, Dis-
ciphne, Zèle-du-commun-bien, Cœur-haut, Diligence et plu-
sieurs autres ; il est debout sur un grand pavois que portent,
outre <( ce seigneur qu'on appelle ]\Ierite «, Labeur, Soin, Souci,
Peine, Mille-males-nuits ; derrière lui se pressent Paix, Prospé-
rité, Gracieux-Séjour et consorts ; Renommée arrive la der-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 67
nière, et suit ce beau cortège en soufflant dans sa trompette...
Bien qu'il nous ait dépeint de son mieux ce symbolique panthéon,
Jean de Luxembourg avoue modestement que ce n'est là qu'une
ébauche, et que, pour amener le tableau à son point de perfec-
tion et le rendre capable d'exprimer toutes les vertus de Mont-
morency, il faudra que, tant qu'ils sont, les meilleurs auteurs
du temps collaborent à cet ouvrage, et donnent chacun leur
coup de pinceau. Qu'ils ne s'amusent plus, en conséquence, à
chanter, à imiter les choses de jadis; qu'ils cessent de secouer
la poussière qui recouvre les « rouillées antiquailles » ! Ceux qui
sont morts sont morts. Anne, lui, est bien vivant, et c'est lui
qu'il convient de glorifier « en grec, hebrieu, en latin et fran-
çoys » [p. 58]. Donc, ô « gens de bonnes lettres », poètes et ora-
teurs, nobles et divins esprits, taillez-moi vite vos plumes, et
célébrez le triomphe inestimable de l'homme sans rival que je
n'ai pas su, moi, assez louer ! L'appel, on le voit, est véhément :
mais les écrivains semblent l'avoir entendu avec froideur. Un
seul, le sec et ennuyeux René Macé, crut devoir répondre à
l'invitation et offrir à Mgr Anne un panégyrique de sa « con-
nestablerie \ Il se proposait de traiter le sujet en plusieurs livres.
On ne possède que le premier. Les autres ou ne furent pas rédi-
gés, ou sont perdus. Ce n'est pas là une perte qui nou.*? laisse
inconsolables.
100. Montmorency et François de Tournon, bien que l'un soit
plutôt un soldat et l'autre plutôt un prêtre, offrent quelques
traits de ressemblance, et donnent une idée exacte de ce que
fut trop souvent le grand seigneur de la Renaissance. Tous deux
hommes d'État, tous deux opulents, puissants et, d'ailleurs, bien
résolus à étouffer les idées libérales, ils conciliaient des choses
qu'on voudrait incompatibles : le culte des arts et la cruauté.
Très raffinés à certains points de vue, mais farouches parfois
et déchaînés, tantôt ils nous apparaissent comme les représen-
tants d'un âge poli, et tantôt on retrouve en eux l'instinct du
barbare et du primitif. Méprisant la conscience des humbles,
ils faisaient peu de cas de la vie humaine, et lorsqu'il s'agissait
d'établir l'ordre, c'est-à-dire le silence, l'aveugle docilité, rien
ne leur coûtait moins que le sang. Cela pèse aujourd'hui sur
leur mémoire, et notre sympathie ne va pas à ces mauvais riches
qui furent sensibles à la beauté, non à la pitié. Leur dilettan-
tisme rend leur violence encore plus choquante, et on les eût
préférés ennemis des Muses, mais amis des hommes, parce qu'il
vaut mieux avoir de la bonté que du goût. Heureusement il y
eut, au temps de François I^r^ des gens qui furent des I\Iécènes
sans exercer aucune tyrannie. S'ils tenaient à leurs opinions,
68 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
ils ne les imposaient pas ; ils ont pu avoir des travers ou des
vices : jamais, du moins, ils n'opprimèrent les faibles, et le
talent, qu'il fût orthodoxe ou non, rencontrait chez eux le même
accueil. A ceux-là seuls le titre de protecteur des beaux-arts
s'applique d'exacte façon, et voici maintenant quelques per-
sonnages qui l'ont mérité au plus haut point.
101, Le cardinal Jean de LorraIne (14 août 1498-mai 1550)
doit être cité le premier. Fils de René, duc de Lorraine et de
Bar, il n'avait pas trois ans que son père travaillait déjà à faire
de lui un prince de l'Église. Il le fut, et vingt fois plutôt qu'une,
car il posséda tant d'abbayes et tant de sièges épiscopaux qu'il
aurait pu, disait-on non sans un peu d'amertume, tenir un
concile à lui tout seul. Ceux qui le voyaient passer contemplaient
d'un coup en sa personne l'évêque de Metz (1505), de Toul
(1517), de Die et de Valence (1521), de Thérouanne (1522), de
Verdun (1523). d'Albi (1535), d'Agen (1541), de Nantes (1542),
— l'archevêque de Narbonne (1524), de Reims (1537), de Lyon
(même date), — un cardinal diacre (1518), — l'abbé de Fécamp
(1523), de Cluny (1529), de Saint- Jean de Laon (1533), de Saint-
Germer (1536), de Saint-Médard de Soissons (jusqu'en 1540),
de Ma.rmoutier (1539), de Saint-Ouen de Rouen, — le prieur
de Varangéville et le titulaire de quantité d'autres bénéfices
moins gras et moins notables que ceux-là. Tous ces titres, à
vrai dire, il ne les a jamais portés ensemble : îl cédait l'un pour
avoir l'autre, vendait, troquait, laissait, reprenait et, bref, re-
gardait les charges d'âmes comme des valeurs négociables, une
marchandise destinée à circuler. Les intérêts spirituels de ses
ouailles (un peuple entier !) ne l'inquiétaient en rien, et son
unique souci était de toucher des revenus, qui comblaient à
peine, bien qu'énorme<î, le gouffre de ses dépenses. D'ailleurs,
il eût essayé vainement de jouer ses multiples rôles sacerdo-
taux : à l'impossible nul n'est tenu, et l'on conçoit que, pour
s'astreindre à la résidence, il lui aurait fallu le don d'ubiquité.
102. Hors d'état de se trouver en même temps partout où
l'appelait son devoir, il trancha la difficulté en s'établissant au
centre des plaisirs, autrement dit à la cour. Là, sans prévoir
qu'à la fin il tomberait en disgrâce, il connut, ainsi que son frère
Claude, une longue et éclatante faveur. Conseiller intime (1530)
et commensal du roi, il le suivait en ses voyages, marchait à
côté de lui dans les cérémonies, et ne le quittait guère que pour
se rendre soit au conclave, soit en mission auprès de l'empereur
(1536' ou à des conférences diplomatiques... Et n'allez pas vous
le figurer sous les traits d'un de ces prélats austères qui ne per-
dent rien de leur gravité en se mêlant à la vie laïque. C'était
CLÉMENT MAKOT ET SON ÉCOLE 69
un joyeux seigneur, vaniteux mais très cordial, et qui ne savait
rien refuser ni aux autres ni à lui. Accueillant et prodigue, il
aimait à éblouir par son faste, et aurait été digne qu'on l'appe-
lât Jean le Magnifique. Il avait, affirme de Thou,pluà François 1^^
pour deux raisons fort peu honorables, voluptatum ministerio
et stolida liheralitate. Brantôme nous le représente portant,
chaque fois qu'il se promenait, une « gibecière » garnie d'écus
qu'il distribuait aux pauvres sans compter, « sans rien trier »,
A Rome, un aveugle, qui avait reçu de lui « une grande poi-
gnée d'or », s'écria : Si tu n'es pas le Christ, tu es le cardinal
de Lorraine ! — Et bon vivant avec cela ; beau joueur aussi.
Il battit, aux dés et à la paume, le roi d'Angleterre, qui le trouva
gentil compagnon. Les femmes partageaient cet avis. Dès qu'ar-
rivait à la cour « quelque belle fille ou dame nouvelle », il l'ac-
costait, V arraisonnait aussitôt, disant qu'il la voulait dresser de
sa main. « Quel dresseur ! » ajoute Brantôme. M. le Révéren-
dissime aurait eu plus de peine à dompter un " poulain sauva-
ge » qu'à apprivoiser ces novices. Aucune ne lui résistait, et il
n'avait besoin, pour les mettre à mal, que de leur offrir des
pièces de soie, des cottes et des robes lamées d'ai'gent.
103. A cela près, conclut Brantôme, Jean de Lorraine fut si
plein de vertus que nul ne lui reprochera « cette petite imper-
fection ». De fait, les contemporains ont dû juger naturelle sa
conduite, et il n'a guère reçu que des éloges. Comment les écri-
vains, les artistes auraient-ils pu lui être sévères ? Ils voyaient
en lui une providence, car il les aimait, les comprenait, les pro-
tégeait. Eux, par gratitude, le célébraient tous, et nombreux
sont les textes où il se trouve cité, adulé.
104. Il fut l'ami ou le Mécène de plusieurs érudits de son épo-
que, et nous sommes, grâce aux patientes recherches de
M. Collignon, renseignés sur les rapports qu'il eut avec Cornélius
Agrippa (il fut, en 1525, le parrain d'un de ses fils), Jacques
Sadolet, Lazare de Baïf, Guillaume Postel, Barthélémy Le Mas-
son, qui lui dut sa place de lecteur royal, Symphorien Cham-
pier, Pierre Duchâtel, grand aumônier de France, et le docte
Antoine Macault, qui lui dédia sa version du Pro Marcello de
Cicéron. — Les Italiens, eux aussi, reçurent leur part de ses
bienfaits. Les Mémoires de Cellini nous fournissent une preuve
de sa munificence ; Luigi Alamanni, dans sa première Sclva,
lui consacre des vers flatteurs, et Agostino Giustiniani lui offre,
« le jour des calendes de mars 1520 », son édition du Timée
traduit en latin par Chalcidius. — Ajoutez que le cardinal s'in-
téressait beaucoup aux travaux des hellénistes, et ne leur refu-
sait pas son patronage. Mais il faut nous borner à ce qui est
70 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
pour nous l'essentiel, et en venir maintenant aux relations de
Jean de Lorraine avec les poètes tant néo-latins que français.
105. Parmi les néo-latins, je citerai comme aj^ant fait partie
de sa clientèle i» Salmon Macrin, qui lui dédie, et trois fois
plutôt qu'une, ses Hymnes choisis ; — 2° Jean Visagier, qui,
le lo des calendes du mois d'août 1536, lui voue son volume
à! Épigyammes, puis lui adresse coup sur coup deux petites pièces
où il l'appelle « opifer vatum », et dit : tu es si cher au roi qu'il
veut tout ce que tu veux ; — 30 Etienne Dolet, qui lui témoi-
gne, d'abord, sa gratitude en quelques vers bien tournés, le
mentionne ensuite honorablement dans la préface des Gestes de
François de Valois, et, rimant enfin pour lui une épître de son
Second Enfer, lui raconte en peu de paroles ses tribulations,
et le prie de travailler à son salut ; — 4° Nicolas Bourbon, au-
quel il rendit un double service, s'il consentit (et nous avons tout
lieu de le croire) à ce que lui demandait ce poète : obtenir de
ses juges qu'on le tirât de prison, puis le présenter à la cour ;
■ — 50 Laurent Pillart (Pilladius) . . . Celui-là est moins connu.
Né en 1503 non loin de Pont-à-Mousson, chanoine de Saint-
Dié et curé de Corcieux, il publia (1548) une sorte d'épopée en
six chants, la Rusticiade, où est célébrée, comme s'il s'agissait
d'une autre guerre de Troie, la sanglante et facile destruction
des Rustauds, en 1525, par le duc Antoine et son frère Claude.
Ce sont les deux héros de rou\Tage : mais le cardinal n'est pas
oublié, et son panégyrique s'étale au second chant... Laurent
Pillart mourut en 1562, à Saint-Dié.
106. Jean de Lorraine ne fut pas chanté qu'en latin, et il a
reçu aussi beaucoup d'hommages en langue vulgaire. Sans pré-
tendre énumérer tous les auteurs qui, par intérêt ou par recon-
naissance, composèrent pour lui des vers français, on doit, au
moins, rappeler quelques noms. Louis des Masures, qui avait
été, à ses débuts, encouragé de plus d'une façon par ce prélat
éclairé, lui dédia sa traduction des livres I et II de l'Enéide.
Ce fut également à lui que Charles Fontaine, escomptant, j'ima-
gine, une récompense, offrit sa Contr' aniye de court. A lui encore
Bonaventirre des Périers adressa, en 1539, une louange brève,
mais sincère. Pour lui, enfin, Clément Marot a rimé deux poé-
sies : il le prie, dans la première [G. III, loi], de l'aider à obte-
nir la charge de valet de chambre que la mort de son père lais-
sait vacante, et ce lui est une belle occasion de saluer, en la
personne du puissant Mécène, non seulement un amateur des
sciences tant humaines que divines, mais aussi [p. 104] un « no-
ble fleuron royal », car les princes lorrains affirmaient avoir des
droits sur le royaume de Jérusalem, et l'on était certain de leur
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 71.
plaire si l'on feignait de croire leur prétention bien fondée. — ■
Quant à la seconde pièce [J. II, 90], c'est une alerte et gentille
ballade, intitulée Chant pastoral. Il y est question d'un joueur
de flûte, Michel Huet, Parisien, qui appartenait à la maison
du cardinal, et s'était, semble-t il, absenté sans prévenir, en
sorte que son maître s'inquiétait fort. Ne te tourmente point,
lui dit le poète. Ton serviteur est allé à un concours que Pan
et (( s'amye », la nymphe Syrinx, ont ouvert sur les monts d'Ar-
cadie, et tu le reverras avant peu, vainqueur de ces dieux musi-
ciens et rapportant le prix du mieux sonnant, la riche flûte d'or
à neuf pertuis. — Outre ces deux pièces qui ont, l'une et l'autre,
beaucoup d'agrément, on pourrait encore citer quelques vers
[G. III, 190] où Marot a finement introduit Claude de Guiss
et son frère Jean. Ils se lisent, ces vers, dans l'épître qui met
en scène le valet de Gascogne, et furent, par suite, rimes en
1532... C'est le dernier texte à alléguer. L'écrivain, désormais,
ne fera plus figurer, en ses œuvres, le nom de son ancien pro-
tecteur, et renoncera à conserver ensemble la sympathie des
Réformés et l'appui de ce prélat romain.
107. La suite naturelle d'une monographie de Jean de Lor-
raine serait une étude relative à son collègue et ami, Jean Du
Bellay. Ces deux peisonnages nous apparaissent, en effet, sem-
blables à bien des égards, et leurs goûts ainsi que leur carrière
présentent une analogie manifeste. — Jean Du Bellay, frère de
ce Guillaume de Langey qui mena, les yeux uniquement fixés
sur Icroi et la patrie, une belle vie de diplomate et de soldat,
entra, lui, dans les ordres, et parvint, suivant en cela l'exemple
de Jean de Lorraine, à détenir un très grand nombre de digni-
tés et de bénéfices. Évêque de Bayonne (1526), de Paris (1532),
de Limoges (1541), du Mans (1546), promu cardinal le 21 mai
1535, il reçut, en outre, l'abbaye de Saint-Maur (1532) et l'ar-
chevêché de Bordeaux (1544). Il y aurait eu là de quoi enrichir
une demi-douzaine d'ambitieux. Mais lui, avec tant d'or affluant
de tant de sources, gérait ses finances si négligemment et me-
nait un train à ce point onéreux, qu'il lui fallait sans cesse re-
courir aux emprunts. Ce luxe et ce désordre sont des raisons
nouvelles de le comparer au frère de Claude de Guise, dont il
se rapproche encore en ceci qu'il ne résida guère où il avait
charge d'âmes, et qu'il a joué le rôle plutôt d'un agent de la
couronne que d'un prêtre.
108. Moins intermittent et mieux tenu que celui du cardinal
de Lorraine, ce rôle, à certaines heures, fut très important, ca.-
Jean Du Bellay, quoiqu'il n'ait pas été à l'abri des intrigues de
cour, et qu'il ait connu, lui aussi, le flux et le reflux de la fa-,
72 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
veur, est demeuré fidèle à ses maîtres, et les a, avec autant de
zèle que d'intelligence, fort utilement servis. Ce fut surtout en
Angleterre qu'il se montra ambassadeur avise. Bien vu du roi
Henri VIII, il travailla à le détacher de Charles-Quint, à tour-
ner ses sympathies vers la France. Que fallait-il pour cela ?
Aider ce prince, qui voulait répudier Catherine d'Aragon, tante
de l'empereur, à obtenir l'assentiment ou, si l'on préfère, la
complicité de l'Église. Cette affane, qui allait amener tout un
peuple à la Réforme, agitait jusqu'au fond le monde chrctien,
passionnait, divisait les politiques. Henri avait consulté, mé-
prisant l'opinion du saint-siège, les principales universités. Que
répondraient-elles ? Que répondrait la Sorbonne, ce foyei, ce
tem^ple de la théologie traditionnelle ? On attendait son avis
avec angoisse. Les docteurs de l'insigne Faculté étaient loin
d'être d'accord : l'argent, les manœuvres des partis en cause
les avaient disposés diversement, en sorte que les uns, pour
complaire au roi anglais, ne blâmaient point le divorce, tandis
que les autres le condamnaient afin d'être agréables à Charles-
Quint et au pape. L'intraitable et bruyant Noël Béda conduisait
à la bataille ces soldats français de Clément VIL Aussi la pre-
m.ière séance fut-elle orageuse. Il n'y eut pas discussion, mais
émeute. Jean Du Bellay, rappelé de Londres, résista à tous les
assauts de Béda, lui tint tête avec acharnement, fit, dit-on,
des prodiges d'éloquence, et réussit ultérieurement à arracher
la sentence qu'il souhaitait (juin-juillet 1530).
109. Au reste, la peine qu'il avait prise n'eut pas les résultats
durables qu'il espérait. L'entente anglo-française ne régna qu'un
temps, et Montmorency, dès qu'il fut connétable, s'appliqua à
brouiller François pr et Henri VIII. Celui-ci finit par se rap-
procher de l'empereur ; il envahit (1544) la Picardie, et ce fut
encore Jean Du Bellay qu'on lui envoya pour tâcher de le ré-
soudre à la paix... La carrière de cet habile négociateur ne se
termine pas ici, et, plus tard, il défendit les intérêts de la France
à Rome, où, d'ailleurs, il était déjà allé — et non pas une fois —
en ambassade. Des voyages qu'il y a faits entre 1534 et 1547
je dirai bientôt quelque chose. Quant à sa dernière mission en
Italie (à partir d'avril 1553), il n'y a pas lieu de s'en occuper
maintenant, et j'en parlerai, le moment venu, à propos du poète
Joachim et de ses émouvants Regrets.
110. En somme, c'est surtout parce qu'ils furent l'un et l'au-
tre des Mécènes qu'il y a lieu d'étudier ensemble Jean de Lor-
raine et son ami Du Bellay. Ce dernier aimait, recherchait les
savants, les gens de lettres, les artistes. Ce fut lui qui commença
la fortune de Philibert de l'Orme : il l'accueillit lorsqu'il se
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 73
décida à quitter Lyon, le chargea de construire son château de
Saint-Maur, et, lui fournissant ainsi l'occasion de révéler sa
maîtrise, le fit connaître à la cour. Cet édifice, au moins en ce
qui concerne le gros œuvre, était achevé en 1544, puisque, durant
l'été de cette année-là, le roi vint le visiter, et y resta même
tout un mois. Demeure, en effet, royale ! Les contemporains
ont pris plaisir à la célébrer : mais l'admirable ordonnance et
la grâce du bâtiment semblent, pourtant, les avoir moins séduits
que son cadre. De vastes jardins, qu'animait un peuple de sta-
tues, entouraient la maison comme un décor. L'architecte avait
invité ou contraint la nature à collaborer avec lui ; eUe s'était
accommodée à ses intentions, ajoutant les beautés qui lui sont
propres à celles que le génie avait créées. Et c'était vraiment
là un palais selon les goûts, l'esprit de la Renaissance, autre
chose qu'un logement, un abri. On y pouvait jouir, sous le ciel
libre, du charme des eaux, de la verdure, et se refaire (rêve de
ce temps-là !) une âme païenne dans la société du dieu Pan
ou par le commerce des nymphes. Sans doute, c'est ce qu'entend
signifier Rabelais lorsque, dans la dédicace de son Quart-Livre,
il appelle un « paradis de salubrité « le domaine du cardinal,
et ajoute qu'on y trouve « aménité, sérénité, commodité, délices,
et tous honestes plaisirs de agriculture et vie rusticque ». Phi-
libert de l'Orme n'eut pas à regretter d'avoir construit ce châ-
teau : ses soins et sa peine lui furent assez libéralement payés
pour qu'il devînt lui-même propriétaire à Saint-Maur, où il
possédait, à la fin de sa vie, des jardins, lieux et maisons. Cela
prouve que Jean Du Bellay jugeait que l'artiste l'avait bien
servi, et qu'il se plaisait fort en son Éden. Mais il n'y a guère
séjourné que durant ses années de défaveur et, notamment, de
1550 à 1553. Il ne s'ennuyait pas, ne regrettait rien : son parc,
ses fontaines le consolaient, et puis il avait toujours, comme
hôtes, quelques-uns des érudits ou des écrivains qu'il protégeait,
111. On lui connaît beaucoup de clients : Louis des Masures
qu'il accueillit errant, fugitif, et qu'il garda chez lui plus d'une
année, Michel de l'Hospital, Etienne Dolet, François Vatable,
Jacques Toussaint et la plupart des lecteurs royaux. Il avait
contribué à l'institution de l'académie trilingue, et les pro-
fesseurs, grâce à lui, parvenaient à être payés non pas à date
fixe (c'eût été trop beau ), mais de temps en temps. Il fut aussi
le patron du poète Jean Visagier.
112. Et le patron, surtout, de Rabelais ! Voilà, à nos yeux,
son meilleur titre. Secrétaire et médecin du cardinal, l'auteur
du Gargantua paraît s'être rendu indispensable à son maître
par sa joyeuse ironie, sa science encyclopédique et ce don qu'il
74 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
avait de s'intéresser également à toutes les idées, à toutes les
découvertes nouvelles, et d'en parler avec passion. Trois fois
Jean Du Bellay l'emmena ou l'attira en Italie. Lors du premier
voyage, en 1534, Rabelais explora les ruines de Rome, pratiqua
des fouilles, essaya de retrouver, sous la ville moderne, l'as-
siette de l'ancienne ville. Il était, en ce travail, aidé par deux
jeunes hommes qui appartenaient, eux aussi, à la maison du
prélat français. L'un, qui avait enseigné le droit à Bourges où
il s'était lié avec Calvin, se nommait Nicolas Leroy ; l'autre,
c'était ce Claude Chappuys qui devait, comme poète courtisan,
fournir une heureuse et longue carrière... Le deuxième voyage
(1535-1536) serait facile à raconter d'une manière assez détail-
lée, en se fondant sur les lettres que Rabelais écrivit à Geoffroy
d'Estissac, évêque de Maillezais. Par elles nous savons que nos
gens — Chappuys n'était pas avec eux ; on l'avait laissé en
France — passèrent à Carmagnola le 18 juillet, puis s'arrêtè-
rent à Ferrare oii résidaient alors Clément Marot, Lyon Jamet,
le médecin Manardi et l'ambassadeur Jean de Langeac, évêque
de Limoges. Le cardinal et ses « domestiques » ne restèrent à
Ferrare que cinq jours, et arrivèrent à Rome le 31 juillet ou le
I" août...
113. Quant au troisième voyage, il eut lieu au mois de juin
1548. Maître François l'entreprit à la prière de son bienfaiteur
qui, malade à Rome, l'y appela. Ce fut pendant ce dernier séjour
que, pour célébrer la naissance du duc Louis d'Orléans, fils
puîné de Henri II, Du Bellay, Horace Farnèse et Robert Strozzi
organisèrent une magnifique « sciomachie », comprenant des
scènes mythologiques et guerrières, un carrousel, un banquet,
des feux d'artifice, des feux de joie (mars 1549). Ces jeux où
Diane chasseresse avait un rôle éminent, et qui glorifiaient la
favorite plus encore que le petit duc, se déroulèrent sur la place
Sant'Apostolo, devant le palais du cardinal. Rabelais nous a
laissé une relation minutieuse, savante et pittoresque de cette
fête, à la préparation de laquelle il avait, du reste, collaboré...
Mais ne poussons pas plus avant l'exposé de ses rapports avec
son Mécène. Cela nous entraînerait trop loin, et il nous suffit
d'avoir montré la largeur d'esprit, la tolérance de ce haut digni-
taire de l'ÉgHse qui aimait et comprenait un penseur libre et
hardi, un homme odieux à la Sorbonne, et que François de
Tournon, le regardant comme complice de tous les « maulvais
paillards », aurait bien voulu emprisonner [Heulhard, 92].
114. Pourtant Jean Du Bellay ne se montrait pas hostile aux
gens de lettres qui, gardant une intacte orthodoxie, se faisaient,
en leurs œuvres, les défenseurs ou les interprètes de la religion
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 75
traditionnelle. S'il n'avait pas été, plus tard, sévère pour Joa-
chim et ses âpres censures des mœurs ultramontaines, je dirais
que, pourvu que les auteurs eussent du talent, il ne leur deman-
dait pas compte de leurs opinions. Aussi voyons-nous autour
de lui, dans son intimité, des hommes dont les idées, quoique
divergentes, semblent lui avoir plu également. Il a reçu tour
à tour (et peut-être à la fois), dans sa maison de Saint-Maur,
le prophète des temps nouveaux, le fondateur de Thélème, ce
temple de la Raison affranchie, et le pieux Salmon Macrin, le
poète des hymnes à la Vierge. Celui-ci, à en juger par les nom-
breux témoignages que nous avons de sa gratitude, a dû être
comblé par le cardinal, car il l'exalte presque à chaque page de
ses livres, et lui dédie au moins vingt pièces. Bien mieux, il se
fait son éditeur, et c'est lui qui, à la suite de ses Odarum libn
très, présente au public les vers de son patron. Ils sont précédés
d'une lettre à l'évêque de Mâcon, Pierre Duchâtel. Je me per-
suade, lui dit Salmon Macrin, que tu liras avec joie et profit
les édifiantes, les délicates choses que Du Bellay, à ses heures
de loisir, a écrites. Il comptait les tenir cachées, et c'est à son
insu [mensonge officieux et sans conséquence] que je les met?
en lumière.
115. Les poésies ainsi divulguées prouvent que le cardinal
avait fait d'excellentes études, mais que l'imagination lui man-
quait. Il fut, peut-être, « élégantissime » ; il ne fut sûrement ni
inspiré ni profond, et il a plutôt l'air, lorsqu'il aligne ses faciles
strophes néo-latines, de sacrifier à la mode que de céder à une
inclination naturelle. Quoi qu'il en soit, il veut tirer de ses vers
un bénéfice, et il entend qu'ils servent à démontrer qu'il est
bon catholique et, surtout, fidèle sujet du roi. De là quelques
pièces que Noël Béda aurait approuvées, et beaucoup d'autres
où se révèle le courtisan, voire le flatteur. Souvent il s'adresse
à François I^^", le remerciant, par exemple, de l'avoir honoré
d'une visite ou lui offrant d'antiques statues. La famille royale,
on le devine, n'est pas oubliée. Catherine de Médicis reçoit, se
trouvant enceinte, un « prognosticon ■) réconfortant. Mais c'est
à la jeune pi incesse de Navarre que vont, de préférence, les
hommages, les madrigaux et les propos plaisants de notre pré-
lat. En ses vers, on rencontre Jeanne d'Albret à chaque moment :
tantôt, petite épouse mal résignée, elle feint d'être prête (pure
comédie !) à rejoindre son mari en Allemagne, et les nymphes
de Saint-Maur pleurent ce départ qui n'aura pas lieu ; tantôt,
arrivant en ce même Saint-Maur, elle contemple les marbres
apportés de Rome que l'on a placés à l'entrée du château, pro
foribus ; ici, elle quitte ce séjour enchanté, et, là, Du Bellay
76 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
se plaint d'un adversaire qui l'a, affirme-t-il, iniquement
accusé. On ajoutera que si l'ode saphique dédiée au précepteur
de Jeanne, Nicolas Bourbon, rend justice aux talents du maî-
tre, c'est surtout à l'élève qu'elle prodigue les compliments. Ce
Bourbon, à demi luthérien, voisine, en ce recueil, avec des per-
sonnages bien difféients. Plusieurs poèmes sont écrits pour Jean
de Lorraine : l'un a le caractère d'une édifiante méditation ;
deux autres racontent les chagrins de l'auteur accablé par des
calomnie? qui renaissent, pleines de vigueur, alors qu'on les
croyait étouffées... Signalons, aussi, dans ce groupe ad familia-
res, une sorte d'épître à Salmon JMacrin et des vers qui invitent
Jacques Colin à venir se reposer aux champs, urhe et joro
rclictis.
116. Ce Jacques Colin, pour qui le cardinal ouvrait toutes
grandes les portes de Saint-Maur, était lui-même un poète (du
moins, il faisait des vers), un savant, un protecteur des let-
tres, en sorte que notre revue des Mécènes, nous pouvons bien
la finir par lui. Il est né à Auxerre ou près d'Auxerre, et paraît
avoir appartenu à une famille assez modeste. Il ne tut donc pas
de ceux que le roi ou l'Église dotaient richement dès le ber-
ceau, et qui recevaient, en guise de hochets, des titres ou même
des charges. Aucune bonne fée n'accourut à son baptême ; il
lui fallut construire sa fortune et ne compter, pour percer peu
à peu, que sur ses propres mo3^ens. D'abord nous le voyons au
service d'Odet de Foix, seigneur de Lautrec, qui, le 4 août 1521,
l'envoie en mission à Venise ; puis Louise de Savoie lui accorde,
vers 1524, le revenu du greffe de Chantelle et l'office de correc-
teur des comptes à Moulins ; un peu plus tard (1526), il parvient
à entrer, en qualité de valet de chambre, dans la maison de
François I^^, auquel, de diverses façons, il va se rendre agréable.
Ici commencent ses années brillantes et le notable rôle qu'il joua
longtemps.
117. Rôle, avant tout, diplomatique... Jacques Colin, en
effet, a beaucoup voyagé par ordre du roi, et ses ambassades,
grâce à M. Bourrilly, nous sont exactement connues. Dès le mois
de juin 1526, on le trouve chez le duc de Savoie, Charles III,
qu'il s'agit de décider à laisser libre passage aux troupes fran-
çaises et à fermer aux Impériaux ses frontières ; peu après,
il s'achemine vers la Suisse, négocie avec les Cantons, et obtient
un plein succès ; l'année suivante, en septembre, il part pour
l'Italie où l'attendait une tâche difficile.
118. Gênes, récemment recouvrée par François P^' (iS août
1527), désirait que ce prince lui conservât l'ancienne supréma-
tie qu'elle exerçait sur Savone, et il était à craindre, si on lui
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 77
refusait satisfaction, que sa fidélité ne durât point. La cour,
cependant, hésitait, et l'on confia à Jacques Colin le soin d'étu-
dier cette affaire. Il se persuada, à peine arrivé en Ligurie, qu'il
n'était pas à propos d'écouter la requête des Génois ; qu'il fal-
lait leur opposer, non leur soumettre Savone, et rendre cette
cité assez puissante pour les maintenir dans le devoir. Cet avis
prévalut, et l'on travailla aussitôt à fortifier Savone. Alors,
mécontents, indignés, les bourgeois de Gênes se plaignirent hau-
tement ; un parti se forma qui prêchait la défection, et chacun
blâmait, maudissait le principal coupable, l'agent du roi. C'est
un homme — écrit, en février 1528, le gouverneur Théodore
Trivulce — qui est capable de tout, quand on lui offre de l'ar-
gent. Dans une lettre du 10 mars adressée à Montmorency,
l'amiral génois André Doria, embrassant avec passion la cause
de ses concitoyens, traite plus mal encore Jacques Colin : il
l'appelle « ung coquin escervellé », et affirme que « son avarice
et convoitise » vont si loin qu'il déchaînerait volontiers les pires
calamités publiques u pour mettre en bourse deux cens escus ».
Celui que l'on accusait ainsi avait-il réellement vendu son in-
fluence aux gens de Savone ? Il se peut. Espérons, pourtant,
qu'on l'a calomnié, et qu'il ne songeait pas à son profit en pré-
conisant une politique qui allait nous coûter si cher. André
Doria, en effet, perdit patience à la fin. Le 11 août 1528, ce
marin, ce capitaine admirable qu'il eût été sage de ménager
à tout prix, signa un traité avec Charles-Quint : un mois après,
le 12 septembre, ses galères entraient à Gênes ; il y rétablis-
sait la république, et la plaçait sous la protection de l'empe-
reur.
119. C'était, pour la France, un vrai désastre. Mais il ne pa-
raît nullement qu'on ait gardé rancune à Jacques Colin. Tant
s'en faut ! Nous le voyons, à son retour d'Italie, plus en faveur
que jamais. Il devient, d'abord, lecteur du roi, puis obtient,
en 1530, l'abbaye de Saint-Ambroise, au diocèse de Bourges.
François I^^ le 28 avril 1531, lui donne cinq cents écus soleil,
et il ajoute bientôt, à ces libéralités déjà grandes, les abbayes
d'Issoudun, d'Olivet et le titre (1534) d'aumônier ordinaire.
Mieux encore : les tristes résultats de sa mission auprès des deux
villes liguriennes n'empêchent pas Colin d'être choisi pour de
nouvelles négociations. Quatre fois, il se rend chez le duc de
Gueldre (1533-1536), et a même l'honneur, en sa seconde am-
bassade, de conclure un acte important, le traité d'Amersfoort
(14 octobre 1534), par lequel, moyennant finance, le duc s'en-
gageait à «servir bien et loyaulment le... Roy... par terre et
par mer, envers et contre tous (entendez contre Charles-Quint),
78 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
tant en offendant qu'en deffendant ». [Bourrilly, 76.] L'abb? de
Saint-Ambroise avait, à ce coup, bien manœuvré : mais l'heure
vint où il cessa — lui comme tant d'autres — de plaire au
maître. Ce ne fut pas, si l'on veut, la disgrâce ; ce fut l'oubli, ce
fut le délaissement. La chaige de lecteur royal passa, en 1536, à
Pierre Duchâtel. L'ancien titulaire reparut à la cour de temps en
temps : mais son étoile avait beaucoup pâli, et il mourut (1547)
sans avoir regagné la faveur dont il avait joui précédemment.
120. Comment faut-il se représenter ce personnage ? On se
tromperait fort si on se le figurait j oignant la réserve du diplo-
mate à une austérité monastique. C'était, d'après le portrait
que des Périers (?), en ses Nouvelles, a tracé de lui, un gaillard
trapu, « bien amassé », jovial, abondant en propos plus facétieux
que charitables, prompt à l'attaque ou à la riposte, et que l'on
pourrait [Bourrilly, 90-1] comparer à frère Jean des Entom-
meures, n'était que celm-ci nous est dépeint « bien advantagé
en nez » [G., XXVII], tandis que M. de Saint-Ambroise avait
le nez court, troussé, émoiissé. On en riait, et il en riait lui-même,
car ce railleur impitoyable se moquait de lui comme des autres.
Ses vives répliques, sa gaieté, sa brusque franchise ont dû con-
tribuer, au moins autant que son « bon sçavoir » et son « bon
cerveau >\ à ses succès à la cour, le roi aimant encore mieux être
amusé que servi. Des Périers (ou l'auteur, quel qu'il soit, des
Joyeux devis) rapporte, les jugeant dignes de mémoire, quelques
traits d'esprit de Jacques Colin. Il était toujours en gueire avec
ses moines, qui ne négligeaient aucune occasion de lui rendre
la vie dure. Lui, pour se venger, les contraignait à suivre très
exactement la règle de leur ordre, et les faisait, à force de jeû-
nes, mourir de faim... François I" lui demanda, un jour, pour-
quoi il se montrait si rigoureux. Hé, répondit -il, citant saint
Mathieu (XVII, 21), hoc genus daemoniorum non ejicitur, nisi
oratione et jejunio... Il avait, une autre fois, perdu un procès
au parlement de Paris, présidé, alors, par Pierre Lizet qui ne se
bornait pas à être féroce, mais, ignare par-dessus le marché,
s'exprimait en latin comme le Praeses du Malade imaginaire.
On lisait donc, en la sentence qui condamnait l'abbé de Saint-
Ambroise, cette phrase : « Dicta Curia debotavit et debotat
dictum Colinum de sua demanda. » Cette rédaction barbare
indigna notre élégant humaniste, et, arrivant, peu après, devant
le roi : Sire, dit-il, votre parlement vient de me faire un honneur
insigne, inattendu. — Et lequel ? — Il m'a débotté. — Débou-
té ? — Non, débotté. Deboiavii... On affirme que si François I^''
se décida à enjoindre aux juges d'user du français, cet arrêt
macaronique y fut bien poui quelque chose.
CLÉMENT AlAROT ET SON ÉCOLE 79
121i En dépit de son caractère caustique et de ses malices
acérées, Jacques Colin a eu des amis et, tant qu'il demeura in-
fluent, beaucoup de thuriféraires. Il était, contre la coutume des
parvenus, accessible et serviable. Volontiers il obligeait les écri-
vains, et il est clair qu'il eût reçu moins de dédicaces, moins de
compliments en plusieurs langues, moins d'hommages en prose
et en vers, si l'on n'avait pas eu soit à lui prouver de la grati-
tude, soit à se le concilier en vue d'un avantage futur. Il sera
question, en temps et lieu, de ses rapports avec Clément ]\Iarot
Mais, outre cet éminent poète, il a fréquenté ou soutenu les
gens de lettres dont voici les noms : Guillaume Budé qui lui
adressa, le 6 décembre [1529], une lettre pour le presser de ré-
soudre le roi à créer le Collège trilingue ; — Mellin de Saint-
Gelays, qui lui décoche une plaisanterie innocente, où se révèle
la camaraderie, non l'intention d'offenser ; — Jean Gunther
d'Andernach et Pierre Gilles, qui lui dédient, l'un et l'autre,
un livre (1531, 1533) ; — Germain Brice ; — Theocrenus ; —
les frères Du Bellay et, surtout, le cardinal ; — Louis des Ma-
sures ; — Charles de Sainte-Marthe. Celui-ci demande à Jacques
Colin de s'intéresser à ses travaux, puis, dans l'Élégie du Tempe
de France, il loue son érudition variée, pénétrante. — Chap-
puys, rimant son Discours de la court, le cite en bonne place et
avec éloge. — Jean Visagier lui consacre trois de ses Épigram-
mes. De même, lui dit-il, que Ganymède versait le nectar à
Jupiter, toi, tu offres à ton roi, ô Saint Ambroise, une ambroisie
meilleure que celle des dieux. — Salmon Macrin se montre tout
aussi flatteur, et il ne recule pas, lui non plus, devant l'hyper-
bole. Si tu es cher, proclame-t-il, à ton prince, ce n'est pas mer-
veille : ta grandiloquence a l'éclat de la foudre ; elle pourrait
amollir une roche, fléchir les tigresses d'Arménie et arrêter le
Rhône impétueux... On notera, en cette pièce, les mots : Fran-
ciscus qui te amat unice...
122. Les clients et les familiers de Colin le célébraient, on le
voit, pour deux raisons : parce qu'il protégeait les beaux-arts,
et comme ayant lui-même du génie. Le premier de ces titres
ne saurait lui être disputé ; mais il dut le second (c'est la règle !)
à la place qu'il occupait dans le monde, et, s'il avait eu moins
de bonheur, on lui aurait trouvé moins de talent. Ami des idées
nouvelles, humaniste assez distingué, causeur incisif et spiri-
tuel, bon juge du mérite d'autrui, polyglotte et polyphile,...
oui, il a été tout cela. Poète, il ne le fut jamais, et tant de qua-
htés éminentes ne l'ont pas rendu écrivain. Cependant quelques-
uns de ses travaux littéraires n'ont pas laissé d'être utiles. Ce
fut lui, on s'en souvient [cf. § 29], que François I^-^ chargea de
80 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
publier les traductions de Claude de Se\'ssel, et il donna suc-
cessivement le Thucydide, qui parut (Josse Bade, août 1527)
avec un dizain liminaire de ]\Iarot ; l'Histoire des successeurs
d'Alexajidre le Grand, extraicte de Diodorc Sicilien et « quelque
peu » des Vies de Plutarque (Josse Bade. 2 mai 1530) ; l'Histoire
ecclésiastique d'Eiisèbe, évesque de Césarée (Geoffroy Tory, 21
octobre 1532). Ces ou\Tages furent bien accueillis, et ce fut,
sans doute, ce qui décida l'éditeur de Seyssel à faire, lui aussi,
des translations.
123. Il a mis en langage vulgaire le Procès d'Ajax et d'Ulixes
pour les armes d'Achille, notable épisode de ces Métamorphoses
dont ]\Iarot, de son côté, avait paraphrasé les deux premiers
chants. Le Procès, qui fut, ainsi que les autres poésies françaises
du même auteur, imprimé dans le Livre de plusieurs pièces, est
composé en décas3'llabes. Colin n'a pas \'isé à l'exactitude, et
le texte latin est, par lui, interprété librement. Au reste, c'est
là une version à laquelle il semble n'avoir pas attaché grande
importance, et s'il compte parmi les traducteurs dont le nom
a mérité de sur\ivre, ce n'est pas à cause de ce passage tiré
d'Ovide, mais pour avoir tourné en français « Il libro del Corte-
giano» de Balthazar Castiglione. Il y a lieu de croire que le roi,
admirateur passionné de l'œuvre italienne, fut pour beaucoup
dans le dessein que conçut l'abbé de Saint-Ambroise de la ren-
dre accessible aux gens de chez nous. A vrai dire, il ne respecta
guère l'original, et offrit au public une très fautive adaptation.
Mais s'il resta au-dessous de sa tâche, la peine qu'il avait prise
ne fut pourtant pas inutile : ce fut grâce à lui que nos écrivains
connurent, étudièrent, imitèrent dès 1537 ce traité du Courti-
san qui, mieux traduit dans la suite, a exercé une réelle influence
sur les mœurs courtoises et le platonisme de la Renaissance.
124. A supposer que nous les possédions en entier, les œuvres
personnelles de Jacques Colin se réduisent à peu de chose. Il
n'existe (ou ne subsiste) de lui qu'un petit nombre de brèves
poésies latines, imprimées avec celles de Theocrenus, et que
trois pièces de vers français : une Épistre à une dame, que ]\Iarot
inséra en 1535 dans son Adolescence clémentine ; un dialogue
de Vénus et Cupido ; et — s'il est vrai qu'on doive attribuer à
un homme célèbre par son esprit une si niaise production — la
Conformité de l'Amour au Navigaige.
125. Je pense, que l'idée de cette « conformité » n'appartient
pas en propre à l'abbé de Saint-Ambroise, et qu'on trouvera,
quelque jour, la source où il a puisé. Rien, à cette époque, n'est
plus ordinaire que des comparaisons de cette espèce ; on peut
rapprocher un tel poème des « Temples » chers aux rhétoriqueurs
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE SI
et le titre qui lui conviendrait le mieux serait, il me semble,
h Temple de Vénus marine. L'art, en ces parallèles, consiste à
établir, entre des choses qui n'ont guère d'analogie réelle, une
relation spécieuse, et donc il s'agissait, pour le cas choisi par
Colin, de faire croire au lecteur que la vie de l'amant et celle
du matelot abondaient en traits communs. Eh bien, on arrive
aisément à découvrir des rapports, et ce n'est là qu'un exercice
verbal.
126. Quand on veut, déclare l'écrivain, aller sur mer, on com-
mence par armer un vaisseau : moi, je me suis armé de cons-
tance ; — le mât du navire soutient les voiles : le désir soutient
mon courage ; — on se dirige, sur les flots, au moyen du gou-
vernail : mon gouvernail, à moi, c'est la foi ; —
Un guet assis est au hault de la hune,
Ou pour surprendre ou pour n'estre surpris :
Je guette assez les moyens d'en prendre une,
Mais, en cuydant la prendre, elle m'a pris.
Chaque fois, Madame, que je vous perds de vue, je me sens
en proie à la tempête, et de même que les nefs risquent, après
avoir heurté un récif, de « submerger dedans l'eau », ainsi je me
briserai, j'en ai peur, <( contre le roc de vostre cruauté ». Le
pilote, pour suivre la bonne route, ne quitte pas des yeux l'étoile
polaire, vers laquelle ne cesse de tendre l'aiguille aimantée ;
et moi aussi, j'ai un astre qui me luit : vous, « ma Transmontane
claire » ! Puissé-je, comme le marinier arrive au port, atteindre
le havre de vos grâces ! ... La symétrie, on le voit, paraît complète,
et rien ne manque au double tableau. Pas même le mal de mer.
Mais ceux qui aiment sont, à cet égard, plus à plaindre que les
navigateiurs. Le temps remédiera aux douleurs de ces derniers,
et ils ont la ressource de rendre leur gorge, tandis que l'homme
violemment épris souffre de jour en jour davantage, et ne re-
jette point au dehors ce qui le trouble intérieurement... Et
voilà un nouveau rapport. L'auteur s'étonne, à la fin, d'en avoir
trouvé tant et tant, et observe que l'industrie marine ne pou-
vait manquer d'être conforme à l'amour, puisque Aphrodite est
sortie de l'onde.
127. Telles sont les gentillesses à quoi, entre deux ambas-
sades, s'amusait M. de Saint-Ambroise. De pareils vers, loin de
servir sa mémoire, lui nuisent plutôt, et s'il s'était borné à ce?
jeux d'esprit, l'histoire littéraire ne serait pas tenue à le citer.
Mais ce rimeur médiocre et, d'ailleurs, intermittent fut aussi
un traductem zélé, sinon fidèle, un apôtre des doctrines libé-
Ciémeut Marot et son école C
82 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
raies, un patron pour ceux qui les professaient. Et voilà ce dont
il est équitable de se souvenir. Les actes de Jacques Colin valent
mieux que ses écrits, et il s'impose à notre attention moins
parce qu'il a produit quelques faibles œuvres que pour avoir
défendu ceux qui en faisaient de bonnes. Sa petite renommée,
en conséquence, il la doit à ses clients, à ses amis, — et, sur-
tout, au plus célèbre d'entre eux, à l'éminent poète Clément
Maiot, dont nous allons à présent nous occuper.
BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES
76. Parmi les livres dédiés ou présentés à Louise de Savoie, en voici un qui mérite
d'être signalé : Chants royaux et Tableaux de la confrérie du Puy Noire-Dame d'Amiens
reproduits, en 1517, pour Louise de Savoie. [B. X. fr. I45-] Ce recueil a été publié par
G. Durand, (Paris, Picard). — Bourbon, Nugae, p. 95, n» XV ; Héroet, 'Œuvres [Gohin],
p. 115. La première de ces épitaphes est quelconque ; la seconde, vraiment remarquable,
pourrait s'intituler Consolation. S'adressant à un a viateur », la morte elle-même rappelle
qu'elle fut mêlée à de graves événements, puis énumère les raisons tant religieuses que
philosophiques pour lesquelles les vivants ne doivent ni la juger (car la chair les empêche
dediscemerlebiendumal),nilapleurer, attendu que son âme, a ancelle »de la divinité,
a, sans murmure, quitté le monde. — E. Picot, Rec. général des sotties, II, 299-301,
77. Journal de Louise de Savoie [Petitot, XVI], 390, 39S, 403. C'est aux ch. 2 et 5
du V^ livre des Commentaires qu'il est question du Portus Itius, lequel, sans doute, n'est
point Calais. On notera, d'autre part, que César n'a point mentionné Caletum, mais
(au pluriel et désignant un peuple) Caletes et Caleti (II, 4 ; VII, 75 ; VIII, 7). Ainsi
Louise de Savoie prend un nom d'homme pour le Pirée. Érudition de grande dame...
78. A notre connaissance, Louise de Savoie a écrit deux rondeaux et une épître;
Onles trouvera dans le recueil de Champollion-Figeac, pp. 21, 147, 173.
79. La première des trois pièces indiquées ci-dessus est unç imitation du rondeau de
Marguerite: Ce n'est qu'un g cueur... [Ibid., 17). — Pour lebillet en vers des jardiniers de
Fontainebleau, cf. ibid., 120.
83. Le ms. fr. 1700 de la B. N. contient : i 1°, Les adieux des dames de la court.... ;
36 i», un huitain; 48 v-o, un dizain; 78 vo, six autres dizains. — E. Picot a publié, outre
Les adieux des dames, l'épître à l'écuyer Sala. [Français italianisants au XVI^ s., I,
105 sqq.)
84-92. F.deLasteyne,Ungrandseigneurdu XV I« s.: Le connétable de Montmorency.
(Gazette des Beaux-Arts, 21^ année, 2« période, 1879, t. XIX, pp. 305-320 ; t. XX,
pp. 97-114). — Francis Décrue, Anne de Montmorency à la cour, aux armées et au conseil
du roi François I^'. Thèse de Paris, 1885.
88. Leroux de Lincy, Rec. de chants histor. fr., 2* série, pp. 204-6. Si l'on désire avoir,
sur l'aventure de Jeanne de Halluie, des renseignements plus détaillés, on les trouvera
chez Edouard Bourciez, Les mœurs polies et la litt. de cour sous Henri II, (Thèse de Paris,
1886, pp. 373-384).
89. Les passages entre guillemets sont tirés des Mémoires de la vie du Mareschal de
Vieilleville [Nouv. Coll. des mémoires pour servir à l'Hist. de Fr. (Michaud et Poujou-
lat),t. IX; Paris, 1838], pp. 53, 59-60. — On notera aussi (p. 88) ces mots : Montmorency
0 qui estoit un second roy en France »...
90. Sur le testament du comte de Chateaubriand, cf. ibid., 27-30.
92. Rapports de Jean Goujon et d'Anne de Montmorency : voyez A. de Montaiglon,
Gazette des Beaux-Arts, 1884, t. XXX, p. 388. — On observera que, dans la dédicace de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 83
son Vitruve, Jean Martin dit au roi à propos de Jean Goujon : « ...N'aguères architecte
de Mgr le connestable et maintenant l'un des vostres. »
93. Les renseignements sur les relations de Clément Marot avec le connétable sont
empruntés à G. Maçon, Poésies inédites de Cl. M. [Bull, du Bitlioph-de et du Bibliothé-
caire, 1898), pp. 157-8. — Claude Chappuys, qui a dédié à Anne le Panégyrique récité au
...Roy..., a fait, en outre, son éloge dans La Réduction du Havre de Grâce. — La pièce
offerte à Montmorency par Salmon Macrin se lit à la p. 8 du livre intitulé : Salmonii |
Macrini Iulio- j dunen. Cubicularii J regii bymnorumlibri sex. Ad lo. | Beliaiû, S.R.E.
Cardinalem ampliss. Il CumPriviiegio Régis. || Parisiis. | Ex officinaKobertiStepbani.
I M. D. XXXV M. ln-8°, 238 pp. chiffrées ; car. ronds. — Quant à l'hymne De obUu
lac. Fabri Stapulensis que j'ai mentionné incidemment, on le trouve à la p. 119 de ce
même volume.
94-99. Le Triomphe et les gestes de Mgr Anne de Montmorency connétable, Grand-
Maitre et Premier Baron de France, Poème de Jean de Luxembourg publié [la préface
porte la signature de L. DelisleJ d'après le ms. original de l'ancienne librairie de Chantilly
appartenant à M. le marquis de Levis. Paris, impr.nat., 1904. In-4°deXXVI-65 pages. —
Tous les renseignements que je donne sur l'auteur du Triomphe et la bibliographie de
ses œuvres sont empruntés à L. Delisle.
95. Les accusations de Marc Tulles Cicero contre C. Verres, citoyen de la ville de Rcmme,
traduictes de latin en français par Jehan de Luxembourg. Bibliothèque de Chantilly,
ms. original. Le texte est précédé d'un dizain et d'une épître en prose adressés <• a mon-
sieur le Grant Maistre ». — Épître sur la beauté de l'Orne et du corps. B. N. fr. 14991.
96. Traduction du Phédon : B. N. fr. 1081. L'exemplaire original se trouve au Musée
Condé. — L'Oraison & Remonstrance de haitlte & puissante dame Marie [Sic. Lire Anne]
de Clèves, sœur de très hault & puissent seigneur le duc de Juilliers, de Clives & de Guel-
dresjaicte au roy d'Angleterre &asonconseil. \\ Ala fin: Faciebat JohannesaLuxembur-
go. Imprimé à La Rivou par maistre Nicole Paris, maistre es arts, très humble & très
obéissant serviteur de hault & puissant seigneur missire Jean de Luxembourg. S. d,,
mais vers 1545. Bibliothèque de Troyes [Réimprimé à Paris pour Charles l'Angelier,
en 1552]. — De l'institution du Prince : livre contenant plusieurs histoires, enseignements
& saiges dicts des anciens, tant grecs que latins, faict et ccmpcsé par maistre Guillaume
Budé... Reveu, enrichy d'arguments, divisé par chapitres & augmenté de scholies & anno-
tations par hault & puissant seigneur missire Jean de Luxembourg, abbé d'Iviy. Imprimé
à L'Arrivour, abbaye du dict seigneur, par maistre Nicole Paris; 1547. In-fol. de 212
pages. [M. L. Delaruelle a fait voir (G«27/awweB«rf£', Thèse de Paris, 1907, pp. 244-5)
de quelle façon cavalière l 'abbé d' Ivry a traité l'ouvrage édité par lui.]
99. La Connestablerie de Piedmond, Prouvance et Picardie, Faict le jour que Mgr M.
Anne de Monimorensi fut créé connestable. Au dict seigneur par frère René Macé. (Musée
Condé). — Il existe, sur l'air A dieu, m'amye, à dieu, ma rose...-, une chanson relative à la
cérémonie officielle de Moulins. Cf. E. Picot, Chants histor. fr. du XVl'^ s. [Revue d'hist.
litt. de la Fr., 1896), pp. 385-6. — Est-il utile de dire que je n'ai eu nullement l'intention
de citer tous les écrivains qui ont pu louer Montmorency ? On en pourrait mentionner
plusieurs dont je n'ai point parlé et, par exemple, Ronsard. Cf. Blanchemain, II, 36 ;
III, 344 ; V, 73, 97, 329 ; VI, 301 [Le Temple de Messeigneurs le Connestable elles Chas-
tillons] ; VII, 78, 208 [Epitaphe] et passim.
101-106. Le Caiholicque Enterrement de Feu Monsieur le Reverendissime cardinal de
Lorraine,... qui trespassa a Nogen sur Yonne le dixhuitiesme de May, mil cinq cens cin-
quante. Faict par Edmond du Boullay, roi d'armes de Lorraine. A Paris, par Jehan
d'Allier... et par Lazare Grenet... 1550. — Albert Collignon, le Mécénat du cardinal
Jean de Lorraine ; Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1910. (Annales de l'Est, 24» année,
3« ser., t. I.)
102. De Thou, Historiarum suitemporis libri CXXXVIII (Genève, 1626), I, 182. —
Brantôme (édition Ludovic Lalanne), IX, 481.
105. 1° Salmonii Ma- | crini Ivliodvnensis [cubicularii Regii,Hymiiorumse |lecto-
84 CLÉMENT MAROT ET SON ECOLE
rum libri très. I Ad illustrissimum principem lo.Lotharingium | Cardinalem amplissi-
mum. 1 1 Parisiis. — Ex officina Roberti Stephani Typographi Regii. | M. D. X. L. (Les
trois dédicaces à Jean de Lorraine se trouvent aux pp. 3. 44, 75)- — 2'>Ioannis Vulteii...
Epigrammatum libri III (i537), PP- 3 et 7. [Quel était le nom français de l'écrivain
qui signait en latin Vulteius ? J'emploie la forme e. Visagier i> qu'admettent certains
critiques : mais d'autres ont préféré traduire VuUcius par Voulté ou même par Faciot.
Jusqu'à ce qu'un document nous révèle la forme authentique, on restera libre de choi-
sir]. — 3° Dolet, Epigr., I, 69 : « Permitterent superi, et eo nos cumularent | Bono,
ut qui ad aures Régis assident tam aequo | Essent animo erga litteratos quamsemper |
Tepraebuisti !... » Pourl'épître adressée au cardinal, cf. Second Enfer (édition de 1868),
pp. 22-3. — 40 Nicolai Borbonii... Nugarum libri octo (1538), p. 405. Voyez aussi p. 338
(vœux pour le i^'^ janvier de l'année 1535, v. s.) et le n» 117 du livre VII. — 5" Laurentii
Pilladii, canonici ecclesiae Sancti Deodati, Rusticiados libri sex... | JMetis, ex of&cina
loannis Palier, 1548. (La Rusticiade a été traduite par Dupeux. Nancy, Berger-Levrault,
1875.)
106. Non content de dédier la Contr'amye à Jean de Lorraine, Charles Fontaine, en
sa Fontaine d'Amour, a ouvert, par un quatrain adressé à ce même personnage, le second
livre de ses épigrammes. — Des Périers, VoyagedeLyonàNostre-Dame-de-VIsle, (Lacour,
I, 65). On trouve, dans les nouvelles attribuées à Bonaventure, un court récit où il est
question du cardinal. (Ibid., II, 365).
107. H. Chamard, JoachimDu Bellay (Thèse de Paris, 1900), pp. 272 sqq.
110. H. Clouzot, Philibert de rOrm-e, (Paris, Pion, 1910), pp. 39-42-
111. Bourrilly, Jean Voulté et le cardinal Du Bellay, (Revue de la Renaissance, t. 1 1,
[1902], pp. 192 sqq.)
112-113. Arthur Heulhard, Rabelais. Ses voyages en Italie. Son exil à Metz. Paris,
Librairie de l'Art, 1891. In-40 de X-404 pages. — Lettres écrites d'Italie par François
Rabelais... Nouvelle édition critique... par V.-L. Bourrilly. Paris, Champion, 1910.
( Publication de la Soc. des Études rabelaisiennes.) — La Sciomachie & fe- | stins faits
a Rome 1 au Palais de monseigneur reverendissime J Cardinal Du Bellay, pourl'heureuse
naissance de monseigneur | d'Orléans. | Le tout extraict d'ime copie des lettres escri- [
tes a monseigneur le reverendissime car-| dinal de Guise, par M. François Rabelais |
docteur en medicine. || A Lyon, J Par Sebastien Gryph. ) M. D. XLIX.
114. Salmonii Macrini luliodunensis Odarum libri très ad P.Castellanum Pontificem
Matisconum |] lo.Bellaij Cardinalis amplissimi Poemataaliquot elegantissima ad eun-
dem Matisconum Pontificem. || Parisiis. Ex officina Rob. Stephani typographi Régi j.
M. D. XLV I. — Voici l'indication (peut-être incomplète) des poésies de Salmon Macrin
dédiées à Jean Du Bellay: Hymnorum libri sex, pp. 3. 23, 53. 56, 81, 94, 125, 131, 158,
188, 210, 223 ; Odarum libri très, pp. 9, 15, 17. 22, 33, 44, 51. 60, 67.
115. Pièces adressées parJeanD a Bellay à François I^'ipp. 107, 108; — à Catherine
deMédicis: 116; — à Jeanne de Navarre : 150, 98, 127, 106, 138; — à Nicolas Bourbon :
143 ; — au cardinal de Lorraine : 137, 90, 94 ; — à Salmon Macrin : 128 ; — à Jacques
Colin : 141. (Ces poèmes sont rangés ici d'après la place que je leur ai donnée dans mon
texte.)
116-126. V.-L. Bourrilly, Jacques Colin, abbé de Saint- Ambroise, [Bibliothèque
d'Histoire moderne, t. I, fasc. IV] ; Paris, Comély, 1905. In-80 de 140 pages.
120. Des Périers, Nouvelles XLVII et XLVIII. (Lacour, II, 184 sqq). — Surdebotare
signifiant débouter, cf. Copley Christie, Etienne Dolet, (trad. Str},nnski), 40g.
121. G. Budé : Delaruelle, Répertoire de la correspondance de G. Budé, (Thèse de Paris,
1907), n" 165. D'après A. Lefranc {Hist. du Collège de Fr., 122), Colin aurait été, jusqu'à
sa disgrâce, le véritable directeur de la corporation des lecteurs royaux. — Mellin de
Saint-Gelays : Œuvres [Blanchemain], II, 106. [« Le beau nez de Jacques Colin... »] —
Jean Du Bellay : l'abbé de Saint-Ambroise, partant pour sa dernière mission en Gueldre,
lui écrit une lettre, le 9 mars 1536. [Bourrilly, 84.] — Œuvres poétiques de Louis des
Masures, Tournisien, (Lyon, 1557), p. 19. — La Poésie françoise de Charles de Saincte-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 85
Marthe, (Lyon, 1540), p. 70. Voyez aussi (pp. i97etsuiv.) VÉUgiedu Tempe de France:
«...Colin sonnant grec, françois et latin | Et pénétrant de l'erudite sonde | La creuse
mair de science profonde... »^JeanVisagier:/o. F«//fîî£^/g»'./i6n////, (Lyon, 1537),
pp. 9, 109. — Salmonii Macrini Hymnort.mlibri sex,-ç:ç. 160-1. — [A ces textes joignez
celui-ci encore : « Et ung autre Jacques Colin | Peult estre dit dieu Apolin, | Tant en
sçavoir comme éloquence ; 1 De telz peu trouverez en France. » Louange des bons fac-
teurs, (Montaiglon, Rec, VII, 12.)]
123. Le livre de plusieurs pièces, dent le ccntcnu est à la page suivante. Imprimé à
Paris, par Franc. Girault, pour Gilles Corrozet et ArnouH'Angelier, 1548. In-16 de 144 ff.
(Même année : Le livre de plusieurs pièces, c'est-à-dire faict et recueilly de divers autheuis
côme de Cletnêt Marot et autres... Lyon, par Thibault Payen. Petit in-S" de i27fi). —
Le courtisan j nouvellement traduict de langue | ytalique en françoys. || On les vend
[à Paris] au Palais en la gallerie près j la chancellerie en la boutique de lehan Lon | gis
et de Vincent Sartenas. In-8ode238 ff. goth. Privilège du 11 avril 1537. (Le texte original
du Cortegiano avait paru pour la première fois à Venise, chez les Aides, en 1528. La révi-
sion de la traduction de Colin par Dolet et Saint-Gelaj s fut imprimée, en 1538, à Lyon,
par François Juste ; elle est précédée d'une préface adressée par Dolet à son collabora-
teur Mellin.)
124. Benedicti Theocreni, episcopi grassensis, régis Francisct liber orum praecepioris
PoEMATA quae juvenis admodum lusit... Pictavii. M. D. XXXVI.
LIVRE CINQUIÈME
La vie de Clément Marot
BIBLIOGRAPHIE DE CLEMENT MAROT
La liste qu'on a dressée ne vise pas à être exhaustive, et l'on n'a voulu fournir au
lecteur que les renseignements vraiment utiles.
A. — LA VIE DE CLÉMENT MAROT.
I. C'esi la Vie de Clt'nitut Marot. Tome 1 des Œuvres de Cl. M. éditées par G. Guiffrey;
Cette biographie du poète est « mise au jour d'après les papiers posthumes » de G. Guif-
frey c avec des commentaires et des notes » par Robert Yve-Plessis ; Paris, Librairie
deVAri français, 191 1. In-S» de XV-572 pages.
H. Ph. Aug. Becter, Marots Lebcn, Zeitschrijt fiir fr. Spr. u. Litt., t. XLI et XL II,
1913-1914, pp. 186-232, 87-139, 1^1 1-207. — Fondée sur une connaissance étendue et
sur une clairvoyante interprétation des textes et des documents, cette solide, stricte et
très attentive étude vaut mieux que le prolixe ouvrage mentionné ci-dessus.
Observatton. On n'a pas cru devoir signaler ici les brèves et souvent romanesques
<■ Vies de Marot » qui accompagnent certaines éditions. C'est qu'on ne voit pas bien ce
qu'on gagnerait à consulter les pages fantaisistes que Charles d'Héricault, par exemple,
a consacrées à notre auteur ou le rapide curriculum que M. Voizard a tiré des notes de
Guiffrey... Quant aux recherches faites par l'abbé Goujet (Bibliothèque fr., i747> XI,
68 et suiv.), elles ont pu, à leur date, paraître curieuses : mais qui donc aujourd'hui atta-
cherait beaucoup d'importance à une enquête si peu vérifiée, tellement sommaire ?
Plus précieux, on le notera, restent les « excursus » biographiques de l'édition Lcnglet-
Dufresnoy : il y a là, parmi trop de paille, assez de bon grain.
B. — LES ŒUVRES DE CLÉMENT MAROT.
a) Éditions publiées du vivant de l'auteur.
I. Ladole- Il scence II clcmen- Il tine, autrement les œuvres de Clément Marot II de
Cahors en Quercy, Valet de chambre du II Roy composées enleagede son adolescence...
Le tout reueu, corrige, et j| mis en bon ordre. Il N.Beroaldus in démentis II Adolescen-
tiam : 1 1 Hî sunt démentis iuveniles, aspice, Lusus, j | Sed iamen his ipsis est juvénile nihil.
Il On les vend à Paris, devant Lesglise saincte || Geneuiefue des Ardens. Rue Neufue
nostre || Dame A lenseigne du Faulcheur. — Au r» du dernier feuillet : Ce présent Liure
fut acheue dimprimer le | Lundy. Xll" tour Daoust. L'an M. D. | XXXII, Pour pierre
Roffet, dict le Faulcheur. Par Maistre GeofroyToiy,I m- \ primeur du roy. ■ — Petit in-S";
lettres rondes ; 4 ff. pré]. ; épître de Marot, datée du 12 août 1532, « a un grand nombre
de frères qu'il a, touts Enfants d'Apollo » ; la table ; un f. blanc ; CXV ff. chiffrés, plus
un f. non ch. pour errata.
On ne connaît point d'édition antérieure : pourtant les mots « rei eu, corrigé » et le
fait que, dans les exemplaires sortis des presses d'Etienne Dolet, l'épître aux « Enfants
d'Ap Ho » est datée du 12 août 15 jo pourraient conduire à supposer l'existence d'une
édition plus ancienne.
IL L'adolescence clémentine... Avec la complaincte sur le trespas de feu messire
Florimond Robertet. Et plusieurs autres œuures faictes par ledit Marot, depuis leage de
90 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
sa dicte Adolescence. Le tout reueu, corrige et mis en bon ordre. Plus amples que les
premiers imprimez de ceste ny autre Impression... A Lenseigne du Faulckeur. Avec
priuilège pour Trois ans. — Petit in-S" de 1 19 ff .. Au dernier : Ce présent Hure fui acheite
Dimprimcr le mercredi XIII^ iour de Nouembre Lan M. D. XXXII Pour Pierre Roffet,
dtct le Faulckeur, par Maistre Geoffroy Tory de Bourges, imprimeur du Roy.
III. L'Adolescence Clémentine... Paris, pour Pierre Roffet par Geoffroy Tory. Achevé
d'imprimerie samedi, 7 juin 1533. Reproduction page pour paçe de l'édition précédente.
L'unique dL-iérence est dans le titre qui porte Cette mention : A v.ec certains accens notez,
c' est assavoir surl'é masculin différent du féminin. . . et sous le C quand iltient de la pronon-
ciation de le S, ce qui, par cy deuant,... n'a esté faict au langaige françoys...
IV. Ladolescence clémentine, ce sont les œuvres de Clément Marot nouuellemët
imprimées auscques plus de soixâte nouuelles compositiôs, lesquelles iamays ne furent
Imprimées comme pourrez veoir ala fin du liurp. M. D. XXX II II. On les vend a Lyon
en la maison de Françoys Juste, demeurant deuant nostre Dame de confort.
Le volume comprend quatre r-arties : la !«'■<' a 132 ff. ; la 2^ (Sa ff.) e~t intitulée La
SuYTE DE l' ADOLE SCENCE ; la ?'-' est un recueil des œuvres ^e Jean Marot ; lo 4» i ontient
le Premier livre de la Métamorphose d'Ovide.
Ce même ouvrage a été réimprimé par François Juste en 1535 {v. s.).
V. La Suyte de l'adolescence clémentine, dont le contenu suyt ; les Elégies de l'au-
theur ; les Epistres différentes ; les chantz diuers ; le Cymetiere et le Menu. On les vend
a Paris en la rue Neufue Nostre Dame, deuant l'Eglise saincte Geneuiefue des Ardens, a
l'enseigne du Faulckeur. S. d. Petit in-80 ; 4 ff. prél. et 125 pp. chiffrées.
Réimpression en 1534. C'est à la veuve de Pierre Roffet [f 1533! que le privilège est
accordé.
VI. Ladolescence clémentine... Imprimé en Avignon par Jehan de Channey. S. d.
Deux tomes en un vol. in- 16, goth.
VII. L'Adolescence clémentine, ou aultrement les œuvres de Clément Marot, de
Cahors en Quercy,... faictes en son adolescence, auec aultres œuures par luy composées
depuis sa dite adolescence, reueues et corrigées selon la copie de sa dernière recongnois-
sance. On les vend à Anvers en la maison de Jean Stecls, a lescu de Bourgogne. 1536.
Petit in- 8° ; lettres rondes.
Quatre parties : Adolescence (132 £E.) ; Suyte de V Adolescence (72 ff.) ; i^' livre d& la
Métamorphose {32 ff.) ; Poésies de Jean Mamt ( 1 8 ff .) .
(Jean Steels a donné, presque avec le même titre, une autre édition en 15 ;•■>• Elle a
été imprimée ■< en Anvers par Guillaume du Mont », et mérite une mention spéciale parce
que, pour la première fois, on y trouve le texte de L'Enfer.)
VIII. Les Œuures de Clément Marot de Cahors... augmentées de deux liures d'Epi-
grammes. Et d'ung grand nombre d'aultres Œuures par cy deuant non imprimées. Le
tout songneusement par luy mesmes reueu & mieulx ordonné. A Lyon, au Logis de
Monsieur Dolet. M. D. XXXVIII. Petit in-80 goth.
Quatre parties : Adolescence {XC&.) ; Suyte de V Adolescence (XC 1 1 ff .) ; les Epigrammes
(XXX 1 1 ff.) ; i*-"- livre delà Métamorphose (XXV I ff.).
Une lettre-préface de Marot à Dolet (Lyon, 31 juillet 1538) nous apprend que cette
édition avait été préparée par le poète lui-même. Plusieurs causes, écrit-il, la rendaient
fort nécessaire : non contents d'avoir semé en ses œuvres « mille sortes de faultes infi-
nies », les précédents imprimeurs, dont il se plaint avec beaucoup d' amertume, lui avaient
attribué des pièces qui ne lui appartenaient point, et qui, pour divers motifs, lui cau-
saient un tort « oultrageux » : les unes, « froidement et de maulvaise grâce composées »,
mettaient sur luiV ignorance d' autrui îles autres, dues à d'excellents auteurs de son temps
et jointes impudemment aux siennes par les libraires, risquaient de le faire passer pour
« usurpateur » de la gloire de ses émules ; certaines enfin, « toutes pleines de scandale
et sédition », étaient de nature à mettre sa personne en danger, et il s'en était fallu de
peu qu'ellesl'eussent contraint à ne jamais rentrer en France. Voilà pourquoi, comptant
sur l'affection de Dolet, qui venait d'obtenir du roi un très » bel et ample privileige »
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 91
d'imprimeur (6 mars 1538), il le prie de publier, avec attention et diligence, un texte
mieux ordonné, authentique et correct de ses ouvrages [G. IF, 7-12].
En fait, Marot avait d'abord confié à Séb. Gryphius le soin d'établir cette édition
dont il parle en sa lettre du 31 juillet, et il existe, portant le nom de Gryphius, des
exemplaires de tout point conformes à ceux où se lisent les mots : au Lo^is de Monsieur
Dolet. Évidemment, on s'était, pour ces derniers, contenté de changer le feuillet de titre.
Le poète a voulu, en l'une et l'autre édition, exposer pourquoi il réprouvait celles qu'on
avait données antérieurement : mais les plaintes qu'exprime sa lettre à Dolet sont, dans
les volumes où se voit la firme de Gryphius, directement adressées « a ceulx qui par cy
devant ont imprimé ses œuvres ».
On doit croire qu'il tenait beaucoup à se mettre désormais à l'abri de la négligence
des libraires et de leurs spéculations. Il a, en effet, demandé et obtenu, probablement
en cette même année 1538, des lettres patentes qui lui conféraient trois avantages :
défense à toutes " personnes quelquonques » de publier 1° les œuvres déjà parues de
Marot, « si elles n'ont esté par luy revues, corrigées et amendées » ; 2° les livres « des
anciens bons autheurs » qu'il projetait de divulguer à nouveau, après avoir débarrassé
leur texte des <■■ corruptions, faultes, vices et erreurs » qui, « par succession de temps »,
s'y étaient glissés ; 3° les poésies qu'il voudra ultérieurement composer, et que des
« gens suffisans » garantiront ne pas être « préjudiciables a la chose publique ». Ce pri-
vilège sans précédent, et qui n'a pu être concédé qu'à un moment de haute faveur, a
été mis en lumière par Ph. Aug. Becker (Zeitschrift fur Ir. Spr. u. Litt., 1914, t. XLII,
22t-9) d'après le ms. fr. 18111 de la B. N.
IX. Les Œuvres de Clément Marot... On les vend a Lyon, chez Françoys luste. — A la
fin : Imprime a Lyon par lekan Barbou. M. D. XXX IX. Petit in-S" de 285 ff .
X. Les Œuvres de Clément Marot... augmentées d'un grand nombre de ses composi-
tions nouvelles par cy devant non imprimées, le tout soni;neusement par luy mesmes
reueu et mieulx ordonné, comme Ion voj'rra ci après. A Lyon, ch.cs Estienne Dolet. '>5A~-
Petit in-S" de 32^ ft". Quatre parties : Adolescence ; Suicte de V Adolescence ; Œuvres
translaties ^,e jaim en fran'oys ; Œuv;es ncuiellcs (à partir du f. 281I.
Belle édition, très recherchée. Tenant la promesse faite dans le titre, Etienne Dolet a,
ici, offert aux lecteurs des pièces qui n'avaient pas encore vu le jour. La meilleure et
la plus notable est I.'enfitr. Cette énergique satire que Marot avait lue au roi [G. 1 1 1,
2S7], et qui circulait, manuscrite, sous le manteau, avait, à vrai dire, été publiée à
Anvers parJeanSteels (15 3q1 [cf., ci-dessus, len^ VII] : mais aucun imprimeur français
n'avait jusqu'alors osé la produire. I>olet, qui n'a cessé, en son atelier typographique,
de forger des armes pour le bon combat, s'est plu à divulguer les poésies les plus mili-
tantes de son ami. L'un et l'autre nourrissaient les mêmes haines, et cherchaient pareille-
ment à flétrir les deux corps qui les avaient persécutés, la magistrature et la Sorbonne.
Ce sont les « juges corrumpables » de Paris [G. III, 285] que visent les vers incisif? de
L'Enfer. Une letlre liminaire de Dolet à Lyon Jamet [G. II, 155-8] présente ce libelle
comme digne d'être approuvé « tant pour l'invention singulière que pour les descriptions
merveilleuses qui y sont ». Peut-être, ajoute l'éditeur, arrivera-t-il que des « gens cha-
touilleux des aureilles » s'attribueront, » comme se sentant pinsez sans rire », tel ou tel
passage. Qu'importe ! Il ne faut jamais avoir égard aux « mal pensants » qui «veulent
calumnier », car mieux vaudrait renoncer à écrire que se plier, en écrivant. <■ a l'opinion
d'aultruy «. Tout effort d^esprit doibt estre libre... Quant à la Sorbonne, il suffisait, pour
qu'elle se crût blessée et pour qu'elle criât au sacrilège, de tourner en langue vulgaire
les livres saints. Or, le poète et son ami l'imprimeur non seulement n'hésitèrent pas,
mais encore prirent plaisir à braver, par ce moyen, la Faculté de théologie. Marot a mis
en vers cinquante Psaumes. Les trente qu'il avait déjà traduits à cette époque furent
insérés par Dolet en son édition de 1 542. Celle qu'il va donnerl'année suivante contiendra
les vingt autres.
X I. Les Œuvres de Clément Marot de Cahors, Valet de chambre du Roy. .Vugmentécs
d'ung grand nombre de ses compositions nouvelles; Le tout soigneusement par luy
92 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
mesmes reveu et mieulx ordonné comme l'on voyra cy après A Lyon, chés Eslienne
Dolet. 1543. Petit in-S" de 760 pages.
XII. Les Œuvres... plus amples et en meilleur ordre que parauant. Lyon, a l'enseigne
du Rocher. 1544. Deux parties en un vol. petit in-8°.
Les pièces, pour la première fois, sont classées dans l'ordre des genres.
Sous la forme d'un avis de riti:primeur au Lecteur, on trouve ici une curieuse préface,
qui se lit aussi, mais amplifiée, en tête de l'édition de Niort, 1596. [Cf. J. IV, 197 et G.
II, 1-5.]
P) Éditions pu bliées après la mort de V auteur.
I. LES ŒVVRES j DE CLEMENT MA- j ROT, DE CAHORS, | VALLET DE | CHAMBRE | DV
I ROY. |J ~[| /l Lyon, | Par Jean de Tournes. ] 1546. Un vol. in- 16 de 562 pp. chiffrées.
Sg LES TRADVC- | TIONS DE CLE- j MENT MAROT, j VALLET DE | CHAMBRE | DV | ROY.
Iii-i6 de 303 pages chiffrées.
Antoine Du Moulin [Voir Revue d'hist. litt. de la Fr., 1896, p. 218 sqq.] paraît avoir
travaillé à cette édition, la première de celles — si nombreuses ! — que les de Tournes
devaient donner. Ils publieront encore les poèmes de Marot en 1549, 1553, 1558, 1573,
1579, 1585 et 1603.
II. Les œuvres de Clément Marot. Paris, Charles VAngelicr. 1547. In-i6 de 372 ff.
chiffrés.
III. Afin de montrer que, durant tout le XV I^ siècle, la vogue de Marot a persisté,
indiquons brièvement les principales éditions de cet écrivain qui ont paru entre 1548 et
1583. Ce sont les suivantes : Paris, Pierre Gaultier, 1548 ; — Paris, Petit, au Lys d'or,
1548 ; — Paris, Guillaume Thiboust, 1548 ; — Lyon, Guillaume Roville, 1550 ;
• — Paris, Veuve François Regnault, 1551 ; — Paris, Pierre Gaultier, 1551 ; —
Paris, Jean Bonfons, 1551 ; — Lyon, Guillaume Roville, 1553, 1557, 1558 ; — Paris,
Barbe Regnault, 1559 ; — Paris, Claude Gaultier, 1571 ; — Rouen, Guillaume Pavic,
1583.
Si l'on ajoute à cette liste les éditions des de Tournes, qui ont été mentionnées plus
haut, on conclura nécessairement que le magnifique éclat de la Pléiade n'a pas réussi
à obscurcir la petite étoile de « maître Clément ». Au contraire, malgré Boileau, malgré
La Fontaine, le XV 1 1*" siècle — si dédaigneux, si ignorant, — a laissé dans l'oubli le vieux
et charmant poète, et je ne vois guère à citer, après l'édition de 1603 (de Tournes), que
celle de Le Villain (Rouen, 1615),
IV. Les Œuvres de Clément Marot reveues, augmentées et disposées en beaucoup
meilleur ordre que ci-devant ; plus, quelques œuvres de Michel Marot, fils dudit Marot,
publiées par Fr. Mizière, médecin. Niort, par Thomas Porfau, 1596. Un vol.in-i6 en deux
parties de 548 + 248 pages.
V. Œuvres de Marot. La Haye, Adrian Moetjens. 1700. Deux vol. petit in-i 2.
VI. Œuvres de Clément Marot revues sur plusieurs manuscrits et sur plus de qua-
rante éditions ; et augmentées tant de diverses poésies véritables que de celles qu'on lui
a faussement attribuées ; avec les ouvrages de Jean Marot, son père, ceux de Michel
Marot, son fils, et les pièces du différend de Clément avec François Sagon ; accompagnées
d'une préface historique et d'observations critiques. La Haye, chez P. Gosse etj. Neaul-
me. 1731. 6 vol.in-i2. [Lenglet-Dufresnoy.]
VII. Œuvres complètes de Clément Marot. Nouvelle édition ornée d'un portrait et
augmentée d'un essai sur la vie et les ouvrages de Cl. Marot, de notes historiques et
critiques et d'un glossaire [par P. Lacroix]. Paris, Rapilly. 1824. Trois vol. in-8°.
VIII. Œuvres choisies de Clément Marot, accompagnées de notes historiques et
littéraires par M. Després, ancien conseiller de l'Université, et précédées d'un essai sur
Cl. Marot et sur les services qu'il a rendus à la langue par M. Campenon. Paris, Janet
et Cotelle, (Imprimerie de J. Didot). 1826. In-80. Portrait.
IX. Œuvres de Clément Marot annotées... et précédées de la vie de Clément Marot
par Ch. d'Héricault. Paris, Garnier. 1867. In-S".
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 93
X. Œuvres complètes de Clément Marot revues sur les éditions originales avec pré-
face, notes et glossaire par Pierre Jannet. Paris, Marpon et Flammarion. S. d. Quatre
vol. in-i6.
X I. Les Œuvres de Clément Marot de Cahors en Quercy, Valet de chambre du Roy,
augmentées d'un grand nombre de ses compositions nouvelles, par ci-devant non impri-
mées. Le tout mieux ordonné comme l'on voirra ci-après et soigneusement reveu par
Georges Guiffrey.
Tome I : Voir, ci-dessus, A, I.
Tome II : Paris, Imprimerie Claye, A. Quantin, Successeur. Achevé d'imprimer le
lôdécembre 1875. In-8° de 570 pages.
Tome III : Paris, Imprimerie A. Quantin. Achève d'imprimer le 8 février 1881. In-80
de 758 pages.
XII. Œuvres choisies de Clément Marot accompagnées d'une étude sur la vie, les
œuvres et la langue de ce poète... par Eugène Voizard. Paris, Garnier. S. d. (Préface du
26 septembre 1888.)
y) Pièces qui ont été publiées séparément.
I. Epistre de maguelonne a son amy pier- 1 re de prouance elle estant a Ihospital.
S.l. n. d. [vers 15 19.] In-40goth. de 4 feuillets. — A la fin : Rondeau duquel les lettres
capitales portent le nom de l'auteur.
II. Le tëple de eu- | pido fait et côpose 1 par maistre Clément Marot, Fa- | cteur de
la Royne, S. 1. n. d. Petit in-8° goth. de 12 feuillets.
III. Deploration sur la mort de hault et puissant seigneur, messire Florimond Rober-
tet, marquis de Daluye, etc., faite par Clément Marot. S. 1. n. d. In-40 de 20 pages.
IV. Eglogue de Clément Marot sur le trespas de madame Loyse de Savoye, jadis mère
du roy Françoys I. Paris, 1531. In-40 de 8 feuillets.
V. Les cantiques de la paix par Clément Marot, ensemble le cantique de la Royne
sur la maladie & conualescence du Roy. On les vend a Paris, sur le pont Sainct Michel, a
lenseigne de la rose Blanche, par Estienne Roffet, relieur du roy. Privilège du 13 janvier
153g. In-8° de 10 feuillets. Lettres rondes.
VI. L'Enfer de Clément Marot de Cahors en Quercy, valet de chambre du Roy. Item
aulcunesBalladeset Rondeaulx appartenants a largument. Et en oultre plusieurs aultres
compositions du dict Marot par cy devant non imprimées. A Lyon, chés Estienne Dolet.
1543. Petit in-80 de 64 pages.
Réimprimé par Dolet en 1544.
V I I. Epistre ëuoyée par Clément Marot a M. Danguyn. Paris, Nicolas Lhcritier. 1544-
In-i6 de 4 feuillets.
VIII. Le Balladin et dernier oeuvre de maistre Clément Marot. Imprimé a Paris le
dixième iour dauril 1545. Petit in-80 je 8 feuillets.
IX. Epigrammes de Clément Marot faictz a l'imitation de Martial ; plus, quelques
aultres œuvres dudict Marot non encores imprimées par cy-devant. Poicliers, Jehan et
Engnilbert de Marnef frères. 1547. Petit in-80 de 62 pages.
X. Deux colloques d'Erasme traduits en françois par Clément Marot ; plus, le Balladin
du mesme Marot. Paris, chez Guillaume Thiboust. 1549. In-i6.
X I. Le Riche en pauvreté, joyeux en affliction et content en souffrance, composé par
Matot (sic) et trouvé parmy ses autres factures a Charaberry. (Plus la complainte d'un
pastoureau.) Paris, Estienne Denise. 1558. In-i6.
3) Publication des œuvres restées inédites.
I. Poésies inédites de Clément Marot éditées par Gustave Maçon. Bulletin du Biblio-
phile et du Bibliothécaire... publié par la librairie Techener. Paris, Librairie Techener
1898. Pages 157-170 ; 233-248.
Quelques-unes de ces poésies, très importantes et même très émouvantes, appartien-
94 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
nent à la meilleure manière de l'écrivain ; leur authenticité n'est pas douteuse, et elles
fournissent, sur la biographie de Marot, notamment à l'époque de son exil à Ferrare et
à Venise, les plus utiles renseignements. Ces textes ignorés ou négligés trop longtemps,
G. Maçon les a tirçs du précieux ms. qui a pour titre :
Recueil des dernières œuvres \ de Clément Marot, non imprimées ; 1 et premièrement
I celles qu'il fit durant son exil | et depuis son retour. Il 537 {sic) | en mars. [Entendez :
viars 1538, n. s.]
Bihliothtque de Chantilly. Petit in-fol. de 74 ff. écrits, au r° et au \°, d'une élégante
cursive droite ; couverture moderne en velours rouge.
II, R. Fromage, Poésies inédites de Clément Marot. Bullelin de la Soc. de l'hist. du
protestantisme Ir.y'LYlll^ année,' 1909. Pages 44-50 ; 129- 141 ; 225-242.
M. R. Fromage n'a pas de chance avec Marot. Qu'il cherche à identifier ses maîtresses
ou à augmenter, en lui attribuant de nouveaux poèmes, son bagage et sa gloire littéraires,
il déploie un zèle, assurément sympathique, mais qui s'exerce en pure perte. Parmi les
plus brèves et les plus insignifiantes pièces que cet érudit se plaît à croire de Clément
Marot [elles sont extraites d'un ms. du XV I^ siècle conservé à la Bibliothèque cantonale
de Lausanne, et Frédéric Chavannes leur a consacré une notice en 1844], peut-être y en
a-t-il quelques-unes qui lui appartiennent réellement. Mais les morceaux étendus et,
dans tous les sens du mot, considérables que M. Fromage lui prête ne sauraient être pré-
sentés comme sortis de sa plume.
C'est ce qu'a bien montré M. Jean Plattard [Eevue des Études rabelaisiennes, t. X,
1912, pp. 68-71, et Bulletin de la Soc. de l'hist. du protestantisme tr., mai-juin 1912, pp.
278-280], et il convient d'adhérer à l'ensemble de ses conclusions : ni les vers intitulés
D'un monstre nouvellement baptizé ', ni le vigoureux Sermon notable pour le jour de la
dédicace, ni la gauche et plate Epitre qui commence par Je pense bien que tu t'esbayras...
n'ont été rimes par Marot. Quant au dizain 0 bien heureu.x qui a passé son cage..., c'est
le début d'une traduction du De Scne veronensi de Claudien. On en pourra lire le texte
complet dans les œuvres de Mellin de Saint-Gelays [Blanchemain, I, 63-5]. Au reste,
ces quelques vers ne mériteraient guère, si leur auteur était inconnu, qu'on le recherchât
avec passion.
C. — MAROT ÉDITEUR DE VILLON.
J'ai déjà parlé de l'intention qu'avait Clément Marot de rééditer correctement les
vers de certains poètes qu'il jugeait dignes d'être mieux connus. On se rappelle que les
lettres patentes relatives à ses propres écrits, et défendant à tout libraire de les publier
sans son aveu, étendaient la même interdiction aux livres des vieux auteurs qu'il se
proposait de remettre en lumière. Les vicissitudes de sa vie tourmentée et assez brève
nuisirent à l'accomplissement de ce dessein qu'il avait conçu. Pourtant il lui donna un
commencement d'exécution en faisant paraître, annotées et remaniées, les œuvres d'un
maître qui lui était cher entre tous.
Il s'agit de Villon, qu'il nomme, avec une affectueuse familiarité, « nostre Villon ».
Galiot du Pré, qui avait, en 1532, donné une édition très fautive et en partie apocryphe
de l'étudiant parisien, résolut, presque aussitôt, d'offrir à ses clients un texte moins négli-
gé, plus authentique, et accepta celui que Marot avait établi ou s'engageait à établir.
Voici le titre du volume nouveau, qui ne tarda guère à être imprimé :
Les Œvvresde Françoys Villon de Paris, reueues & remises en leur entier par Clément
Marot, valet de chambre du Roy. Il Distique du dict Marot : Peu de Villons en bon
sçavoir, j Trop de Villons pour deceuoir. |[ On les vend a Paris enla grand salle du Palais
I. C'est par Eustorg ce Beaulieu [Herminjard, VIII. 402] que cette pièce a été
attribuée à Marot.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 95
en la bouticque de Galiot du Pré. — Au r" du dernier feuillet : Fin des œuures de Françoys
Villon,... & furent paracheuees de imprimer le dernier tour de Septembre, L'an mil cinq
cens trente & troys. — Petit in-S" de 6 If. prél. et 115 PP- chiffrées.
D'une allure vive et décidée, souvent judicieux et pittoresque, l'avis au lecteur [J.
IV, 190-3 ; G. II, 263-270] mérite beaucoup d'attention. En expliquant avec
désinvolture comment il a classé, corrigé, complété les strophes des Testaments, Marot
nous rend, sans doute, suspecte lalégitimité d'une pareille cuisine, et il est trop clair qu' il
ignore les règles et les limites de la révision qu'il avait tentée. Mais il sent assez profon-
dément l'originale, l'inimitable beauté des ballades ; il distingue fort bien, chez Villon,
deux éléments : d'un côté, ces allusions, ces détails qui perdent leur sel et leur sens à
mesure que l'on connaît moins « les lieux, les choses et les hommes » au milieu desquels
se mouvait l'écrivain ; d'autre part, les passions, les images, les « mille belles couleurs
que le temps, qui tout efface, » ne pourra pas effacer.
On notera que Marot déclare, en terminant sa lettre aux lecteurs, que le désir de plaire
au roi a été « cause et motif de ceste emprise » : en préparant pour lui cette édition claire
et fidèle, on était certain de lui être agréable, attendu que, souvent, on l'avait « veu
voulentiers escouter et par très bon jugement estimer plusieurs passages » de Villon.
Observation. Sur la foi d'Etienne Pasquier [Lettres, II, 6] et de Lenglet-Dufresnoy
[1,29], presque tous les biographes de Marot ont cru, et moi avec eux, qu'il avait publié
aussi un Roman de la Rose, en s'appliquant à en rajeunir le style et àl'habiller, pour parler
le langage de Pasquier, « a la moderne françoyse ». Mais, se fondant sur un solide
système d'arguments, M. Bccker a soutenu et, à mon sens, démontré [Germanisch-
romanische Monaisschriji, t. IV, 12^ livraison] que le remaniement en question était dû
à un auteur dont nous ne savons rien, sinon que sa devise était Fin par tout. Ni l'une ni
l'autre des deux éditions * du Roman ainsi retouché ou, si l'on préfère, massacré, ne por-
tent le nom de Clément Marot ; loin de la réclamer comme sienne, jamais il n'a dit, en
ses ouvrages, un mot de cette révision ; et, enfin, pourquoi lui attribuer — à lui qui
écrivait une prose alerte, serrée, énergique, à lui aussi hostile à Rome que favorable
à tous les affranchis — la préface ''alambiquéeetsi traînante qu'a rédigée, pour la placer
en tête du grand poème mutilé par lui, un homme sévère aux hérétiques et disposé à
identifier la rose de Guillaume de Lorris, symbole sensuel et païen, avec « la rose papale »
ou t la glorieuse vierge Marie » ?
D. — LES PSAUIMES DE DAVID.
I. Le VI Pseaulme de David, qui est le premier Pseauîme des sept Pseaulmes et
translaté en françoys par Clément Marot, varlet de chambre du Roy nostre sire, au plus
près de la vérité Ebraicque.
Petit in-80 goth. de 4 feuillets. Biblioteca Colombina de Séville.
H. Harrisse, qui a consacré à cet opuscule des pages très attentives, pense qu'il fut
publié avant 1533. La première strophe de cette traduction nous offre, en effet, au moins
deux vers qui ne se retrouvent, sous la même forme, ni dans l'ouvrage dont il va être
question ci-dessous, ni dans aycun de ceux qui l'ont suivi. Concluez, puisque ce passage
fut condamné à partir de 1533, que la brochure où il se rencontre est nécessairement
antérieure à cette date.
II. Marguerite d'Angoulême, Le Miroir de l'ame pécheresse. Paris, Augereau, 1533.
In-8» de 36+ 20 feuillets.
1. Cy est le Romàt de la Roze... A Paris en la boutique de Galiot du Pré. Privilège
daté du « ieudy dixneufiesme iour dapruil Mil cinq ces vingt six après pasques ». —
Réimpression « au mois de Mars, mil cinq cenz XXIX, avant pasques » = 1530. (La
devise Fin par tout ne se trouve qu'en cette deuxième édition.)
2. J. IV, 183-8; G. 11,145-152.
96 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
On pourra lire en ce livre i» « le V 1'= pseaulme de David, translaté en françoys selon
l'hebrieu par Clément Marot, valet de chambre du roi » ; 3° « l' Instruction et Foy d'ung
chrestien mise en françoys par Clément Marot, valet de chambre du roi ». Cette « Ins-
truction » comprend [J. IV, 54-8] l'Oraison dominicale, la Salutation angélique, les
Articles delà foy, les Grdcespourunenfant,laPrièredevantlerepas. ..Hlqu'onne s'étonne
pas de rencontrer ces pieuses versions en un volume qui porte le nom de Marguerite
d'Angoulême : c'était auprès d'elle que Marot avait appris à connaître l'esprit et les
tendances de la nouvelle Église. Tout nous invite, en conséquence, à admettre quel'idée
de traduire le psautier ne lui est pas venue spontanément, mais qu'elle lui a été suggérée
parla reine de Navarre. S'adressant à elle, au temps oùla colère de François I^'le retenait
en exil, il dit : Parfois je me figure — beau rêve ! — vivre encore « autour de toy »,
qui m'as été, lors de mes épreuves, « plus mère que maistresse ». Je me revois « en ta
chambre parée », et, là, je crois chanter, pour t'obéir,
Pseaitlmes divins, car ce sont tes chansons.., [M. -;4i.]
Passage vraiment significatif ! Ces psaumes qu'ils chantaient ensemble, le poète et
sa protectrice ont dû vouloir les rendre accessibles à qui ne savai t que le français ; Marot
s'est mis au travail, et les premiers textes sacrés tournés par lui en langue vulgaire,
Marguerite, afin de montrer que sa sympathie était acquise à ce genre de labeur, les a
insérés en ses propres œuvres.
Encouragé de la sorte, Marot traduisit plusieurs autres psaumes. En 1539 douze, au
moins, étaient déjà mis en vers. Ils parurent, peut-être sans l'assentiment de l'auteur,
dans le livre que voici :
III. Aulcuns Pseaumes et cantiques mys en chant. A Strasbourg, 1539. Petit in-8°
de 64 pages.
Cet opuscule anonyme, qui est (constitué par Calvin) « le premier psautier réformé
connu » [O. Douen, I, 302], contient en tout — avec, pour chacun, une mélodie indiquée
en tête ■ — • vingt et un morceaux, à savoir trois cantiques et dix-huit psaumes.
Douze appartiennent à Marot ( I, II, III, XV, XIX, XXX II, LI, CIII, CXIV, CXXX,
CXXXVIl, CXLIII). Chose curieuse, le ps. VI, le seul déjà imprimé ', ne figure pas en
ce volume.
IV. Psalmes de David translatez de plusieurs autheurs et principallement de Cle.
Marot. Veu, recongneu et corrigé par les théologiens, nommeement par M. F, Pierre
Alexandre, concionateur ordinaire de la Royne de Hongrie. L'an 1541. Cum gratia et
privilégia. — A la fin : Imprimé en Anvers, par Antoine de Gois. L'an M. D. XLI.
Cette édition fort incorrecte, et qui a été, semble-t-il, donnée à l'insu de Marot, con-
tient trente psaumes de lui et quinze autres pièces de divers auteurs.
V. Trente pseaulmes de David, mis en françoys par Clément Marot, valet de chambre
du Roy, avec privilège. Paris, Etienne Roffet ; s. d. In-i6.
Le privilège, signé D^ Mesmes, est du a dernier iour de novembre 1541 », et tout porte
à croire que l'ouvrage a paru au commencement de l'année suivante. Il renferme, sans
musique ni timbres, les psaumes I-XV, XIX, XXII, XXIV, XXXII, XXXVII,
XXXVIII, LI, cm, CIV, CXIII, CXIV, CXV, CXXX, CXXXVIl, CXLIII.
Le volume s'ouvre [J. IV, 59-64] par une épître de « Clément Marot au Roy trèschres-
tien » '. Le poète, après avoir comparé François I«' à David, entame, à grand renfort
d'images qu'il tire mal à propos de la mythologie, un long éloge des psaumes. Plus
frappé, quoi qu'en dise M. Douen [I, 293], de leur valeur littéraire que de l'action qu'ils
1. Plusieurs fois. Voyez ce que j'ai dit aux n»* I et II, et ajoutez que ce psaume a
paru dans la Suite de V Adolescence Clémentine en 1534, 1536, 1538.
2. Datée de 1539. Il y a lieu d'admettre qu'elle a figuré, cette année-là, en tête d'un
exemplaire des Trente pseaulmes offert — manuscrit — au roi. L'an d'après, une autre
copie fut présentée à Charles- Quint traversant la France pour se rendre à Gand.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 97
peuvent exercer sur l'âme, il les admire principalement à cause du souffle passionné qui
les anime et des «■ descriptions » qui « y sont propres et belles ». Si Orphée, si Arion,
affirme le traducteur, avaient entendu sonner cette musette du i prophète hebrieu »,
ils auraient pendu la leur « a quelque arbre » ou bien ils l'eussent boutée en cent pièces.
L'curt de David est tellement accompli qu'il égale celui d'« Homère grec », et dépasse —
rapprochement fort inattendu ! — celui d'Horace. Quant aux tableaux annonçant la
venue, la figure et les souffrances du Christ, leur perfection découragerait « le grand
Miquell'Ange » et Janet, peintre du roi.
Tout cela donne des psaumes une idée assez profane, et s'applique plutôt à un aimable
recueil de « chansons mesurées » qu'à un livre rempli de l'esprit de Dieu. Marot est,
certes, mieux inspiré lorsqu'il recommande la lecture du psautier parce que, là seulement,
l'homme verra qu'il n'est rien, et trouvera, en ses jours d'infirmité ou de tribulation, un
motif de réconfort et d'espérance. Comment le juste sera-t-il ainsi consolé, raffermi ?
Par les preuves de la puissance divine qui éclatent en ce texte sacré, et que David tire
soit des « signes » et miracles que l'Éternel a prodigués, soit des merveilles de la création.
Cette seconde façon d'interpréter les Écritures, en chrétien et non en lettré, a dû, plus
que l'autre, plaire aux Calvinistes.
Arrivé au bout de son épître, Marot déclare que les trente psaumes qu'il dédie au roi
ne sont qu'un» essai », et il s'engage à publier avant peu le* résidu », pourvu que Fran-
çois I^' souhaite la continuation de cette vaste entreprise.
VI. La manyere de faire prières aux églises Françoyses tant deuant la prédication
comme après, ensemble pseaulmes et cantiques françoys qu'on chante aux dictes églises,
après sensuyt l'ordre et façon d'administrer les sacrementz... Le tout selon la parolle
de nostre seigneur. 1 S. Paul aux Coloscen. 3. Enseignez et admonestez lun lautre en
pseauimes, en louenges et chansons spirituelles avec grâce. Chantans au seigneur en
vostre cueur. 1 1 1512. — A la fin : Imprimé a Rome par le commandeynent du Pape, par
Théodore Briisz, allemanl, son imprimeur ordinaire. Le 15 de feburier. — Un vol. in-i6
gothique.
Les psaumes occupent les pp. 7-120.
Est-il utile de dire que les mots a Rome par le commandement du Pape sont une malice
— assez amusante — de l'imprimeur ? A la place de Rome, lisez Strasbourg.
VIL La forme des prières et chantz ecclésiastiques avec la manière d'administrer
les Sacremenset consacrer le Mariage, selon la coustume de l'Eglise ancienne. | Psalme
159 * : Chantez au seigneur chanson nouvelle et que sa louange soit ouye en la congré-
gation des débonnaires. 1 P. 150 : Que tout ce qui respire loue le seigneur. 1 1 1542. —
Sa«sh'eM(i'îm/>ress/on, mais avec la feuille d'olivier, marque de Jean Gérard (ouGira d),
imprimeur de Genève. — In-i8 de 92 pages.
Trente psaumes de Marot et cinq de Calvin.
Ce volume et le précédent comptent parmi les premiers rituels de l'Église réformée.
On observera que les psaumes de Clément Marot ont pris, du fait que les calvinistes
les ont acceptés dans leur 1 iturgie, une importance que, peut-être, il n'avait guère prévue.
A l'origine, sa traduction s'adressait au roi, à la cour et aux gens du monde : mais, dès
qu'elle eut paru, un public moins inconstant, plus grave, s'empara d'elle ; accaparée
bientôt par Strasbourg, puis par Genève, enfin par l'ensemble du protestantisme fran-
çais, elle conquit, dans les cérémonies du nouveau culte, une place officielle. De la sorte,
une longue fortune était assurée à cette œuvre, et le poète avait le droit de croire qu'elle
allait, comme le service divin, demeurer perpétuelle. Juste cause de joie et d'orgueil.
Mais il y avait une ombre au tableau : un telsuccès risquait d'être payé cher et de deve-
nir, pour l'écrivain qui l'avait obtenu, inquiétant ou même funeste. La version des
psaumes semblait à la Sorbonne d'autant plus odieuse que les hérétiques l'approuvaient
davantage, et il fallait s'attendre à ce qu'elle fût rigoureusement condamnée. La Faculté
de théologie ne s'endormit pas, et, dès 1542, non contente de censurer diverses traduc-
I. Lisez 14g.
Clément Marot et son école 7
98 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
tions du psautier, elle invita la justice séculière à poursuivre tant les auteurs que les
imprimeurs •. Parmi les ouvrages dénoncés on rencontre deux (au moins) des éditions
que nous avons mentionnées ci-dessus *. Ajoutez que, lé I*'' juillet de cette année 1542,
le Parlement de Paris rendait « contre lesljvres contenant doctrines nouvelles » un arrêt
assez menaçant.
Que va faire Clément Marot ? Continuera-t-il, ou non, à mettreles psaumes en vers ?...
Il aurait, s'il eût été prudent, renoncé à un dessein qui lui suscitait trop d'ennemis, et
quels ennemis ! Mais, outre qu'il était peu timide, il comptait, par ailleurs, sur le roi.
Celui-ci lie lui av£iit-il pas enjoint [J. IV, 64] d'acheverle travail commencé, et n'était-ce
pas un devoir, un plaisir d'offenser, pour plaire au souverain, les « sorboniqueurs », les
chats fourrés ? Ainsi rasionnait Marot avec une logique apparente. II n'oubliait qu'une
chose, c'était que François !«', toujours changeant, le livrerait sans scrupule aux rancu-
nes qu'ill'engageait à braver. Tandis qu'il le poussait à terminer sans retard « l'œuvre
royal », il commandait à ses Parlements (30 août 1542) de traiter les fauteurs d'hérésie
en hommes « séditieux et conspirateurs occultes contre la prospérité de l'État, laquelle
dépend principalement de l'intégrité de la foy catholique » •. Étrange, cruelle contradic-
tion ! Le poète eut le tort de se fier à la parole de ce maître infidèle, et il n'hésita point,
se préparant par là bien des misères, à traduire plusieurs nouveaux psaumes et à réim-
primer les anciens.
VIII-lX.Cf.B, a,XetXI.
X. Cinquante pseaulmes en françoys par Ckment Marot. Item, vne Epistre par luy
naguères envoj-ée aux Dames de France. | Psal. IX. Chantez en exultation | Au Dieu
qui habite en Sion. |] — S.I., i543- — Gdin-8ode 148 pages.
Au \° du titre : « Les choses cy dedans contenues : Une Epistre aux Dames de France ;
une Epistre au Roy ; les trente premiers Pseaumes, reveus et corrigez par l'autheur,
ceste présente année ; vingt autres Pseaumes par luy nouvellement traduitz et envoyez
au Roy, compris le Cantique de Simeon ; les commandemens de Dieu ; les articles de
la foy ; l'oraison dominicale ; la salutation angelique ; deux prières, l'une avant, l'autre
après le repas. Le tout en ryme françoise par ledit autheur. »
L'Épître aux Dames de France [J. IV, 64-66] est une sorte de proclamation gentimtnt
tournée et très adroite. Le poète et ses amis ont bien vu que les psaumes n'exerceraient,
sur l'esprit public, une action constante et décisive que si on les adoptait non seulement
dans le temple, mais encore dans les assemblées profanes et au centre même de la vie
morale, c'est-à-dire au foyer. De là, cet appel aux femmes, sans lesquelles nulle coutume,
aucun sentiment ne sauraient s'imposer à une race, à un paj's ; de là, l'invitation qui leur
est faite de se mettre, elles, à chanter les psaumes pour que tout le monde les chante
aussi.
Mais les « dames et damoyselles » vont objecter que l'amour — leur foi essentielle,
leur raison d'être — les intéresse uniquement, et qu'il n'existe à leurs yeux qu'une chan-
son : la chanson d'amour. Les psaumes, répond Clément Marot, ne sont qu'amour ;
o Amour luy mesme » les a dictés ; en vain vous chercheriez ailleurs une telle effusion de
tendresse. Renoncez donc aux couplets mondains (il renie, en parlant de la sorte, une
part de son oeuvre et de son passé), et qu'on n'entende plus retentir, en vos « chambres
et salles », les louanges équivoques de ce petit dieu « a qui les painctres font des esles ».
Répétez les hymnes de David, et l'esprit de l'Éternel, tandis que vos doigts courront
sur l'épinctte, touchera, convertira vos cœurs. Par ce moyen, vous hâterez la venue de
l'Age d'or. Et savez-vous quand il régnera ? Ce sera lorsque le laboureur à sa charrue,
l'artisan dans sa boutique, le berger « et la bergère au boys estans «oublieront, enchan-
tant " un pseavme ou cantique », leur pauvreté et leur solitude.
i. Duplessis d'Argentré, Collectio judiciorum de novis errorihus, II, 134.
2. Anvers, 1541 -et Paris, Etienne Roffet.
3. Jean Plattard, Comment Marot entreprit... la traduction des ps. de David.
CLEMENT MAROT ET SON ÉCOLE 99
Clément Marot, on le voit, se représente la société future comme une pieuse Arcadic.
Voilà le rêve que la Sorbonne a jugé criminel : elle eût montré, en l'estimant chimérique,
plus de bienveillance et de bon sens.
Après la mort de Marot.
Qu'on ne s'attende pas à trouver ici toutes les éditions connues des psaumes de Clé-
ment Marot. Elles ont paru si nombreuses ^ que M. Bovet en a catalogué près de sept
cents, et que ce chiffre, imposant déjà, a été doublé par O. Douen. Un répertoire complet
exigerait donc un gros volume, et il faut s'en tenir à l'essentiel.
Mettre, dans le moins de temps possible, en vers et en musique les cent cinquante
hymnes du Psalmiste, telle était l'ambition de l'Église réformée. Or, Clément Marot
avait laissé l'œuvre loin de sa fin, et comme il restait, après lui, encore cent psaumes à
traduire, les consistoires s'appliquèrent à lui trouver des continuateurs. Ils se levèrent
en foule, les uns parce qu'on les en avait priés, les autres de leur propre mouvement,
sans sollicitation ni mandat.
La conséquence de cet état de choses fut que, Marot disparu, ses psaumes furent très
souvent imprimés soit en des recueils anonymes, soit en des livres qui portaient, à côté
de son nom, celui de l'auteur ou des auteurs qui avaient rimé les parties du psautier dont
il ne s'était pas occupé.
Indiquons, parmi ces ouvrages, les principaux :
\. Les CL psalmes du prophète royal David, traduitz en rithme françoise par Clément
Marot et autres autheurs. — Paris 1550.
IL Les cent cinquante Psalme (s ic ) du prophète royal David, traduitz en rithme
françoyse par Clément Marot et autres autheurs. — Paris, Estienne Mesuicre, 155 1.
Ce volume comprend une Exhortation en vers signée H. D. B ; l'épître de Marot aux
Dames de France ; quarante-neuf psaumes de Marot ; vingt-huit de Gilles d'Aurigny ;
une épître que ce même Gilles d'Aurigny adresse au roi Henri IL
II I. Pseaumes octante trois de David miz en rithme françoise. A sçavoir, quarante
neuf par Clément Marot avec le Cantique de Simeon et les dix commandemens. Et
trente quatre par Théodore de Besze de Vezelay en Bourgogne. — Genève, Jacques
Berjon, 1552.
'Da^Xisla^réiaceàt son Abraham sacrifiant, qui est datée du i''"' octobre 1550, Théodore
deBèze disait avoir» maintenant enmain » une translation des psaumes, lln'y travaillait
que lentement et à ses heures : mais Calvin souhaitait qu'il se pressât, et même il chargea
un ami commun de l'inviter à ne pas attendre, pour publier les psaumes déjà prêts, que
leurs camarades fussent en état de voir le jour ". De Bèze consentit à ce qu'on lui deman-
dait, et fit imprimer tout aussitôt, en renvoyant la suite à plus tard, les parties de sa
traduction qui se trouvaient alors achevées ». Il ne prit que le temps de composer une
pièce liminaire qui est peut-être, comme le remarque M. Douen, la meilleure de ses poésies
françaises.
Il dédie son ouvrage à « l'Eglise de Nostre Seigneur », aux rois qui l'aiment et la défen-
dent. Tandis que Marot, toujours courtisan et toujours mondain même dans la disgrâce
et l'exil, s'adresse soit à un prince souvent persécuteur, soit aux dames et aux demoi-
selles,lui, plus austère et animé d'un zèle vraiment apostolique, consacre ses vers à ceux
qui souffrent, aux captifs « en prisons obscures », aux martyrs d'aujourd'hui ou de demain.
C'est pour remplir, sous une nou\ellc forme, sa fonction sacerdotale qu'il a rimé les
1. Vingt-sept rien que pour les années 1541-1550 ; vingt-cinq pour 1562 ; quatorze
pour 1563 ; dix pour 1564 ; treize pour 1565... « Et combien, ajoute M. Douen [I, 562]
nous ont échappé ! »
2. Lettre à Viret, du 24 juin i55r.
3. Trente quatre pseaumes de Dauid, nouvellement mis en rime françoise au plus
près de l'hébreu, par Théodore de Bèze, de Vezelay en Bourgogne. — Genève, Jehan
Crespin, 1551. ln-32 de 133 ff.
100 CLÉMENT MAROT ET SON ECOLE
caatiques de David ; il les regarde comme une sorte de viatique, un » allégement »
au milieu des tortures, le témoignage de la foi opprimée, un encouragement à bien mou-
rir, « Ces prières tant sainctes » prouveront que le supplice des justes exalte leur espé-
rance.
Au reste, Théodore de Bèze ne prétend pas que sa version vaille mieux que celle de
Marot. Il l'admire, au contraire, sans restriction. Elle a eu, à l'entendre, une action
quasi providentielle, et ce fut grâce à elle que les Français purent, « de cueur et de voix »,
célébrer la gloire de Dieu. Cette « plume de Clément », si facile et si inspirée, personne
ne la retrouvera... Suit une apostrophe à l'écrivain disparu :
Las, tu es mort sans avoir avancé
Que le seul tiers de l'œuvre commencé,
Et, qui pis est n'ayant laissé au monde.
Docte poète, homme qui te seconde.
Voilà pourquoy, quand la mort te ravit,
Avecques toy se teut aussi David,...
vu que les bons esprits n'osaient plus entrer dans cette carrière où tu t'étais illustré.
[Douen, 1, 555-6.]
Un an après avoir donné au public ses trente-quatre psaumes, de Bèze les fit paraître
I Junis aux quarante-neuf de Marot, et c'est ce qui explique le nombre oclante-trois .
En 1554, ce volume fut réédité avec, à )a fin, six nouveaux psaumes [LU, LVII,
LXIII, LXXIV, LXXV, CXI] traduits par de Bèze.
IV. Les cent cinquante Pseaumes du royal prophète Dauid. Mis en rithme françoyse
par CI. Marot, M. Jan Poitevin, M. Sève, Lyonuois, et aultres. — Lyon, Gabriel Coller,
1557.
V. Les Pseaumes mis en rime françoise par Clément Marot et Théodore de Beze, etc
— Genève, Antoine Dauodeau et Lucas de Mortiere, pour Antoine Vincent, 1562. In-S».
C'est ici la première édition vraiment complète du psautier, entendez la première qui
donne, avec tous les psaumes, une mélodie pour chacun d'eux.
La traduction de Marot et celle, aussi, de de Bèze demeurèrent, telles quelles, en hon-
neur pendant plus d'un siècle, sans que personne sentît le besoin de les remplacer ni
même de les rajeunir. Cette idée, pourtant, finit par s'imposer à quelques esprits, et
Conrart forma le dessein de donner aux vers de maître Clément une tournure moins
archaïque. Bayle approuvait beaucoup ce projet, et, dans une lettre du 21 juillet 1675
à un de ses amis de Montauban, il blâmait le scrupule, la superstition de ses coreligion-
naires qui, jusqu'alors, n'avaient que trop respecté cette si « vieille poésie ». En rendre
plus moderne le style lui semblait « tout à fait de nécessité », car, faute de ce changement,
ceux, écrivait-il, qui viendront après nous tomberont « dans l'erreur de prier en langue
non connue du peuple, comme faisoient les Saliens du tems d'Auguste qui chantoient
les mêmes vers qui furent composés du tems de Numa Pompilius,... et n'y entendoient
pas un mot ». {Revue d'hist. litt.de la Fr., 1912, pp. 434-5.) — Les Psaumes retouchés sur
l'ancienne version de Clément Marot parurent en 1677. Édition posthume : Valentin
Conrart était mort le 29 septembre 1675.
Musique des psaumes.
Dès 1546, Pierre Certon a publié, à Paris, trente et un psaumes (de Marot) à quatre
voix. Mais je ne cite que pour mémoire, et seulement à cause de sa date, cette œuvre
médiocre, vite oubliée. Chantre de la Sainte-Chapelle, Pierre Certon était catholique,
et il s'ensuit que l'Église réformée n'a jamais fait usage de son recueil. Or, ce qu'il nous
importe de connaître, ce sont les noms, les travaux des artistes qui ont, d'abord, pour
Genève et Lausanne, puis pour tous les huguenots français, composé la musique officielle
du psautier.
CLÉMENT MAROr ET SON ÉCOLE 101
Les uns ont doté chaque psaume d'une mélodie fondamentale * ; les autres, doctes
et pieux contrapontistes, ont bâti, sur ce premier thème, des chœurs à plusieurs parties.
Commençons donc par la mélodie ; les harmonistes viendront après '■'.
Sur la foi de l'historien de Thou, dont le latin élégant manque souvent de précision
lorsqu'il s'agit d'exprimer des choses peu familières à l'antiquité, on a cru que les mélo-
dies des psaumes avaient eu pour auteur Claude Goudimel . Mais il ne saurait en être
ainsi, car la chronologie s'y oppose. Goudimel s'est rallié tard au protestantisme, et il
en résulte qu'il n'a pu adapter aucun air aux psaumes, puisque, à l'époque où cette
adaptation était déjà achevée, il se trouvait à Rome, aux gages du pape. Arrivé avant
1534 en Italie, il y resta bien des années *, soit comme chantre delà chapelle pontificale,
soit comme directeur d'une école qu'il avait fondée vers 1540, et qui compta d'illustres
élèves, parmi lesquels — peut-être ! — Palestrina. On conçoit que Goudimel n'aurait
pu à la fois exercer, en terre papale, de telles fonctions et produire des hymnes hérétiques.
Pendant cette période et longtemps après son retour en France, sa musique, ainsi que
lui, est demeurée orthodoxe, c'est-à-dire qu'il n'a guère composé que des masses • et
que des chansons mondaines * ou païennes ', toutes choses approuvées ou tolérées par
les censeurs catholiques.
Mais, dès qu'il eut quitté Paris pour Lyon et adhéré à la Réforme, il songea à travailler
sur les strophes de Marot et de ses continuateurs. Voi lait-il inventer des mé'odies pour
les psaumes ? Évidemment non, puisque chacun d'eux avait reçu, à cette date, un air
qui lui était propre et que les fidèles tenaient à garder. Par suite, le dessein de Goudimel
consistait uniquement en ceci : appliquer à ces thèmes, qui ne se chantaient qu'à l'unisson,
les ressources variées du contrepoint et tirer, ainsi, d'une simple phrase musicale un
choral à plusieurs voix. Le grand artiste employa à cette tâche tout le temps qu'il avait
encore à vivre, et de nombreux ouvrages que j'indiquerai bientôt firent de lui le plus
assidu, le meilleur harmoniste du psautier.
Mais, encore une fois, les mélodies des psaumes ne sont pas de lui, et elles appartiennent
à deux hommes moins célèbres, Guillaume Franc, Louis Bourgeois.
Fils de Pierre Franc, de Rouen, Guillaume (ti57o) se trouvait déjà à Genève en I54if
puisque, le 17 juin de cette année-là, on lui permit d'ouvrir, en cette ville, une école de
1. Et intangible... En décembre 1551, Louis Bourgeois est condamné, malgré l'inter-
vention de Calvin, à un jour de prison, pour avoir « sans licence » fait chanter un psaume
sur un nouvel air.
2. Cet ordre, d'ailleurs si naturel, est celui qu'a suivi M. Douen.
3. « Eandem fortunam [De Thou énumère les victimes de la Saint-Barthélémy ]
expertus est Claudius Gaudemelus, excellens nostra aetate musicus, qui psalmos davi-
dicos vernaculis versibus a Clémente ^laroto et Theodoro Beza expressos ad varias et
iucundissimos modulationum numéros aptavit [Voilàlesmotsqui ont été mal interprétés ]
quibus et hodie publiée in concionibus protcstantium ac privatim decantantur. » II
LU, 830 ; (Genève, 1626).
4. Georges Becker, Goudimel et son œuvre, {Bull, histor. et litt. de la Soc. de Vhist. du
protestantisme fr., t. XXXIV, pp. 337 et suiv. ; 1885.)
5. Messes à quatre voix : Audi filia. Tant plus ie mects sur fa face mes yeux. De mes
ennuys prenez compassion. Paris, Adr. Le Roy et Rob. Ballard, 1358 ; in-folio. — Messe
à quatre voix : Le bien que j'ay par foy d'amour conquis. Paris, Adr. Le Roy et Rob.
Ballard, 1558 ; in-folio.
6. Plusieurs n'ont paru qu'après sa mort, en un recueil dont voici le tjire : La fleur
des chansons des deux plus excellents musiciens de nostre temps, à sçavoir de M. Orland c
de Lassus et de M. Claude Goudimel. Celles de M. Claude Goudimel n'ont iamais esté
mises en lumière. — Lyon, lean Bauent, 1574.
7. Q. Horatii Flacci, poetae lyrici, Odae omnes quotquot carminum generibus diffe-
runt ad rythmos musicos redactae. — Parisiis, ex typograph. Nicol. Duchemin et Claudi
Goudimelli, i5?5. In-4°.
102 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
musique. Oa comptai t sur lui, semble-t-il, à la fois pour instruire, « recorder » les enfants
et pour composer des chants gracieux *, II s'acquitta, quelque temps, de cette double
mission, puis, hors d'état de subsister avec ses pauvres gages de cent florins, il annonça,
le 3 août 1545, sa résolution de partir, et s'en alla à Lausanne. Destiné à l'Église de cette
cité, son psautier ne parut qu'assez tard, longtemps après celui de Genève, sous le titre
que voici :
I. Les Pseaumes mis en rime françoise par Clément Marot et Théodore de Beze, auec
le chant de l'église de Lausane (sic). Pseaume IX : Chantez au Seigneur qui habite
en Sion, et annoncez ses faitts entre les peuples. — S.I., Jean Riuery pour Ant. Vincent,
1565. In-i2.
Avant même que Guillaume Franc eût quitté Genève, sa place, ses honoraires a%'aient
été partagés (14 juillet 1545) entre Guillaume Fabri et Louis Bourgeois. Ce dernier,
parce qu'on le jugeait « homme de bien n et qu'il servait volontiers à <( apprendre les
eufans », obtint, le 15 mai 1547, le droit de bourgeoisie, ce qui n'empêcha pas le Conseil
de vouloir rogner ses émoluments, qu'il aurait, lui, voulu qu'on augmentât « par con-
templation de sa pauvreté ». Calvin lui donnait raison et l'appuyait ouvertement, tant
il l'estimait — à très juste titre — capable de mettre, sur les hymnes de David, une
musique digne d'eux. Ce long travail, qui exigeait patience et génie, Louis Bourgeois,
pour plus de quatre-vingts psaumes, le mena à bien, ainsi que l'attestent quatre impor-
tants recueils qu'il fit paraître successivement.
I I. Pseaulmes cinquante de David, Roy et Prophète, traduictz en vers f rançois par
Clément Marot, et mis en musique par Loys Bourgeoys, a quatre parties, a voix de con-
trepoint égal consonnante au verbe. [ Tousjours mord enuie. | Lyon, Godefroy et Mar-
celin Beringen, 1547. In-4°.
III. Le premier liure des Pseaulmes de Dauid, contenant XXIV pseaulmes. Com-
posé par Loys Bourgeois. En diversité de musique : a sçauoir familière ou vaudeuille ;
aultres plus musicales... — -Lyon, Godefroy et Marcelin Beringen, 1547. In-40.
IV. Le droict chemin de musique composé par Loys Bovrgeois, avec la manière de
chanter les pseaumes par usage ou par ruse, comme on congnoistra au XXXIV [lire
XXIV] de nouu3au mis en chant et aussi le Cantique de Simeon. — Genève, 1550. In-8°.
V. Quatre-vingt-trois Psalmes de Dauid en musique (fort convenable aux instru-
mîus) a quatre, cinq et six parties, tant a voix pareilles qu'autrement, dont la Basse
Contre tient le suiet, afin que ceux qui voudront chanter auec elle a l'vnisson ou a
l'octaue accordent aux parties diminuées ; plus le Cantique de Simeon, les Commande-
mens de Dieu, les prières deuant et après le repas et vn canon a quatre ou cinq parties
et va autre a huit, par L. Bovrgeois. — S.I., Antoine Le Clerc, 1561. In-8°.
D'après O. Douen [ I, 650], nul artiste n'a su, mieux que Louis Bourgeois, rendre tour
à tour le double caractère des psaumes, c'est-à-dire, d'une part, l'effroi, la détresse de
l'âme qui tremble sous la main du Juge parce qu'elle voit, sans pouvoir le suivre, le
bon chemin, et, d'un autre côté, l'espérance, la joie du fidèle qui considère Dieu comme
son rocher, son bouclier, sa forteresse. Ces deux groupes de sentiments qui résument
les incertitudes du penseur tiré en sens contraires par l 'amour et la crainte, la grâce et
la réprobation, un judicieux emploi des modes majeur ou mineur a permis au vieux chan ■
tre huguenot de les magistralement exprimer. Les plus religieuses mélodies qui accom-
pagnent les psaumes lui sont dues, et M. Douen a eu raison d'écrire : 0 Le vrai psautier,
c'est celui de Marot et de Bourgeois. » [Ibid., 657.]
Passons maintenant aux harmonistes *. .. C'est ici le lieu de citer, avec respect et admi-
ration, Claude Goudimel. Il a, durant des années, pris et repris, pour les enrichir de
délicates variations et de développements fugues, les thèmes de chaque psaume. Le
1. Voyez l'arrêt du Conseil (16 juin 1543) que cite M. Douen, I, 608.
2. Harmoniste, Bourgeois le fut, lui aussi, et les titres de ses recueils en font foi :
mais c'est surtout comme créateur ou, mieux, comme « arrangeur » de mélodies (il em-
prunte beaucoup à la chanson populaire) qu'il demeure réellement hors de pair.
CLÉMir.NT MAROT ET SON ÉCOLE Ï03
XXIV* a été, de différentes manières, iiarmonisé sept fois par lui, et, bien qu'il ne s'en
vante pas dans le titre de ses livres, i 1 a peu à peu augmenté le nombre des parties concer-
tantes au point de les porter jusqu'à huit. Ce monument de l'art et de la foi ne s'est élevé
que lentement, et l'auteur, d'édition en édition, l'a rendu plus complet et plus parfait .
V I. Seize Pseaumes mis en musique a quatre parties, en forme de motets, par Clavd e
GovDiMEL. — Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1562.
VII. Les cent cinquante Pseaumes de Dauid, nouuellement mis en musique a quatre
parties par C. Govdimel. — Paris, Ballart, 1564. In-S".
VIII. Les CL Pseaumes de Dauid, Nouuellement mis en musique a quatre parties
par Claude Goudimel. — Paris, Adrianle Roy et Robert Bxllard, 1565. 4 vol. in- 12.
IX. Les Pseaumes mis en rime françoîse par Clément Marot et Théodore de Beze,
rais en musique a quatre parties par Clavde Govdimel. — S. l., les héritiers de François
Jaquy, 1565. In-i6.
X. Les Psalmes de David compris en huit livres, mis en musique a quatre parties en
forme de motets par Claude Goudimel. — Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1565
[et 1566]. 4 vol. petit in-4''.
En cette longue suite de motets, qu'il appelle pourtant un petit ouvrage, l'habile et
vénérable artiste avait mis le meilleur de lui-même, tout son cœur et toute sa piété.
Il déclare, lui si modeste, qu'il n'a jamais rien fait de plus beau, et l'on sent qu'il était
soulevé au moins autant par l'amour de Dieu que par l'amour de la gloire, lorsqu'il
composait cette œuvre,
Le plus doux travail de sa vie,
Guidant son espérance aux deux. [Douen, II, 31.]
Phrase attendrie, émouvante... Elle se lit dans une pièce placée en tête du livre VIII;
Ce livre et les deux précédents sont dédiés à diverses personnes : le VI« à Robert et
René du Mollinet ; le VI I^à M"* Catherine Senneton ; le dernier à « Mgr maistre Anthoina
Porart, seigneur de Foignon, conseiller du roy et maistre ordinaire en la Chambre des
comptes ». Ces pièces liminaires sont rimées, et se présentent sous forme d'odes. Mais
O. Douen ne croit pas que ces vers aient été écrits par le musicien ; quelque ami ronsar-
disantlui a, peut-être, prêté sa plume.
D'autres contrapontistes du X V I^ siècle — Clément Jannequin, par exemple, Roland
de Lassus et Claude Le Jeune — ont, ainsi que Goudimel, harmonisé les airs du psautier.
Parmi les volumes qu'ont publiés ces auteurs, je signalerai les deux que voici :
XI. Octante deux Pseaumes de David, traduitz en rhythme françois par Cl. Marot
et autres, avec plusieurs cantiques nouvellement composés en musique a quatre parties
par Clément Janequin. — Paris, Adrien Leroy et Robert Ballard, 1550. 4 vol. in-S".
Partition dédiée à Catherine de Médicis. La gauche et naïve épître en vers que l'artiste,
au déclin de l'âge et de la faveur, adresse à cette reine, laisse percer, sous une apparente
résignation, assez de mélancolie et même d'abattement.
Doncq'en gré ce présent, très illustre princesse,
Prends de ton Jannequin qui, en povre vieillesse
Vivant, rien de luy plaist fors que de t'honorer
Par son art de musicque et ton loz décorer.
XII. [Claude Le Jeune.] Dodecacorde contenant douze pseaumes de David, mis en
musique selon les douze modes, approuvez des meilleurs autheurs anciens et modernes,
a 2, 3, 4, 5, 6 et 7 voix. — La Rochelle, Hierosme Haultin, 1598. In-4".
Réédition par H. Expert, Les Maîtres musiciens de la Renaissance ; Paris, Leduc,
1900. Gd in-80.
104 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Travaux relatifs à la traduction et à la musique des psaumes.
I. Félix Bovet, Histoire du Psautier des Églises réformées ; Neuchâtel, J. Sando/.,
1872. In-80.
II. O. Douen, Clément Marot et le Psautier huguenot, étude historique, littéraire, viusi-
cale et bibliographique... ; Paris, Impr. Nat., 1878-0. Deux vol. de VI-746 et 715 pages.
Cet ample et utile ouvrage est déparé par quelques défauts. De fréquentes digressions,
mille détails parasites fatiguent et égarent l'attention, et l'on souhaiterait aussi que,
moins attaché à sa thèse, l'auteur eût plus discrètement abondé dans son propre sens.
Au fond, il prétend démontrer que Marot représente un protestantisme modéré, éclairé,
tolérantet fort éloigné du glacial rigorisme de Calvin. Une telle opinion aurai '.pu se défen-
dre, car elle contenait sûrement une part de vérité. Mais le désir d'avoir trop raison
ou l'ardeur de cette polémique rétrospective ont entraîné le critique bien au delà des
bornes, en sorte qu'il lui arrive soit de méconnaître la beauté réelle, quoique inhumaine,
du caractère de Calvin, soit de prêter à Cle'ment Marot des qualités qu'il n'avait pas et,
en particulier, une fermeté, une lucidité de conduite qu'on ne saurait guère lui attribuer.
Avec cela ou malgré cela, les amis du XV I^ siècle doivent à 51. Douen beaucoup de
reconnaissance. Outre que ses deux volumes, qui supposent une vie de labeur et de
patience, abondent, sur quantité de questions, en renseignements précieux, il a eu le
mérite de comprendre le premier des choses qu'il importait au plus haut point d'établir :
d'abord, que la formation (vers et musique) du psautier huguenot étai? un évcnemer.i
historique ; ensuite qu'il existait deux Marot, celui de « l'élégant badinage ->, le seul que
1'" ingratissime» France ait aimé, et celui, plus aimable encore, qui, associé aux hommes
les moins badins, sacrifiait son repos à la cause de la pensée libre.
On peut, en un certain sens, regretter que le livre de M. Douen soit un monument
d'érudition. Il en résulte que presque personne ne le lit, et, ainsi, ce qui s'y trouve
d'excellent restera ignoré de ce qu'on appelle le grand public.
III. H. Harrisse, La Colombine et Clément Marot, article de la revue Le Livre, mar>
1886.
IV. J. Trénel, Le Psaume CX chez Marot et d'Aubigné, pages 323-329 des Mélanges
de Philologie offerts à Ferdinand Brunoi..., Paris, 1904.
De la comparaison du psaume CX chez les deux poètes dont il est ici question, il
ressort, d'après M. Trénel, que c'est Marot qui a donné, bien que n'ayant pas « hebrieu
langage appris » [J. IV, 63], une couleur vraiment biblique à sa traduction. Ce mérite,
dont il paraît s'être rendu compte, il l'attribue modestement aux versions antérieures
dont il s'est inspiré, « aux saints interprètes » qu'il a suivis. Quels furent ces « saints
interprètes » ? Pasquier [Rech., VII, 5] puis le haineux Florimond de Rémond citent,
mais sans preuves, François Vatable ; La Croix du Maine mentionne à la légère Mellin
de Saint-Gela^-s et d'« autres hommes doctes de ce temps-là ». Quant à M. J. Trénel, il ne
s'arrête pas à ces hypothèses, et affirme que Marot, tandis qu'il écrivait ses psaumes,
avait sous les yeux la Bible française d'Olivetan.
V. Jean Plattard, Comment Marot entreprit et poursuivit la traduction des psaumes de
David ; Revue des Études rabelaisiennes, X. 1912.
Le titre résume clairement les intentions de l'auteur... On notera, vers la fin de ce
travail, une étude comparative des psaumes rimé£ par Marot et de ceux qui se lisent
aux Heures de NostreDame, ou\ rage dû à Pierre dringore. De même q'ie, par M. Trénel
ia translation de Marot a\-ait été préférée à celle de d'Aubigné, elle est mise, par M.
Plattard, bien au-dessus — et comment non ? — des lâches et médiocres paraphrases
que •< Mère-sotte n nous a laissées.
E. — QUELQUES LIVRES OU ARTICLES: CONSACRÉS A MAROT.
On s'est, en France et à l'étranger, souvent occupé de ce poète, et l'on a, sur sa vie
et ses œuvres, écrit maintes et maintes pages. le me suis servi, en parlant de lui à mon
tour, de toutes les enquêtes des érudits, des travaux historiques ou littéraires que je
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 105
croyais pouvoir m' 'tre utiles. Ceux-là, je ne les cite pas encore, me réservant de fournir,
là oh je les mettrai en usage et à profit, les indications biblioyrapbiques qui les con-
cernent. Mais il existe certains volumes, certains articles dont j'ai pensé, pour divers
motifs, ne devoir pas faire état. Bien que ne leur ayant rien emprunté, il me semble,
cependant, à propos de les mentionner ici et d'établir, à cet effet, une liste qui le'ir
soit spéci- Icment réfervce.
I. E'.kerrlt, UcberS/^racheund Grammatik Clément Marot's;Herrig's Archii,KXXlX,
183-201, iS-^i.
II.; Henry Morley, Clément Marot and other Studies ; Londre?, Cliapman, 1870 ; 1 vol.
in- 80.
m. Glaiining, Svntaktische Stiidicn zu Marot ; Erlangen, 1873.
IV. Joseph Mensch, Das Ticr in der Dichtung Maroi's ; Inaug. Disser. Munich, 12
juillet locs.
Non contente d'être vide et futile, cette petite thèse paraît fort saugrenue. Et non
contente d'être saugrenue, elle se présente sous une forme plaisamment compliquée.
N'était-ce donc pas assez d'avoir conçu le dessein d'étudier les bctes chez Clément
Marot, et fallait-il encore spécifier les «occasions extérieures «puis les « occasions inté-
rieures » de l'introduction des animaux dans les pièces du poète ? Ces divisions scc-
lastiques soni elles-mêmes subdivisée? ; la m-'=nagerie de M. Mensch est disposée en
compartiments, et l'on passe tour à tour, en visitant les « occasions intérieures », de-
vant les bêtes dont la présence est due t° au désir de plaisanter, 2° à la recherche
d'un ornement, 3° à une arrière-pensée galante ou obscène, 4° à l'intention d'accabler
un adversaire sous des comparaisons désobligeantes, 5° au projet de peindre la guerre
ou la paix... Et dire que l'on fabrique le papier avec le bois des belles forêts !
V. Diana Magrini, Clémente Marct e il petrarchismo ; Raccolta G. Mazzoni ; Firenzc,
tip. galileiana, 1907.
VI. Œuvres de Clément Marot ; Paris, J. Gillequin, 1910. Un vol. in-i6 de 184 pages.
VII. R. Fromage, Clément Marot. — Son premier emprisonnement. — Identification
d'Isabeau et d'Anne ; Bulletin de la Soc. de l'hist, du Protestantisme fr., LIX^ année,
1910 ; pp. 52-71 et 122-129.
Diverses pièces de Clément Marot s'adressent ou sont relatives à une certaine Isabeau ',
femme, semble-t-il, de mœurs faciles, « inconstante »[J. II, 164] par goût et, peut-être,
par profession. Amant de cette personne peu sûre, l'écrivain n'eut pas à se louer d'elle ;
il l'offensa à son tour en divulguant son inconduite, et l'on se sépara enfin, mécontent
de part et d'autre. Que s'est-il passé après la brouille ? Nous sommes incomplètement
renseignés, mais il est hors de doute que la dame voulut se venger, et que le premier
emprisonnement du poète a été son œuvre. Dès lors, il est naturel de travailler à iden-
tifier cette maîtresse qui a joué un rôle si important, et cette identification, nous com-
prenons sans peine que M. R. Fromage l'ait tentée.
Inutile de suivre pas à pas les routes, les circuits de son enquête ; la conclusion seule
nous intéresse, et la voici : Isabeau, cette légère et perfide Isabeau, serait, d'après
M. Fromage, Isabelle (ou Elisabeth) Le Lieur, fille de Roger Le Lieur, seigneur de Bois-
Besnard, et seconde femme de Jean Ruzé, seigneur de Stains et de la Herpinière, d'abord
maître général des monnaies, puis, en i5'"'5, receveur général des finances '. Et il aurait
été d'autant plus facile à Isabelle Ruzé, née Le Lieur, de faire, comme hérétique, incar-
I. Il n'est pas sûr que les vers consacrés à Isabeau visent la personne que le poète
nous donne ailleurs, mais sans la nommer, comme ayant, en le dénonçant, amené son
arrestation. Cependant, le rondeau de l'Inconstance d'Isabcau, bien qu'il n'ait paru
que beaucoup plus tard, peut nous induire n croire qu'il s'agit, en tous ces textes, de
la même femme ... Le plus sage est de ne rien affirmer. En somme, cette « cruelle ennemie n
[J. II, 78 ] nous échappe. Le nom de sa famille demeure inconnu, et nous ne somm.es
pas certains de savoir son nom de baptême.
a. Cf. G. III, 718, n. 4,
106 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
cérer le pauvre Marot, qu'elle se trouvait être la belle-sœur de Louis Ruzé, lieutenant
civil au Châtelet '. Celui-ci avait, pour ses péchés, épousé Marie Quatre-Livres, fille de
l'avocat de ce nom, et les deux dames Ruzé devaient s'entendre à merveille lorsqu'il
s'agissait d'une méchante action, vu que l'une ne valait pas mieux que l'autre, et qu'elles
trompaient leurs maris avec une égale persévérance.
Tout cela n'est pas mal construit, et il parait, en effet, possible qu' Isabelle soit notre
Isabeau. Mais le contraire est bien plus possible encore, et même bien plus vraisemblable.
Que de Parisiennes ont dû, ainsi que la femme de Jean Ruzé, s'appeler Isabeau ou Isa-
belle ! Et pourquoi Cément Marot n'aurait-il pas caché, sous ce prénom très répandu,
celui que portait réellement son amie (ou ennemie) ? Ainsi, le problème dont nous parlons
présente un grand nombre de solutions plausibles, qui risquent toutes de n'être pas bon-
nes. Plausible, celle de M. R. Fromage l'est sûrement. Mais est-elle bonne ? Rien ne le
prouve.
Pendant qu'il y était, M. Fromage a voulu identifier aussi cette brune [J. III, 50] et
gracieuse Anne, en l'honneur de laquelle Marot a souvent rimé des vers déférents et
tendres. Anne — suppose l'auteur de l'article que je résume — c'est Anne de Beauregard.
Cette fois, les arguments ont du poids, et l'on aimerait à se laisser convaincre... Mais
Anne nous est bien connue, et nous savons qu'elle ne se nommait pas de Beauregard.
VIII. Emmanuel Philipot, Sur un amour de Clément Marot ; Revue d'hist. litt. de la
Fr., 1912, pp. 59-74.
Acceptant comme fondées les hypothèses de M. Fromage, M. Philipot s'est borné à
confirmer les études analysées ci-dessus, tantôt rectifiant certaines dates, tantôt, et
d'une manière ingénieuse, appuyant, au moyen de textes nouveaux, les conjectures que
l'on a vues. Et, certes, si elles avaient été exactes, il y aurait eu profit à les préciser, à
les corroborer. Mais puisque la première semble si frêle et que la seconde est fausse,
c'est en pure perte qu'on dépense, en leur faveur, de l'esprit, de la science.
N.B. — !<' Le poème intitulé « Douleur et volupté » figure à tort dans certaines
éditions [et, par exemple, J. I, 117] des œuvres de Clément Marot. Cette pièce ne lui
appartient pas, et c'est à Antoine Héroet [cf. G. II, 503 et Gohin, 135] qu'elle doit être
restituée.
2° Si l'on souhaite avoir, sur la bibliographie de Clément Marot, de plus abon-
dants détails, on consultera a ec beaucoup de fruit l'excellent oun rage de M; P. Vil-
ley, Tableau chronologique des publications de Marot; Paris, Champion, 1921. Un vol.
in-80 de 167 pages.
3» Dans tous les renvois et références. Je désigne par la lettre J l'édition Jannet, par
G les volumes de Gulîfrey, par M les Poésies médites publiées par Gustave Maçon.
r. Cf. G. III, 719, n. 3.
I
LES ANNÉES D'APPRENTISSAGE
128-129. Naissance de Clément Marot à Cahors. — 130. Son père
l'emmène « en France » — 131. Mauvais souvenir qu'il a gardé
de ses régents. — 132. Savait-il le latin ? — 133. Son père,
Jacques Colin et Jean Lemaire lui enseignent l'art poétique. —
134. // entre, en qualité de page, chez Nicolas de Neufville. —
135. // devient clerc du procureur Jean Grisson. — 136-137.
Portrait moral de Marot à cette époque. — 138. // traduit l'Eglo-
gue I de Virgile. — 139. Le Jugement de Minos. — 140-141.
L'Epistre de Maguelonne et l'influence des rhétoriqueurs. —
142-144. Le Temple de Ciipido. — 145-146. Pièces écrites pour
la Basoche. — 147-150. Le Dialogue de deux amoureux. —
151. Un plaidoyer en faveur des Enfants sans souci. — 152-
153. Tentatives du poète pour capter la bienveillance du roi. —
154. Celui-ci le donne à la duchesse d'Alençon. — 155-156. L'E-
pistre du Dépourvu. — 157. Date de cette épUre. Quels furent,
chez Marguerite, les fonctions, les gages de Marot ? — 158.
Que verra-t-il, qu'apprendra-t-il à la cour d'Alençon, puis de
Navarre ? — 159. Le Camp du drap d'or. — 160-165. Le camp
d'Attigny et l'expédition de Hainaut. — 166-168. Marot con-
court au puy de Rouen. — 169-171. Déclin de cette académie
normande. — 172. Notre auteur semble avoir peu écrit durant
les années 1522-1524. — 173-174. A-t-il assisté à la bataille de
Pavie .^
128. Tu veux, juge d'Enfer, savoir quel est mon pays. Eh
bien, représente-toi une terre tellement favorisée du soleil qu'elle
se revêt avec honneur « de mainte fleur et plante », et donne
mille sortes de fruits. Là ondoient et murmurent d'abondantes
eaux : le Lot, d'abord, qui coule jaune ou rouge, puis quantité
de fontaines. Au flanc des monts, sur un sol pierreux qu'on
croirait hostile à toute culture, s'accroche, cependant, et pros-
père la bonne vigne dont, par la grâce de Bacchus, on tire un
vin non moins savoureux que fort. Souvent, à côté de la vigne,
108 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
croît le laurier, et l'union de ces feuillages sacrés fait que ma
patiie ressemble à la Grèce, et que je m'ébahis — tant nos col-
lines offrent l!aspect d'un Parnasse ! — que, d'une province à
ce point poétique, soient issus peu de poètes. Et, maintenant,
si tu me demandes, ô juge, le nom de cette contrée que je viens
de te peindre, je te le dirai : elle s'appelle le Oueicy, et, dans
ce Quercy, s'élève la ville où je \ins au monde, Cahors [G. II,
183].
129. Ce fut en 1496 que Clément Marot naquit en cette cité
de Cahors dont, trente ans plus tard, il décrivait le site en vers
précis. Vraiment, la naissance d'un tel homme, il importe de la
saluer : elle est, parce qu'elle annonce le déclin de la Rhétori-
que, de la foi passive, un événement. Mais les gens de Cahors
ont mis bien longtemps — des siècles ! — à comprendre les rai-
sons qu'ils avaient d'être très fiers. Beaucoup d'entre eux ne
tiraient aucune gloire de se trouver concitoyens d'un rimeur
qui, assurait-on, après une existence de joyeux galant, de flat-
teur, d'hérétique, avait assez mal fini. Il s'avançait donc trop
lorsqu'il espérait [J. III, 58] être admiré chez lui comme Vir-
gile à Mantoue, ou quand il affirmait [Ihid., 71] que sa mémoire
ne s'éteindrait jamais dans le Ouercy. Ni le Quercy ni le reste
de la France n'ont rendu justice à cet auteur, l'une des plus
captivantes figures d'un âge d'or et de fer, et, tout connu qu'il
est, il demeure, à présent encore, mal connu, méconnu.
130. De sa mère, qui n'apparaît nulle part en ses œuvres et
que, sans doute, il avait perdue très jeune, nous ne savons rien.
Son père, le chapelier-poète, a laissé, au contraire, une petite
renommée. Lui aj-ant consacré tout un chapitre, je me borne à
redire ici que, choisi, en 1506, comme secrétaire d'Anne de Bre-
tagne, il a, emmenant son fils, quitté la ville de Cahors pour
aller s'installer « en France ». Je rappelle aussi que ce fut grâce
à Michelle de Saubonne [cf. I, § 463] qu'il avait obtenu une
place auprès de la reine-duchesse. Nous retrouverons JMichelle
de Saubonne : les années qui se chargent souvent d'endurcir les
cœurs, n'auront pas changé le sien, et, dans un moment de
crise, elle sera, comme autrefois celle de Jean Marot, la protec-
trice, la providence de Clément.
131. Celui-ci, parlant de son enfance [M. 234], constate que,
durant cette période de sa vie, Loyre fut son séjour, et nous
devons entendre par là qu'il passa quelques années à Blois,
résidence ordinaire d'Anne de Bretagne. Ensuite, il fut conduit
à Paris où il acheva, sans doute, ses études. Combien elles furent
négligées, il nous l'a dit expressément, et, parmi les vers de
lui qu'on cite le plus volontiers, se trouvent ceux, durs et déci-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 109
sifs, qu'il a écrits contre « les régents du temps jadis ». C'étaient,
déclare-t-il, « de grandz bestes ». Et il ajoute :
Jamais je n'entre en paradis
S'ilz ne m'ont perdu ma jeunesse.
[G. III, 363-4.]
N'allez pas croire que sa colère fût jouée. A la vérité, l'esprit
de parti n'est pas étranger à la violence de ce passage, et s'il
revêt la forme d'une condamnation générale et catégorique,
c'est que, à cette date, les membres des factions avancées, les
champions d'un meilleur avenir regardaient l'ancienne éducation
comme la cause des maux du passé, la mère de l'ignorance, une
créatrice de ténèbres. Et ils n'avaient que trop raison. Ainsi,
lorsque notre poète traite de « grandz bestes » les maîtres qu'il
a eus, il les réprouve pour le même motif qui lui fera préférer
l'Académie trilingue à la Sorbonne, et son indignation est pa-
reille à celle de Rabelais bafouant, « car leur sçavoir n'estoit
que besterie », les pédagogues de Gargantua [ch. XIV, XV], ce
Thubal Holoferne qui exerçait seulement la mémoire de son
élève, et 1'» aultre vieulx tousssux », Jobelin Bridé, qui le rendit
presque idiot. Mais si Marot cherchait à plaire aux gens de son
bord quand il dénonçait l'ânerie désastreuse des professeurs
qu'il avait subis, la rancune, les regrets qu'il exprimait n'étaient,
je le répète, nullement feints. Il a souvent déploré ailleurs d'avoir
été fort mal instruit, et, par exemple, dans son édition des œu-
vres de François Villon, on lit, en marge de la strophe émou-
vante :
Hé Dieu ! se j'eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle ...
ces trois mots pleins de sens et d'amertume : « Notez, jeunes
gens ! »
132. Oue Marot, donc, n'ait pas été, pour parler comme'Étien-
ne Pasquier, « accompagné de bonnes lettres », la chose ne se
peut nier. Lui-même avouait son manque de culture ; ses enne-
mis allaient répétant qu'il n'avait pas la moindre instruction,
et ses amis, sur ce point, le défendaient mollement. Il est cer-
tain, bien qu'il ait traduit des textes hébreux, des textes grecs,
qu'il ne connaissait ni le grec ni l'hébreu... Mais savait-il le
latin ? A cet égard, il s'agit de s'entendre. Les partisans de
Sagon répondaient non. Ceux, au contraire, qui, dans la fa-
meuse querelle, s'étaient rangés du côté de Marot, confessaient
bien qu'il ne valait pas, en tant que latiniste, son adversaire,
mais n'accordaient pas que la langue latine lui fût, pourtant,
110 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
étrangère. Leur système consistait à dire : Lorsqu'on donne
au public d'excellents ouvrages, qu'importe qu'ils soient latins
ou français ? Et quand un auteur se sert à merveille de son
idiome, pourquoi lui reprocher de ne pas user d'un autre ?...
En fait, ces témoignages contradictoires ne paraissent guère
concluants. Mais voici qui est plus explicite. S 'adressant à Jac-
ques de Lect, Jean de Boissonné (et l'on observera qu'il aimait,
admirait Clément) écrit en homme sûr de ce qu'il avance : « Ma-
rotus latine nescivit ». L'arrêt, cette fois, a l'air sans appel. On
doit, cependant, le discuter. N'en doutons point, Jean de Bois-
sonné a voulu signifier que Marot ne savait pas le latin comme
le savaient les humanistes, comme lui, Jean de Boissonné, le
savait. Or, les humanistes le savaient à fond ; ils le parlaient
ainsi qu'une seconde langue maternelle ; ils écrivaient, pensaient
en latin. A ce compte, qui sait le latin ? Le savons-nous ? En
conséquence, on devine que Marot, sans être un vrai cicéronien,
sans avoir dans la tête tout le thésaurus, a pu lire, comme nous
les lisons, une page de Cicéron, de Virgile. Au reste, ce qu'on
lui avait si mal enseigné à l'école, il a pu, seul et plus tard, l'ap-
prendre mieux. Ce n'est pas là une hypothèse. Il déclare lui-
même [M. 164] qu'il a, dans son âge mûr et durant son exil,
travaillé la « langue italique » et plus augmenté en lui la connais-
sance de la latine. Il ne lui est arrivé, en somme, que ce qui
ariive à tant d'autres : la « doctrine », les lumières que ses ré-
gents ne lui avaient pas fournies, il les a tirées de la vie, du temps,
qui est réellement un grand maître, et de la nécessité.
133. Quant au goût de la poésie, il se vante [G. II, 287] de
l'avoir eu et de l'avoir cultivé « quasi enfant ». Sa nature, dit-il,
était inclinée aux Muses, puis il se sentait prédestiné à mettre
plus tard ses chalumeaux au service d'un grand prince. Mais,
quoique bien doué, il fallait, avant qu'il composât des vers,
qu'on lui montrât comment s'y prendre. Ici intervint Jean
Marot. Ce fut lui qui découvrit à son fils les secrets, les règles
de l'art de rimer. Lisez VÉglogue au roy, et vous croirez assister
aux leçons de ce « bon vieillard ». Arrangée à la mode bucoli-
que, la scène se divise en deux tableaux aussi frais et plastiques
l'un que l'autre. Tantôt le cours de prosodie a lieu en plein air
et sous le ciel. Pendant que, là-bas, leurs ouailles paissent, Janot
habitue son disciple à » doulcement la musette entonner » ou
à inventer des chansons rurales. Tantôt, le soir ayant ramené
les moutons à l'étable, l'enseignement se donne « a la lampe »,
dans la métairie, et le maître convie son élève à répéter
les notes qu'il lui siffle, et procède comme les bergères qui,
accroupies auprès du feu, dressent leur sansonnet ou leur pie
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 111
[Ihid., 288-9]. Sous une forme pastorale que la loi du genre ré-
clamait, l'auteur de ces aimables vers a voulu simplement dire
qu'il tenait de son père le mécanisme de la poésie, et voilà le
sens réel de ce passage. On y trouve aussi quelques mots d'où
l'on peut conclure que Jacques Colin a suivi avec intérêt, avec
sympathie, les études, les progrès de Clément. Celui-ci, enfin,
a reçu (il l'écrit ailleurs) d'autres conseils. Ce que « le bon Ja-
not » ne lui avait pas appris, il l'a su de Jean Lemaire, qui —
du moins, pour un point de détail — lui a été utile, et l'a remis
dans le droit chemin.
134. Mais, l'ayant constaté à ses dépens, Jean Marot n'igno-
rait pas que ceux-là risquaient de mourir de faim qui comp-
taient sur leur plume pour subsister, et qu'il valait mieux, de
ce point de vue, avoir un métier, un office, des gages réguliers
que du talent. Le talent, c'était un luxe ; on ne devait se l'offrir
qu'après s'être assuré du pain. C'est pourquoi le vieux rhétori-
queur, afin que son fils n'eût pas ses chansons comme seul re-
venu, lui procura un patron, une place, et le fit (avant 15 14)
entrer, en qualité de page, chez Nicolas de Neufville, seigneur
de Villeroy. Ce personnage ne se laisse pas très facilement iden-
tifier. On connaît au moins quatre Nicolas de Neufville, car le
prénom du père, dans cette famille, passait à l'aîné. De ces qua-
tre, quel est le nôtre ? On hésite entre Nicolas II et Nicolas III.
M. Guiffrey penche pour Nicolas III, seigneur de Villeroy et
de Chanteloup, fils de Nicolas II et de Geneviève Legendre,
marié à Denise (ou Jeanne) Morelet du Museau, secrétaire du
roi en 1539, puis, en 1544, secrétaire des finances. En quoi, dans
cette maison, consistaient le rôle, les services d'un page ? Nous
ne pourrions le dire exactement. M. Becker observe que tous
les de Neufville n'ont, au XVI^ siècle, cessé de gérer les deniers
publics, et il suppose, en conséquence, que Clément Marot,
débutant de la même façon que Jean Lemaire, fut moins page
que « clerc de finances ». Simple conjecture. Est-elle juste ou
non ? Je ne sais. Mais voici qui n'est pas douteux : clerc de
finances ou page. Clément garda un bon souvenir de celui qu'il
appelle son premier maistre, et lui dédia plus tard (15 mai 1538)
le Temple de Cupido, d'abord destiné, présenté au roi.
135. Cette fatalité qui, s' acharnant sur tant de poètes ado-
lescents, menace d'en faire des procureurs, n'a pas épargné Ma-
rot, et, après avoir quitté le logis du sire de Neufville, il voulut
apprendre ou — mieux — on voulut qu'il apprît la triste mais
lucrative science des chicanous. Admis dans l'étude de Jean
Grisson [J. II, 65], il gratta, vers vingt ans, le parchemin et
s'initia un peu à la procédure chez ce praticien de Paris. Je
112 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
pense que Jean Grisson avait là un apprenti médiocrement zélé
et dont les progrès devaient être lents. L'art d'enfler le dossier
des plaideurs- et d'aplatir ainsi leur escarcelle ne lui semblait
guère passionnant, et, à supposer qu'il l'ait connu, il l'a soi-
gneusement oublié. C'est ce que nous affirme Boissonné dans
sa lettre, citée déjà, à Jacques de Lect. Marot, dit-il, ignorait
litigandi formulas. Je le crois sans peine. Au lieu de se le figurer
grossoyant à tour de bras, mieux vaut se le représenter alignant
des vers sur le papier destiné aux actes, s' associant aux jeux
de la Basoche dont sa qualité de clerc du Palais l'avait rendu
membre, errant, quand on l'attend au bureau, près de la porte
Barbette, perdant son « joly temps » le long des rues, ou chan-
tant, sous une fenêtre, des chansons par lui inventées
Pour le plaisir d'une jeune fillette.
136. On aimerait à avoir une image de lui à cette époque.
Le portrait stylisé, qui se voit en tête de quelques éditions, nous
le montre sur le déclin de l'âge, plus grave et pensif qu'il ne le
fut même en sa maturité. On lui a donné la pose d'un apôtre,
des traits où rien ne subsiste du page ni de V enfant sans souci.
Le traducteur des Psaumes revit seul en ce dessin. Si donc on
veut avoir une idée de ce que fut, en sa jeunesse, le sémillant
et folâtre Clément, c'est à lui qu'il faut s'adresser. Je n'avais,
déclare-t-il, ni peur ni soin ; j'allais là où « le cueur me disoit »,
et, sans craindre les loups, je me risquais dans la forêt. (Cette
forêt dont il parle ici rappelle la Forêt des Aventures qu'a décrite
Octovien de Saint-Gelays.) J'étais semblable, lors de mon prin-
temps, à l'arondelle qui vole puis çà, puis là, et je me vantais
d'être aussi léger que mes frères, les volucres caeli. Actif, re-
muant, je dépensais ma force en exercices violents, hasardeux.
Je traversais à la nage tous les fleuves, et grimpais à tous les
arbres... Ainsi, en clairs svmboles, se dépeint Marot, et ce qu'il
ne dit pas, son œuvre entière et l'histoire de sa vie le disent.
137. Supposez un jouvenceau trop hardi, trop sincère, indis-
cret, fringant, prompt à se lier et à se détacher, toujours amou-
reux mais non pas de la même femme, inconstant parce qu'il
est impulsif, plus délicat dans ses discours que dans ses plaisirs,
curieux de science quoique peu savant, tantôt agressif et tantôt
flatteur, capable de se jeter, après quelques instants de prudence,
en plein guêpier,... et vous connaîtrez le vrai héros de « l'ado-
lescence clémentine ». Les années, sans doute, et les malheurs
ont, à cerains égards, modifié ce personnage. Mais les traits
essentiels de sa nature, il les a — et comment non ? — conser-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 113
vés. Pareil jusqu'à la mort à « l'arondelle », il a eu non seule-
ment la libre allure, l'essor, les caprices apparents, mais encore,
de gré ou de force, la destinée qui pousse d'un ciel à l'autre ce
rapide oiseau migrateur.
138. Il nous reste quelques-unes des pièces que Marot a com-
posées au temps où il était page chez Nicolas de Neufville, puis
clerc chez le procureur Jean Grisson. La première des œuvres
qui datent de cette époque est une traduction [G. II, 19] de
VÉglogue I de Virgile. Il y a des raisons de croire que ces vers
furent écrits en 1513. Et, certes, si l'on songe que l'auteur n'avait
que dix-sept ans, on se sentira porté à l'indalgence, et l'on ap-
prouvera cet essai. Vous y chercheriez inutilement, à vrai dire,
l'ampleur, la gravité virgiliennes, cet air de mélancolie voilée
et, pourtant, poignante, le somptueux déroulement de la phrase
musicale qu'on admire dans le texte latin. Par le rythme qu'il
emploie, l'usage ou l'abus des rejets, maintes expressions mièvres
et de trop fréquents diminutifs, le translateur a rendu jolies des
choses qui étaient belles. Çà et là, il se permet aussi des addi-
tions malheureuses. Il aurait pu se dispenser, par exemple, d'a-
jouter au menu de Tityre, au fromage, aux châtaignes qu'il
offre à Mélibée, non seulement « tout plein de bon fruictage »,
mais encore de l'ail, des pruneaux. Et il ne fallait pas, non plus,
traduire par cité le mot villa.
139. Néanmoins, la version de ce débutant demeure agréable.
Le style est coulant, pittoresque, et ce dialogue vaut mieux que
le Jugement de Minos [G. II, 2g] rimé, l'année suivante, par le
même auteur. La prose de Lucien ne l'a, semble-t-il, guère ins-
piré : il l'a délayée, chevillée sans scrupule, et, parce qu'il
s'agissait de faire parler de grands morts, Alexandre, Scipion,
Hannibal, il a multiplié les tournures emphatiques, les épithè-
tes, les périphrases. En outre, comme il ignorait, au fond, l'his-
toire des trois héros qui, tour à tour, réclamaient en ses vers
la prééminence, il n'a pas évité les anachronismes, et s'est livré,
en ce qui concerne la géographie, à des fantaisies malencontreu-
ses. Chez lui, le duc Hannibal se vante d'avoir effrayé les Ro-
mains«plusqueca;îo«soufouldroyants tempestes ' ; Sagonte, Sara-
gosse et Syracuse sont très plaisamment confondues ; la Lydie
se change en Libye, et l'on entend Alexandre raconter com-
ment il anéantit le roi « Dare », et triompha « en Inde >> du pau-
vre Pyrrhus... Ces erreurs ne proviennent pas de Lucien ; Marot
les lui prête cavalièrement. Que les détails soient faux, il s'en
moque. Seul, le sujet l'intéresse. Trouvant sublimes ce conflit
posthume, ces discours qui sonnent comme des armures et où
il n'est question que de conquêtes, il pense qu'il y a là un thème
Clément Marot et soa école 8
114 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
cotisiile dignus. Et c'est pourquoi, afin d'obtenir, le moment
venu, ses entrées, une place à la cour, il dédie son Jugement de
Minos à François d'Angoulême, héritier présomptif de la cou-
ronne.
140. A la même période appartient l'Épistre de Maguelonne
à son amy Pierre de Provence [G. III, 5]. Les éléments de cette
lettre en vers sont empruntés à un roman qui eut une grande
et longue vogue. Mais la prose naïve et savoureuse du loman-
cier est préférable au poème qu'elle a inspiré. Celui-ci traîne ;
il n'aboutit pas, et s'écarte par trop de la vraisemblance. Sui-
vant nos idées actuelles, il n'est guère raisonnable d'écrire à
quelqu'un pour lui demander son adresse. En outre, Mague-
lonne raconte à son amant des choses qu'il sait mieux que per-
sonne et, surtout, mieux qu'elle. La scène qu'elle juge à propos
de lui rappeler a eu lieu tandis qu'il ne dormait pas (tant s'en
faut ! ) et qu'elle, tout au contraire, dormait fort, ce qui prouve
qu'elle avait le sommeil dur. Tout cela, narré par un autre,
semblait naturel : mais ce qui était bon dans un récit devient,
dans une lettre, presque ridicule. L'unique moyen d'éviter cet
écueil, c'eût été que la lettre, si on tenait absolument à la rédi-
ger, fût envo3'ée par Pierre à Maguelonne, non par ]\Iaguelonne
à Pierre.
141. Marot n'3^ regardait pas de si près. Il n'avait qu'un des-
sein : sui\Te la mode du jour, imiter à la fois les anciens et, parmi
les contemporains, ceux que l'on réputait des maîtres. L'É pitre
dont nous parlons procède — qui ne le voit ? — d'Ovide, et
c'est dans un recueil d'héroïdes que sa vraie place serait mar-
quée. L'auteur a voulu donner un air antique à cette légende
médiévale, et l'a, en conséquence, chargée, encombrée de my-
thologie. Or, l'emploi de « la fable », le goût de Vhéroïde carac-
térisent l'école qui triomphait encore vers 1515. Et qu'on ne
s'}' trompe point : Marot n'a pas dégagé sans effort ni du pre-
mier coup sa saisissante originalité. Il a eu (d'où le titre de ce
chapitre) ses « années d'apprentissage », une période de tâton-
nements, et a commencé, comme tous les jeunes, par prendre
modèle sur les hommes qu'on estimait, autour de lui, admira-
bles. Ainsi il existe, parce que chaque créature est étroitement
lice au passé, un Clément ^larot rhétoriqueur. C'est celui que
j'étudie à présent. Il s'avouait, il se proclamait disciple de son
père et de Guillaume Crétin. Ces gens-là, à ses yeux, étaient des
aigles, et il a subi longtemps leur influence. Elle s'afhrme en la
plupart de ses jiivenilia, mais jamais, à mon sens, plus évidente
que dans une pièce dont il faut maintenant nous occuper, le
Temple de Cupido [G II, 63].
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 115
142. Rimé durant l'année 1514 et offert au roi François I^r
très peu après son avènement, ce poème s'intitulait d'abord la
Qiieste de Ferme- Amour. L'auteur lui-même nous apprend [G.
II, 61] que, s'il a traité ce sujet, ce fut par le « commandement «
de Nicolas de Neufville. Cela signifie sans nul doute que le page
a prié son patron de lui commander la chose. Mieux eût valu
la lui défendre. On n'avait pas besoin d'un temple de plus, et
celui-ci ressemble à tous ceux que les rhétoriqueurs n'avaient
cessé de bâtir. Les rhétoriqueurs ! Il suffit de lire la dédicace
au roi [Ibid., 65] pour reconnaître aussitôt leur manière, leurs
manies. Nous voyons là Jeune-Hardiesse qui déploie sa « jeune
rhétorique » afin de décider le jeune Clément à offrir au « jeune
prince » le livret qui charmera sa jeunesse. Très joli début, et
qui promet.
143. De fait, Marot, cherchant Ferme-Amour, marche sur les
traces de ses maîtres. Il nous donne, en réduction, un Roman
de la Rose :
Mais, par comparaison, je dis
Que celuy Temple est une Rose
D'espines et ronces enclose ;
il cite « Jehan de Mehun, plein de grand sagesse » ; il lui emprunte,
à lui ou à Guillaume de Lorris, plusieurs des personnages qu'ils
ont créés. Danger, Bel-Accueil et Genius ; il ressuscite ou invente
Bon-Rapport, Merci, Bien-servir, Bien-celer et Beau-parler. Quant
au temple, il est construit selon une méthode employée déjà
quantité de fois. Elle consiste, répétons-le, à énumérer et à
décrire les objets du culte ou les rites de l'Église catholique
comme s' appliquant, non plus à la prière, mais à des fins pro-
fanes, à la chasse, par exemple, ou à la guerre, surtout à l'amour.
Dans l'espèce, c'est de l'amour qu'il s'agit. L'adaptation est
facile, et il suffit d'établir que, dans la chapelle de Cupido, les
cloches sont- des tamibourins et des harpes ; les missels, les
livres de Pétrarque et d'Alain Chartier ; l'encens, l'odeur des
passe-velours et des œillets ; les autels, des « lictz a la mode
ordinaire » ; V Ave Maria, le caquet des dames ; les processions,
des danses,... et ainsi de suite. Quelle misère ! Ces k^TÎelles
d'analogies ne proviennent pas directement de Jean de Meung.
Leur source est moins éloignée ; on la trouvera chez Lemaire,
en son Temple de Vénus. Mais il y a, entre les deux ouvrages,
un abîme. L'allégorie de Jean Lemaire cachait un sens très
riche et profond : celle de Marot ne cache rien ; elle n'est guère
qu'un jeu de style.
144. Mais de quel style ? On se le demande. La pièce ne se
116 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
laisse pas, à cet égard, aisément cataloguer. Certaines tirades
visent à l'éloquence, ont de la tenue, un ton sérieux ; d'autres
— et nombreuses — sont plutôt souriantes, et l'on rencontre
même, désobligeantes et inattendues, quelques polissonneries.
On ne s'habitue pas sans peine aux sautes d'humeur de cette
muse parfois sage, parfois dégrafée. Il faut s'y accoutumer pour-
tant, car Marot, en cela, ne changera point. Ici, manifestement,
il se surveille autant qu'il le peut. C'est qu'il travaille pour le roi.
L'intention réelle de l'écrivain apparaît aux derniers vers, lors-
que, désespérant presque de découvrir Fenne-Amour, il l'aper-
çoit enfin trônant au fond du temple de Cupido, entre deux
personnes qu'abritent ses ailes : François pr et Claude de France.
A l'instant tout s'éclaire, et nous comprenons que le page du
sire de Neufville cherchait moins Ferme- Amour qu'une occasion
de flatter le prince. Celui-ci agréa l'hommage sans s'étonner
d'être loué comme devant être fidèle à sa femme. Il n'y avait
là aucune ironie : une maladresse, simplement.
145. Tout en essayant de marquer sa place parmi les poètes
courtisans, Marot, puisqu'il se trouvait basochien, ne négligeait
pas la Basoche, et cultivait les genres qui lui étaient propres.
Trois de ses ballades appartiennent à l'époque où il fréquentait
les clercs du Palais. J'ai déjà eu l'occasion de signaler l'une
d'elles, la dernière en date, celle qui dit adieu à Jean Grisson
et à la porte Barbette. Quoique très alertes, les deux autres
[J. II, 61-3] sont peut-être moins intéressantes. Les Enfants
sans souci prennent la parole dans la première, et affirment
qu'ils méritent leur titre, car
De froid souc}^ ne sentent le frisson.
Répondant à leurs ennemis — les vieux, je suppose, les bour-
geois, les gens qui ont l'air de corbeaux en cage, de hérissons
sur la défensive — ils se vantent de ne chercher que soûlas.
« Saulter, danser, chanter », voilà leur programme. Ils boivent
aussi, et c'est même par là qu'ils commencent la journée. A
les voir
Trancher du brave et du mauvais garçon,
vous pourriez les croire redoutables. Point. Ils ne cherchent
noise à personne, et s'amusent « sans mal penser ». C'est donc
injustement que les dénigre la race des jaloux et des languards.
146. La seconde ballade, qui a pour titre le Cry du jeu de
l'Empire d'Orléans, est une sorte d'affiche, de proclamation. Il
s'agissait d'attirer le populaire à l'une de ces soties que les clercs
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 117
donnaient au carnaval. Le boniment allègue plusieurs raisons
de ne pas manquer un tel spectacle : la pièce, d'abord, sera
spirituelle, pleine de si agréables facéties que le plus maussade
sera déridé ; ensuite, on aura là une revue satirique, un lot
d'anecdotes dignes d'êtres sues, une censure des « abusions >*
que les dames, enfin, ne craignent aucune indiscrétion : posant
en principe qu'elles sont vertueuses, les acteurs ne diront rien
qui puisse les chagriner. Ainsi il y aura du plaisir pour tout le
monde.
147. Par la manière dont elle est annoncée, les promesses
et les demi-menaces du programme, on voit que la comédie
en question était certainement un pamphlet. Marot en était-il
l'auteur ? Nous ne répondrons, faute de preuves, ni oui ni non.
Mais s'il s'est borné, en cette circonstance, à rédiger c le cri »
de la pièce, il a, une autre fois, rimé <' le jeu » même que les baso-
chiens devaient jouer. L'ouvrage qu'il a donné au théâtre des
clercs s'intitule Dialogue de deux amoureux [G. II, 103]. Il ne
vise personne, ne contient pas la moindre allusion, reste en
dehors de l'actualité et de toute politique. Il n'y a là (une phrase
du texte nous le dit [Ihid., 126]) qu'un divertissement propre
à la journée du mardi gras. De quelle année ? On l'ignore. Cette
saynète ne paraît pas avoir été publiée avant 1540. Mais pour-
quoi serait-elle de cette date ? J'imagine qu'elle avait long-
temps dormi dans les archives de Clément Marot lorsqu'il se
décida à l'imprimer. Elle remontait, je pense, à l'époque où il
n'était encore qu'un débutant. Au surplus, qu'on lise ces quel-
ques pages, et l'on sentira que, pour les écrire, il ne suffisait pas
d'avoir du talent, mais qu'il fallait aussi de la jeunesse.
148. La jeunesse, l'inquiète jeunesse, riche en projets, pleine
de désirs, souvent déçue, joyeuse pourtant, à la fois timide et
téméraire, on la reconnaît toute en ce Dialogue, véritable gemme
poétique. Les personnages n'ont pas de noms, pas même un
nom de baptême. Ils s'appellent Premier, Second. Et c'est très
bien ainsi. En effet, ils ne représentent pas tant deux caractères
particuliers que deux stades, deux moments d'un seul âge, l'âge
de l'espoir et de l'amour. Au fond, ils se complètent, ils se con-
tinuent, et un jour viendra, on le devine, où l'un agira et par-
lera comme l'autre agit et parle à présent. Le Second sort à peine
de l'adolescence ; le Premier, au contraire, sans être un homme
mûr, ne compte plus parmi les conscrits. Il se targue d'avoir,
en ce qui concerne les choses du cœur, l'expérience d'un vieux
routier. Ayant soigneusement étudié l'arbre de la science amou-
reuse, il en connaît les branches, les rameaux, et laisse entendre
qu'un novice aurait intérêt à le choisir comme avocat consul-
118 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
tant. Son camarade lui dit aussitôt : Sois mon confident, mon
conseiller ! et il lui raconte que, pour ses débuts, il a rêvé non
pas une conquête facile, mais (c'est dans l'ordre !) celle d'une
femme très fière, inaccessible, plus dure qu'un pommeau de
dague. A la rigueur, il l'épouserait, cette dédaigneuse Barthé-
lemie : toutefois il préférerait la prendre, déclare-t-il, à l'essai.
Le malheur est qu'elle ne veut de lui ni comme mari ni comme
amant. Que faire ? Il a, du moins il le croit, épuisé les moyens
de séduction : cris, soupirs, billets galants, danses et gambades,
visites aux sorcières, stations à l'église, devant le bénitier, il
n'a rien omis, rien négligé. Nul résultat. En vain j'ai joué ds
la prunelle au point que mes yeux en sont lassés ; en vain, durant
la nuit, j'ai chanté à la porte de la belle... Je n'y ai gagné que
trois pots (et il précise à quoi servaient ces pots-là) qu'on m'a
cassés sur la tête.
149. Mis au courant de la situation, l'ainé, le docteur es lois
d'amour, arrive à l'essentiel, et demande : Mais qu'as-tu donné ?
— Des fruits nouveaux, des bouquets de roses. — Bagatelles !
Il fallait offrir... — Quoi ? — De l'argent ! Des objets de prix,
de poids, une grosse émeraude, par exemple. Ta cruelle, alors,
se fût apprivoisée ; tu serais parvenu à tes fins... Le lecteur va
penser que l'homme qui rend cet oracle a perdu toute illusion.
On se le figure blasé, méfiant, et, parce qu'il sait que la vertu
des femmes est à vendre, très résolu à mourir célibataire. Eh
bien, non. Ce sceptique nous avoue qu'il aime. Et qui ? Une
ingénue, une fillette de quatorze ans, à laquelle il offre « de bon
sucre et de la dragée », en attendant de lui offrir « corps et biens ».
Son roman finira par de justes noces, car, à son avis, le mariage
est, en somme, le dénouement naturel des fortes inclinations.
On approuve, certes, une telle morale : mais on ne l'espérait
guère ; elle étonne sortant d'une bouche qui a dit : Achète-la !
Et, ainsi, le plus jeune de ces jeunes gens n'aspire qu'à posséder
per fas et nefas une maitresse, tandis que l'autre, ayant déjà
vécu et couru, a, de ses aventures, rapporté la conviction qu'on
ne trouvera joie et repos qu'auprès d'une enfant candide, petite
épouse innocente, et, par là, digne d'être respectée.
150. La pièce de Marot est, en son genre, un chef-d'œuvre,
et elle nous rappelle deux comédies magistrales. Le vieux rou-
tier qui prodigue ses conseils subversifs au néophyte, pendant
qu'il (c mitonne » pour lui-même une Agnès, annonce sinon les
outrances, l'implacable manie d'Arnolphe, du moins sa théorie
et sa conduite. On ne lira pas non plus ce Dialogue du XVP
siècle sans songer à // ne faut jurer de rien, au personnage de
Valentin Van Buck qui, après avoir voulu corrompre la chaste
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 119
Cécile, tombe dans les pièges qu'il avait tendus, et proclame :
« Lovelace est un sot, et moi aussi... » Que les vers de Marot
vaillent la prose de Musset, cela, à mon sens, ne fait pas doute.
Quelle grâce ! Quelle gaieté ! La causerie se déroule aisée, ailée,
scintillante. Il n'y a presque point de « littérature ». Les ac-
teurs vivent devant nous ; leurs rôles ne sont que confidences
et qu'épanchements. La rime ne coûte rien au poète : facile,
mais souvent imprévue, elle soutient, réveille l'attention, et se
pose d'elle-même à sa place. Chaque détail est signifiant, cha-
que peinture est plastique, et, d'un bout à l'autre de la scène,
règne une délicieuse fantaisie. A cela s'ajoute le charme de la
musique. Le jeu s'ouvre par un refrain populaire, et tout finit
par une chanson. Elle est à trois voix, et les deux compagnons
vont renoncer à la dire, lorsque, juste à point, passe « un qui-
dam ». Il s'engage, chantant « clair comme laiton », à bien faire
sa partie. Et — bras dessus, bras dessous — nos galants s'ache-
minent vers la coulisse en dégoisant une strophe à la mode,
notée par Claude de Sermisy :
Puisqu'en amours a si grant passetemps,
Je vueil aimer, danser et rire...
151. Enfants vraiment sans souci. La Basoche, jamais, n'en
avait connu dont l'enjouement fût de cette qualité-là, et elle
devait à Clément Marot, qui travaillait si bien pour elle, beau-
coup de gratitude. Plus tard, il la servit encore d'une autre ma-
nière. François I^"", nous le savons, n'était pas favorable aux
clercs du Palais, et il lui arrivait d'interdire leur représentation
annuelle. Marot eut ainsi l'occasion (1540 ?) de plaider leur
cause auprès du roi et de s'engager, parlant au nom de la con-
fréiie, à adoucir l'aigreur de la comédie défendue [G. III, 624].
Cela fait, pourquoi le prince ne maintiendrait-il pas, comme ses
prédécesseurs, les « libertez et droictz » des basochiens ? Cette
requête semble avoir été entendue. Mais l'institution s'en allait
mourante ; les beaux jours de ce théâtre étaient passés.
153. Si elle occupait les jeunes poètes, la Basoche ne les nour-
rissait pas, et Marot cherchait, car il fallait vivre, un plus utile
emploi de ses talents. En conséquence, dès 1517, il s'approche
à petits pas de la cour, aspire — lui, le si maigre pastoiu-eau,
— à servir le grand Pan, le dieu tutélaire par qui foisonneront
son champ et sa vigne [G. II, 290]. Cela signifie, en prose, que
Clément avait envie d'une pension, d'un de ces offices qu'on
réservait aux gens de lettres. Déjà, on s'en souvient, il avait
posé sa candidature en dédiant au maître deux pièces de vers.
120 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
A présent il insiste, il précise. Disciple de Guillaume Crétin,
il adresse à François I^^ une courte épître équivoquée et toute
farcie de cakmbours [G. III, 21]. C'est en vain, écrit-il, qu'il
rimaille : sa rime ne lui rapporte (et il en est mar;'?) maille ;
rimailleui qui tant rimonna, il ignore encore quel avantage par
rime on a, et il supplie le prince de faire en sorte que le pau\Te
rimeur tire bientôt de sa rime heur. Jeux de mots pitoyables,
mais fort clairs. Traduisez : donnez-m-oi une place, de l'argent.
Pourquoi pas ? Vous voyez bien que je suis aussi digne de vos
gi âces que les rhétoriqueurs payés par vous ; le plus fou de leur
bande ne ferait pas mieux.
153. En attendant l'issue de ses démarches, j\Iarot commence
à titie gratuit, et pour montrer ce dont il sera capable une fois
promu poète officiel, à traiter des sujets en rapport avec sa
fonction future. C'est ainsi qu'il déplore [J. II, 134] la mort
d'un gentilhomme, M. de Chissay, qui, plein de vaillance et de
force, jeune et en crédit, fut tué dans un duel. C'est ainsi encore
qu'il consacre une ballade à la naissance du dauphin François,
dont la venue au monde (28 fé\Tier 151S) fut saluée en strophes
idolâtres par quiconque avait ou espérait des gages. Jean Ma-
rot, pour ce concert, avait fourni sa part d'hj'perboles. Clément
ne songea point à s'abstenir, mais ce qu'il produisit ne prouve
que son lo5-alisme et le désir de n'être pas oublié. 11 a dû, plus
tard, rougir d'une si chétive cotisation. On avait déjà l'églogue
marine : c'est la ballade marine qu'il invente, lui. Le mot dau-
phin est cause de tout le mal. Où loger un dauphin, sinon dans
l'eau ? Et que prophétiser touchant ce dauphin, à moins de pré-
dire qu'il va calmer les tempêtes, que, lui régnant, la baleine
perdra l'habitude de manger les sardines, et que le peuple des
mers vivra en paix ? Agréable perspective ! Les gros poissons
en sautent de joie, et les petits chantent d'une voix sereine : Bien
sois-tu venu, beau dauphin ! [J. II, 68.]
154. Franchement, cette allégorie, trop digne de feu Jean
Molinet, n'était pas de nature, non plus que le Jugement de
Minos ni le Temple de Cupido, à ouvrir toute large, devant l'écri-
vain, la porte du trésor royal. On conçoit que François I^^ ne
s 3 soit pas pressé, puisqu'il ne pouvait deviner l'avenir, de
prendre à sa solde un solliciteui qui cachait avec tant de soin
son admirable personnalité. Et puis il y avait déjà, sur l'état
des pensions, un Marot. Deux, c'eût été beaucoup. Le second
n'avait qu'à patienter. Néanmoins, si, pour l'instant, il ne vou-
lait pas de lui, le roi tenait à ne pas trop l'éloigner, et il le recom-
manda, en conséquence, à sa sœur, alors duchesse d'Alençon.
Aucun doute, à cet égard, n'est possible, Clément a3'ant affirmé
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 121
deux fois [G. II, 185 et III, 302] qu'il avait été « donné » par
François à Marguerite. Encore fallait-il se présenter, prouver
que le cadeau valait quelque chose, ne pas venir les mains vides.
Aussi Marot crut-il bon d'ajouter au poids de l'intervention
roj'ale celui d'une ballade et d'une épître.
155. La ballade [J. II, 66] est dans le genre alerte et dégagé
que Villon avait mis à la mode. Elle roale, d'un bout à l'autre,
sur un jeu de mots. Jusqu'ici, constate le poète, je suis resté
assis « au giron de triste vie », ou exposé au vent comme un
châssis, ou debout comme un soldat en faction : maintenant,
Madame, je désire être couché... sur la liste de vo= domestiques...
Et c'est là tout. On voit que la trouvaille n'a pas dû exiger un
grand effort. — L'épître, au contraire, est travaillée, conscien-
cieuse, étendue. Est-elle meilleure pour autant ? Non, elle est
pire. C'est que, en l'écrivant, Marot ne songe plus à Villon ; il
rivahse avec les rhétoriqueurs, imite leurs procédés maudits,
et construit, de la sorte, une œuvre si prétentieuse et si faible
qu'ils l'auraient signée. Il n'exprime pas ses sentiments : il les
traduit, il en fait des dieux, des créatures métaphysiques. Lui-
même, il se déguise, il change de nom, et s'appelle le Dépourvu.
S'il s'adresse à Marguerite d'Angoulême, c'est que Mercure le
lui commande (en songe, naturellement). Faut-il obéir ? Le
doimeur y est résolu, et, déjà, il va écrire « en un souverain
stile )) à la duchesse, lorsqu'il aperçoit « une vieille hideuse »,
qui n'est autre que la pâle Crainte. Rondeau de Crainte. Ta
hardiesse, méchant grimaud, dépasse les bornes. Oseras-tu,
ignorant que tu es, offrir à celle « qui de sçavoir toutes aultres
precelle )> tes vers sans art et « mal bastys » ? Dochire-moi ton
papier, et vite ! Le Dépourvu, plus dépourvu que jamais, se
hâte de ruer jus sa plume et même son encre. Il éprouve une
telle douceur qu'il a besoin, pour la peindre, de vingt-cinq épi-
thètes. On tremble pour lui ; on a pitié... Heureusement accourt
(mais nous l'attendions) un aimable vieillard « confortatif )>.
C'est, « atout sa barbe grise » et sa riante figure, Bon-Espoir.
Ballade de Bon-Espoir. Il commence par jeter à la porte Crainte
et, par-dessus le marché, Doute et Souci que nous ne savions
pas là. Ensuite, il affirme que la duchesse excuse, « tant soyent
ilz innocents », les fautes des poètes en herbe, et qu'elle consen-
tira à pourvoir le Dépourvu. Celui-ci, là-dessus, se réveille, tout
ragaillardi.
156. Rien ne manque, n'est-ce pas ? et nous retrouvons ici
le rêve, la mythologie, les abstractions, les incidents réglés
comme une horloge, bref, le système entier des rhétoriqueurs.
En outre, si on descendait aux détails, on pourrait, dans cette
122 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
épître, noter des rimes qui font calembour (courage — coup rage,
mensonger — mon songer) ou des vers dont tous les mots ont une
même lettre initiale. L'auteur, par exemple, veut-il nous don-
ner l'idée du chagrin que lui a causé l'apostrophe de Crainte ?
Il se représente
Mélancolie, morne, marry, musant,
Palle, perplex, paoureux, pensif, pesant,
Foible, faiily, foulé, fasché, forclus...
Si la requête à Marguerite est tombée sous les yeux de maî-
tre Guillaume Crétin, il a dû se dire : Ce n'est pas mal. Voilà
un bon élève. Je me reconnais... Et il se sera d'autant mieux
reconnu qu'il avait, personnellement, en 1513, écrit à monsei-
gneur le duc de Valois, pour lui expliquer comment il se sentait,
au moment de rimer pour lui quelque chose, tiré en arrière par
Crainte et poussé en avant par Désir. Cette Crainte de l'illus-
tre Guillaume, Marot l'avait adoptée, mais, cherchant à paraî-
tre original, il avait changé Désir en Bon-Espoir.
157. Sa lettre en vers, le Dépourvu semble l'avoir remise lui-
même à la destinataire, lorsqu'il vint se présenter à eUe, escorté
d'un gentilhomme que le roi avait chargé de l'introduire. Cet
introducteur, le poète l'appelle Pothon. Mais quel Pothon ? Il
y en a au moins deux, et l'on peut hésiter entre Jean Raihn,
dit Pothon, capitaine de Marmande, et Antoine Rafftn, dit
Pothon, seigneur de Puy-Calvaire et sénéchal d'Agenais. Guiffrey
ne cite que le second, et affirme qu'il s'agit de lui. Je le croi-
rais assez volontiers, car Antoine Raffin, bien vu du prince
qu'il ne quittait guère, paraît avoir été propre à ces menues
missions qu'on réservait à des familiers. — Reste à fixer l'an-
née de cette épître, mais cela ne fait pas difficulté. Le titre de
duchesse d'Alençon et de Berry donné par l'auteur à Marguerite
prouve que la pièce n'est pas antérieure au 4 février 1518, date
où fut enregistré l'acte par lequel François pr accordait à sa
sœur le Berry en apanage. D'autre part. Clément rappelle, en
1535, que, depuis le moment où il entra chez cette princesse,
« quatre et douze » ans se sont écoulés [G. III, 302]. Qu'on fasse
le calcul, et l'on verra que ce fut en 1518 ou, peut-être, au com-
mencement de 15 19 que la future reine de Navarre accueillit
Marot. Quelle fonction eut-il auprès d'elle ? Il nous apprend
[G. II, 185] qu'il fut son « humble valet de chambre )\ Il tou-
chait — du moins, en 1524 — 95 livres de gages, soit 23 livres
et 15 sous par quartier, pas tout à fait 8 livres par mois, un peu
plus de 5 sous par jour.
158. La somme est faible... Oui, mais le premier obstacle
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 123
est franchi. Marot possède maintenant une position sociale ;
le choix qu'on a fait de lui atteste qu'on lui croit du talent ;
il est quelqu'un... En réalité, cette protection qu'il se réjouis-
sait d'avoir acquise allait orienter sa vie entière d'une façon
imprévue, causer la plupart de ses malheurs, lui assigner un
rôle, des opinions et un genre de gloire peu en rapport avec sa
vraie nature. Évidemment, Marguerite n'était pas encore, en
1518, ce qu'elle deviendra plus tard : portée au mysticisme, à
l'exégèse, au libre examen, conscience troublée et non révoltée,
elle cherchait moins à réformer le catholicisme qu'à l'accom-
moder, tel quel, à ses aspirations. Mais, peu à peu, cette âme si
fervente tendra à secouer davantage le joug de l'autorité ro-
maine. Quoique reine (ou parce que reine), Marguerite n'ira
pas jusqu'au bout de ses idées ; elle ne s'avouera point luthé-
rienne : mais elle défendra tous ceux qui professeront ouver-
tement la foi cachée dans son cœur. Pour les persécutés, pour
les prophètes, sa maison sera un refuge, une auberge du Nouvel
Évangile, où passeront, se rencontreront et ceux qui, à leurs
risques et périls, vont semer par le monde la parole de Christ,
et les blessés de l'apostolat, ceux qui, sortant des prisons ou
fuyant les bûchers, souhaitent, avant de se remettre en route,
une demeure sûre, quelque repos. Ces hommes, Marot les verra
à la cour de Navarre ; il les entendra proclamer leur doctrine
ou conter ce qu'ils ont souffert, et il finira par vouloir ce qu'ils
veulent, par lutter à côté d'eux avec ses armes et à sa manière.
Donc, ce seront l'influence, l'exemple de sa dame et maîtresse
qui jetteront le poète dans l'opposition, et le pousseront, ainsi,
vers une voie douloureuse.
159. Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment
la fonction de Marot ne l'induisait à produire rien de hardi,
rien de dangereux. Il n'avait qu'à suivre, en leurs déplacements,
le duc et la duchesse d'Alençon, et il a dû se trouver bien sou-
vent sur les chemins, puisque la duchesse et le duc eux-mêmes
voyageaient derrière François pr, le plus nomade des souve-
rains. Il y a lieu d'admettre que Marguerite et son mari, lors-
qu'ils se rendirent (juin 1520) au Camp du drap d'or, y ame-
nèrent leur valet de chambre, car il a consacré à cette rencon-
tre du roi de France et de Henri VIII une ballade et un ron-
deau []. II, 70, 145], dont le ton semble révéler un témoin ocu-
laire. Pièces, d'ailleurs, officielles, c'est-à-dire très fausses, très
creuses. Elles glorifient, comme si le luxe des princes consolait
le peuple d'être sans pain, la pompe ruineuse de ces fêtes, et
annoncent que, maintenant, la concorde régnera. Aussi vieille
que la littérature de cour, cette prédiction ne leurrait personne.
124 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
mais on ne se fatiguait ni de la répéter ni de l'entendre. L'illu-
sion fait vivre. La réalité, cette fois encore, devait démentir
l'agréable prophétie, et Henri VIII allait, deux ans plus tard
(29 mai 1522), déclarer la guerre à son bon frère du Camp du
drap d'or. Ni l'un ni l'autre n'avaient songé au bien public
lorsqu'ils s'étaient reçus avec un tel faste, de si folles dépenses,
tant de poudre aux yeux. JMais, eût-il senti le vide de cet appa-
rat, il fallait que Marot eût l'air dupe. Il se borna donc à écrire
ce qu'aurait écrit tout autre pensionnaire, et, appelant à son
aide la mythologie et la rhétorique, il plaça cette entrevue d'Ar-
dres et de Guines sous la présidence de tiois divinités : Amour
Beauté et Triomphe.
160. Dans l'année qui suivit cette parade royale, Charles,
duc d'Alençon, obtint, malgré son incapacité militaire, le com-
mandement d'une armée que l'on avait réunie contre les Impé-
riaux. Les troupes en question, qu'il s'agissait d'exercer avant
de les conduire à la bataille, se trouvaient concentrées à quel-
ques lieues de Sedan, autour de la petite ville d'Attigny, au
bord de l'Aisne. Ce fut là que le duc, usurpant une fonction
que le connétable de Bourbon aurait pu revendiquer, alla éta-
blir son quartier général (15 juin 1521). Marot, bien qu'il fût
au service plutôt de Marguerite que de Charles, accompagna ce
dernier, et s'installa au camp, parmi les soldats. Soldat, lui, il
ne l'était point, mais valet de chambre, courtisan, poète. On
n'exigeait pas qu'il apprît à manier la demi-pique ni l'arque-
buse. Son rôle consistait à louer les chefs, à décrire les choses
qu'il voyait, à prétendre que tout allait bien. En somme, sa
situation rappelait celle que son père avait eue à l'époque où,
spectateur des chevauchées de Louis XII, il rédigeait, pour
Anne de Bretagne, le Voyage de Gènes, le Voyage de Venise.
C'était un Voyage de Hainaut qu'il s'agissait maintenant de
raconter. Mais Clément, qui aimait les œuvres brèves, procéda
autrement que Jean Marot. Au lieu de composer une relation
complète, un bulletin, étape par étape, de la campagne, il ne
consacra aux préparatifs de la guerre, à la guerre elle-même
que de courtes pièces. Les deux principales furent, bien enten-
du, adressées à M™^ d'Alençon. Elles paraissent plus soignées
que les autres ; mais c'est en vain qu'on y chercherait l'ordre
et la gravité de l'Histoire.
16L Le premier de ces récits envoyés à la duchesse se pré-
sente sous la forme d'une jolie lettre en vers [G. III, 39]. Le
but réel du narrateur est de plaire à Marguerite en lui repré-
sentant son mari comme admirable. Monseigneur, à la vérité,
n'a rempoité aucune victoire : mais il a déjà conquis... les cœurs
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 125
des gentilshommes français. Le voilà, avant même qu'il ait
déconfit ses ennemis, parvenu « en hault honneur et triumphe
sublime ». C'est beaucoup, penseront les envieux. Eh, c'est à
peine assez, étant donnés les mérites de ce capitaine : il songe
à son affaire ; ni lui ni les siens ne parlent de chasse ni de danse,
mais seulement de salpêtres et de bombardes ; il a tant de bonne
volonté, une âme si excellente que chacun se plaît à lui obéir ;
jamais personne ne fut à ce point « libéral et large » ; grâce à
lui régnent la justice, la police, la consigne, et, depuis « César
dict Auguste », il n'a pas existé de plus équitable prince... Marot
gagne loyalement son argent, et l'on ne saurait, à cinq sous
par jour, flatter davantage. Ce n'est pas cher. Heureusement
pour nous, l'épître renferme autre chose, une partie descrip-
tive, un tableau de la vie au camp.
162. Qu'ils étaient donc féroces, les piétons et aventuriers
de jadis ! L'auteur nous les montre terminant par des luttes à
outrance leurs moindres querelles et, pour se faire un peu la
main en attendant l'ennemi, se massacrant les uns les autres
et « s' entrenavrant » de façon étrange. Afin de calmer cette ma-
nie, Charles le Juste décide que quiconque se battra en duel
aura aussitôt le poing coupé. Les bretteurs, dès lors, se tien-
nent tranquilles, c'est-à-dire qu'ils renoncent à tirer le fer, et
se contentent de se traîner mutuellement par la barbe et les
cheveux. Ces mœurs nous donnent à réfléchir. De tels sauvages,
une fois licenciés, vont devenir « les mauvais garçons », « les
mille diables », les compagnons du roi Guillot. Mais Marot ne
pense pas à demain ; il est confiant, optimiste. D'ailleurs, lors-
qu'ils marchent en rang et sous l'étendard, ils ont bonne mise,
les soldats-brigands. Ce sont de fameux gaillards. Quelle « cor-
pulence » ! Quelle « facture » ! Le poète passe en revue, à la ma-
nière homérique, les différents corps d'armée : la bande de
Charles de Mouy composée d'hommes « pompeux et diligents » ;
les « mille puissants souldardz » que mène en bel ordre Charles
de Refuge ; les fantassins de Jacques de Montgommery, sei-
gneur de Lorges : des gars superbes, couverts de corselets, et
qui s'avancent « roydes comme éléphants»... On se sent réjoui
quand on assiste aux manœuvres de ces gens. Enseignes dé-
ployées, la plume au vent et les épées nues, ils défilent d'une
fière allure, tandis que résonnent les « gros tabours », que siffle
le fifre aigu, et que les canons tonnent si fort qu'on croirait à
un conflit de notre terre et du ciel.
163. Le spectacle vaut bien qu'on se dérange pour l'admi-
rer. Et donc, au petit pas de leurs mules, paisibles montures,
les bourgeois d'Attigny viennent contempler ces fêtes mar-
126 CLÉMENT AtAROT ET SON ÉCOLE
tiales. Clément, en un rondeau[J. II, 146], a raillé ces marchands
et citadins, qui, très éloignés d'avoir l'âme héroïque, se plai-
saient, parce qu'on ne risquait rien, à des simulacres de ba-
tailles. Vous autres, leur dit le poète, qui arrivez sur vos mules
comme des moines ou des capelans, et semblez vous divertir
En cestuy camp ou la guerre est si doulce,
vous seriez, au milieu d'une véritable mêlée, moins à l'aise, et
penseriez alors : Je voudrais être à Jérusalem.
164. L'armée royale une fois instruite, on se décida à s'avan-
cer du côté de l'ennemi. L'heure n'était plus aux jeux mili-
taires, mais aux luttes réelles. Marot, qui savait son métier,
avait, par anticipation, chanté la victoire et consacré une bal-
lade [J. II, 71] aux futurs succès du « bon duc d'Alençon ».
Conduits par lui, nos soldats allaient frapper d'un bras si ■ gla-
diatoire » et même si « fulminatoire » que les Allemands seraient
condamnés à fondre ainsi qu'au soleil « blanche neige et gla-
çon »... En fait, dès qu'il fut question d'hostilités effectives, le
duc Charles s'effaça, et les opérations furent dirigées par le
roi lui-même, assisté de La Palisse, de La TrémoïUe et du con-
nétable. Les Français descendirent l'Escaut jusqu'à Bouchain,
et, voulant s'acheminer vers Valenciennes, jetèrent un pont sur
le fleuve. Inutilement, le comte de Nassau essaya de s'opposer
au passage (mercredi, 23 octobre 1521). Contraint de battre
en retraite, il aurait vu, si les nôtres avaient osé poursuivre
leur offensive, se changer en désastre son revers. ]\Iais François
l^^, écoutant les timides conseils du maréchal de Châtillon,
laissa aux Impériaux, qu'il lui eût été facile d'anéantir ce jour-
là, le temps de respirer et de se refaire. Irréparable faute. La
campagne, depuis, traîna en longueur, et l'on ne retira aucun
profit d'un avantage qui aurait pu être décisif.
165. Marot, néanmoins, tailla sa plume, et envoya à sa k sou-
veraine dame » une épître en prose [G. III, 53] tendant à exal-
ter le roi, c( la rusée conduicte » des vieux capitaines et, bref,
« le triumphe gênerai de l'armée gailicane ». Elle n'a eu, cette
armée, qu'à paraître ; semblable au basilic, elle a tué, d'un seul
regard, le Hainaut... Adulation ! Rhétorique ! L'auteur de ces
gentillesses croyait peu au « triumphe gênerai » qu'il annonçait.
Nous le voyons, vers cette même date, rimer une ballade [J.
II, 72] qui n'est certes pas un hymne de \'ictoire. La victoire,
il ne la célèbre plus : il l'appelle, il la souhaite, et, pour le cas
où elle s'abstiendrait d'accourir, il demande, du moins, la paix.
A son a\-is, cette guerre a rapporté moins d'honneur qu'elle
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 127
n'a causé de maux. Où sont les profits ? Il n'en sait rien. Il
constate, par contre, que la famine menace Labeur, c'est-à-dire
le paysan, l'artisan, et que mainte dame pleure son mari qui
dort là-bas, sous la terre. Il serait temps de noyer la Discorde
et de renoncer à payer si cher une gloire qui se fait tant atten-
dre. Ces vers reflètent l'opinion publique. Le roi s'était décou-
ragé, lui aussi. Dès la fin de novembre, il se rendait à Compiè-
gne, et, le 9 décembre, i' rentrait à Paris. Marot, je pense, revint
avec la cour. Il ne rapportait ni trophées ni dépouilles, et n'avait
lien gagné sur les ennemis. Cela est si vrai qu'il lui fallut, au
moment de quitter Reims, adresser un rondeau à François I«^
[J. II, 146] pour avoir de quoi se remettre en route. Sa mon-
ture ne voulait pas le suivre. Entendez que l'aubergiste, un
homme rude, avait déclaré que, le voyageur étant sans le sou,
il garderait le mors, la selle et, au besoin, le cheval... Mais on
ignore, avouons-le, si cet incident a eu lieu à l'aller ou au retour.
166. Cette vie d'aventures quasi guerrières n'avait pas empê-
ché Marot de rimer, pour le concours annuel ouvert au puy de
Rouen, un chant royal à la louange de l'Immaculée Concep-
tion. Jean Marot, ayant, de son côté et juste au même moment,
traité ce thème traditionnel, se trouva, en conséquence, le rival
de son fils. L'un et l'autre, dit-on, étaient entrés dans la lice
afin de complaire à Guillaume Crétin qui, après avoir, en per-
sonne et sans relâche, célébré la pureté de Marie, poussait les
gens de lettres à aborder ce sujet. Par là, on risquait d'attra-
per une médaille ou une tasse d'argent, et l'on était sûr de ga-
gner le ciel. Ainsi, on faisait, vaincu ou non, un bon placement.
Mais, tandis que son père obtenait le double avantage. Clé-
ment n'eut que le profit spirituel. En effet, le 15 décembre,
jour de la distribution des récompenses, le « prince » de la pieuse
confrérie, F» honorable homme » Guillebert Lefèvre, « bour-
geois et marchant » de Rouen, adjugea la palme, le premier
prix à maître Guillaume Sber et le second prix, le lis, à « mais-
tre Jehan Marot ». Clément ne fut point couronné ; on ne lui
donna pas même un accessit. Son exclusion nous paraît ini-
que : les vers qu'il avait envoyés étaient aussi ridicules qu'ils
devaient l'être pour triompher.
167. Se pliant à la désastreuse règle palinodique, il a voulu,
en son chant royal [J. II, 80], expliquer, au moyen d'un sym-
bole, la parfaite candeur de Celle qui fut conçue, qui a conçu
sans péché. Il ne se charge pas de pénétrer un tel mj-stère : il
l'illustre, il lui donne la forme d'une image capable, à son avis,
de le rendre clair... Et, d'abord, un récit : Il y avait une fois
un roi (quel roi ? on le saura plus tard) dont les sujets, enfer-
128 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
mes par l'Ennemi au fond d'une prison, y souffraient mille
tortures. Résolu à déli\Ter ces captifs, le roi en question déclare
la guerre à leur geôlier, et se met aussitôt en chemin, se diri-
geant vers la Judée. ]\Iais, au préalable et pour avoir où loger
à son arrivée chez les Juifs, il enjoint à ses fourriers de lui pré-
parer un « exquis domicile ». L'ordre est exécuté, et le prince
trouve, en débarquant, un beau pavillon déjà tendu, un lit
sous le pavillon... Ici se termine — laborieux ! — l'acte pre-
mier de la pièce. Le reste, tout le reste est consacré à la pein-
ture du lit, qui est, l'auteur y insiste, un « lict de camp ».
168. Bon lit, néanmoins, et remarquable. Les fourriers ne
l'ont pas fait seuls, et ont eu recours à la collaboration d'ar-
tistes très distingués. Nature en personne a fabriqué le bois ;
« le Grand Ouvrier » a mis dans le coussin les plumes d'une
colombe ; dame Innocence a filé, de sa quenouille, la toile des
draps ; Divinité a posé les rideaux ; le « Grand Pasteur «, parent
fort proche du « Grand Ou\Tier », a offert, pour la couverture,
la laine si blanche de ses agneaux. Quant au ciel de ce lit, ce
n'est pas un ciel de lit comme on en voit aux maisons des hom-
mes : c'est le ciel lui-même, « le hault ciel », le ciel immense,
lumineux et rond. Bref, cette couche est à ce point respectable
que la « vermine » n'oserait l'habiter et que « l'aspic hostile »
craindrait d'3' aller dormir... Et puis ? Et puis, c'est tout ; c'est
fini. L'auteur, cependant, demeure inquiet ; il a peur qu'on ne
comprenne' pas, et se résout à allumer sa lanterne. S'il nous
laisse le plaisir de de\'iner que l'Ennemi représente le diable,
et que la prison n'est autre chose que l'enfer, il nous révèle les
trois points suivants : le roi, c'est Dieu ; le pavillon (pour-
quoi ?) figm*e sainte Anne ; le lit de camp... eh bien, le lit de
camp, c'est ^larie. Jolie comparaison appliquée à une vierge !
Voilà, conclut l'écrivain, ce que j'ai inventé avec «mon sens
puérile ». Très puéril, assurément. Le véritable miracle, ce n'est
ni Dieu ni ses fourriers qui l'ont fait, mais l'académie de Rouen :
elle a réussi, en instituant un concours d'âneries, à changer,
pour un instant, en sot un homme d'esprit.
169. Et l'on s'étonne de voir Marot embarqué dans cette
maudite galère. J'observe, en effet, que plus le temps passe,
plus les gens de valeur s'éloignent de ce puy d'ignorance. Les
listes de ceux qui ont cueilli les palmes ou décroché les tim-
bales de vermeil proposées par la \ille normande à l'ambition
des lettrés, ne contiennent presque, durant le règne de Fran-
çois I^r, que des noms obscurs et sans prestige. Citons, pour
mémoire, en suivant l'ordre alphabétique : Baillehache ; Robert
Becquet, charpentier du roi, auteur, en 1545, d'une ballade de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 129
la Conception et, ce qui vaut mieux, de « la pyramide » de la
cathédrale de Rouen ; Florent Coppin, l'un des plus assidus
au Palinod ; Coquerel ; Thomas Cossart, qui concourut en fran-
çais et en latin ; Léonard Coste, qui présenta un chant royal
dont le refrain était : Femme entre les humains sans première
ou seconde ! ; Jean Couppel ; Jacques Crespin ; Jean Dufour ;
Nicole Gaudin ; Jean du Hamel ; Raoul des Hommets, auquel
on doit une pièce où l'on entend, discutant ensemble, Loi de
nature, Loi écrite, Loi prophétique et Loi de grâce ; Pierre Lan-
glois ; Richard Louvel ; Jacques et Joachim Minfant, de Diep-
pe ; Louis Osmont ; Martin Picard ; Pierre le Roy, qui rima,
outre un rondeau sur « le cèdre, arbre aromatisant... », une
ballade « sur un chou qui ne fut point gelé » ; Jean Savalle ;
Guillaume de Senynghen... Ce ne sont guère là, répétons-le,
que des poètes mineurs, des inconnus. Ils concoururent, pour
la plupait, en 1544 et en 1545. Le puy, à cette date, déclinait
déjà ; sa meilleure époque était passée, et bientôt Du Bellay,
sur un ton hautain, méprisant, va le mettre à l'index, lui, ses
chants royaux, ses ballades et toutes ses « episseries '>.
170. Mais l'institution a la vie dure. Quoique battant de
l'aile, quoique languissante, elle subsiste, et, pendant deux siè-
cles, elle s'acharnera à ne point mourir. Seulement, elle aura
beau convoquer les champions, elle n'aura plus à couronner
que les Muses du département, des gens qui se croient du génie
parce qu'ils ont fait leurs classes, les Orphées de la bourgeoisie
ou de la magistrature. Les lauréats du palmarès, ce sont les
chanoines de Rouen, les curés de Bolbec, un tas de célestins,
de franciscains ou d'eudistes, un lot de jésuites, ces messieurs
de l'Université de Caen et bon nombre de régents de collège,
les uns en activité et les autres émérites. Quant aux sujets que
traitent ces savants de province et ce bataillon sacré, ils ont,
en apparence, « quelque chose de rare », mais, au fond, ils va-
rient peu. Voici des échantillons : la Grenade ; le Papier ; l'Ar-
bre qui ne peut pas brûler et, en compensation, le Buisson ar-
dent ; l'Anatomie de l'œil ; le Saxifrage ; trois ou quatre Vers
luisants ; item, le Ver à soie et la Soie ; un bouquet de Roses
de Jéricho ; tout un vol de Papillons ; le Péché originel (1650) ;
deux Scapulaires ; un Arbre de l'Ile de Fer ; « une Fontaine
d'eau douce qui jaillit à vingt coudées dans la mer, près la Ja-
maïque » (1669) ; beaucoup de Vaisseaux de saint Xavier (une
vraie flotte !) ; l'Os qui ne pourrit pas dans le corps humain ;
■le Perce-neige ; l'Arche de Noé ; Saint Polycarpe ; une Croix
respectée par les flammes ; V Ècusson du Roi respecté du tonnerre
à Moulins (1681)...
Clément Marot et son école 9
130 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
171. Et, autant qu'autrefois, sans pitié ni trêve, l'Imma-
culée Conception. — D'ailleurs, il ne faut pas s'imaginer que
les thèmes énumérés ci-dessus fussent développés pour eux-
mêmes. Ils sont, infailliblement, allégoriques, et l'on ne tarde
pas à s'apercevoir, quand on lit la Grenade, le Ver à soie, l'Arbre
de l'Ile de Fer, le Perce-neige, l'Os qui ne -pourrit /)as...,que cette
zoologie et cette botanique tendent ad majorent Dei gloriam,
et que chacun des auteurs s'est efforcé de découvrir une affi-
nité entre (authentiques ou non) les phénomènes de la nature
et tel ou tel article de la foi. Ainsi, fondées sur une pseudo-
science, ces niaiseries recèlent, en outre, un enseignement éso-
térique, et, comme si tout cela ne produisait pas encore un assez
pesant ennui, l'écrivain, qu'il soit professeur, eudiste ou juge
au tribunal, n'use que du style noble, de l'affreux style noble
qui étale, d'un bout à l'autre de ce recueil, ses grâces écœu-
rantes, ses prétentions, sa monotonie. Le puy, en somme, était
devenu ce que les Jeux floraux allaient, pour un temps, devenir :
une sorte d'école où, sous prétexte de concilier la dévotion et
le bel esprit, on parlait une langue artificielle et l'on outra-
geait le sens commun. Il n'y a donc pas lieu d'étudier, au delà
de 1550, l'histoire de cette académie où ne parurent en trois
cents ans que deux vrais poètes, Jean Parmentier et Clément
Marot.
172. Ce dernier, après son insuccès au Palinod, échappe, pour
trois ans, à nos recherches, et nous ne savons ni où il résida
ni quelles œuvres il a créées en 1522-1524. Il a pu si:ivre, en
leurs si nombreux déplacements, le duc et la duchesse d'Alen-
çon ; il a pu, aussi, ou ne pas les suivre, ou les suivre parfois,
non toujours. Rien ne serait plus facile que de raconter, pour
cette période, les voyages de Marguerite et de son mari, car la
correspondance publiée par M. Génin fournirait un exact iti-
néraire. Mais retrouver, en cet itinéraire, la part, si j'ose cire,
de Marot, voilà ce que l'absence de toute mention le concer-
nant ne permet pas d'essaj'er. De même, parmi les pièces de
lui qui se laissent dater sûrement, aucune (ou presque aucune)
n'appartient à l'époque en question. Il a dû, pourtant, travail-
ler, produire. Il y a lieu de conjecturer que certains de ses vers
d'amour ont été composés alors, mais on ne parvient guère à
les distinguer de ceux qu'il rima plus tard. Lorsque, en consé-
quence, on aura signalé, comme écrites en ces trois ans, quel-
ques épitaphes, celles, par exemple, de Christophe de Longueil
(t Padoue, 11 septembre 1522) et de Claude de France (juillet
1524), il faudra passer directement à 1525.
173. Ce fut le 24 février de cette année-là qu'eut lieu le désas-
CLÉMENT MAfiOT ET SON ÉCOLE 131
tre de Pavie. Tous les biographes de Marot ont cru, et moi avec
eux [I, § 502], qu'il avait assisté à cette bataille et même qu'il
y avait été blessé. Cette erreur, s'il y a eneur, n'est pas sans
excuse, puisque Clément, en sa première Élégie [J. II, 5], dé-
clare, s' adressant à une « dame chérie », non seulement qu'il
fit son devoir en cette rigoureuse journée, mais encore qu'il eut
le bras gauche percé « tout oultie », très « rudement », et qu'il
se vit, « avec le Roy son maistre », conduit en captivité. Quoi
de plus clair, de plus décisif ? Cependant M. Becker, soumettant
ce texte à une critique pénétrante, arrive à se persuader, à nous
persuader aussi que l'auteur ne parle pas ici pour son propre
compte, mais qu'il prête — chose assez ordinaire — sa plume,
son talent à l'un des gentilshommes de l'armée. Cette opinion
s'appuie sur trois motifs qui ne sont pas sans valeur. Je rap-
pelle, d'abord, que les gens de lettres accompagnaient leurs
patrons à la guerre comme témoins et non comme acteurs, en
sorte qu'il paraît douteux qu'un poète ait eu à « manier la lan-
ce ». D'autre part, si c'était lui-même qui eût été fait prisonnier,
on l'aurait tout aussitôt relâché, attendu que, peu après leur
victoire, les ennemis ordonnèrent de « vuider le camp » à qui-
conque ne pouvait payer rançon. Enfin, le personnage qui envoie
l'Élégie à son amante lui dit qu'il ne veut pas s'appesantir sur
le récit de la catastrophe, et qu'il préfère, pour dissiper un si
cruel souvenir :
Voiler en plaine et chasser en forests,
Descoupler chiens, tendre toilles et rhetz.
Or, qui a le droit de prétendre à de tels divertissements ?
Est-ce un valet de chambre aux gages infimes, le fil? de Jean
Marot, ce pauvre diable ? Ou, plutôt, ne serait-ce pas quelque
gros seigneur terrien, possédant de grands bois patrimoniaux,
des veneurs et une meute ?
174. Ces arguments valent, je le répète, qu'on ne les rejette
pas à la légère, et s'il est, certainement, pénible de priver l'écri-
vain de ce coup de « haquebute » qui l'aurait si glorieusement
« navré », peut-être sera-t-il plus raisonnable de se résigner à
perdre cette illusion. La légende est plus belle, plus riche que
l'histoire, mais, néanmoins, il importe de la sacrifier, tant la
moindre vérité a de prix ! Avouons donc qu'il n'est pas évident,
qu'il n'est pas prouvé que Marot ait combattu à Pavie. Rien
n'empêche de croire qu'il se trouvait, tandis que se jouait le
terrible drame, tranquillement à Lyon avec les dames de la
cour, la duchesse Marguerite. Son repos, d'ailleurs, ne devait
132 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
pas durer ; l'heure du péril, pour lui aussi, était assez proche,
et il allait connaître, quelques mois après son retour à Paris,
des épreuves moins nobles mais plus redoutables que celles de
la guerre.
BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES
130. C'est Sagon qui nous apprend que Jean Marot [cf. G. r, 3] avait été, à Caen,
marchand de bonnets. Il ajoute même (mais son odieuse malveillance nous rend suspec-
tes toutes ses allégations) que les affaires ne marchaient pas fort, et que la corporation
des bonnetiers « révoqua » à la fia ce confrère maladroit.
131. <[ Notez, jeunes gens ! » Cf. G. III, 363, n.i.
132. Pasquier, Rech. de la Fr., VII, V. [Joachim Du Bellay songe à Marot lorsqu'il
écrit : k Qu'on ne m'allègue point... quelques-uns des nostres, qui sans doctrine, à tout
le moins non autre que médiocre, ont acquis grand bruyt en nostre vulgaire... Je sçay
bien que les sçavans ne les mettront en autre ranc que de ceux qui parlent bien fran-
çoys, et qui ont... bon esprit mais bien peu d'artifice. »Dt;/. e////. [Chamard], 196-7.]^
« Quant a moy, je dy bien souvent j que Marot n'est pas si sçavant | que Sagon en
langue latine. | Aussi la veine sagontine | N'a la doulceur de nostre langue, 1 Soit en
epistre ou en harangue, ] Telle que Marot... ï (G. III, 572, n. i.) Cet avis est partagé
par un autre rimeur qui se cache sous le pseudonyme de Nicole de Glotelet. Il apos-
trop le Sagon, et lui demande : « Est-il requis par quelz motz on exprime 1 ung bon
sçavoir ?.., «Réponds à cela, « mordant mastin » ! [Revue d'hist. litt, de la Fr., 1894,
p. 122.) — « Marotus latine nescivit. » Ces mots bien des fois cités [voir, par exemple,
G. 1 1, 20, n. i] se trouvent dans une lettre de Boissonné (Chambéry, i*' mars 1547).
133. Parlant de sa traduction de VEgh^ue 1 de Virgile, Marot observe qu'il l'a « trans-
latée... en grande jeunesse », et il ajoute : « comme pourrez en plusieurs sortes con-
gnoistre, mesmement par les couppes féminines, que je n'observois encor alors,
dont Jehan I.emaire de Belges (en les m'aprenant) me rcprint ». (J. IV, 189.)
\34. Nicolas de Neufville: et. Anselme {172S), IV, 639;— G. I, 20 et II, 61-62, le texte
etlesuotes; — Becker, Marots Leben [ZeitschriH fur fy. Spr. u. Litt., XLI, 189).
136. G. 11,286-7; IIî, 98.
143. Cy commence listoyre du vaillant cheualier Pierre de Prouence et de la belle
Maguelonne fille du roy de Xaples. — Cy finist le Hure du noble filz du conte de Pro-
wnce... Et fut acheue le mardi VI iour de ianuier. L'an mil quatre cens quatre vintz et
dix {V. S). Petit in-40 goth. de 35 ff. avec figures sur bois. (On connaît plusieurs édi-
tions antérieures, mais celle-ci est la première qui soit datée. Le romana été, ensuite,
réimprimé et traduit bien des fois.)
143. G. II, 94-5 ; 82 ; 79 ; 91 ; 83 ; 86-93.
155-157. G. 111,24-33-
156. Les Poésies de Guill^iutne Crétin [1723], pp. 182-4.
157. Sur Antoine Raffin, Cf. G. III, 32, n. i ; Becker, Zeitschrift fur fr. Sp. u. Litt.,
XLI, 197, n. 10 ; J. II, 134. — Gages de Marot : Comptes de Louise de Savoie et de Mar-
guerite d'Angottléme publiés par A. Lefranc et J. Boulenger (Paris, Champion, 1905).
pp. 54 et 65.
166. G. I, 65-66.
169-170. Voiries références des §§85-87 du t. I.
172. Christophe de Longueil : J. II, 222 ; Claude de France : Ibid., 223. Je rappelle
que Jean Marot a écrit une déploration et une épitaphe de la reine Claude [ I, § 500].
173. Becker, Zeitschrift fiir fr. Spr. m. Litt., XLI, 203-5. — Sur les prisonniers que
les Impériaux jetèrent hors de leur camp, cf. G. I, 87.
II
LES PRISONS DU POÈTE
ET SON ENTRÉE AU SERVICE DU ROI
175. Épitaphes de François d'Allègre et de Guillaume Crétin. —
176. Chanson de Marot contre une maîtresse inconstante. —
177-178. Dénoncé par elle (mais qui était-elle ?), il se voit con-
duit au Châtelet. — 179-180. Gravité, en ce temps, du crime
dont on l'accuse : il a rompu le carême. — 181-183. Pourquoi
l'a-t-il rompu ? — 184-186. Ses complices. — 1S7-188. Sa posi-
tion, pour deux raisons, est très périlleuse. — 189. // compare
à l'enfer le Châtelet. — 190-191. Minos ci Rhadamante : Jean
de la Barre (?) et Jean Morin. — 192. Épître au docteur
Bouchart. — 193-196. Lyon Jamet ; son rôle dans cette affaire.
— 197-198. Intervention de Louis Guillard : le poète est trans-
féré à Chartres. — 199. François I^^ ordonne sa mise en liber-
té. — 200-202. Quoique relâché, il n'est pas absous. Ni ses
ennemis ni lui-nh'me ne songent à désarmer. — 203. Mort de
Jean Marot ; Clément demande à lui succéder, et obtient une
promesse formelle. — 204-205. Mais on oublie d'inscrire son
nom sur l'état, et il adresse une plainte au roi. — 206-207.
Marot obtient un acquit de comptant. — 208-209. Démarches
auprès du chancelier et du trésorier : ils finissent par consentir
l'un à sceller, et l'autre à payer. — 210-211. L'écrivain arrive,
non sans peine, à figurer sur les rôles de la maison royale. —
212-217. Jacques de Beaune, seigneur de Semblançay, et les
vers que son supplice a inspirés à Marot. — 218. Il a eu, en
cette circonstance, l'honneur de ne pas se montrer courtisan. —
219-222. Détenu à la Conciergerie, il ne reste en prison que peu
de jours. — 223-225. Mort et Déploration de Florimond Ro-
bertet. — 226. Les deux chants de l'Amour fugitif. ■ — 227. Le
mariage de Renée de France ; épithalame qui lui est offert.
175. Parmi les poèmes que Marot a composes en 1525, on
peut citer quelques épitaphes, celles, notamment, de François
134 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
d'Allègre, seigneur de Précy, chambellan du roi, grand maître
des eaux et forêts [J. II, 224], et de Guillaume Crétin [Ihid..
229]. La première, simple résumé biographique, est en vers
alexandrins, et nous prouve que l'auteur ne savait pas se ser-
vir de ce mètre. Rien de plus prosaïque, en effet, que les louan-
ges posthumes de ce gentilhomme
Qui soubz Charles huictiesme a Naples se trouva...
Et en tous les perilz et grans guerres d'adoncques
Alla et retourna sans reproches quelzconques.
Et il faut avoir bien besoin d'un mot qui rime avec paradis
pour se résigner à écrire que François d'Allègre « mourut aagé
d'ans soixante cinq et dix ». — Quant à la seconde épitaphe,
calquée sur divers modèles antiques, elle se borne à constater
que feu Guillaume Crétin n'est pas honoré par son tombeau,
puisque son tombeau « n'est ne painct, ne poly, ne doré », mais
que c'est, au contraire, maître Guillaume qui illustre la pierre
dont il est couvert. Que la terre se contente de posséder le corps !
Elle n'aura pas les œuvres... Vieille idée et peu intéressante
par elle-même. L'éloge, toutefois, semble sincère, et ce n'est pas
avec ironie que les travaux du pauvre rhétoriqueur maniaque
nous sont, ici, donnés comme une « chose éternelle ».
176. En cette année 1525, Marot a dû, outre ces pièces funè-
bres, rimer aussi quelques vers pour et puis contre une maî-
tresse qu'il avait alors. 11 y a des raisons de croire, sans qu'on
puisse l'afhrmer, qu'elle s'appelait Isabeau. On a essayé de
connaître les noms de son mari et de son père. En vain. Cette
enquête, jusqu'à présent, n'a fourni aucun résultat accepta-
ble ; le problème reste ouvert, et nous ne savons rien de cette
femme, sinon que son cœur était « muable », et que ses infidé-
lités rendaient le poète malheureux. A la longue, il se fatigua,
s'indigna, et, selon la méthode des gens de lettres, crut adoucir
sa peine en l'exprimant. Il fit donc une chanson [J. II, 183] ou,
mieux, une chansonnette, deux petites strophes pas trop mé-
chantes, modérées. Après un début fondé sur un jeu de mots
populaires :
Ma dame ne m'a pas vendu,
Elle m'a seulement changé,...
il explique ce changement au mo^^en d'un symbole. Celle qui
l'a trahi est incapable de se tenir à une même couleur : le noir
lui plaît, ensuite le blanc ; elle ne souffre « bleu ny orengé », et,
bref, ce qu'elle préfère, c'est la teinte changeante, « couleur
infâme ». L'adjectif est rude, mai.«, à cela près, on ne trotive.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 135
en ces couplets si brefs, nul déchaînement de rage, rien de bien
amer, rien d'outrageant. Il y a un abîme entre cette mélancolie
voisine du badinage et les invectives, les anathèmes, les cris de
colère de nos lyriques dès que les a quittés une Dali la. On ne
peut rompre avec moins de bruit. L'amant d'hier garde le sou-
rire ; il s'en va sans taire claquer la porte, et n'use pas du droit
qu'il aurait de se répandre en imprécations.
177. Et, pourtant, ce fut à cause de cette chanson peu cruelle
que, brusquement, fut incarcéré Marot (février 1526). Une demi-
douzaine de « pendars », c'est-à-dire de sergents, envahirent en
plein jour son domicile. Le chef de la bande, « un gros pail-
lard », cria : « Voilà Clément ! Prenez-le ! » On s'empara de lui
aussitôt, et on le conduisit au Châtelet [J. II, 78]. Il devina
d'où venait le coup, et reconnut la main d'Isabeau (?). Par deux
fois il a avoué que, s'il avait tenu secrets les caprices de la belle,
il eût évité cette affaire, la prison, un procès qui risquait de
le mener loin. Dans la ballade, d'abord, où il raconte son arres-
tation, il l'attribue expressément « a s'amye » qui voulait se
venger et le punir d'avoir rendu notoire son inconstance. Puis,
au cours d'un Coq-à-l'âne [G. III, 233], non seulement il indi-
que le rapport qui existe entre son séj our au Châtelet et la pièce
relative à sa volage maîtresse, mais il cite le commencement
de cette pièce : Ma dame ne m'a pas vendu... Il ajoute peu après
qu'on a tort de courroucer les fées, attendu que
Toutes choses qui sont coiffées
Ont moult de lunes en la teste.
Les « choses qui sont coiffées », c'est la gent qui porte coiffe,
les femmes. Et elles ont « moult de lunes en la teste » parce
qu'elles sont sujettes à varier comme la lune, lunatiques, sou-
vent mal lunées, fantasques. Cela étant, pourquoi ne pas bap-
tiser <( Luna )j une personne aux goûts instables, ce compagnon
dont le cœur n'est pas sûr ? Marot, en son Enfer [G. II, 161], use
de ce terme imagé lorsque, rappelant aux lecteurs ce qu'il a
souffert, il leur dit :
Bien avez leu, sans qu'il s'en faille un A,
Comme je fu, par l'instinct de Luna,
Mené au lieu plus mal sentant que soulphre.
178. Cette « Luna » a beaucoup étonné les érudits, et ils ont
interprété le mot de différentes façons. « Luna », prétendent les
uns, c'est la Sorbonne. Non, répondent les autres, « Luna »,
c'est la lune. A quoi ils ajoutent : Or, la lime, n'est-ce pas Diane,
136 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
et de quelle Diane serait-il ici question, sinon de Diane de Poi-
tiers ? Constructions habiles, fragiles. Marot, quand il a voulu
parler de la Sorbonne, n'a jamais eu recours à l'allégorie. Quant
à faire de lui l'amant de celle qui deviendra, un jour, plus que
reine, c'est prêter de trop hautes relations à un valet de cham-
bre. Laissons à Ruy Blas de telles fortunes. « Luna » ne repré-
sente ni la Sorbonne, dont la sottise était sans phases comme
sans éclipses, ni certes, Diane de Poitiers. « Luna », c'est sim-
plement la femme qui change et trompe ; c'est une quelconque
Isabeau.
179. Mais cette dénonciation qui conduisit l'écrivain au Châ-
telet sur quoi, enfin, portait-elle ? Il nous l'explique de façon
très claire : la dame qui, d'abord, l'avait changé sans le vendre
et qui, cette fois, ne l'a que trop vendu, s'est avisée de tenir
« parlement a je ne sçay quel papelard » et de lui révéler que
maître Clément avait mangé du lard en carême [J. II, 77]. Si
c'est là un crime, tant d'entre nous le commettent aujourd'hui
qu'il a beaucoup perdu de sa noirceur, et qu'on se refuse à pren-
dre une pareille inculpation au tragique ou même au sérieux.
]\Iais il n'en allait pas ainsi au XVI^ siècle. Le cas de Marot
était un mauvais cas. Pour n'avoir pas fait maigre en temps dû,
c'était sa vie que l'on risquait, et la foule des fidèles vous con-
sidérait comme un monstre. Quiconque voudra regarder ces
choses du point de vue actuel n'y entendra jamais rien : il faut
les replacer dans leur milieu et montrer, par des exemples,
combien nos pères respectaient les jeûnes fixés par l'Église
et ce qu'ils pensaient des gens — fort rares — qui ne jeûnaient
pas.
180. Joinville raconte qu'il lui arriva, étant prisonnier en
Egypte, de recevoir, tandis qu'il dînait, la visite d'un bourgeois
de Paris. Celui-ci, à peine entré, s'écria : « Sire, que faites-vous ?
— Que faiz-je donc ? feiz-je. — En nom Dieu, fist-il, vous
mangez char au vendredi ? )> Voilà le dîneur tout bouleversé.
D'un geste brusque, il honte son escuèle arières, ensuite il pro-
teste qu'il n'a enfreint la règle que par ignorance et qu'il ne
l'a pas (( fait a escient )>. Cependant, la pureté de son intention,
si elle le rassure à demi, ne le décide pas à s'estimer innocent :
il veut réparer ; il trouve juste de se punir, et se condamne,
pour « touz les vendredis de quaresme après », à jeûner « en
pain et en j^aue ». — Passons à un texte plus récent (1432-
1444). L'auteur du Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne
de Charles VII relate à chaque instant, avec une indignation
bien naturelle, les excès, la tyrannie, les actes abominables,
« énormes » des Ecorcheurs. Il les appelle des loups enragés.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 137
énumère leurs maies œuvres : marchands mis à rançon, voya-
geurs tellement dépouillés qu'ils demeurent nus, filles et non-
nains violées, prud'hommes enfermés dans des huches, récoltes
livrées aux flammes, enfançons ravis à leurs mères... Est-ce
là tout ? Non. Après nous avoir montré de quoi étaient capa-
bles ces « murdriers », ces « boute-feux, efforceurs de touttes
femmes », l'annaliste parisien va leur imputer un forfait nou-
veau : « Item... y> Cet item est admirable ! « Item, ils mangeoient
char en Karesme, fromaige, lait et œufs comme en autre temps. »
181. Notre homme range sur un même plan pillage, incendie,
assassinat et le péché de non-abstinence. Le document a son
intérêt : il prouve que Marot, avec son lard, (ne prenez pas le
mot au sens propre ; « manger le lard » signifie « faire gras »)
a dû causer un scandale horrible... Soit ! Mais ce lard, l'a-t-il
mangé ? A-t-il, devant témoins, vraiment rompu le carême ?
— Il n'en faut pas douter un seul instant, et il ne reste qu'à se
demander comment le poète a pu vouloir, au risque d'ameuter
l'opinion, d'être brûlé ou pendu, transgresser une loi à laquelle
le monde catholique se pliait. Était-ce gourmandise ? Évidem-
ment non. Un gourmand se serait caché. Et puis, à ce prix-là,
existe-t-il des gourmands ? La raison qui a décidé Marot à bra-
ver l'un des dix commandements de l'Église est moins vulgaire.
Il faisait, par ce repas qui lui causa tant d'ennuis, une sorte
de profession de foi ; il s'avouait ou Réformé ou sur le point
de le devenir. Cet épisode, bien qu'il en ait toujours parlé sur
le ton de la plaisanterie, marque une date capitale de son his-
toire. Dès ce moment, il n'appartient plus à l'Église romaine :
il compte parmi les dissidents, et, à supposer qu'il n'ait pas
encore entièrement adhéré à leur credo, il ressent au moins,
pour eux, une vive, une agissante sympathie.
182. Les luthériens, en effet, sans nier les avantages, la beau-
té, si l'on veut, de l'abstinence, n'approuvaient nullement qu'on
fût contraint, à jour fixe, de la pratiquer, ni qu'on forçât les
chrétiens à choisir entre la mort suivie de l'enfer et l'exercice
intermittent de cette vertu. Voici, à cet égard, l'opinion du do-
minicain Aimé Meigret, qui avait plutôt la robe que l'esprit
de son ordre : « Jeûner,... ne manger chair le vendredy... sont
d'elles mesmes très belles choses. Mais qui les nous commande
sur peine d'éternelle damnation... nous oste la liberté que Jésus
Christ nous a donnée, et nous mect en intolérante servitude. »
Chacun, selon ce que lui suggère sa conscience, peut donc jeû-
ner ou ne pas jeûner. Celui qui jeûne a raison ; celui qui ne jeûne
point n'a aucun tort. Le jeûne n'est pas « de praecepto ». Sa-
luons ici l'âge d'or du protestantisme. Le temps viendra bien-
138 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
tôt OÙ la grâce écrasera de nouveau la liberté, et où, renonçant
à combattre Érasme avec de bonnes et loyales laisons, Luther
finira par. dire (1528) : « Je rejette et condamne comme pure
erreur toute doctrine qui parle du libre arbitre. » Aimé Meigret
était plus humain. Il comprenait que la qualité des « œuvres »
varie avec les causes qui les déterminent, et que « mérite « et
« servitude » ne peuvent j amais aller ensemble. Cette idée sem-
blait trop juste pour ne pas se répandre peu à peu. On pressent
les conscquences. La question du carême, notamment, va se
présenter sous un jour imprévu, et il ne s'agira plus de savoir
si l'on apprêtera, avec ou sans lard, les pois gris chers à Qua-
resmeprenant, seigneur de l'île de Tapinois, mais s'il faudra,
en ce qui concerne la pénitence, les mortifications, suivre sa
volonté propre ou bien obéir au prêtre.
183. Cela posé, l'acte de maître Clément reprend son véri-
table sens, et l'on est conduit à avouer que le poète n'a pas
dû faire gras par haine du maigre ni s'attabler, à portes closes,
devant des aliments défendus. Ce repas qu'on lui reprochait
ayant, je le répète, le caractère d'une manifestation, il en ré-
sulte que le coupable n'a commis son crime ni à la dérobée,
ni seul. Sagon, qui détaille avec joie et colère les imprudences,
les infortunes de Marot, lui rappelle qu'il mangeait
en karesme du lard,
Non pas caché, mais devant tout le monde.
Et voilà poiu" la publicité. Quant aux « complices », ils nous
sont connus. Ce n'est pas que nous les trouvions cités dans les
documents relatifs au procès de 1526 : mais il a été, ce procès,
repris, réveillé en 1532, et, cette fois, on nous livre le nom des
personnages qui avaient eu, en un temps d'abstinence univer-
selle, l'audace ou le courage d'organiser ces agapes en l'honneur
du libre arbitre, ce banquet de protestation. Les convives, sans
doute, étaient nombreux. Six, au moins, furent poursuivis,
savoir : Laurent et Louis Meigret, Mery Deleau, André Leroy,
Clément Marot et ^Martin de Villeneuve.
184. Quelques-uns de ces noms ne nous disent rien ou pres-
que rien. Par contre, les Meigret ont une histoire, et forment
un groupe qu'on aimerait à étudier. Antoine Meigret, qui vivait
à Lyon, eut plusieurs fils. Lambert, que ]\L Guiffrey donne
comme l'aîné, obtint les charges de conseiller du roi et de con-
trôleur général des guerres. C'étaient là des places très envia-
bles : mais il faut croire qu'il songea beaucoup moins à con-
trôler qu'à s'enrichir, car il fut, en 1528, « condamné en quinze
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 139
mil livres » et mis en prison. Délivré, il s'expatria, et mourut à
Soleure le 14 juin 1533. — Jean Meigret (f 1557), conseiller
puis président à mortier au parlement, rendit d'assez notables
services, et eut une carrière brillante. Pourtant la fatalité, qui
avait prédestiné les membres de cette famille à être incarcérés
tour à tour, ne l'épargna pas non plus, et, pour être allé, « sans
le congé du Roy «, recueillir l'héiitage de Lambert, il logea un
certain temps au Châtelet. — Louis Meigret, frère, je pense,
des précédents, n'a laissé aucune trace, et s'il n'avait été impli-
qué dans le procès fait à Marot, on ignorerait son nom.
185. Laurent, en revanche, qu'on appelait ironiquement le
Magnifique (Lorcnzo il Magnifico), a eu, mais plutôt en mal
qu'en bien, une petite réputation. Valet de chambre du roi,
alchimiste à ses heures [J. III, 61], il ne cachait guère ses ten-
dances luthériennes, et ne connaissait point de jours maigres.
Cela lui valut, en mai ou en juin 1532, d'être arrêté à Château-
briant et conduit à Paris. Son affaire eut une pénible issue. Le
30 août 1534, on amena le pauvre Magnifique au parquet civil
de la cour, sur la pierre de m.arbre, puis « devant la grande église
Nostre Dame », et il dut faire amende honorable, « la torche
de cire ardante au poing et en chemise,... parce qu'il... men-
geoit de la chair en caresme et aux vendredys et samedys ».
Ses biens furent confisqués, et on le bannit pour cinq ans du
royaume. Tous ceux qu'on exilait en qualité d'hérétiques se
réfugiaient en Suisse ou en Allemagne. Lui, il choisit Genève.
Bien accueilli dans cette ville et pensionné par les Genevois, il
les trahit, à ce qu'on prétend, et joua au milieu d'eux, pour le
compte et aux frais du roi de France, le rôle d'espion. Ce pros-
crit demeurait valet de chambre. Mais on finit par éventer ses
manœuvres et par exercer contre lui des poursuites. L'homme
au double visage se défendit souplement : il évita donc les sanc-
tions effectives, et ne perdit que l'estime de ses hôtes. Il vivait
encore en 1552.
186. M. Becker pense que ce personnage était le frère (mais
que de frères !) du dominicain Aimé Meigret qui, au nom du
libre arbitre, réprouvait l'abstinence obligatoire. Si cette hypo-
thèse se trouve juste, on sera amené à conclure que le Magni-
fique se bornait, en rompant le jeûne publiquement, à mettre
en pratique la théorie du R. P. Aimé Meigret. Pourquoi non ?
Les dates, à cet égard, concordent bien. De ce que Clément Ma-
rot et consorts ont été arrêtés en février 1526, il n'en résulte
pas nécessairement que le festin incriminé ait eu lieu durant
le carême de cette année-là. Une phrase de Sagon nous apprend
que le scandale fut connu « trop tard », et ces mots, qui peuvent
140 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
avoir plus d'un sens, offrent, si l'on veut, celui-ci : entre le repas
et le procès des hérétiques, il s'est écoulé beaucoup de temps. Com-
bien de temps ? Un an ou deux. Sans rien affirmer (car toutes
les solutions de ce problème se heurtent à de grosses difficul-
tés), disons que le banquet en question semble remonter au
carême de 1525 ou même de 1524. Or, ce fut précisément en
1524 que le moine Meigret, prêchant à Lyon, avait opposé les
droits de la conscience individuelle au commandement de ne
« manger chair » à certains jours. L'analogie des deux faits
paraît frappante, et l'on se sent d'autant plus enclin à regarder
comme des actes connexes le repas et le sermon, que le sermon
valut à son auteur non moins d'ennuis que le repas aux con-
vives. Le 17 décembre 1524, Anemond de Coct écrit à Farel :
« Maigret est prins a Lion, 7nais Madame d'Alençon y est : loué
soit Dieu ! » Touchant témoignage de confiance. Je souligne ce
« mais » si éloquent. Pour ces novateurs, Margueiite remplaçait
la Providence, et, tant qu'elle était là, ils gardaient l'espoir.
A tort, cette fois. Le dominicain fut traîné à Paris (i^^ février
1525), détenu « en la cou - d'Eglise », puis condamné à l'amende
honorable, « a soy desdire, et son sermon estre bruslé ». Le ser-
mon seul ! Le sermonnaire s'en tirait à bon compte. Cependant,
il fit appel, et l'Inquisiteur aussi. La sentence finale nous échap-
pe. Élargi en 1527, Aimé Meigret se réfugia à Strasbourg, et y
mourut l'an d'après.
187. La doctrine qu'il avait professée à Lyon, et qui déniait
à rÉghse le droit de léglementer l'abstinence, de l'exiger de
tous au même moment, causa, dans le monde catholique, une
vive émotion, indigna, effraya la cour romaine. Clément VII,
le 29 décembre 1524, envoya à la régente Louise de Savoie un
bref qui exprimait son ressentiment, ses craintes. Non content
d'avoir ainsi protesté, il revint à la charge, le 17 mai 1525. La
bulle qu'il promulgua alors était une sorte de cri de guerre :
elle invitait les pouvoirs publics à empêcher les progrès de l'hé-
résie, à la réprimer avec vigueur, ultrice justitia, et à punir les
téméraires qui oseraient, spiritu maligno imbuti, se nourrir, en
carême, d'aliments gras, carnibus vesci. Louise de Savoie, à
cette époque, avait intérêt à ménager le pape, et, plus soucieuse
de lui complaire que de garder les libertés gallicanes, elle pro-
clama, par lettres patentes (10 juin), que la bulle aurait force
de loi dans le royaume. On s'expHque, cela étant, que Marot
ait pu, une fois dénoncé par sa dame, se voir poursuivi en rai-
son d'un fait qui n'avait pas eu lieu récemment. La situation
de l'écrivain et de ses amis, les convives du hardi banquet,
s'annonçait mauvaise, périlleuse : leurs adversaires allaient se
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 141
servir contre eux des armes que le saint-siège avait fournies,
et les juges, certains de ne pas être désavoués, comptaient,
en se montrant sévères, prouver leur zèle et se rendre agréa-
bles.
188. Mais, plus que la bulle de Clément VII, l'absence du
roi, alors prisonnier en Espagne, donnait du courage aux ma-
gistrats, aux docteurs de Sorbonne, et les engageait, puisque les
luthériens avaient perdu leur principal défenseur, à les oppri-
mer sans pitié ni délai. Rien n'est aussi honorable pour Fran-
çois I^r que cette hâte des chats fourrés et des théologiens ex-
ploitant la circonstance qui le mettait hors d'état de régner,
et se dépêchant, avant son retour, d'accomplir les actes vio-
lents auxquels il n'aurait pas consenti. Sa captivité, douleur
et malheur aux yeux du public, paraissait à ces gens-là une
bonne occasion qu'il fallait saisir. Et ils en profitaient de leur
mieux. Le temps oij, réduit à l'impuissance, le vaincu de Pavie
languissait en terre étrangère fut très funeste, chez nous, aux
hérétiques. 11 y eut une sorte de Terreur blanche. Les dissidents
furent inquiétés, persécutés, et quelques-uns succombèrent. Une
commission instituée « pour faire et parfaire le procès de ceux
qui se trouveroient entachés de la doctrine de Luther » décide
que la version française du Nouveau Testament (par Jacques
Lefèvre d'Étaples) sera brûlée. Ces mêmes commissaires pu-
blient, le 3 octobre 1525, l'ordre de « prendre au corps » le cor-
delier Jean Prévost, Lefèvre, Nicolas Mangin, Pierre Car oh,
chanoine de Sens, et Gérard Roussel : celui-ci et Lefèvre s'en-
fuient à Strasbourg ; Caroli, l'homme des palinodies et des revi-
rements, proteste de son orthodoxie, rentre dans le parti qui
triomphe, puis devient, grâce à Marguerite, curé d'Alençon.
Berquin, pareillement, ne doit son salut qu'à la sœur du roi.
Mais les événements sont plus forts qu'elle, et l'ère des suppli-
ces va s'ouvrir. Duprat, Béda, Lizet se déchaînent, et le char-
treux Pierre Cousturier (Sutor) ne demande qu'à sévir. Guil-
laume Briçonnet tremble, recule, trahit ; Michel d'Arande s'é-
chappe ; Jean Leclerc, par contre, n'évite pas son destin, et
périt au milieu des flammes ; Jacques Pavanne (c'est que la
bonne duchesse n'est plus là, et chemine vers Madrid) subit
un semblable sort, et monte, en Grève, sur le bûcher. Au feu,
aussi, l'ermite de la forêt de Livry, et Guillaume Hubert, «licen-
tié es loix » (17 février 1526), et François Moulin, et Antoine du
Blet, l'ami de Farel !... Exemples terribles, noirs présages. Maî-
tre Clément pouvait les méditer et les craindre, tandis qu'on le
menait, comme très suspect d'avoir adopté la Réforme, au
« gouffre », à l'enfer, au Châtelet.
142 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
189. Enterré là, Marot fut saisi d'horreur et de dégoût. Le
lieu, manifestement, l'épouvanta, et il ne cache pas qu'il a frémi
en tombant au fond de cette trappe, en voyant ces murs tragi-
ques, ces portes difficiles à repasser. Mais si l'aspect sordide et
funèbre du logis lui causa une révolte physique et fit défaillir
son cœur, il éprouva une répulsion encore plus vive lorsqu'il se
trouva en face des juges de ce Tartare, et qu'il lui fallut répondre
à des hommes payés pour confondre l'innocence et jouissant
du droit abominable de forcer l'âme, en brisant le corps, à se
trahir, à se démentir. Les magistrats chargés de son affaire,
le poète n'a pas cru pouvoir les désigner par leurs vrais noms,
et il les appelle, puisqu'il compare à l'enfer le Châtelet, l'un
Minos et l'autre, qui procéda à son interrogatoire, Rhadamante.
190. Minos, d'après une hypothèse, exacte ou non, de M. Guif-
frey, serait Jean de la Barre. Ce personnage, né « de pauvres
gens », eut néanmoins une carrière brillante : devenu, on ne
sait par quels moyens, mignon du roi, il obtint gratis (février
1523) l'office de bailli de Paris créé à son intention. Il assista
au désastre de Pavie, fut fait prisonnier par les Impériaux, puis
se distingua parmi ceux qui négocièrent la délivrance de Fran-
çois i^r. Celui-ci, à son retour, ne se montra pas ingrat. Outre
le comté d'Étampes (3 avril 1526), il accorda à Jean de la Barre
(18 avril) la prévôté de Paris, et le nomma, au mois de juin,
(( son lieutenant général... en l'Isle de France et Vermandois,
voulant qu'on luy obeist comme a luy mesme ». Jean de la Barre
mourut en mars 1534, et il y eut « grand triorriphe a son obsèque ».
191. Rhadamante, ce Rhadamante tellement odieux à Marot
que la haine lui donna du génie, se laisse plus sûrement identifier.
C'est que Sagon déclare, dans son Coup d'essay, que le « Rha-
damantus » de Clément n'est autre que Jean Morin. D'abord
avocat au parlement, Jean Morin soigna ses intérêts et s'éleva
assez vite. Lieutenant du bailli Jean de la Barre lors de l'insti-
tution du bailliage de Paris, ensuite prévôt des marchands,
il sut, outre cela, attraper la seigneurie de Paroiz-en-Brie, le
titre de conseiller du roi et, à la mort de Guillaume (ou Gilles)
Maillart, immortel grâce à notre Marot, la charge de lieutenant
criminel au Châtelet. C'était un homme à la fois doucereux et
cruel, ami, à l'occasion, des promptes et rudes sentences. Les
idées nouvelles le chagrinaient, et les luthériens n'avaient pas
à compter sur sa clémence. Il les brûlait volontiers, et ils ont,
eux, déchiré sa mémoire. Théodore de Bèze ne le ménage pas.
Henri Estienne traîne dans la boue ce lieutenant qui « meritoit
en deux sortes d'estre nommé criminel », et nous raconte, avec
beaucoup d'entrain et de joie, ses derniers jours, les remords
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 143
qui l'assaillirent, la démence qui en résulta. Si nous en croyons
l'auteur de l'Apologie pour Hérodote (mais il invente ou, du
moins, il arrange, il exagère), la monomanie de Jean Morin con-
sistait en ceci qu'il se figurait être condamné à la potence. Et
il ne s'en étonnait nullement. Bien au contraire ! Se rappelant
ses pilleries, ses extorsions, le nombre de fois qu'il avait vendu
sa conscience, les innocents traités par lui en coupables, les cou-
pables mis hors de cause moyennant finance, il jugeait naturel
et nécessaire d'« estre pendu et estranglé ». Il s'imaginait, à
chaque coup frappé à sa porte, qu'il allait voir paraître les bour-
reaux, et il succomba parmi ses transes (8 avril 1548), changeant
« ceste tant misérable vie a une plus misérable mort )>. Les
satiriques composèrent son épitaphe et son testament. Je meurs,
y disait-il, aussi « pourry que vieil lard », et j'ai fait, je l'avoue,
tout ce qu'il fallait pour cela. Je lègue ma rage aux bigots et
ma cervelle à Pierre Lizet... Ce trait s'explique aisément : Lizet
était féroce, mais sot.
192. Dés qu'il se vit sous la griffe de Morin-Rhadamante,
Marot comprit sans peine qu'il n'avait rien à attendre d'un tel
homme, qu'il ne trouverait au Châtelet ni sympathie ni pitié,
et que le salut, s'il devait venir, lui viendrait du dehors. Il eut
donc, après cinq ou six jours de captivité, l'idée d'envoyer une
lettre en vers à « monsieur Bouchart, docteur en théologie ».
Que l'arrestation de l'écrivain ait eu lieu par les soins et à la
requête de ce docteur, l'épître à lui destinée le dit, le répète
clairement, et cela nous oblige à reconnaître en sa personne le
« papelard » auquel Luna s'était adressée. Elle avait choisi là
un bon confident, et sa détlaion, placée ainsi, ne pouvait que
produire son plein effet. Comment non ? Nicolas Bouchart n'ap-
partenait-il pas à la Sorbonne, et n'avait-il pas, en 1524, tra-
vaillé à perdre Pierre Caroli ? Pourquoi, cela étant, eût-il épargné
Marot ? On s'étonne que celui-ci ait conçu l'espérance d'atten-
drir, de désarmer un adversaire de cette trempe. D'où vient,
lui demande-t-il, que tu as fait mettre en prison « un tien amy » ?
Quel est mon crime ? Quand t'ai-je offensé ? Je ne suis ni luthé-
riste, ni anabaptiste, ni zwinglien. Mes œuvres célèbrent Christ
« et sa mère tant pleine de grâce ». Tout ce que professe et honore
« la saincte, vraye et catholique Eglise », je l'honore, moi aussi,
et le professe. On t'a dit, je le vois bien, le contraire : mais sache
qu'on t'a menti, et ne m'afflige pas pour plaire à quelque autre...
Le ton est à la fois cavalier et péremptoire. N'ayant ni la fer-
meté d'un apôtre ni le moindre goût pour le martyre, l'inculpé
feint d'ignorer la chose précise dont on l'accuse, ne parle pas de
banquet ni de carême, et pense acheter la clef des champs au
144 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
prix, vaille que vaille, d'un acte de foi. Il y a là beaucoup de
naïveté. Le théologien a dû sourire en lisant cette pièce en appa-
rence très catégorique, mais, au fond, trop vague, trop à côté.
Si un homme avisé a pu l'écrire, c'était par une sorte de geste
instinctif, le geste de ceux qui se noient et se raccrochent à un
brin de paille.
193. Marot ne tarda guère à comprendre l'inutilité, l'impru-
dence de sa démarche, et, sentant bien que son épître à Bouchart
resterait sans action ou tournerait contre son auteur, il frappa
vite à une autre porte. Mieux inspiré cette fois, il s'adressa à
quelqu'un de son bord, au loyal et jovial Lyon Jamet. Ces deux
hommes, par leur amitié, justifiaient le proverbe Qui se ressemble
s'assemble. Je n'aperçois entre eux qu'une différence : le premier
avait beaucoup moins de circonspection que de talent ; le second,
médiocre poète, menait plus adroitement sa barque, en sorte
qu'il n'eut pas à subir autant de revers. Mais, à cela près, leui
vie, leur caractère, leurs opinions offraient de nombreuses ana-
logies : même situation chez les grands, même adhésion aux
idées de la Réforme, même désir de combattre et d'abattre la
Sorbonne, pareille disgrâce lors de l'affaire des Placards, gaieté
égale parmi les épreuves, conformité entière de goût en ce qui
concernait la satire, le coq-à-l'âne... Et voilà plus de liens qu'il
n'en fallait pour nouer une affection capable de durer jusqu'à
la mort.
194. Lyon Jamet naquit à Sanxay, dans le Poitou. Le titre
de seigneur de Chambrun que lui conteste M. Guiffrey, Charles
Fontaine, son contemporain, le lui donne très expressément
en tête des deux pièces de vers qu'il lui dédie. Mais, quoique de
bonne famille, Jamet ne devait pas être riche, puisqu'il consentit
à occuper des charges assez modestes. Il paraît avoir vécu plu-
sieurs années à Paris, et ce fut là, je pense, qu'il fréquenta le
groupe des Réformateurs, et se laissa convaincre par eux. Con-
vaincre et compromettre. Son nom figure, le quarante et unième,
sur la liste des soixante-treize luthériens qui furent, après le
drame des Placards, sommés, le 25 janvier 1535, de « comparoir
en personne ». Cette liste nous apprend qu'il était clerc de finan-
ces, et le signale, en outre, comme « compaignon a Clément
Marot ». Mots pleins de sens, pleins de menaces. Jamet, heu-
reusement, était déjà loin ; il courait vers Ferrare, vers la
duchesse Renée qui allait offrir un asile et à son « compaignon »
et à lui-même. Il trouva chez elle mieux qu'un abri : une fonc-
tion qu'il garda longtemps, le titre et les gages de secrétaire.
195. Réussir à la cour de Ferrare, entre la duchesse toute
protestante et son mari tout cathohque et romain, c'était chose
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 145
difficile, car il suffisait de plaire à la maîtresse de la maison pour
devenir odieux au maître, et réciproquement. Néanmoins, sans
trahir personne, Lyon Jamet sut accomplir le miracle de gagner à
la fois la faveur de ces ennemis intimes et d'entrer si avant dans
leur confiance qu'il servit à l'un et à l'autre d'agent, d'émis-
saire. Le duc Hercule — nous le savons par Rabelais — l'envoya,
en janvier 1536, auprès du pape, et Renée, beaucoup plus tard
(1554), le chargea de se rendre à Genève pour y conférer avec
Calvin. De retour à Ferrare, il semble y être resté jusqu'en sep-
tembre 1560, date où, devenue veuve (3 octobre 1559), sa pro-
tectrice rentra en France. Il l'y suivit ; mais ses jours étaient
comptés, et il mourut en 1561. Fermement attaché à la Réfoime,
il tâchait de faire des prosélytes. Robert de Fuchis, « serviteur
du maître d'hôtel de Madame Renée » et natif d'Arras, cité, en
1568, comme suspect d'hérésie, devant le tribunal du Saint-
Office, avoue le crime qu'on lui reproche, puis s'excuse en disant
qu'il a suivi les leçons et les conseils du secrétaire de la duchesse,
Leone Giametto. Ainsi, l'ami de Clément propageait, semait
l'Évangile. Apôtre, d'ailleurs, souriant, peu austère, nullement
ascète. Il écrivait non des homélies, mais des coq-à-l'âne, et ils
lui valurent, aussi bien que son long exil et la solidité de sa foi,
une certaine renommée. Etienne Dolet, en lui offrant l'édition
de VEnfcr, l'appelle, calembour flatteur : « Jamet a tout jamais
louable... »
196. Revenons maintenant en arrière... Ce fut donc à cet ami
si fidèle que Marot songea dans sa prison, l'estimant assez habile
et assez dévoué pour découvrir quelque moyen de salut. L'épître
qu'il lui adressa [G. III, 75] compte parmi les plus illustres. La
manie des rhétoriqueurs, qui jouent volontiers sur les noms pro-
pres, a produit, cette fois, un excellent résultat. Négligeant le
« Jamet » dont il eût pu, lui aussi, faire un « jamais », notre poète
remarque le « Lyon » et s'y attache. Ce mot lui remet en mémoire
la fable du lion et du rat ; il la raconte aussitôt à sa façon, et sa
façon est exquise. Le pauvre petit rat qui languit et tremble
dans la ratière, parce qu'il a voulu manger « le lard et la chair
toute crue », représente Marot expiant, au Châtelet, son peu de
respect pour le carême. Quant à la « grand beste » qui délivrera,
à charge de revanche, « le filz de souris », l'humble « verminière »
prise au piège, c'est, naturellement, Lyon en personne. La fin
de la lettre :
Or, viens me veoir pour faire le Lion ...
résume l'intention de l'auteur et indique à merveille ce qu'il
attend de son compagnon.
Clément Marot et son école iU
146 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
197. Mais entre le Lyon de l'écrivain et l'autre lion, celui de
l'apologie, quelle différence ! Le premier n'avait pas- la force de
l'animal-roi qui brisait d'un coup d'ongle une prison, et l'on ne
se figure pas comment un simple clerc de finances aurait pu,
sans aide, ariacher une proie au parlement, à la Sorbonne. Il
faut donc, puisqu'il y parvint, conclure que, loin d'affronter
de telles puissances directement, il a cherché, trouvé des inter-
médiaire?, des gens en crédit et d'importance, parlant avec auto-
rité et de haut. Quels furent les personnages qu'il mit en mou-
vement ? On l'ignore. Nous ne voyons que le dernier anneau
de la chaîne, l'heureux dénouement de cette intrigue. Un prélat
qui devait, par la suite, persécuter avec beaucoup de zèle les
protestants, Louis Guillard, fils d'un second président du par-
lement de Paris, évêque de Tournay puis (juillet 1525) de Char-
tres, se prêta, pour des motifs qui nous échappent, à une comé-
cie juridique, à une sorte de manège libérateur que le reste de
sa vie n'explique en rien. Prétextant, avec une feinte sévérité,
dans un acte du 13 mars 1526, que Marot, à sa connaissance,
avait perpétré, contre l'orthodoxie, plusieurs excès, crimes et
délits, il commanda, en mauvais latin, aux officiers de sa cour
épiâcopale d'amener le coupable en ses cachots, carceribus
nostris, afin qu'on lui fît son procès, ut per nos contra eum
procedatur. Une lettre, datée du même jour, invitait les baillis
et les prévôts de Paris, de Tours et de Blois à bien vite expédier
Marot à Chartres si, par hasard, ils pouvaient l'attraper. Je crains,
disait Guillard, qu'il ne s'enfuie, duhitamus ne se ahscntet, et
qu'il évite ainsi le châtiment. Qui n'aurait cru, à la lecture de
telles missives, maître Clément perdu sans remède ? Il était
sauvé. Toutes ces injonctions véhémentes ne tendaient qu'à le
soustraire à la justice laïque : il ne s'agissait pas de le prendre
(il n'était que trop pris, hors d'état de s' absenter) ; on voulait,
au contraire, lui ménager une captivité presque agréable, le
tirer au plustôt de son enfer, empêcher Rhadamante de le dévorer.
198. Ce sentiment de joie et de détente qui accompagne la fin
d'un cauchemar. Clément, transféré à Chartres, l'éprouva. On
le traita avec beaucoup d'égards et de bienveillance, et il n'est
même pas sûr qu'il ait été, au sens propre, incarcéré. Le nom de
son logis nous est, en effet, connu : il s'appelait l'Aigle. Or, nul
lieu de détention n'était, à Chartres, ainsi désigné, tandis qu'il
existait, en cette ville, une hôtellerie de l'Aigle. Il paraît donc
assez raisonnable de supposer que Marot n'était pas sous les
verrous, mais que, sans cesser pour autant de le surveiller, on
lui avait permis de vivre à l'auberge. Une chose, en tout cas,
reste certaine : c'est qu'il se trouvait bien là où il était. Je ne
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 147
sais (le vers Et par dedans ne vy jamais prison convient mal à
un homme qui sortait du Châtelet) s'il faut faire état du ron-
deau XXIV [J. II, 140], où le poète se représente, afin de ras-
surer ses intimes, allant et venant à sa guise, riant et chantant
« en joye solennelle ». Cette pièce se rapporte, peut-être, à quel-
que autre circonstance. Mais nous avons deux textes décisifs.
L'un [Ihid., i66] contient cette phrase :
A Chartres fuz doulcement encloué ;
dans l'autre [G. II, 159-160], il parle avec attendrissement de
« la prison claire et nette de Chartres », où il recevait maintes
visites qui lui procuraient « passetemps et consolations ». Sa
muse, aussi, le consolait ; elle lui dictait, contre les juges de
Paris, une satire vengeresse, l'Enfer qu'il rima à l'Aigle, et qui
compte parmi les plus belles, les plus fortes œuvres que la Renais-
sance nous ait transmises.
199. Et, de la sorte, les heures passaient, rapprochant le jour
de la délivrance. Il ne se fit pas trop attendre, et la captivité de
l'écrivain cessa peu après celle du roi. A peine rentré en France
(18 mars 1526), François i^r comme pour se prouver à lui-même
qu'il avait recouvré sa puissance, combla de faveurs ceux qu'il
aimait, et prit, à l'égard des gens qu'en son absence en avait
lésés, des mesures réparatrices. Son intervention dénoua les
nœuds qui serraient encore Marot, lui ouvrit la porte de l'Aigle,
et le ramena — libre — à Paris. Dans un « rondeau parfaict »
qu'il composa « le premier jour de la verte semaine » (i^r mai
1526), il annonça la bonne nouvelle à ses amis [J. II, 165]. Rien
n'est plus sincère ni plus précis que cette petite pièce. L'auteur,
en six courtes strophes, résume « d'un cueur bien enjoué ^^ sa
peu joyeuse aventure ; il en marque chaque phase d'un trait
vif et plastique, et exprime on ne peut mieux, sans effort ni
recherche, le ravissement qu'on doit éprouver, lorsque, échappé
aux pattes des geôliers, on se revoit maître de soi, au grand air.
Le vers si nu et si simple qui commence le rondeau :
En liberté maintenant me pourmaine ...
me semble riche, complet ; toute addition le rendrait faible, car
son excellence dépend moins des mots que de la vérité, de la
naïveté du sentiment. Voilà ce qu'on reconnaîtra à coup sûr
pourvu qu'on se mette un instant à la place de celui qui parle,
et que l'on attache à l'idée et à l'acte de se promener où et comme
on veut le sens, le prix que leur donne un homme naguère enfermé
et « cloué ».
143 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
200. Ici se termine — en apparence — ce cruel épisode...
L'issue remplissait le poète d'orgueil, d'allégresse : mais, en réa-
lité, sa position n'était pas aussi bonne qu'il se le figurait. On
l'avait relâché, non pas absous. Ses adversaires le laissaient
courir avec l'espérance de le faire choir, et tenaient toujours le
bout de la corde. Pour déjouer leur calcul, il eût fallu une vie
à l'écart, sage et muette. Or, Marot ne pouvait s'astreindre ni
à la prudence ni au silence ; loin de fuir les périls, il les cherchait,
les provoquait, et son récent malheur, qui aurait dû lui servir
de leçon, ne sut le rendre moins téméraire. Il n'alla pas, à vrai
dire, jusqu'à imprimer immédiatement le pamphlet qu'il avait
écrit à Chartres, cet admirable Enjer qui accablait et jugeait ses
juges : mais il le laissa bientôt circuler de main en main, et trouva
bon de le lire au roi. De là, comme il nous le dit lui-même [G. III,
286-7], une haine qui ne finira point, toute une corporation coa-
lisée contre lui. Que de nuages il a rassemblés ! Le voici, à la
fois, en butte et aux rancunes ecclésiastiques, les plus tenaces
qui soient, et à la colère des magistrats. Les uns et les autres
rêvent de se venger : ils attendent leur heure, et n'oublient pas.
201. Le poète, lui aussi, se souvient. Son humiliation, ses
angoisses remontent à sa mémoire, et l'air de désinvolture qu'il
affecte en rappelant sa disgrâce cache mal l'amertume qu'il
conservait. Un coq-à-l'âne envo3'é (automne 1526 ?) à L3^on
Jamet retrace à mots couverts cette si pénible affaire [G. III,
233], et attaque, en passant et sans insister, le trafic romain
des indulgences, les chanoines, les gens de justice, les sergents
qui se mettent douze pour battre « un homme seulet », les moi-
nes qui « ne font rien », et les personnages qu'on suppose rem-
plis de raison et de vertu à cause de leurs « bonnets carrez ou
rondz ». Dans sa réponse (a\Til ou mai 1527 ?), Jamet prodigue
les plaisanteries très poivrées, et n'épargne, lui non plus, ni les
<( gras moynes » paillards, ni les sergents si hardis tant qu'ils
n'ont rien à risquer, ni le saint-père marchand de pardons...
Mais aux vers relatifs à Luna et à son complice, le papelard,
nulle allusion n'est faite par l'ami Lyon. C'eût été, pourtant,
le point essentiel.
202. Un dernier mot sur ce procès de 1526 : si la femme qui
l'avait vendu s'appelait vraiment Isabeau, Clément s'est efforcé
de la punir en lui décochant, plus tard, des épigrammes. Nous
trouvons, en effet, dans ses œmTes, cinq petites pièces contre
une dame nommée Isabeau. Non content de lui reprocher, et
deux fois plutôt qu'une, son inconstance, il déclare, en des vers
empruntés à Martial, qu'elle s'abuse si elle se croit belle, puis il
la dépeint à Etienne Clavier comme louchant d'une façon tel-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 149
lement horrible qu'elle gagnerait beaucoup à être aveugle « tout
outre ». Vengeance bien cruelle ou trop faible : cruelle, si Isabeau
n'a été que volage ; faible, si elle a voulu hAve moui ir son amant
— de quelle mort !
203. Cette même année 1526, qui l'avait vu au Châtelet puis
à l'Aigle, apporta encore à Marot un chagrin d'une autre nature :
il perdit son père. Après une carrière sans joie ni gloire, le vieux
rhétoriqueur quitta le monde aussi nu qu'il y était entré et ne
laissant, pour toute fortune, qu'une place vide, sa petite charge
à la cour. C'était l'unique bien temporel qu'il eût jamais possédé,
et il léguait à son enfant non la certitude, mais l'espoir de l'occu-
per à son tour. Si la survivance de cette fonction ne pouvait
être réclamée comme un droit, il y avait des chances poui que,
sollicitée comme une faveur, elle ne fût pas refusée. Clément
fit aussitôt la démarche nécessaire. Le pau\Te Jean, à sa dernière
heure, la lui avait conseillée. Fils, avait-il dit, adresse-toi au
roi ; demande-lui que,
par sa grand doulceur,
De mon estât te face successeur,
et, afin de lui prouver que tu mérites une telle grâce, offre-lui
«quelque œuvre» de ta façon [G. III, 92]... Le moyen, au
reste, d'agir autrement ? L'intéressé eût trouvé cela tout seul.
Donc, il courut à Amboise (août ou septembre 1526), et, après
avoir lu à François i^r le commencement de sa version des
Métamorphoses [G. II, 302], il exposa sa requête, supplia qu'on
lui transmît l'héritage paternel. François écouta avec bonté
cette prière, l'exauça à l'instant et d'une manière si libérale qu'il
semblait beaucoup plus heureux d'accorder que l'impétrant
d'obtenir. Et voilà un homme qui croit n'avoir plus rien à
souhaiter. Comptant sur la parole royale, il se regarde déjà
comme au port, et s'imagine qu'il a, cette fois, réalisé le rêye
de toute sa jeunesse : être au service du prince. Une promesse
de lui vaut un acte notarié ; les prochains états porteront, sans
nul doute, le nom du nouveau valet de chambre, et il pourra
toucher, à ce moment, le terme échu de ses gages.
204. Or, lorsque paraît la liste annuelle, le « roolle et estât
des officiers de l'hostel du roy », le poète n'y figure point. Aucune
mention de lui. On l'a oublié. Pourquoi ? Est-ce à dire que
François i^^ n'ait pas voulu remplir ses engagements ? Comme
on aurait tort de le penser ! Il a donné ses ordres en temps utile :
mais on ne lui a pas obéi. Était-ce négligence ou malveillance ?
150 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Plutôt malveillance que négligence. Marot, qu'on réputait, non
sans cause, turbulent et hérétique, avait des ennemis dans la
place, et ils ont pu croire que lui nuire était faire une œuvre pie.
Rappelons-nous que le sort des domestiques et de quiconque
aspirait à un emploi dépendait, chez les souverains, en partie
du Grand-Maître de l'hôtel. Et qui donc, en 1526, était Grand-
Maître à la cour de France ? Anne de Montmorency (depuis le
23 mars), et l'on sait que cet homme autoritaire haïssait les
luthériens. Donc, nous avons le droit de présumer qu'il a différé
autant que possible l'inscription régulière de Marot. Celui-ci
ne fut pas dupe. Il sentit bien cette résistance, et, loin d'attri-
buer sa déconvenue à quelque circonstance fortuite, il résolut
de se plaindre, et, bravement, s'adressa au roi.
205. L'épître qu'il lui écrit [G. III, Sy] n'a pas l'entrain, la
gaieté, la feinte insouciance qu'il montrait jusqu'alors et qu'il
reprendra bientôt. On voit, cette fois-ci, qu'il a souffert ; la
déception lui a semblé rude ; manifestement, le méchant tour
qu'on lui a joué l'irrite, la peine, l'humilie, et — valet de cham-
bre non titulaire, omis sur le registre officiel, — il demeure
inconsolable. Avoir une fonction rétribuée et peu s'en faut ina-
movible est une si belle et bonne chose que, pour nous la dépein-
dre, Marot emprunte des images à l'idylle. La liste des officiers,
cette liste où son nom ne se lit point, il la compare, ici et ailleurs,
à un asile inviolable, à un parc où le troupeau s'endort à l'abri
des loups, à un bercail tiède et bien clos. Qui n'envierait les
ouailles qui logent là ? Quant à celles qui bêlent à la porte et
qui n'ont k toyson ne laine sur la peau », le pasteur en chef ne
remplit pas son rôle si, au lieu de leur ouvrir la bergerie, il les
laisse à la froidure... Touchante allégorie, mais puérile. Heu-
reusement, l'auteur tient en réserve de mioins bucoliques argu-
ments, et il va inviter le Grand Pan à accueillir, pour trois justes
raisons, en ses étables la brebis oubliée dehors. Serait-il équita-
ble, d'abord, de refuser cette joie posthume aux mânes du
bonhomme Jean, de cet humble serf qui comptait, à force de
panég\Tiques, préparer la voie à son fils ? Ce fils, ensuite, n'est-il
pas digne de la grâce qu'il sollicite ? Rimeur habile, esprit très
inventif, il saura payer en vers de bon aloi l'hospitalité qu'il
recevra. Commandez-lui soit de fabriquer des lais ou des épîtres,
soit de traduire « les volumes... des vieulx Latins » , soit, aussi,
de décrire (salut à l'entendeur !) le bruit resplendissant de quel-
que prince, il fera en conscience la besogne, et son travail, certes,
plaira au patron. Enfin, quand il serait vrai que le roi ne dût
rien à Jean, rien à Clément, du moins il se doit à lui-même de
ne pas manquer à sa parole, de ne pas tolérer que ceux qui
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 151
l'entourent décident contre ses décisions, et de montrer, par
ses actes, qu'il n'y a qu'un seul maître : lui. J'ignore si toutes
les parties de ce discours ont ému François i®*" ; mais la troi-
sième frappait à une place sensible. Il ne souffrait pas qu'on lui
désobéît, et il envoya de nouveaux ordres pour qu'on cessât
d'oublier Marot.
206. Mais il fallait attendre les prochains états, c'est-à-dire
une année entière. A cela nul remède, sinon la patience. Eh bien,
le poète patientera à condition qu'on lui donne de quoi vivre.
Au fond, s'il désire la qualité de valet de chambre, il tient encore
plus aux honoraires, et l'on conçoit qu'il se résignera, pourvu
que les émoluments lui demeurent, à se voir contester la fonc-
tion. En droit, on ne lui doit rien ; en fait, qu'on se rassure, il .
touchera. Ses gages vont lui revenir par une route détournée,
et, bien qu'il semble les avoir perdus faute d'un titre authenti-
que, il lui sera possible de les recevoir sous la forme d'un acquit
au comptant (ou de comptant).
207. Au moyen de ces acquits, le bon plaisir, l'arbitraire,
ennemis-nés des règles et des contrôles, se glissaient dans les
finances de l'ancienne monarchie. Ce qui n'était prévu sur
aucun budget, les dépenses sans caractère fixe, les « bienfaits »
du prince, les sommes que les favoris soutiraient, les indemnités
pour un service occulte, tout cela se soldait le plus souvent par
acquit. D'où ces surprises, ces fuites qui rendaient les projets
d'économie illusoires, et amenaient, au bout de chaque exercice,
très infailliblement, le déficit. Il n'importe. Le souci du bien
public n'arrêtait pas les quémandeurs, et Marot n'allait pas
négliger une ressource que personne, à sa place, n'aurait dédai-
gnée. De nouveau, il écrivit au roi [J. III, 12], et le pria, en dix-
huit vers badins, de lui bailler « un bel acquict » représentant
ses gages
Dès le jour du trespas
De Jehan Marot, son père.
Et ainsi, ajoutait-il plaisamment, moi qui suis né dans la misère,
je me trouverai riche... tant que l'argent durera. François I^r
accueillit cette requête, et délivra, dûment libellée sur parche-
min, une ordonnance de payement. J'ignore si, nanti de cette
pièce. Clément fut assez naïf pour croire qu'il n'avait plus qu'à
passer à la caisse. S'il l'a pensé, quelle erreur ! Hélas, entre lui
et ses écus, s'élèvent encore des obstacles, et il lui faudra, pour
les franchir, déployer tout son talent et se remuer beaucoup.
On se sent, à le voir faire, non moins attendri qu'amusé, car,
tandis qu'il s'efforce de sourire, il « n'a maille », de son propre
152 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
aveu, et cette bonne humeur qu'il affecte cache mal (réalité
navrante) la sourde révolte, l'angoisse du pau\Te.
208. A cet acquit dont nous parlons il manquait une chose :
le sceau. Il appartenait au chancelier de l'apposer, et le chancelier,
c'était, depuis le mois de janvier 1515, « bipedum omnium nequis-
simus », un homme dévoré d'ambition et toujours inassouvi,
habile, cynique, rapace et plein de vices, l'archevêque de Sens,
Antoine Duprat, sieur de Xantouillet. Vers la date où nous
sommes, il Venait (août 1527) d'apprendre la nouvelle de sa
promotion au cardinalat, et bien qu'il ne dût recevoir le chapeau
qu'au mois de janvier de l'année suivante, on pouvait, dès cette
heure, le féliciter. Que d'affaires il avait, ce Panurge de la cour
et de l'Église ! Les siennes d'abord, si compliquées. En consé-
quence, il ne s'occupait guère de Marot, et ne songeait pas à
sceller son acquit. L'écrivain, fatigué d'attendre, se décida à
réclamer, et adressa au chancelier une lettre. Il y prodigue les
compliments ingénieux, les coquetteries d'une muse enjouée,
les vers à maintes facettes et, malheureusement, à la manière
des rhétoriqueurs, les calembours et les équivoques. Presque
jamais il n'a réussi de plus variées, de plus souples courbettes.
Les souverains, dit-il à Duprat, ont l'habitude, en montant sur
le trône, de délivrer les captifs qui vivent, ainsi que moi, d'espé-
rance. Agissez de même, et, puisque vous voilà cardinal, mettez-
moi, à votre « rouge advenement » (l'expression est belle), hors
des prisons de mon ennemie, Faiite-de-pécunc. Derechef, il com-
pare, en cette épître, l'état des officiers à un bercail. Ce bercail,
on l'a fermé juste au moment où il se flattait d'y pénétrer. Mais
le roi-berger, néanmoins, a donné à Clément licence de « pasturer »
(ceci désigne l'acquit de comptant), et il ne reste plus qu'à
trouver un pré. Or, ce pré, vous n'avez qu'à parler gascon pour
le découvrir dans le mot Duprat. Duprat va figurer, dès lors,
le pré ou le prat qui fournira l'herbe fraîche, « franche et bonne >.
Quelle est cette herbe ? L'argent de l'acquit. Lorsqu'on l'aura
scellé, ce parchemin, le poète aura de quoi brouter. Ici, en
guise de conclusion, il multiplie, imitant peut-être Guillaume
Crétin, des phrases où abonde, très diversement orthographiée,
la syllabe scel : Assez de retard ! Scellons sans faire procès longs !
Si jamais on scella, c'est le moment de sceller. Je bénirai « des
foys plus de sept l'heure » de cette scellure. Autant vaudraient
un potage sans sel, un cheval sans selle qu'un acquit non scellé.
Vous, donc, qui « tous aultres -precellez ^>, monseigneur, mettez
là votre Sceau, et je prierai Dieu et son smcelle
Que dans cent ans, en santé excellent,
Vous puisse veoir de mes deux yeulx scellant.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 153
209. Malesuada famés... Voilà à quoi entraîne la pauvreté.
Ces derniers vers gâtent un peu le reste, et semblent aujour-
d'hui fort étranges. Mais les contemporains les approuvaient,
et ils ont sans doute amusé Duprat. Puisqu'on l'y conviait avec
un tel luxe d'allitérations, il consentit enfin à sceller, et Marot,
qui croyait toucher au but, courut chez le trésorier maître Guil-
laume Preudhomme. D'abord, simple receveur à Lisieux, puis,
en 1515, receveur général de Normandie et conseiller du roi,
ce personnage allait devenir ensuite trésorier de l'épargne (1529)
et (1530) seigneur de Fontenaye-en-Brie. On le disait favorable
aux artistes, aux gens de lettres ; c'était une sorte de petit Mé-
cène ; il connaissait les œuvres des anciens « facteurs », et se
délectait, « en lieu, temps et loisir », à les réciter. Cela étant.
Clément, qui devait plus tard le célébrer comme un demi-dieu,
avait, certes, le droit de supposer que la somme si longtemps
attendue, il la lui verserait sans retard... Non. Le trésorier,
nous ne savons pourquoi, refusa. Que faire ? Une fois de plus,
l'infortuné prit sa bonne plume, et tourna en rimes sa protes-
tation. S'adressant au chancelier, il se plaignit de l'incroyant
Guillaume qui ne voulait croire ni à la cire du sceau, ni à la
signature du roi, ni au contreseing de Claude Robertet. J'ai
envie, ajoutait le poète, de faire peindre le Père éternel sur
mon acquit. Preudhomme, s'il est aussi prud'homme (toujours
les jeux de mots !) qu'on l'assure, croira, je l'espère, en Dieu.
Tandis que Duprat était, de la sorte, invité à agir, un joli dizain
arrivait au trésorier lui-même. « Va tost, Dixain, solliciter... »
Parle à cet « amateur d'Apollo », au double Preudhomme (et
encore !). Je souhaite que tu sois si bien reçu que je puisse rece-
voir... Le vœu fut exaucé à ce coup, et l'écrivain eut son argent.
Il l'avait gagné, n'est-ce pas ?
210. Pour la clarté du récit, j'ai présenté comme se suivant
à peu d'intervalle les pièces relatives à l'acquit. Cependant il
est possible qu'elles se rapportent, en fait, à deux exercices
financiers, car nous ne sommes pas certains que Marot ait été
payé une seule fois au moyen d'un acquit de comptant. Mais
qu'il ait eu, deux années ou rien qu'une, à toucher, à arracher
plutôt ses gages de cette façon, on devine que tant de difficul-
tés ont nécessairement accru son désir de figurer sur les rôles
de l'hôtel. L'épître envoyée au roi dans ce sens, et dont il a
été question plus haut, ne resta pas inutile, et, le 25 mars [1527],
François pr déclara au Grand-Maître, en quelques lignes très
souvent citées, qu'il voulait et entendait que Clément eût, dans
sa maison, une position enfin régulière. « A quoy, concluait-il,
je vous prye ne faire faulte. » De son côté, Marguerite deman-
154 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
dait, le même jour, au même Montmorency de mettre le poète
« en Testât de ceste présente année ». Ce faisant, « me ferez,
disait l'aimable reine, bien grant plaisir, estimant que l'aurez
traicté comme l'un g des miens ». Le ton de ces deux lettres dif-
fère, mais elles sont également pressantes. Qui donc, ainsi re-
commandé, chercherait ailleurs d'autres appuis ? Deux sou-
verains travaillant de concert à obtenir une faveur pour un
valet de chambre, voilà, semble-t-il, qui doit suffire... Marot,
néanmoins, demeure inquiet, et continue à plaider en personne
sa propre cause. Directement, il rappelle au Grand-Maître ce
qu'il attend de lui, et compose, à son intention, un dizain :
quand l'argent vous est assigné « par acquitz », on se sent tout
fâché et tout malade. Quel remède ? Oh, pas de drogues !...
Il faut simplement être bien couché (sur l'état). Couchez-moi
donc, noble seigneur, et de telle manière « que relever n'en
puisse de ma vie ». L'auteur ne s'est pas donné beaucoup de
peine, et s'est contenté de nous servir l'un de ses vieux calem-
bours. Mais il soigne davantage une épître qu'il destine, souhai-
tant qu'il prenne en main ses intérêts, au cardinal de Lorraine,
et bien qu'il n'ait, au fond, rien à lui dire sinon Parlez de moi
à Montmorency, il trouve moyen d'aligner 74 vers, parce qu'il
évoque Bon-Espoir et Mercure, avoue fièrement sa misère,
consacre quelques phrases à la déesse Fortune, puis chante les
mérites du prélat, sa bonté, son savoir, l'éloquence de sa « bou-
che exquise ».
211. Enfin, Marot eut gain de cause, et son insistance, ses
nombreuses requêtes lui valurent d'échapper aux lenteurs et
à l'incertitude des acquits. Il y a lieu de penser qu'il fut inscrit
sur l'état de 1527-1528 : mais on ne saurait l'affirmer parce que
le registre de cette année-là n'existe plus. C'est au rôle de l'an-
née suivante, « commençant le premier jour de janvier mil cinq
cent vingt huict et finissant le dernier jour de décembre mil
cinq cent vingt neuf », que, pour la première fois, se lit (au fo
XII) le nom de notre poète. Sous la rubrique Aultres varletz de
chambre, on trouve l'article qui le concerne : « Clément Marot,
deux cents livres », et nous apprenons, par cette même source,
qu'il a touché, le 21 décembre 1530, ses gages de 1529... Et
le voici donc, après beaucoup de retards et d'aventures, entré
au port si désiré ou, pour employer son style, dans la bonne et
sûre bergerie. Quoiqu'il cesse, alors, de servir Marguerite, il ne
sera ni ingrat ni oublieux. Il ne se détache qu'en apparence.
Jusqu'à la mort, il regardera la sœur de son maître comme sa
maîtresse à lui, sa dame, sa protectrice, sa vraie providence,
l'amie des mauvais jours, celle qui approuve et comprend ses
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 155
idées. D'instinct, il se tournera vers elle à chaque crise, et, afin
de montrer qu'il lui appartient encore, il appellera volontiers
Henri de Navarre son second roi. Plus que celle de France, Mar-
guerite va rester sa reine, et il regrettera, peut-être, d'avoir
quitté sa maison, car le bonheur tranquille et solide qu'il espé-
rait avoir à la cour de François I^^, il ne l'y trouvera jamais.
Le prétendu bercail abritait des loups ; la paix qu'il semblait
promettre n'était qu'un leurre ou qu'un mirage.
212. Les pièces qui forment ce qu'on pourrait nommer le
cycle de Vétat et de l'acquit ne sont pas les seules que Marot
ait écrites durant les années 1527-1528, et il a été amené, par
diverses circonstances, à produire d'autres poésies, celles, no-
tamment, qui se rapportent à la mort du célèbre Semblançay.
Jacques de Beaune, seigneur (depuis le 9 décembre 1515) de
Semblançay, a fourni un saisissant exemple des périls qui ac-
compagnent les hautes fortunes, et, en achevant au gibet une
carrière presque triomphale, il a prouvé une fois de plus aux
humbles l'avantage de la médiocrité. D'abord, au service de
la reine Anne de Bretagne, puis, successivement, « général » de
Languedoc (1495), membre du conseil des finances, chevalier
(1509), promu, vers le même temps, à la « grand charge », c'est-
à-dire au « généralat » de Languedoïl, gouverneur et bailli de
Touraine (novembre 1516), chambellan, Jacques de Beaune
administre le domaine de Louise de Savoie, est traité (mais
attendez la fin !) par cette avare princesse en confident, en
ami, acquiert assez honnêtement l'opulence, et, peu à peu, se
rend indispensable à François I^*".
213. Elle sort de l'ordinaire, certes, la destinée de cet homme
qui, né dans une famille de drapiers, arrive non seulement à
occuper des places éminentes, à faire de ses fils des prélats ou
bien à leur résigner en partie ses emplois, mais encore à « gou-
verner )) [Bourgeois de Paris] trois princes : Charles VIII, Louis
XII et, surtout, leur successeur. Ce dernier lui livre, en effet,
les finances, l'autorise (15 18) à rester « prouchain de sa per-
sonne », à signer pour lui, à payer ou à percevoir presque sans
contrôle, sur un simple « commandement verbal ». Quoiqu'il ne
soit pas, à proprement parler, surintendant, et qu'il faille plu-
tôt voir en lui un banquier de la cour, un ordonnateur officieux
et un ministre sans portefeuille, Jacques de Beaune préside
au maniement des deniers publics, négocie les emprunts, ac-
quitte les dons, subvient aux frais des ambassades, tâche d'en-
tretenir les armées, et dirige, en outre, le département des menus
plaisirs. Visant à obliger tout le monde, accueillant, « gracieux »,
il se vante de n'être jamais « incompatible » et de n'avoir guère
156 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
d'ennemis. Il en a, pourtant, et des envieux. Duprat le guette
et le calomnie. Louise de Savoie, quand elle apprend qu'il a
regardé ses biens (1521) comme communs avec ceux du roi,
oublie les services passés, réclame âprement, veut se venger,
et ne cache pas sa haine. François, à son ordinaire, se montre
bon fils et mauvais maître. Plusieurs motifs l'y poussent : Sem-
blançay est très âgé ; il a fait son temps ; puisqu'il laut impu-
ter à quelqu'un le désordre du trésor, il jouera utilement le
rôle de bouc émissaire ; Duprat sera content, « Madame » aussi.
D'ailleurs, ce vieillard qu'il s'agit de perdre est, pour une somme
énorme, créancier de la couronne. Lui pendu, la dette est étein-
te, et l'on pourra même confisquer l'héritage, se partager la
dépouille.
214. Il faudrait bien des pages pour raconter le long procès
ou, plutôt, les procès de Jacques deBeaune. Contraint, d'abord,
à rendre ses comptes devant une commission instituée le 11
mars 1524, c'est seulement à la fin de 1526 qu'une action cri-
minelle lui est intentée, ce qui permet (13 janvier 1527) de
l'enfermer à la Bastille. Son sort, dès cet instant, est fixé, et
il ne lui reste aucune chance de salut. On lui a donné comme
juges (26 mai) des gens qui tiennent à le trouver coupable, et,
parmi eux, siège Jacques de Minut, premier président à Tou-
louse, un lettré, un Mécène dont nous aurons plus tard à par-
ler. Le chancelier, derrière la coulisse, anime le zèle du tribu-
nal : on ne permit pas à l'accusé de consulter ses papiers ; on
lui desnya tout conseil, et il fut, le 9 août, condamné à mort.
L'exécution eut lieu le lundi, 11. Semblançay montra un grand
courage, une résignation presque souriante. On le promena,
monté SUT une mule, à travers Paris. Il était vêtu d'<c une saye
de veloux noir » et d' « une robbe de drap frizé de couleur tan-
née » ; il avait à la main « une croix de boys paincte de rouge ».
A côté de lui marchaient Gilles Maillart, lieutenant criminel
au Châtelet, et « tous les archers, arbalestiers et hacquebutiers »
de la ville. Cortège fort imposant. Il y avait, pour le voir, « moult
de peuple », des spectateurs « en gros nombre ». Le supplice
d'un homme « aiant environ soixante et quinze ans », si riche
et si puissant autrefois, méritait qu'on se dérangeât. Jacques
de Beaune ne se troublait point ; il prenait « moult saigement
sa mort et fortune en patience », et saluait, les remarquant
dans la foule, « plusieurs gens de sa cognoissance ». On le fit
attendre six heures à Montfaucon. Il priait doucement au pied
de l'échelle. Finalement, il fut « étranglé ». Et voilà le hon vieux
temps... Le cadavre, au bout de quelques jours, fut nuitamment
emporté. Duprat écrivit à Montmorency pour se plaindre, ré-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 157
clama le corps, demanda, le supposant enseveli, qu'il fût dé-
terré et rependu. Les biens du défunt profitèrent surtout à ses
juges. Pourtant Louise de Savoie rafla les meubles, et les fit
voiturer au château d'Amboise. Quant à Maillart, l'un des ac-
teurs de ce drame, son histoire se termine à peu près là : il mou-
rut en décembre 1529, et fut inhumé en l'église de Saint-Ger-
vais, « d'où il estoit paroissien ».
215. Il y a, dans l'âme du peuple, un instinct de justice qui
l'engage à réprouver souvent les iniquités de ses maîtres, à
ne pas être complice de leurs coups de force. Sacrifié par ce roi
qui l'avait longtemps appelé son père, Semblançay fut absous
par la voix publique et même, écrit Versoris, « plaint et regret-
té ». Ceux qui le virent aller au supplice eurent « marvileuse
pitié et compation dudit sieur ». Mais ce sentiment, presque
personne n'osa l'exprimer. Silnit terra. On se borna, prudem-
ment, à un blâme tacite, intérieur. La plupart des poètes res-
tèrent muets ou, s'ils parlèrent, ce fut en ayant soin de ne pas
se compromettre ou pour approuver — car il faut vivre ! —
les redoutables auteurs du meurtre. Charles Fontaine, sans
prendre parti, cite pêle-mêle Hannibal, Pompée, César, Jac-
ques de Beaune et Jonas comme autant d'exemples propres
à démontrer que tout, en ce monde, n'est qu'heur et malheur.
Soit ! La victime de Duprat se trouve, au moins, en bonne com-
pagnie, et l'intention, ici, n'a rien d'hostile. Mais cette même
catastrophe dont Charles Fontaine parle sans irrévérence, elle
n'inspire au plat et médiocre Germain Colin Bûcher qu'une très
pauvre plaisanterie. Interrogé par Semblançay, Apollon lui
déclare :
Fortune tant t'eslevera
Que tu vivras et mourras haultement.
Germain Colin estime « moult subtil » l'oracle du dieu : belle
finesse, en vérité, et quelle sécheresse de cœur !
216. Comparez, à présent, notre Marot... Qui lui refuserait
admiration et sympathie ? Il n'est pas réservé, lui ; il n'est pas
« sage » ; il ne hurle jamais avec les loups ; il se range du côté
des vaincus ; la flèche si acérée de son esprit épargne pieuse-
ment l'opprimé, et vise ceux qui abusent du pouvoir. En cela,
il représente l'opinion des masses ; il est peuple. L'épigramme
où il nous peint Maillart menant Semblançay à la potence
[J. III, ig] me semble plus que jolie : profonde, très honorable.
Rien que huit vers, et tant de sens ! La malice de l'auteur se
fonde sur le respect du droit, sur un sentiment, aussi, d'humanité.
Clément compatit, et il répare. Grâce à lui, à ses huit petits
158 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
vers, Jacques de Beaune gardera, et pour toujours, le beau
rôle ; on aimera son caractère ; ses infortunes paraîtront tou-
chantes ; coupable ou innocent, on le préférera à ses bourreaux,
et l'histcire, malgré sa longue carrière mêlée et complexe, ne
verra en lui que le « ferme vieillart » qui sut mourir. Quant à
l'autre, l'homme de l'Enfer, c'est-à-dire du Châtelet, le pâle
Gilles Maillart, sa figure ravagée, sa démarche défaillante, son
air de criminel qui va expier révèlent, dénoncent le trouble
de sa conscience, la honte, la peur, le remords. Et ce n'est pas
Maillart seul que l'épigramme stigmatise : c'est le corps entier
des magistrats, tous les avides, tous les complaisants. Maillart,
triste symbole, les représente tant qu'il y en a, en sorte que
Semblançay est conduit à Montfaucon non par les juges qui
l'ont trahi, mais bien par la Justice elle-même, repentante et
consternée.
217. Sous le titre du Riche infortuné, Marot a consacré à
celui qu'il nomme le « roy de Tours » une seconde pièce, une
élégie. Elle ne vaut pas, il s'en faut, le huitain, car, outre que
les lieux communs y abondent, elle semble trop artificielle,
et tombe dans les inconvénients du doctrinal et de la prosopo-
pée. Ce n'est plus le poète qui parle, mais l'ombre de Jacques
de Beaune, et elle exprime des vérités banales, à savoir que la
roue de dame Fortune tourne vite, et que l'argent ne fait pas
le bonheur. Qui en doute ? Pour ne leur enseigner que cela,
était-ce la peine de revenir chez les vivants ? Mais Semblançay
ne se borne pas à tirer la morale de son aventure : cette fois,
il avoue ses torts, son « vice », tout en persistant à dire que
ses « ans vieulx » et sa constance lui donnent des droits à la
pitié. Il s'attendrit sur lui-même, et nous dépeint (voici l'endroit
notable de l'élégie) son corps accroché à Montfaucon, ses yeux
« jadis vigilans » aujourd'hui mangés par les corbeaux, ses che-
veux blancs que le vent agite « ne plus ne moins » qu'une feuille
d'arbre. Visiblement, le poète a eu horreur du spectacle offert
par les gibets, et il ne pensait pas sans émotion à ces squelettes
punis. Tandis que le cardinal Duprat cherchait à pendre deux
fois sa victime, Clément eût trouvé bon qu'on laissât les morts
en paix : ayant déjà souffert, il respectait la misère humaine.
218. Il a montré, en plaignant celui que les grands de la
terre avaient accablé, une indépendance très rare chez les ri-
meurs officiels. Tandis que, souvent, ils approuvent les actes
t^Tanniques et plaident contre les proscrits, lui, oubliant qu'il
touchait des gages pour être de l'avis de ses patrons, il a parlé
non comme un courtisan, mais en homme libre et sincère. Au
reste, qu'il ait, ou non, connu les deux pièces relatives à Jac-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 159
ques de Beaune, François I^"" ne garda point rancune à l'auteur,
et, loin de lui enlever ses bonnes grâces, il lui donna, peu après
l'événement qui vient d'être raconté, une nouvelle preuve de
sa faveur en le tirant, une fois encore, d'un mauvais pas.
219. Voici de quoi il s'agissait : vers le milieu du mois d'oc-
tobre 1527, Marot, soit par hasard soit à dessein, se trouva
sur le passage d'un quidam conduit en prison par plusieurs ser-
gents auxquels il s'efforçait d'échapper. Le poète était-il l'ami
du captif ? Le croyait-il, le savait-il injustement arrêté ? Nous
l'ignorons. Ce qui est certain, c'est qu'il résolut de le délivrer,
et que, s'élançant — non pas tout seul, je pense, — contre les
agents de la prévôté, il voulut les contraindre à lâcher prise.
De là, horions, bousculade, bagarre. Le résultat fut peu bril-
lant. La police demeura maîtresse du champ de bataille ou,
du moins, se replia en bon ordre sans abandonner sa proie.
Maître Clément s'en alla de son côté : mais ceux qu'il avait
chargés avec tant d'entrain et de violence ne le perdaient pas
de vue, et comptaient lui faire payer cher son agression, sa
rébellion. Lui, il se figurait que l'incident était clos, et même,
à l'entendre, il pensait à bien autre chose, lorsque, très peu de
jours après cette fâcheuse « rescousse », arrivèrent « trois grandz
pendardz », qui, l'ayant saisi brutalement, l'enfermèrent dans
la Conciergerie du palais. Et le voilà donc, pour la seconde
fois, confrère en l'église Saint-Pris, au diocèse de Saint-Marry.
220. Moins marri, en vérité, que pris. Sa position, en effet,
ne semble pas dangereuse, car il lui sera facile d'amadouer les
adversaires qu'il a, c'est-à-diie le roi et les sergents. Deux ac-
tions, dans le cas où il se trouve, s'exercent ensemble contre
lui : une action civile, parce qu'il a lésé, maltraité des individus,
et qu'il lui faut réparer le dommage ; une action publique, parce
qu'il a, en entravant le cours de la justice, violé la loi. Or, comme
la loi émane du roi, qu'il la représente et la conserve, c'est lui
qui, théoriquement, introduit l'action publique, ou qui confère
aux juges, dans la pratique, le privilège de le remplacer à cet
égard. Marot, donc, ne se trompe nullement lorsqu'il affirme
[G. III, 85] que le roi est sa partie, et qu'il peut, s'il lui plaît,
tenir, en ce qui concerne son droit souverain, le délit pour non
avenu. Mais ce désistement du prince ne paraît pas douteux,
et il sera temps de le demander quand les sergents auront, au
préalable, retiré leur plainte.
221. Que faut-il pour cela ? De l'argent. Les gourmades
qu'ils recevaient étaient regardées par les bas officiers des tri-
bunaux comme une manière de casuel, un moyen d'arrondir
leurs gages fixes, un supplément, en somme, agréable, quoique
160 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
onéreux. On se rappelle l'Intimé. Pendant que Chicaneau le
soufflette et, « de ce non content », réitère avec le pied, il verba-
lise, rempli de joie, et crie : « Frappez : j'ai quatre enfants à
nourrir ! » Le texte de Racine n'insiste guère. Rabelais, par
contre, ne tarit pas, et consacre jusqu'à cinq chapitres à l'île
Procuration, à ces peu fiers chicanons qui gagnent tant à être
battus que, si on cessait de leur casser les os, « ils mourroient
de maie faim, eulx, leurs femmes et enfants ». Frère Jean des
Entommeures, mis au courant de ce fait étrange, n'en croit
point ses oreilles, et jure par la sacrée botte de saint Benoît
qu'il ne tiendra pour certain un goût aussi insolite qu'après
l'avoir dûment constaté. Là-dessus, il aborde un chicanons à
museau rouge et lui demande s'il consentirait, pour vingt écus,
à être roué de coups. L'autre accepte avec transport, et le moine
étrille de telle manière son homme qu'on le croit « mort assom-
mé ». Point. Rouge museau, « aise comme un roi ou deux »,
empoche la somme en souriant, et propose au révérend pcre en
diable de recommencer à moitié prix... Eh bien, ce rôle de Jean
des Entommeures, Marot, sans préméditation, se voit obligé
de le jouer. Ayant battu les sergents, il faut les indemniser
Oui, mais à quel taux ? On discute, on marchande ; finalement
on tombe d'accord, et la partie civile cesse de réclamer, se dé-
clare satisfaite.
222. Restent la ministère public, la loi, le roi. Après quinze
jouis de captivité, le prisonnier adresse à François I^^ une épî-
tre adroite, étincelante, dont voici le point essentiel :
Si vous supply, Syre, mander par lettre
Qu'en liberté voz gens me vueillent mettre...
Qu'on ne se fie pas à l'apparence ! Quoique la requête de l'écii-
vain semble toute folâtre, elle renferme un très solide argu-
ment, et explique, en peu de paroles mais de façon claire, qu'il
n'y a plus à s'occuper des sergents, et que rien n'empêche, à
présent, le prince d'arrêter, s'il le veut, la procédure. Ainsi
fut fait. Dès le i^^ novembre, François ordonna à la cour des
aides de délivrer son « cher et bien aimé valet de chambre »,
d'autant, ajoutait-il, tournant en prose le raisonnement du
poète, qu'il a désintéressé sa partie et « n'est détenu que pour
nostre droit ». Le lundi, 4 novembre, la cour charge maîtres
Benoît Larcher et Clériadus de la Rozière, conseillers, d'inter-
roger l'inculpé, et elle décide, le mardi, 5, ouïes les conclusions
du procureur général, que « ledit Marot » sera « élargi par tout
quousque... en faisant les soumissions et s'elisant domicile en
la manière accoutumée ».
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 161
223. Relâché de la sorte et rendu à ses travaux ordinaires,
il tailla sa plume, et se tint prêt, en sa qualité de poète royal,
à célébrer les événements qui se passeraient à la cour, les ma-
riages ou les décès, par exemple. Et, justement, une occasion
s'offrit presque aussitôt, à savoir la mort (vendredi, 29 novem-
bre 1527) de Florimond Robertet, seigneur d'AUuye, trésorier
de France, secrétaire du roi et concierge du Palais. C'était un
haut personnage, et la magnificence de ses obsèques le prouve.
François I^^", qui l'aimait fort, avait ordonné qu'on lui rendît
« tout plain d'honneur ». Dix-huit crieurs vêtus de noir puhlîè-
rent son trépas dans les rues et carrefours. Porté, d'abord, « en
grand triomphe « et avec un « grand nombre de luminaire »,
à la chapelle des Augustins, le corps fut conduit ensuite à l'église
Notre-Dame-des-Champs, « et estoient audict convoy le pre-
vost et eschevins de la ville )>, quantité de seigneurs et de gen-
tilshommes, les « gens des finances » en longue file. Le cercueil,
après les deux services célébrés à Paris, fut mené, entouré de
cent torches, à Blois où eut lieu, pompeuse et coûteuse, une
nouvelle cérémonie funèbre.
224. Il faut croire que Marot devait à Robertet beaucoup
de reconnaissance, vu que, lui aussi, il l'enterra très solennel-
lement et sans regarder à la dépense. Ce ne fut pas une brève
épitaphe qu'il lui consacra, mais une « déploration » en règle,
un vrai poème de seize pages [J. II, 244-260]. Il a voulu faire
une « œuvre », un monument ; il a soigné la façon, l'étoffe, d'où
il résulte qu'il a été, chose qui lui arrive lorsqu'il s'applique,
moins bien inspiré que de coutume. Lui-même avoue [245] qu'il
n'entend rien à la tragédie, et que l'expression des sentiments
tristes corrompt le naïf de sa muse. Il avait plus raison qu'il ne
pensait, et il n'a pas réussi à être, dans les vers qui nous occu-
pent, à la fois affligé et naturel. Sa déploration est en partie
conçue et traitée selon la méthode des rhétcriqueurs. Un songe,
une vision, voilà le cadre, et, dans ce cadre, se meuvent, ani-
mées (si peu !) et bavardes, des abstractions à forme humaine
ou divine, des personnes qui sont des symboles. L'auteur met
en scène la Mort « hydeuse », « le bon hommeau Labeur » et
dame République-française qui non seulement déchire, tant elle
est désespérée, affolée, son manteau bleu semé de fleurs de lis,
mais arrache encore ses « beaulx cheveulx ». A cette Républi-
que consternée, sanglotante, qui lui reproche d'avoir occis Ro-
bertet, homme si illustre qu'on le connaissait « en Tartarie,
Espaigne et la Morée », Atropos, la «perverse Chimère », réplique
par un ample sermon, et, vexée d'avoir été appelée [250] « vieille
effacée, infecte, image immunde », déclare qu'elle est, au con-
Clément Marot et son école 11
162 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
traire, aimable, désirable, attendu que si on ne mourrait pas,
on ne pourrait pas revivre, et que c'est elle qui ouvre la glo-
rieuse porte de l'éternité. Ce discours et celui que prononce
République appartiennent, du moins par leur forme, à l'âge
précédent, et l'on y relève des hyperboles et des jeux sur les
noms propres que Jean Marot eût approuvés. Pleurez, com-
mande République, ce Robert et si diligent et si sage ! Que vos
larmes ne soient pas simplement une rosée ! Moi, j'en verse
« plus d'un seau ». Vous autres, changez en un petit ruisseau
« chascun œil », et
De tout cela faisons une rivière ... [25T.]
Florimond mérite ce débordement : il fut, en effet, un « mont
flory », « plus que flory », et si haut qu'il s'élevait au-dessus de
« Parnasus ».
225. Mais s'il respecte et continue une détestable tradition
littéraire, ce poème renferme, par ailleurs, un élément assez
nouveau et des hardiesses qui nous étonnent. L'écrivain intro-
duit, au moment où l'on s'y attendait le moins, une satire de
l'Église dans son panégyrique de Robertet, et saisit l'occasion,
ou la fait naître, d'attaquer avec force le papisme [246]. Bien
entendu, la Rome catholique devient, ici, une dame, une « grand
dame... nommée Rommaine » qui porte une triple couronne
sur sa tête rasée, et traîne, peintes et brodées aux plis de sa
robe, toutes les richesses de ce monde : les palais et les châ-
teaux, les tours et les villes closes, les plaines et les « boys ra-
mez », la terre entière et la mer aussi. Telle s'avance, chargée,
gorgée d' « un million de choses », la C^'bèle cléricale, et, pour
vous ôter l'envie de critiquer ses conquêtes temporelles, elle
étale aux yeux cette devise : Le feu à qui en grogne ! Cet impu-
dent avis est presque un aveu. Cependant la robe dont elle est
couverte, ce tissu que les siècles ont fermé de la suostance des
peuples rend la méchante fée un peu honteuse, et elle dissimule
ce vêtement révélateur sous un manteau où plusieurs draps
sont compris, le noir et le Diane, Je gris et l'enfumé. Est-il besoin
de le dire ? 11 figure, ce manteau, la feinte pauvreté des moines,
qui prospèrent « sans travail » à l'ombre de la tiare. Le sym-
bole, on le voit, a trois parties, et Marot a voulu nous signifier
que, fort attachée aux biens d'ici-bas, Rome était, en outre,
féroce, hypocrite. Il aurait pu s'arrêter là, et personne ne l'eût
accusé d'être timide. ]\Iais non, il insiste, et va même parler
sans allégorie. Pourquoi, demande la Mort [253], me prodiguer
l'injure, m'appeler mauvaise ? Le prêtre qui chante aux entei-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 163
rements, et dont on paye les orémus, apprécie mon ouvrage
et me bénit. Sois tranquille ! Il accordera à ta cendre, si tu
laisses de l'argent, autant de messes et d'anniversaires, autant
de musique et de cierges que tu en désireras [256] : mais « si
tu n'as vaillant que ta chemise », le cuié ne se dérangera point ;
tu t'en iras seul au cimetière, et n'auras droit ni à la plainte
des cloches ni à la moindre psalmodie... Marot est là tout entier.
Il aime à arborer scn drapeau et à courir au-devant des coups.
226. Il a, vers la même époque, produit un autre poème,
l'Amour fugitif, où il censure de nouveau les moines. L'Amour
fugitif est en deux parties. La première, qui n'a rien d'agressif,
est la paraphrase d'une très jolie pièce de Moschus, traduite
en latin (1497) par GelliusBernardinus Marmitta. Clément attri-
buait à Lucien le texte grec et à Politien la version de Mar-
mitta. Il se trompait, mais qu'importe ? S'il ignorait le vrai
nom de ses modèles, il n'a pas laissé, grâce à eux, de rimer une
centaine de vers agréables. — Quant à la seconde partie, elle
lui appartient en propre, et le titre nous le dit expressément.
Précaution inutile. Il suffit de lire ce deuxième chant pour
s'apercevoir qu'il n'a rien d'antique. Carmes, capucins, domi-
nicains y sont cruellement llagellés. Les couleurs diverses de
leurs frocs amènent plusieurs comparaisons désobligeantes avec
les corbeaux, les pies, les ramoneurs. L'habit, direz-vous, ne
lait pas le moine. Mais le moine, d'après Marot, vaut encore
moins que son habit. Pie attire le mot « espie )>. Ces gens aux
ceintures de corde sont une race d'espions. Paresseux, du reste,
et sensuels. Ils prêchent aux naïfs la pauvreté, tandis que, man-
geant et buvant aux frais d'autrui, ne donnant rien et prenant
beaucoup, ils deviennent vite « gras et puissants ». Nous voici
loin de l'Amour fugitif, et le rapport entre son escapade et la
conduite du clergé régulier nous échapperait de tout point, si
l'auteur ne se décidait — bien tard — à rattacher l'un à l'autre
ces deux éléments. Pour les concilier, il ajoute au mythe de
Moschus le trop moderne incident que voici : apprenant que
l'espiègle Cupido venait de quitter sa mère et volait, hbre, à
travers le monde, moines et moinillons, comme un seul homme,
s'engagent, la main sur les reliques et les bulles, à rattraper cet
enfant incendiaire et à le lier si bien qu'il ne pourra plus bou-
ger. C'est à quoi, présentement, travaille la légion des bons
pères. En vain. Personne n'enchaînera l'Amour. L' «humaine
race » a besoin que, sans cesse, il erre de-ci, de là, et les vœux
de chasteté, moyen précaire de gagner le ciel, ne se gardent
qu'avec peine et outragent la nature.
227. Dès ce moment, on le voit, Marot travaille à trans-
164 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
planter clans son petit champ gaulois les belles fleurs de l'anti-
quité. Il imite non seulement les Grecs, mais aussi les Latins,
les Italiens. Ses Visions de Pétrarque [J. III, 146], translatées
« de tuscan en françoys » par commandement du roi, semblent
à peu près contemporaines de l'Amour fugitif, et c'est d'un poète
de Rome qu'il va s'inspirer en son Chant nuptial de Renée de
France. Née à Blois en 15 10, cette princesse, fille de Louis XII
et de la reine Anne, épousa, le dimanche, 28 juin 1528, Hercule
d'Esté, fils de Lucrèce Borgia et d'Alphonse I^^^ (j^c de Ferrare.
Le mariage fut célébré à la Sainte-Chapelle, puis on donna,
« au Palays, en la salle de Sainct Loys », un banquet « fort
honnorable ». Le gaillard épithalame de Clément, après des
réflexions sur la « doulce nuict » de noces qui, maintenant, sem-
blent choquantes, se termine par des regrets, des adieux. Elle
s'en va, la noble et bonne Renée ; Amour l'entraîne hors de sa
patiie, loin de ses parents, et la cour se déclare inconsolable.
De fait, Hercule d'Esté, emmenant sa femme, reprit, le 21 sep-
tembre, la route de son pays : mais s'il avait été donné à Marot
de prévoir l'avenir, il se fût à l'avance réjoui de ce départ qui
devait lui être, un jour, très utile. Le temps viendra, en effet,
où, fuyant les bourreaux, trahi par son maître, cherchant en
divers lieux un asile, il s'estimera heureux de rencontrer, à
Ferrare, une duchesse française qui consentira, non sans danger
pour elle, à l'accueillir et à le défendre.
BIBLIOGRAPHIE ET REFERENCES
180. Joiaville, Histoire de saint Louis (édition de Wai'Iy ; Paris, Hachette, 1886),
§ § 327-8. — Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de Charles VII ( Nouv. Coll .
des mémoires pour servir à Vhist. de Fr. publiée par Michaud et Poujoulat, l'e Série,
t. III), pp. 271, 285, 287-9, 294-
182. Becker, Zeitschrift fUr fr. Spr. u. Litt., XLI, 211. — Michelet, Mémoires de
Luther (Paris, Flammarion, s. d.), 182. — Rabelais, P., IV, 29.
183. Le coup d'essay de François Sagon (Lenglet-Dufresnoy, VI, 14)- — Becker,
op. cit., 209-210. -— G. III, 288, n. I.
184-186. Personne n'a jeté, sur ce procès de 1526, plus de lumière que M. Becker
{op. cit., 211-213). Les renseignements relatifs aux cinq (?) frères Meigret sont extraits
des ouvrages qu» voici : Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François i<^'
[Bourrilly], pp. 182-183, 259-260, 374-375, S^i» ; — A.-L. Hcrminjard, Correspondance
des Réformateurs dans les pzys de langue française recueillie et publiée avec d'autres lettres
relatives à la Réforme et des notes histor. et biographiques... 9 vol. in-8° : ( I à IV, Genève,
H. Georg, et Paris, Michel Lévy, 1866-1872 ; V à IX, Genève, H. Georg, et Paris,
Fischbacher, 1878-1897), t I, 309, 3i7, 323-325 ; — G. III, 257, les vers 86-88 et la
longue note 3.
\87. Bourgeois de Paris, iS2,n. 3. — G. 1,98; III, 76, n. 2.
188. C. Schmidt, Gérard Roussel, pp. 40 sqq. — Mary James Darmesteter, La reine
de Navarre, pp. 73 sqq. — Bourgeois de Paris, 363 et passim.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 165
190. G. Il, 163, n. 2. — Bourgeois de Pans, 11 (le texie et la n. i), 237, 247, 356.
191. G. II, 173, n. I. — Bourgeois de Paris, 12, 210, 332.
192. G. III, 69.— Becker, op. cit., 207.
194. G. II, 153, n. I. — Ruisseaux de Fontaine... par Ch. Fontaine, pp. 112-113. —
O. Doiien, 1, 161.
195. Missions de Lyon Jamet : Lettres de Rabelais [Bourrilly], pp. 13, 14, 73 ; Lettres
^e/^a«Ca/i'm recueillies... par Jules Bonnet (Paris, 1854), 1,428. — Robert de Fuchis:
A.deMontaiglon,/ertn GoM;on,...dans la Gazette a es Beaux-Arts, 1885, p. 16. — Jamet
à tout jamais louable... : G. II, 155,
197. Louis Guillard, évoque de Tournay en 1513, fit son entrée à Chartres le diman»
<he, 2 juillet 1525 (Bourgeois de Pari-^, 210-21 1). — Sur ce personnage et les deux actes
émanés de lui, cf. Gall. christ. , V lll, 1188 et [Instrumenta] 408-409 ; G. I, 106-108 et
II, 160, n. I ; Bccker, op. cit., 214-215.
198. Qu'on lise [G. II, 159] le titre complet de r£«/cr, et on y touvera cette men-
tion : « composé en la prison de l'Aigle de Chartres ». Mais le mot prison ne s'applique
pas forcément à un édifice destiné aux prisonniers. Toute demeure peut servir de prison;
Le Polyeucte de Corneille est en prison dans son propre palais.
201. Coq-à-l'âne de Marot : G. III, 206-243 ; réponse de Jamet : Ibid., 244-260. —
Becker, op. cit., 216-218.
202. J. II, 164 ; III, 7, 27, 82, 98.
208. G. III, 93-98. — Bipedum omniiiM ncqvissimus : Belcariiis, Reium gallic. com'
ment., 1° 435. — Promotion de Duprat au cardinalat : Bourgeois de Paris, 270. — Les
Poésies de Guillaume Crétin, pp. 203-4 : « Pleust or a Dieu que jamais Ckancellier |
Ne fust logé fors en ine?,cJiant cellier, etc. »
209. G. III, 99, le texte et la n. i. — J. II, 271 et III, 61.
210. G. I, 139-140. — Becker, op. cit., 220-221. — J. III, 13. — G. III, loi.
211. G. I, I4I-i4;î. — Monsecondroy : G. III, 302, v, 182-183 ; J. III, 57, CXL.
212-213. Livre de maison de M" Nicolas Versoris, avocat au Parlement de Paris (1519-
1530), p;;blié par G. Fagniez dans les Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de
V Ile-de-France, t. XII, 1885. — Pierre Clémtnt, Engiierrand de Marigny ; Beanne
de Semblançay ; le chevalier de Rohan {2^ édition), Paris, Didier, 1859. — .Alfred
Spont, Semblançay. La Bourgeoisie financière au début du XVI^ siècle. Thèse de Paris,
1S95. J'ai empru.nté divers renseignements à cet ouvrage. Cf., notamment, les pp. 9,
18, 25, 36, 63, 64, 66, 123, 129, 132, le texte et la n. i, 133, 150, 157, 177, 228, 261,
280-28:.
214. Versoris, op. cit., 104-/07. — Bourgeois de Paris, 253-259 ; 332. — Spont,
op. cit., 245, 251, 261-264, 279.
215. Id., ibid., 262-263, 264, n. 4, 281. — Ch. Fontaine, Les Ruisseaux de Fontaine,
pp. 42-43. • — Les Poésies de Germain Colin Bûcher [J. Denais], p. 247.
217. J. II, 50. Une partie de cette pièce est imitée de Villon.
219-222. G. I, 128-131 et III, 80-87. — Becker, op. cit., 224-225. — les citations
faites au § 221 proviennent des Plaideurs IL 4 et de Pantagruel, IV, 12 et 16.
223. Bourgeois de Paris, 275-276.
226. G. II, 129-134 ; 135-142. — Becker, op. cit., 226.
227. J. 11,85. — BourgeoisdeParis, 304^-205.
m
DU MOIS D'AOUT 1528 AU MOIS D'OCTOBRE 1534
228. Épitaphe de l'abbé de Beaulieu. — 229-23Î. U affaire des
Gracieux adieux aux dames de Paris. — 238-242. Le dernier
procès et la mort de Louis de Berquin. — 243-244. Clément
M a rot en ménage. — 245-255. Une agréable et chaste histoire
d'amour : Anne d'Alençon. — 256. La Paix des Dames. —
257-259. Le retour des otages et le mariage de François I^^
260-262. Le valet de Gascogne ; maladie de Marot. — 263. On
lui reproche d'avoir attaqué la Gascogne. — 264. Il reçoit divers
témoignages de sympathie. — 265. Pièce funèbre sur la mort
de Louise de Savoie. — 266. Nouvelle tentative du parlement
contre Marot. — 267. Etienne Clavier. — 268. L'Adolescence
clémentine. — 269. Le roi, se dirigeant vers Marseille, visite
l'Auvergne et le Languedoc. — 270. Son entrée à Toulouse. —
271. Passage de Clément dans cette ville. — 272-276. Guillaume
de La Perrière. — 277. La cour arrive à Avignon ; le tombeau
de Laure. — 278. Mariage d'Isabeau de Navarre et de René
de Rohan. Marot passe quelques jours à Alençon. — 279. // va
de là à Vauluisant, puis à Lorris et à Blois. — 280-281. Ai-
greur et violence, en ce temps, des querelles religieuses ; placards
et pamphlets ; la persécution s'annonce, et Clément compte au
nombre des plus 7nenacés.
228, Parmi les pièces de Clément Marot qui se laissent dater,
iljen est fort peu qui appartiennent à l'année 1528, et il ne nous
reste plus qu'à en citer une seule : Épitaphe de l'abbé de Beaulieu
de la Marche, qui osa tenir contre le roy. Il s'agit d'Antoine de La
Mark, u prothenotaire et grand archediâcre de. Chartres, abbé
commendataire de Beaulieu » en Argonne, l'un des quatre fils
de Robert II de La Mark, sieur de Sedan. Ce « presumptueux
moyne », après avoir « amassé deux ou trois mil... mauvais
garçons ^), se mit, aux mois de juin et de juillet, en campagne,
et voulut établir par la force, autour de son abba3^e, une poli-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 167
tique antifrançaise. Mais, attaqué par Claude de Guise et un
« certain nombre de gens d'armes », il ne résista guère, et « fut
tué d'une hacquebute au mois d'aoust ensuivant »... Sur la
pierre qui couvre cet audacieux, Marot propose de '< graver ou
paindre » la légende des Géants qui montèrent à l'assaut du
ciel, la jahle instructive de Phaéton, l'histoire, aussi, de « Lu-
ciabel » qui, pour avoir, avec « ses consors », tenté de s'élever
contre Dieu, perdit, comme l'abbé de Beaulieu, le beau lieu
qu'il habitait, et tomba au gouffre sans fond de l'enfer. Faute
d'avoir médité ces exemples, Antoine de La Mark a succombe.
Que personne ne le plaigne ! Outrecuidant jusqu'à la démence,
il montre à chacun ce qu'il en coûte de chercher querelle au
Jupiter gaulois.
229. Les premières œuvres que Marot écrivit en 1529 n'ont
pas, comme l'épitaphe d'Antoine de La Mark, un caractère
officiel, et elles s'adressent non aux adversaires du roi, mais à
des ennemis (ou ennemies) du poète. Il en a eu toujours une
foule, et nous lui en connaissons déjà beaucoup. Le hasard, la
calomnie ou, peut-être, sa verve indiscrète vont maintenant lui
en susciter d'autres, moins dangereux sans doute que les par-
lementaires et les gens d'Église, mais qu'il devra combattre
cependant et, profitant de leur manque d'esprit, réduire enfin
au silence.
230. Du reste, voici les faits : La cour, cette année-là, fit
plusieurs voyages, et quitta la capitale au moins deux fois. A
l'occasion de l'un de ces départs — et, probablement, de celui
qui eut lieu le 11 mars — parut, sous la forme d'une ballade
irrégulière, une pièce assez gauche qui avait pour titre les Gra-
cieux adieux aux dames de Paris. « Gracieux » est mis là par anti-
phrase. (( Les mignons de court » (ce sont eux qui parlent) déco-
chent aux Parisiennes, sous prétexte de prendre congé d'elles,
quantité d'allusicKis très mordantes et maints brocards, en outre,
aussi explicites que directs. L'outrage, ici, est à double tran-
chant, et ce texte, si nous lui supposions une valeur historique,
prouverait que les gentilshommes de la maison royale avaient,
à la ville, des amours plébéiennes, et descendaient, pour y trou-
ver le plaisir, au-dessous du demi-monde. Les dames, en effet,
qui reçoivent leurs adieux sont toutes des personne? « aux cour»
talions », ce qui revient à dire des femmes qui tombent, et, bien
qu'elles sortent de divers milieux, elles exercent le même mé-
tier, s'offrent aux galants à titre onéreux, et les regardent comme
des « pigeons » qu'il faut plumer. On se procure, par cette incon-
duite, plus d'aisance au logis, un air de luxe au dehors, quelques
bijoux, des « chesnes et bracelletz ». La prostitution, ainsi com-
168 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
prise, n'est pas tant un gagne-pain qu'une source de profits
accessoires, une façon de ne pas manquer du superflu. Et l'on
doit croire que cette forme de dépravation se rencontrait, au
XVI^ siècle, en plusieurs classes de la société, car les Adieux
mentionnent, outre la corporation entière des « lingères du
Palays «, au moins une dame de la noblesse, Jeanne L'Orfèvre,
fille du seigneur d'Ermenonville, puis l'épouse d'un futur chan-
celier, Jeanne Du Bourg, née Hénard, « lieutenande civille »,
et enfin d'authentiques bourgeoises, <' la belle Quadranière »,
par exemple, qui semble avoir tenu une boutique de mercerie.
231. Pourquoi cette satire, qui vise uniquement des cour-
tisanes (ou autant vaut), a-t-elle causé un grand scandale et
soulevé d'ardentes protestations, voilà ce que je ne puis expli-
quer. Bien des fois, avant cette date, les mœurs des Parisiennes
avaient été, en vers et en prose, peintes soui de très noires cou-
leurs, et personne ne s'était beaucoup ému. Plus tard, ces mêmes
attaques seront, sans exciter la moindre colère, à chaque mo-
ment renouvelées. Rabelais, notamment, tâchera de rajeunir
ce vieux thème, écrira contre les femmes de Paris un chapitre
d'un goût vraiment atroce, une série d'énormes sarcasmes. Or,
bien qu'il déclare dévergondées les matrones, les filles et les
fillettes en bas âge de cette cité où tout est à vendre, les accu-
sées n'ont pas songé à répondre, et nul champion n'a pris leur
défense. Comment, alors, ne pas s'étonner de l'indignation qui
accueillit ces petites strophes des Adieux P Oui eût pensé que
Caqueton, La Touchalloue et La Grive auraient des partisans,
des chevaliers, et que l'opinion recevrait mal les malices lan-
cées aux dames Marreff de ce temps-là ? Pourtant, il en fut
ainsi : la brève et médiocre pièce fit un tapage imprévu, et l'on
reprocha à l'auteur d'avoir insulté tout le beau sexe de la capi-
tale... Oui, mais qui était l'auteur ? Il n'avait pas signé son
libelle, et le public cherchait un responsable. On ne tarda guère
à le désigner, et la ballade fut mise, peu charitablement et sans
preuves, au compte de Clément Marot.
232. (( Nous n'hésitons pas -, dit Guiffrey, à lui attribuer cette
satire... Il serait, cependant, très naturel d'hésiter, et il y a
plus d'une raison de croire que les vers en question ne sont pas
l'œuvre de notre poète. Lui-même, au moins trois fois, a nié
les avoir faits, et il affirme encore son innocence longtemps
après la crise, alors que rien ne le contraint à mentir. On peut
donc admettre qu'il est sincère quand, à peine les Adieux parus,
il traite de « gentilz veaux » ceux qui les ont composés, et de-
mande à ne pas être confondu avec de si vils et sots « blason-
neurs ». La réplique ou, pour parler comme lui, l'excuse qu'il
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 169
leur adresse se réduit, en somme, à deux arguments : 1° Hor-
mis six dames « qui hayne m'ont voué » (il y a ici un mystère ;
les six conjurées sont mal connues, ainsi que la cause de leur
aversion), je n'ai, parmi les femmes, aucune ennemie : je les
respecte toutes ; je suis « leur servant », et veux em^ployer « mon
petit sçavoir » non pas, certes, à les calomnier, mais à chanter
leurs louanges. 2° Il suffit, pour ne pas me soupçonner, de lire
les Adieux sans parti pris. Ils sont faiblement rimes, et le sens
ne vaut guère mieux que la forme. Ce pauvre travail est indi-
gne de moi, et jamais des strophes limées avec une telle négli-
gence ne sont, avouez-le, sorties de ma forge.
233. Cette deuxième preuve me semble excellente, concluante
presque, et les vers contre les Parisiennes marqueraient, s'ils
étaient réellement de Marot, une étrange défaillance tant de
son esprit que de son art. Mais qu'importe aux envieux ? Des
réflexions de ce genre ne les arrêtent pas, et ils sacrifient vrai-
semblance et bonne foi à l'espoir, au plaisir de nuire. Un rimeur
dont nous ne savons rien, sinon (et encore !) qu'il se nommait
Louis Boileau et se faisait appeler seigneur de Centimaison,
accepta ou s'arrogea le rôle de champion des dames, s'oiïrant
à les venger toutes en bloc et, plus spécialement, les six que
Clément, dans ses excuses, avait dit lui être hostiles. A ce groupe
de commères courroucées M. de Centimaison sert d'interprète,
et c'est par sa bouche que s'exprime leur rage. Quel style !
Quelles invectives ! Il jette feu et flamme, le noble seigneur de
Centimaison. Sa stratégie consiste non pas à essayer de défendre
ses clientes, mais à accabler, à pulvériser leur adversaire. Voilà
un projet de paladin. Le malheur est que le Roger des six Angé-
liques a l'âme, les armes d'un charretier, en sorte que, au lieu
de pourfendre l'ennemi avec l'épée ou de le cribler de flèches
aiguës, il voudra l'abattre à coups de poing, l'écraser dans la
boue et sous les pavés. Il n'y a là ni discussion, ni réfutation,
ni l'ombre d'un raisonnement ; la pièce n'est pas autre chose
qu'un chapelet de lourdes injures, et les Parisiennes, chez Louis
Boileau, parlent en marchandes de marée.
234. Admirez, d'abord, le portrait physique de Marot qu'elles
présentent à Marot lui-même : Tu es, lui crient-elles, d'une lai-
deur répugnante, tellement lippu, camus [exact... Mellin, son
joyeux camarade, l'avait baptisé Cadmus], « ratatiné », louche,
puant et, en somme, un « crapault » si « infect » que pas une
femme ne voudrait de toi, fût-ce en qualité de bouffon. Tu de-
vrais, à ce point difforme, avoir la pudeur de te cacher. Non,
tu te pavanes, tu t'exhibes, tu fais la roue et tu fais le brave ;
tu chausses, quoique n'ayant pas un Hard, de jolis souliers de
170 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
velours ; tu portes des habits de soie, et tâches d'orner ce corps
pourri qui sera, avant peu, mangé des poux... Tes mœurs (voici
maintenant la peinture du caractère) valent encore moins que
ta figure. Bachelier de taverne, licencié es vices, hôte des mai-
sons publiques, tu t'accroches, parasite, aux gens afin qu'ils
t'invitent, de guerre lasse, à dîner. Tu cherches, le long des rue?,
quelqu'un qui veuille payer pour ta panse. Nous-mêmes, tes vic-
times, que de fois nous t'avons abreuvé, repu, lorsque tu venais,
les dents longues, flairer le rôti dans nos cuisines ! Et c'est toi,
un mendiant, un homme qui ne possède, sous le soleil, ni champ
ni friche, le confrère des truands, des happelopins et des gau-
disseurs, c'est toi, misérable, qui oses, jetant le venin hors « de
tes tiippes », arracher aux Parisiennes leur couronne, leur cha-
peau d'honneur ? Tu aurais dû, menteur « damnifère > , garder
le silence, car tu vois qu'elles ont bec et ongles, les Amazones
que tu as détractées.
235. Et, là-dessus, pluie d'injures... Celles que j'ai déjà citées
n'ont pas épuisé la verve du « poète », et, craignant de paraître
trop modéré, il appelle encore Clément Marot non seulement
« malheureux belistre », fils de farceur, petit coquin, méchante
créature, maraud (naturellement), rimeur affamé et rustique,
cervelle frivole, cœur félon, « composeur mordifère », homme à
la « serpentine bave » et à la vie « increpable >^... mais, aussi,
lâche garçon, écomifleur et, sans périphrase, « macquereau ».
Tout cela n'est pas mal. Pourtant de telles apostrophes ont plus
de \'iolence que de portée ; leur brutalité, au fond, les empêche
d'être efficaces ; elles ne touchent pas le point sensible, le côté
faible, et ne sauraient valoir, puisque les gros mots ne prouvent
rien, une imputation nette et précise, fondée sur un fait réel.
L'argument ad hominem, celui qui va loin et qui peut nuire,
Centimaison le tient soigneusement en réserve, et ne le produit
qu'au moment de conclure. Et puis, dit brusquement à Marot
son adversaire, tu es luthérien, ami Clément ! Souviens-toi de
ce carême où tu mangeais de la chair ! Peu s'en fallut, alors,
qu'on ne te jetât « vif en ung feu ». Personne ne t'auriit pleuré.
Patience ! Tu finiras, hérétique, par aller au bûcher et, de là,
au diable... Mais écoute, en attendant, ce que t'annoncent les
dames de Paris : tu seras, pour les avoir vilainement blason-
nées, un jour ou l'autre banni de la cour, et elles s'engagent,
en outre, à te punir de leurs propres mains. Attrapé, happé,
saisi par elles, fourré ensuite dans « ung trou de cave », et ta
sale peau mise toute nue, tu rece\T:as, pendard, avec « de gros
fouetz », tant et de tels coups que le sang, depuis la tête jus-
qu'aux pieds, ruissellera sur ton corps.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 171
236. Il eût été dommage d'ajouter quoi que ce fût. La scène
du trou de cave termine l'épître agréablement, et Louis Boileau,
croyant avoir atteint le sommet de l'invective, regarde sa tâche
comme achevée, et pose la plume, content de lui. Mais il se
trompe s'il pense avoir vaincu. Ni lui ni celles qu'il a voulu dé-
fendre n'auront le dernier mot, et il leur faut essuyer la riposte
de Clément, une triomphante lettre de 238 vers [G. III, 144]. En
ce poème, que de choses ! L'auteur, habile et dédaigneux à la
fois, ne fait pas au sire de Centimaison l'honneur de lui répondre
directement, et, après l'avoir traité d'ivrogne et de « farcereau »,
il se borne à lui souhaiter d'obtenir, récompense due à son zèle,
les intimes faveurs de « la plus saine » de ces « bourgeoisettes »
auxquelles il a servi de truchement. A part ces quelques insultes
et ce vœu meurtrier, la pièce entière ne s'adresse qu'aux six
« harangères » coalisées. Marot leur affirme derechef qu'il n'a
pas écrit les Adieux. Je ne cherche, dit-il, noise à personne, et
méprise ce genre de pamphlets. La peinture des horreurs de la
guerre, l'apologie de la paix, l'éloge de tous ceux qui travail-
lent au bien public, la geste admirable de François I^r, sa vail-
lance durant les combats, sa constance dans les revers, tels sont
les sujets qui me conviennent, et parler de vous, dames « tant
poupines », ce serait me ravaler. D'ailleurs, si, entraîné par ma
muse ardente, il me plaisait de vous rendre coup pour coup, vous
verriez, alors, combien pique un poète royal et de quel bois il
se chauffe... Mais non. Je ne suis pas l'ennemi des femmes.
N'ai-je pas, autour d'elles, passé et gaspillé ma jeunesse ? J'au-
rais pu l'employer mieux ou — qui sait ? — de façon pire.
Ce sexe, quoi qu'il en soit, m'est connu, et je ne confonds nul-
lement les honnêtes, les vertueuses dames avec vous autres,
les six. J'espère qu'on vous laissera de côté, qu'on ne vous mê-
lera point, mauvaise herbe que vous êtes, aux bonnes gerbes,
c'est-à-dire aux personnes qui se respectent. Je ne tiens qu'à
l'estime de celles-ci. Quant à vous, ô les « six vieilles Digestes »,
oiseaux de proie que fascine l'éclat des joyaux, je vous con-
seille de fermer votre bec. Au lieu d'attirer sur vous l'atten-
tion, songez dorénavant à votre salut. Ne vous croyez pas des
saintes parce que vous êtes chanoinisées, et imitez l'exemple de
Madeleine tandis qu'il vous reste, pour essuyer les pieds de
Jésus, quelques cheveux... C'est là un avis très bienveillant.
Je serais fâché que cette mienne épître vous irritât. Quittons-
nous sans rancune, mesdames, et recevez mes adieux :
Adieu les six, qui n'en valez pas une ;
Adieu les six, qui en valez bien cent :
Qui ne vous veoit, de bien loing on vous sent.
172 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
237. Suffoqué, atterré, je suppose, Louis Boileau ne bougea
plus ; nulle femme — car je néglige à dessein de pauvres stro-
phes signées d'un nom obscur : Jeanne Demont — ne se décida
à insister, et l'affaire, ce semble, en demeura là. Mais nous lisons,
dans la deuxième réponse de Marot, une phrase qui, sans avoir
un rapport direct avec le conflit dont il vient d'être question,
ne laisse pas de nous intéresser. La voici :
Tant de broillis qu'en justice on tolère,
Je l'escriproys, mais je crain la colère ;
L'oisiveté des prebstres et cagotz,
Je la diroys, mais garde les fagotz !
Et des abuz dont l'Église est fourrée,
J'en parleroys, mais garde la bourrée !
Cette prudence nous étonne, attendu que notre poète n'a
pas l'habitude de prévoir ainsi les conséquences de ses criti-
ques, et que, d'ordinaire, il les formule à ses risques et périls.
Se rappelait-il, en écrivant ces vers, le Châtelet, Rhadamante,
la peine qu'il avait eue à échapper au bûcher ? Évidemment.
Mais ce n'est pas à lui seul qu'il pense, et tout porte à croire
qu'il fait allusion à quelque supplice récent. Au supplice de qui ?
Aucun doute ne paraît possible, et, à coup sûr, étant donnée
la date du passage cité, il s'applique à la mort affreuse de Louis
de Berquin.
238. Après l'avoir longtemps défendu, le roi venait, pour de
graves raisons politiques, de lui retirer sa protection et, bien
à contre-cœur, de le livrer à ses ennemis. Cependant la com-
mission qui instruisait alors son affaire n'aurait pas voulu le
perdre, et, cherchant à plaire au pape et à la Sorbonne sans
aller jusqu'à l'irréparable, elle s'était contentée de rendre (ven-
dredi, i6 avril 1529) une sentence qui réservait, quoique très
sévère, l'avenir. Déclaré coupable « d'avoir tenu la secte de
Luther », l'accusé était condamné d'abord à la dégradation de
ses titres, grades ou dignités, puis à l'amende honorable, enfin
à la prison perpétuelle « entre deux murs de pierre », avec,
ajoute le Bourgeois de Paris, « defences de non jamais luy bail-
ler livre pour lire, ne ancre, ne plume pour esciire ». Terrible
époque — n'est-ce pas ? — que celle où un arrêt de cette na-
ture méritait, parce que la vie restait sauve, d'être regardé
comme indulgent ! Mais, contrariant les efforts de ceux qui
travaillaient à le sauver et conspirant ainsi contre lui-même,
Louis de Berquin, malgré les conseils et les prières de l'un de
ses juges, Guillaume Budé, interjeta appel « illico ». C'était une
manière de suicide, puisqu'il tombait par là sous la coupe du
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 173
parlement qui, rempli de haine, l'épiait depuis 1523. Quelle
aubaine ! La proie, au lieu de fuir, accourait, s'offrait. Seule-
ment, il fallait agir \dte, ne pas laisser à François I'^'" le temps,
s'il éprouvait un remords, d'empêcher ce qu'on méditait : un
crime légal et dans les formes. En conséquence, dès qu'il con-
nut et la décision des commissaires et l'appel qui l'avait aus-
sitôt suivie, le premier président, « vers le soir » de ce même
vendredi, se transporta, joyeux, auprès de Berquin, « luy de-
manda s'il vouloit percister », puis se hâta, ayant obtenu une
réponse affirmative, de convoquer la cour pour le lendemain.
Cette séance (ou ce guet-apens) du samedi, 17 avril, fut brus-
que et rapide comme une agression faite au coin d'un bois.
Entre neuf et dix heures du matin, toute procédure était finie,
et l'on condamnait le luthérien à être « bruslé vif » en place de
Grève. Sans perdre une minute, avec « grande diligence », il
fut « baillé... es mains... des bourreaux », et, « incontinent après
disner » (on dînait à midi), conduit, traîné au supplice. Sujet
propre à une tragédie classique : les péripéties et la catastrophe
n'avaient duré qu'une révolution de soleil.
239. Assassiné par les magistrats, Louis de Berquin ne fai-
blit nullement, et montra, en marchant à la mort, la sérénité
du sage. Dans une lettre du i^^" juillet, adressée de Fribourg à
Charles U+enhove, lettre émouvante où la douleur, la colère
percent à chaque moment le masque du penseur égoïste et cir-
conspect, Érasme retrace la conclusion du drame, dépeint l'at-
titude du condamné. A le voir, affirme-t-il, si détaché et si cal-
me, vous auriez pu le prendre pour un homme qui, dans sa
bibliothèque ou sous les voûtes d'un temple, se livre à de hau-
tes réflexions. Ses regards attestaient la pureté de sa conscience,
et il était clair que la cause qu'il avait défendue lui semblait
encore juste et sacrée. Hinc illa vultus tranquillitas. De là, son
assurance et sa constance. Lorsque la charrette arriva en Grève
et qu'il reçut l'ordre de descendre, il obéit sans balancer, et
demeura impassible tandis qu'on le liait au poteau. Il essaya,
à l'instant suprême, de parler au peuple. En vain. Ceux qui
l'entouraient avaient une consigne : étouffer sa voix, et il s'éleva
une telle clameur, tanins satellitiim fremitiis, que personne n'en-
tendit ce que criait le martyr.
240. Qu'il était donc, après cela, commode de lui faire dire
ce qu'il n'avait pas dit ou le contraire de ce qu'il avait dit !
Forcer les vivants à se taire et les morts à parler, quelle res-
source ! Bien sûr de ne pas être démenti, le quelconque moine
(franciscanus quidam) qui, sous prétexte de l'assister, escortait
et obsédait le patient, proclama qu'il avait, pendant les apprêts
174 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
du supplice, reconnu, Dieu merci, puis abjuré son erreur, en
sorte que — très certainement — il aurait part à la couronne
de gloire et au repos éternel. Mais moi, objecte Érasme, je n'ajou-
te pas foi à de telles déclarations. Les gens de cette espèce, fran-
ciscains et autres, prétendent invariablement que tout hérétique
est rentré, parmi les flammes, dans l'orthodoxie, bon moyen
d'amener le peuple à tenir la victime pour justement accusée
et à regarder ces palinodies comme une victoire de l'Église...
Le subtil Érasme ne veut pas ou n'ose pas aller au fond des
choses. Il oublie d'observer que ce genre d'imposture achève
et prolonge la vengeance des « bien pensants '.. Non contents
de détruire, de réduire en cendre le corps de leurs adversaires,
ils tuent, après coup, leur âme, leur influence, leur mémoire.
En publiant qu'il a renoncé à sa doctrine, on enlève le bénéfice
de ses souffrances, de sa constance à celui qu'on a brûlé ; son
sacrifice devient stérile ; l'exemple qu'il comptait fournir tourne
contre lui, et on le dépouille de sa conviction, c'est-à-dire de
cela même qu'il avait préféré à la vie. Perfidie plus cruelle que
la violence et, aussi, plus efficace. La foule naïve tombe dans
le piège, favorise innocemment le complot, et estime naturelles,
morales ces conversions in extremis. Celle de Berquin aurait
dû, semble-t-il, étonner les moins sceptiques, et il eût été rai-
sonnable d'admettre qu'un homme de cette trempe n'avait pas,
en mourant, désavoué son passé. Pourtant, la calomnie du bon
père circula, bien accueillie, et l'on retrouve sa trace chez le
Bourgeois de Paris qui, après avoir raconté en détail le procès
du luthérien, ghsse, tout à la fin, cette note : mais u il mourut
repentant ».
241. Au demeurant, ce prétendu retour à leurs dogmes ne
lui concilia point la bienveillance des catholiques. Leur haine
le poursuivit dans le tombeau. Je me trompe : il n'avait pas
de tombeau, et c'est précisément ce que remarque avec joie
l'auteur — qui ne signe pas — d'une niaise et féroce épigramme.
Les quatre éléments ont collaboré, écrit -il, à l'anéantissement
« du faulx Berquin ». Le feu et l'eau se sont coalisés contre lui,
« terre luy a desnié sépulture », et, de peur qu'il ne restât quel-
que chose de son corps, le vent, s'emparant de sa poussière, a
soufflé dessus, l'a dispersée.
Les sentimens humains, mon frère, que voilà!
Par bonheur, Berquin n'a pas eu que cette seule oraison funè-
bre, et son infortune a été déplorée dans un poème qui a le ca-
ractère d'une léhabilitation. Ce poème, M. Guiffrey l'attribue
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 175
à Marot. Est-il de lui ? Je ne sais. Marot, peut-être, eût mieux
dit. Il y a là des phrases languis?antes, des vers faibles qu'il
n'eût pas soufferts ; mais les idées, certes, rappellent les siennes,
et nous découvrons, en cette pièce, ce qu'on ne rencontre guère
que chez lui : une vive sympathie pour l'opprimé, le respect
de la mort et de la douleur, une émotion que produit le mélange
de l'indignation et de la pitié.
242. Quel qu'en soit l'auteur, l'œuvre dont je parle me pa-
raît, ses intentions étant généreuses, réellement belle, quant au
fond. Elle s'ouvre par une prière, un vœu. Puisses-tu, « gentille
ame chrestienne », trouver au ciel la paix et ta récompense !
La façon dont tu as quitté (( ce vil monde », ta résignation intré-
pide, les maximes tirée? de l'Évangile que tu a? si pieusement
prononcées, ton ferme propos de mourir pour Jésus de même
que Jésus était mort pour toi, tout nous invite à croire, tout
nous promet que ceux qui voulaient ta perte ont été les ins-
truments de ton salut. Elle était moins cruelle que gracieuse,
la corde que le bourreau, arrachant ta chaîne d'or, a nouée, le
brutal, autour de ton cou. En te liant, il te détachait, te déli-
vrait. Et ce n'est pas toi qui es à plaindre. Souvent, en ces dra-
mes de la place publique, la victime vaut mieux que les spec-
tateurs, que « ce dur peuple » frivole et sanguinaire. Voir étran-
gler un malheureux, quelle fête ! On court, on se faufile au pre-
mier rang. Oui donc, alors, se souvient que les hommes, inno-
cents ou criminels, sont tous frères ? Ces agonies attirent la
foule comme « ung jeu de la bazoche ) . Les dames ont, à l'avan-
ce, loué des fenêtres. Pimpante et parée, l'amante arrive avec
l'amant, et contemple la scène effroyable qui s'achève, pour
elle, en galants ébats... Ainsi gronde, véridique et amer, le
bon poète inconnu. En tei minant, il se tourne vers le « paren-
taige » de Berquin, et supplie sa famille de relever le front. Elle
n'est pas atteinte dans son honneur ; elle n'est pas flétrie, tant
s'en faut ! Aux yeux du monde, sans doute, une telle mort est
infâme. Mais laissez dire ! Non moins honteuse fut réputée, à
Rome, la fin des premiers martyrs, et pourtant, « lassus au
ciel », ils portent le diadème. Les jugements d'ici-bas n'influent
en rien sur la justice de Dieu, et parmi les grands personnages
qui s'éteignent doucement dans leurs lits et que recouvre la
terre sainte, beaucoup, lorsque sonnera l'heure du discerne-
ment, seront précipités au-dessous des prétendus hérétiques
mis en cendre par la loi des hommes.
243. Plus on y réfléchit, plus il semble naturel de rattacher
à la tragique aventure de Berquin les vers où, répondant aux
bourgeoises de Pari.-,, Marot avoue que c'est la crainte de la
176 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
bourrée ou du fagot qui l'empêche d'aborder certains sujets.
Par là, bien que relatives à un incident isolé, les pièces qui for-
ment le cycle des Adieux prennent, en ce qui concerne l'his-
toire des idées à cette époque, la valeur, l'intérêt d'un docu-
ment, et nous fournissent, sur la biographie de notre poète,
quelques très utiles précisions. En voici encore une à signaler.
Je la tire du réquisitoire de Centimaison ou, si l'on préfère,
des six dames. Nous savons, grâce à elles, qu'en cette année
1529 où elles se déchaînaient contre lui, Marot (mais depuis
quand ?) était marié.
244. Et sa femme, d'après Centimaison, avait eu grand tort
de l'épouser : il la laissait affamée et nue ; elle n'avait même
pas « son saoul de pain >, et sa meilleure robe valait moins d'un
denier. Tandis que la pauvre créature languissait, dépérissait,
lui, il vivait dehors, hantait les ivrognes, les filles de joie, et,
bref, oubliait tellement sa compagne légitime qu'elle devait,
pour avoir de quoi manger, courir les rues, elle aussi, mendier
ou se vendre, fréquenter les truands. Joli ménage, n'est-ce pas ? . . .
Mais le tableau est trop noir ; le peintre, cette fois encore, dé-
passe le but ; la haine l'inspire mal, car il faut, quand on veut
qu'elles opèrent, nuancer davantage les calomnies. Celles-ci, à
force de chercher à nuire, deviennent presque innocentes, re-
tombent même sur leur auteur qui joue un très vilain rôle, et
nous rend, faute de mesure, son témoignage plus que suspect.
245. Est-ce à dire, maintenant, que Marot ait été un mari
modèle ? Xous n'en savons rien, et, à quatre siècles de dis-
tance, mieux vaut ne pas trancher la question. Maître Clé-
ment — léger de son propre aveu et, par suite, difficile à fixer
— a pu avoir, sur la fidélité conjugale, des idées larges, et je
me figure qu'il regardait je ne dis pas l'adultère, mais les fan-
taisies sentimentales comme le droit du poète, comme faisant
partie des profits et charges de la profession. Bon pour Salmon
Macrin de chanter sa femme ! Marot, qui respectait la tradi-
tion, n'admettait les vers d'amour que destinés à une maîtresse.
Au besoin, il en eût inventé une. Mais il lui fut inutile de recou-
rir à ce procédé. Très réellement, d'ime façon durable et sin-
cère, il eut, à la cour, une amie de cœur, une confidente et une
muse, celle qu'il appelait : « Anne, ma sœur •;. [J. III, 48.] Les
nombreuses pièces, souvent exquises, qu'il lui a vouées attestent
qu'il s'agit d'une passion grave et pure, non d'un jeu littéraire.
Les sens ont, ici, très peu de place. Seules les âmes tendent à
s'unir. C'est une sorte d'idylle intellectuelle, un roman plato-
nique jusqu'au bout, mais où le platonisme échappe aux nuées
métaphysiques, et demeure accessible, humain, souriant.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 177
246. Cette « brunette « au « gentil cœur gracieux », cette
Anne que le poète compare à une « amyable calandre », qui
était-elle ? De ce problème attirant on a proposé plusieurs solu-
tions conjecturales. Mais il serait oiseux de les rapporter, parce
que M. Abel Lefranc a identifié le personnage d'une manière
que je crois décisive. Négligeant, en conséquence, toutes les
hypothèses antérieures à son enquête, je me bornerai à consi-
gner les précieux résultats qu'elle a fournis.
247. Sur cette femme si chère à Marot et qu'il a voulu im-
mortaliser, on ne possédait, jusqu'à ces derniers temps, qu'un
nombre très restreint de renseignements positifs. En somme, on
ne savait rien d'elle, sinon qu'elle s'appelait Anne ; — qu'elle
était brune ; — qu'elle descendait « de la ligne des dieux )> (ceci
avait l'air d'ime métaphore) ; — et qu'Alençon était son pays.
Il me semble que, loin de les guider, ce fut le mot Alençon qui
égara les chercheurs. Alençon, à leurs yeux, devait être un nom
de ville, et la pensée ne leur venait point que les noms des villes
passent bien souvent à des personnes, en sorte que le poète
avait pu, quand il parlait d'Alençon, désigner tout à la fois
une cité et ime famille. C'est pour avoir eu cette idée que M.
Abel Lefranc a réussi non seulement à déceler cette Anne si
mal connue, mais encore à établir que, outre les quelques pièces
où son nom figure, c'est à elle aussi que s'adressent plusieurs
autres œuvres de Clément Marot — très belles, très importan-
tes, — qu'on ne lui croyait pas destinées.
248. C'était bien de la race des dieux, comprenez des princes,
que descendait, mais non par la voie droite et authentique,
Anne d'Alençon. Elle avait, en effet, pour père Charles, bâtard
d'Alençon, fils naturel du duc René d'Alençon (f 1492) et frère
illégitime de Charles IV, le premier mari de Marguerite. Le
bâtard Charles n'eut pas à se plaindre de la fortune, et ne fut
nuHement traité par les siens en étranger. D'abord seigneur de
Saint-Paul-le-Vicomte, il obtint successivement une pension de
500 livres, la charge de chambellan avec de gros et bons gages,
puis (1524), en échange tant de sa pension que de la terre de
Saint-Paul, la baronnie de Cany-Canyel, au pays de Caux.
L'heureux maître de ces biens et de ces titres mourut avant
le 25 février 1541. Sa femme, Germaine de Balue, nièce du célè-
bre cardinal, lui avait donné deux filles, « Anne, notre héroïne,
et Marguerite, dame de Cany-Canyel, mariée, le 13 septembre
1550, à Lancelot du Monceau, seigneur de Tignonville en Beauce,
premier maître d'hôtel de la reine de Navarre, et morte en cou-
ches en 1551 )).
249. Marot nous a laissé un charmant portrait de son amie.
Clément Marot et sou écule 12
178 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Il se trouve dans une épître que, bien à tort, Génin croyait
écrite pour là sœur de François I^'". En tait, d'après M. Abel
Lefranc ^, c'est à Anne que va cet hommage. Je dois, déclare
le poète, bénir l'année où cette « nymphe de pris », inconnue
de moi auparavant, me fut enfin révélée. Je la juge plus belle
que les plus belles à cause de la douceur répandue sur ses traits
et de son chaste regard. Qu'elle devise ou qu'elle se taise, « une
grâce tant bonne )> émane d'elle qu'on ne saurait dépeindre ce
qu'on éprouve en la voyant. Dès qu'elle ouvre la bouche, on
est ravi. On resterait, sans que le temps parût long, un siècle
entier à l'entendre, séduit, enchanté par ce « vif esprit », cette
culture si étonnante, ce « rond parler » dénué d'artifice... Que
de raisons pour être adorée ! Oui, mais il existe un obstacle :
elle est, cette dame élue, née « de hault parentaige » et, consé-
quemment, digne d'un prince. » O que ne suys-je prince ! »
soupire Marot ; mon service, mes vœux seraient agréés, peut-
être.
250. Puis, reprenant courage : ^ Pourquoy prince ? » deman-
de-t-il. L'olivier n'est-il pas plus délectable que « les grandz
chesnes fiers » ? Les déesses, jadis, ont écouté, partagé les désirs
« d'hommes mortelz ». Diane s'est abaissée jusqu'au pâtre En-
d3/mion, et Vénus a quitté, pour Adonis, « les haultz cieulx ».
On objectera que ce sont là « vieilles histoires », et qu'il n'appar-
tient à personne de se comparer à Adonis. Soit ! Mais voici,
alors, un récent exemple : la dauphine Marguerite d'Ecosse a
baisé les lèvres disertes d'Alain Chartier. Valait-il mieux que
moi, « l'heureux » Alain ? Mon nom est répandu dans les pro-
vinces comme celui des principaux seigneurs. Ils triomphent
par les armes ; moi, par les vers. S'ils possèdent des trésors que
je n'ai pas, j'ai une richesse qu'ils n'auront jamais, des <i cho-
ses » qui ne sont point dans leurs coffres. Bien qu'ils aient beau-
coup de puissance, ils ne peuvent pas ce que je puis : rendre
immortelle une maîtresse... Orgueil légitime, solide argument.
Anne semble avoir admis que le génie conférait, en effet, un
I. Les preuves qu'il a produites sont très séduisantes, et plusieurs motifs
d'un grand poids nous invitent à partager son avis. Mais ce n'est pas à dire qu'il
ne présente aucune difficulté. En voici une, fort embarrassante, que je n'ai pas
su résoudre : si, d'une part, la pièce appartient à l'année 1537, i^ ^^^ impossible
d'expliquer pourquoi le poète affirme [v. 16] n'avoir jamais vu Anne d'Alençon
avant cette date, et si, d'un autre côté, l'épître fut, ainsi que L veut M. Lefranc,
écrite dès 1527, il faut presque renoncer à rendre un compte satisfaisant des
vers 13-14, où Marot constate qu'il a eu la joie de rentrer en grâce et de
visiter sa « natale province »... Il me reste donc un scrupule, et ce n'est p^s
en toute tranquillité que je parle de cette si jolie lettre comme s'adressant à
Anne.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 179
droit spécial, rapprochait les distances, remplaçait les lettres
de noblesse. La « nymphe » n'a pas — au vrai, an plein sens du
mot ■ — aimé son amoureux : mais elle l'a estimé aimable, elle
lui a permis de parler d'amour, et, accueillant avec une bien-
veillance émue ce culte sans avenir, elle a laissé croître, chez
Clément Marot, un sentiment très honorable pour elle et qui,
exprimé par un tel homme, devait produire de la beauté. Cette
inclination condescendante, ce demi-sacrifice que les grandeurs
faisaient au talent caractérisent à merveille, ainsi que le remar-
que M. Lefranc, les goûts, l'esprit de la Renaissance.
251. A quel moment Anne et son poète se sont-ils connus
et liés ? On est arrivé à le savoir en se fondant sur deux pièces
où Marot gémit de se voir soudain, alors qu'il la fréquente et
la sert « un an y a ou il s'en faut bien peu », séparé de sa « ter-
restre déesse ». Les pièces en question nous indiquent l'une et
l'autre que le départ de la belle a eu lieu au mois de mai, et
que le ciel, pendant ce mois-là, n'a cessé de répandre « mille
pleurs ». Or, cette mention d'un printemps humide et même
noyé convient à l'année 1527, témoin le Bourgeois de Paris
qui note la persistance des pluies à cette époque et les inonda-
tions qui s'ensuivirent. Le fait a son importance. Il nous prouve
que ce fut bien au mois de mai 1527 que, pour un temps, Anne
dut s'éloigner, et de là on peut conclure, puisque, vers cette
date, « l'amytié » durait depuis un an, qu'elle avait forcément
pris naissance en mai 1526.
252. Cette séparation, dont le motif nous demeure obscur,
et qui ne paraît pas avoir été longue, fut sans doute imposée
à la jeune fille, puisque l'écrivain affirme expressément [J. III,
13] qu'on lui ôta son amie. Ce fut là, semble-t-il, l'unique péri-
pétie, le seul triste chapitre du roman. Avant et après cette
absence, il se déroula plein de douceur, procurant aux deux
liéros une constante, une élégante joie intellectuelle et sentimen-
tale. Ils ne voulurent pas se la réserver en égoïstes, et, sans
imiter les amoureux vulgaires qui se suffisent, comme on sait,
à eux-mêmes, ils prirent plaisir à faire rayonner autour d'eux
la grâce et les charmes de leur union, à fonder une manière de
famille spirituelle et à recevoir dans leur alliance (c'est le terme
que Marot emploie) deux âmes d'élite, deux marguerites. Mar-
guerite d'Alençon, l'autre fille du bâtard Charles, devint, pour
Clément, une vraie sœur, et il la nommait son « petit registre »,
parce que, disait-il, elle gardait en sa mémoire le texte fidèle,
correct et sûr de tous les vers composés par lui. Mais à cette
heureuse trinité une quatrième personne s'adjoignit, celle que
le poète appelait « la tante », Marguerite, reine de Navarre. Si
180 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
l'on songe à son extrême indulgence, à la place que, dans ses
œuvres, elle a faite au platonisme, on s'expliquera facilement
qu'elle ait regardé avec sympathie ces délicates affinités des
coeurs, preuve éminente de l'attraction qu'exercent l'une sur
l'autre la beauté de la femme et celle de l'art. Réellement, à
l'entente, à l'alliance que Marot a nouée et chantée rien d'en-
viable n'a fait défaut. Que de précieuses choses il a groupées
en un seul faisceau ! S'il ne les a pas énumérées, il a senti, goûté
chacune d'elles, et ce tout petit cercle de choix lui fut, à l'en
croire, un paradis. C'est qu'il trouvait là, et à la fois, la pro-
tection d'une souveraine remplie de bonté, d'humanité ; le dé-
vouement d'une confidente et l'affection d'une sœur en Mar-
guerite d'Alençon ; enfin, le meilleur amour celui qu'on offre
sans condition. Être accepté à titre d'égal, être compris et ad-
miré, jouer, parmi ces si hautes dames, le rôle de soupirant,
que pouvait souhaiter de plus agréable un auteur souvent per-
sécuté, un homme sorti du peuple ?
253. Aussi l'inconstant Marot ne s'est-il jamais fatigué de
cette si douce liaison. Après avoir duré dix ans et plus, elle lui
laissa, en prenant fin, de vifs regrets, et, tant qu'il fut en droit
de le faire, il ne négligea aucune occasion de célébrer son idéale
maîtresse, de lui dédier de jolis vers. Sur les vingt-sept élégies
qu'il a rimées, neuf, à en croire M. Lefranc, auraient été com-
posées pour elle. Dès que (rappelez-vous qu'on l'avait obligée
à partir) elle reparaît à la cour, Clément la salue en termes déli-
cats, et lui envoie un huitain qui le montre tout souriant à la
pensée du « revoir », mais essuyant une dernière larme au sou-
venir de l'adieu. Quoi qu'il arrive, absent à son tour, banni,
traqué, tremblant pour sa vie, il n'oublie point ; ce sérieux
amour le suit en exil, dans le danger. De Ferrare, en pleine
tourmente, il adresse à Anne deux épigrammes : l'une n'est
guère qu'un jeu galant, mais l'autre, grave et fière, a l'accent
d'un acte de foi ; elle rend justice à la fidélité de la belle, et
affirme qu'elle restera, plus encore que s'il était heureux, atta-
chée à l'amant calomnié et proscrit. La pitié — émouvante
idée, noble et raisonnable confiance, — attisera le « feu d'affec-
tion )). Les épreuves de Marot, en effet, ne relâchèrent pas des
liens si forts, et il retrouva, à sa rentrée en France, la nymphe
telle qu'il l'avait quittée. Lui, il n'avait, en courant le monde,
rien perdu de sa ferveur, et il l'exprime une fois de plus en un
passage de l'Adieu aux dames de la Cour qui semble bien des-
tiné à Anne. Toutes ces pièces dont j'ai parlé, d'autres encore,
assez nombreuses, que je n'ai pas signalées ici comptent parmi
les meilleures du poète. Sa brunette, vraiment, l'inspirait, et
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 181
je n'en veux comme preuve que le délicieux rondeau intitulé
De sa grande amye. Quelle grâce ailée, tendre et joyeuse ! Le
début a la naïveté d'une chanson populaire :
Dedans Paris, ville jolie...
et la lin nous fait songer à la romance de Fortunio :
Je ne vous la nommeray mye...
254. Les jours, cependant, s'envolaient, et Anne ne voulait
pas mourir vierge et muse. Qu'attendre de la vie qu'elle menait
jusque-là ? Recevoir le très platonique hommage d'un écrivain
déjà mûr et qui avait femme et enfants, apprendre par cœur
ses vers d'amour, c'était un agréable passe-temps, mais non
pas une carrière. L'idylle se révélait sans issue, et il fallait dé-
noncer l'alliance, se résigner à la prose, chercher une solution
pratique, autrement dit marier l'héroïne. Elle se décida, ou
bien on la décida. Apparentée, au fond, glorieusement, protégée
par la reine de Navarre qui, depuis 1539 et peut-être avant,
l'avait admise, avec cent livres de gages, parmi ses filles d'hon-
neur, lettrée, musicienne, gaie et jolie, Anne ne risquait pas
de ne plaire qu'au seul Clément. De fait, elle épousa un gen-
tilhomme, « messire Nicolas de Bernay, écuyer, seigneur dudit
lieu de Bernay en Pymont et y demeurant, écuyer tranchant
de Madame la Dauphine et de Madame Marguerite, fille du
roi ». Le contrat est du 2 décembre 1540. Germaine de Balue
donnait aux conjoints, outre 2.000 livres, la moitié de la terre
des Porcherons, et le roi, de son côté, offrait en don viager le
domaine de Tremblevif... Ici se termine le chaste et long roman
de Marot. Il n'écrira plus rien pour sa sœur Anne,... une Étrenne
seulement, cinq tout petits vers où il parle non de sa mélan-
colie de soupirant évincé, mais des joies positives du mari.
Comme le ton a changé ! Il est devenu gaulois, et nous avons
là une équivoque risquée, hardie. La blâme, au reste, qui vou-
dra ! Elle est si alerte et gaillarde qu'il faudrait, pour la con-
damner, être plus austère que de raison.
255. Revenons. L'histoire amoureuse d'Anne d'Alençon m'a
entraîné fort loin, mais il eût été dommage de la disperser en
plusieurs chapitres, et mieux valait, il me semble, la conduire
tout droit à son terme. L'y voilà arrivée, et nous pouvons main-
tenant renouer notre fil chronologique, le reprendre où il a été
rompu, c'est-à-dire en 1529.
256. Le 5 août de cette année-là fut signée, à Cambrai, la
182 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Paix des Dames qui mettait fin (pas pour longtemps) à la guerre
entre François l^^ et Charles-Ouint. Bien que Marguerite d'An-
goulême n'ait pas été étrangère aux conférences de Cambrai,
le traité fut l'œuvre, principalement, de l'implacable Margue-
rite d'Autriche et de Louise de Savoie. Celle-ci, presque au
bout de sa vie néfaste, portait à la France un dernier coup en
préparant une convention utile surtout à l'empereur. La na-
tion, une fois encore, se trouvait sacrifiée à l'intérêt d3'nasti-
que, à la délivrance des enfants royaux. On acheta trop cher
leur retour, et l'on se résigna, pour l'obtenir, à accepter des
clauses vraiment honteuses : la réhabilitation de la mémoire
d'un traître (le connétable de Bourbon) ; la grâce de ses com-
plices ; l'abandon sans réserve de nos alliés fidèles ; l'oubli des
anciens pactes et serments... Le peuple s'inclina, docile. Au
reste, on prit soin de l'aveugler, et, comme s'ils consacraient
et couronnaient des victoires, on célébra par des fêtes ces arran-
gements : fêtes à Saint-Quentin où le roi, pendant les négocia-
tions, résidait avec la cour ; fêtes à Cambrai ; fêtes, plus tard,
à Paris, et, là, feux de joie, processions générales, « haulte messe
en la grande église », beau sermon prêché par le cordelier Pierre
de Cornes, Coniihus. Marot ne pouvait rester muet. Nous sa-
vons [et. § 93] qu'il était, le 6 août, à Saint-Quentin. Lui aussi
pavoisa à sa manière. Il dédia un rondeau aux trois déesses
par qui, en ce bas monde troublé souvent, naissent et crois-
sent « l'olive », la paix. Après quoi, il demanda son salaire, ten-
dit son chapeau. On lui accorda, le i6 août, « pour subvenir a
ses nécessitez », vingt li\Tes dix sous. Il n'avait pas à se plain-
dre : le rondeau ne valait pas davantage.
257. Parmi les pièces de Marot qu'il est possible de dater,
aucune n'appartient à la période qui s'étend entre le traité de
Cambrai et le retour des jeunes princes li\Tés comme otages à
Charles-Quint. La somme énorme exigée pour leur rançon n'avait
pas été réunie sans peine, et ce fut seulement le i^^" juillet 1530
que les prisonniers furent, de mauvaise grâce, remis enfin, à
Hendaye, entre les mains de Montmorency. Le lendemain, cette
bonne nouvelle fut apportée au roi qui attendait à Bordeaux.
Clément l'y avait suivi. Il prit, à l'instant même, sa plume,
composa, durant la nuit, un Chant de joye en forme de ballade,
puis le présenta, le matin venu, à François I^^, « a son lever ».
Ce Chant de joye n'a guère d'autre mérite que la rapidité de
l'exécution. C'est moins une œuvre d'art qu'un moyen de flat-
ter à la fois le père qui retrouvait ses enfants et le « baron »
qui les lui ramenait, le « noble Montmorency », plus sage que
« les très sages Rommains ».
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 183
258. L'auteur, jouant le rôle du chœur antique, traduisait
les sentiments de la foule. L'allégresse publique était sincère,
et chacun s'estimait doublement heureux, puisque les deux
(( desirez » rentraient en France avec Éléonore d'Autriche qu'al-
lait épouser le roi. Le mariage eut lieu le 6 ou le 7 juillet, « en
un couvent de nonnains », à Saint-Laurent-de-Beyries, et, peu
après, la nouvelle reine s'achemina vers Bordeaux où elle fut,
le 12, solennellement reçue. Marot lui offrit, à cette occasion,
une épître ou, mieux, une harangue en vers dont on ne saurait
penser beaucoup de bien. Visiblement gêné, l'écrivain semble
chercher à quels titres il pourrait louer la sœur de Charles-
Quint. Il se borne, pour l'acquit de sa conscience, à l'appeler
« perle de prix » et à constater sa « grand haulteur ». Cela fait,
il célèbre la France, les « villes fières » que baignent ses fleuves
et la cité sans rivale, Paris. Éléonore passe au second plan.
Ce que Marot découvre de meilleur en elle, c'est d'avoir servi
de mère aux otages et d'être très éprise de son mari. Tu l'as
aimé, dit-il, sans le connaître, et combien davantage dès que
tu as vu « son port, forme, sens et beaulté » !... Clément, ici,
n'invente rien, car tout bon Français, pour honorer son prince,
prêtait à l'étrangère cette passion romanesque, née, assurait-on,
hors de la politique, au temps où François languissait à Madrid.
Était-ce une légende ? Il se peut. Mais cette légende-là, un
poète courtisan n'avait pas à la discutei : il devait, sans exa-
men, l'accueillir et la répandre.
259. Voyageant à petites journées, reçu partout en triomphe
et s'arrêtant des semaines entières dans certaines villes, bourgs
ou châteaux, le couple royal visita tour à tour Angoulême (23
ou 24 juillet). Cognac, Saint- Jean-d'Angely, puis, de septem-
bre à novembre. Loches, Amboise, Blois et Orléans. La reine,
au mois de décembre, arriva à Fontainebleau, d'où elle se ren-
dit, le 19, au Bois de Vincennes et, peu après, à Saint-Germain-
en-Laye. Elle fut couronnée à Saint-Denis le 5 mars 1531, et
fit enfin, le 16, son entrée dans la capitale. « Mystères, jeux,
beaulx parements de rues » [G. III, 172] accompagnèrent l'une
et l'autre de ces deux cérémonies, auxquelles vinrent en foule
assister les grands seigneurs. Suivi de ses officiers et domesti-
ques, notamment de son héraut d'armes, Pierre Gringore, le
bon duc Antoine de Lorraine avait, pour la circonstance, quitté
ses états, et il figura au tout premier rang dans les banquets
et les cortèges. Marot profita de sa présence pour lui offrir,
avec un exemplaire de la Métamorphose, une assez adroite épî-
tre où il parle modestement de lui-même, u salue très humble-
ment » ce personnage « de hault pouvoir », célèbre l'excellence
184 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
de sa « duché souveraine ;>, et lui rappelle ses deux frères, Louis
de Vaudemont et François de Lambesc, tombés en pleine jeu-
nesse, au champ d'honneur. Que ce double hommage, tant du
a translaté livre )) que de la lettre y annexée, ait tendu à obte-
nir quelque argent, nous ne devons pas en douter. Les fêtes
officielles, les événements heureux valaient à qui servait les
princes des dons et largesses. Clément ne l'ignorait pas, et il
avait aussi, à l'occasion de l'entrée d'Éléonore à Paris, demandé
au roi une gratification. Elle ne lui fut pas refusée, et voilà
pourquoi, vers cette époque, sa bourse a pu être moins plate
que d'ordinaire et avoir, comme il dit, « grosse apostume ».
260. Mais cette somme que son maître lui avait départie, ce
ne fut pas lui qu'elle mit à l'aise. Son valet, ce valet de Gasco-
gne qu'il a rendu, à charge de revanche, immortel, la lui déroba
souplement (avril ? 1531), et, non content d'enlever à l'écrivain
son escarcelle, il lui prit, en outre, ses meilleures hardes, son
meilleur cheval, puis s'en alla et disparut. « Monsieur », qui
dormait pendant ce temps, devint fort blême au réveil. Nu,
sans monture, sans le sou, il voyait d'autant moins l'avenir en
rose qu'un malheur, il le savait, n'arrive jamais seul. Effecti-
vement, « bien tost après ceste fortune là » (septembre ?), une
grave maladie le terrassa. La peste exerçait alors ses ravages,
et Marot, comme beaucoup d'autres, se trouva frappé. Peu s'en
fallut qu'il ne succombât, et lorsque, après trois longs mois,
il entra en convalescence, il se vit aussi maigre qu'un héron
et tellement débile qu'il dut rapprendre à marcher. En fin de
compte, il guérit. Quatre docteurs, au moins, l'avaient assisté :
un certain Lamy, ami de nom, ami de fait, qu'il appelait en
vers à son aide quand il tardait à venir [J. III, 18], et trois
autres qui le visitaient « de trois jours l'un », MM. Braillon,
Lecoq, Akakia.
261. Comme ces noms, affirmait un professeur que j'ai con-
nu, sont bien imaginés ! Qu'ils semblent pittoresques, variés,
plaisants ! L'auteur s'amuse, à n'en pas douter, et, en s'amu-
sant, il nous égaie... Hypothèse agréable, raisonnable aussi,
mais fausse. Clément n'invente rien. Les personnages qu'il cite
existaient réellement. Fameux à leur époque, ils étaient, avec
de bons gages, médecins du roi, et Marot devait à sa charge
de valet de chambre l'avantage d'être traité par eux. Ils ne se
bornaient point à la pratique de leur art : ils étaient érudits,
lettrés. Aussi n'est-ce pas en prose que Marot leur écrit. Il en-
voie une épigiamme à Louis Braillon, le supplie « en rithme »
de le venir voir, d'où nous pouvons conclure que Braillon aimait
les vers, s'intéressait aux poètes, et les poètes à lui. Charles
CLÉMENT MAKOT ET SON ÉCOLE 185
Fontaine a composé une brève pièce sur sa mort : il le qualifie,
dans le titre, « médecin de Paris très renommé », et regrette
que, habile à guérir le mal d'autrui, il n'ait pas guéri le sien.
— Plus célèbre encore fut Martin Akakia (j 1551). Vexé de
s'appeler Sans-Malice, sobriquet populaire, indigne d'un homme
docte, il tourna en grec ces mots choquants, et trouva moyen,
Champenois subtil, d'imposer, d'illustrer ce nom comique. Reçu
docteur en 1526, Akakia produisit divers ouvrages et, notam-
ment, un commentaire de Galien. Il cultivait aussi la muse
latine. Clcmert le compare à Virgile, et, parlant d'un « exquis »
tetrastichon à lui dédié par Sans-Malice, il s'avoue incapable
d'un tel effort de génie. Ce que je fredonne, dit-il, ne sonne
guère : mais tes vers !... on croirait des coups de canon... —
Quant à Guillaume Lecoq (Gallus), deux fois doyen de la Fa-
culté (1538-9), on le réputait instruit, énergique, point cour-
tisan. Marot lui adressa deux épigrammes. L'une et l'autre
jouent sur le mot coq. Plaise à ce coq si libéral et franc de quit-
ter une heure sa geline pour accourir auprès du malade qui a
tant besoin de lui !... Et grâces lui soient rendues puisqu'il
n'a rien chanté de funèbre, mais le retour, au contraire, de la
lumière, de la santé !
262. Marot, durant cette crise, se trouva plus que jamais à
court d'argent. Le peu que son Gascon lui avait laissé alla aux
apothicaires. « Sirops et julepz » achevèrent de le ruiner, et il
lui fallut, une fois encore, conter sa détresse au roi, lui deman- ,
der une aumône. Ce fut le i^^ janvier 1532 que, sous prétexte
de lui souhaiter une heureuse année et de lui offrir, pour ses
étrennes, l'empire des « quatre coings du monde », il lui adressa,
par l'intermédiaire de Jacques Colin, la merveilleuse épître
connue de chacun. Après avoir déduit les deux raisons qui l'au-
torisaient, ayant perdu vigueur et chevance, à solliciter un don,
il concluait, alléguant soudain un scrupule amusant et inatten-
du, qu'il renonçait au métier de mendiant, mais qu'il ne refu-
serait pas, à la rigueur, d'emprunter. Il disait plaisamment au
prince : Plus de cadeaux, car je rougis d'avoir abusé ! Ma di-
gnité souffre de vos bienfaits trop nombreux. Bornez-vous à
m.e prêter quelque chose : jevousrendrai celaun jcur ou l'autre...
Rien d'aussi exquis ni de mieux tourné. De tels vers, qui trans-
figuraient la poésie de cour en la dotant d'une grâce aisée et
libre qu'elle n'avait jamais eue, frappèrent et ravirent Fran-
çois I«r. Il sentit leur charme, leur nouveauté, et chargea l'abbé
de Saint-Ambroise d'annoncer à Marot qu'il lui ouviait un cré-
dit. Clément se hâta de répondre [G. III, 192] qu'il signerait
avec joie tous les papiers nécessaires, une belle cédule authen-
186 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
tique, et le dénouement de cette comédie fut (Rouen, 13 fé-
vrier) une lettre du roi mandant à son trésorier de payer, bail-
ler et délivrer comptant « a nostre cher et bien amé varlet de
chambre ordinaire,... oultre et par dessus les gaiges... qu'il
a... )', une somme de cent écus d'or soleil. La quittance de l'écri-
vain nous a été conservée : elle porte la date du 23 mars.
263. Cent écus pour une épître ! Tous les rimeurs s'émurent,
et l'on entendit les voix contradictoires de l'admiration et de
l'envie. Roger de CoUerj-e célébra, je l'ai dit ailleurs, le chef-
d'œuvre de son confrère et la munificence royale. Par contre,
un inconnu « calumnia » cette pièce incomparable, et reprocha
à l'auteur d'avoir, en retraçant les vices de son valet, diffamé
la province dont était sorti le « larronneau». Faible invention
de la jalousie. Clément, néanmoins, prit la peine de répliquer :
Tu es, écrivit-il à son adversaire, le prince des méchants, le
« filz aisné d'une chouette », un parent, sans doute, de mon
laquais, un menteur, aussi, et un sot. Si tu n'étais ni sot ni men-
teur, tu aurais saisi et avoué la différence qu'il y a entre blâ-
mer un Gascon et attaquer la Gascogne.
264. De peu d'intérêt en elles-mêmes, critiques et louanges
attestent, du moins, que Marot était, à cette époque, un per-
sonnage, et qu'il jouissait déjà d'une grande renommée. Une
seconde preuve de ce fait nous est fournie, en outre, par la sym-
pathie que lui valurent sa maladie et le danger qu'il avait cou-
ru. Mellin de Saint-Gelays, souffrant, lui aussi, et hors d'état
de le venir voir, lui envoie d'affectueuses paroles. Charles de
Sainte-Marthe lui consacre un dizain qui, commençant par ce
vers naïf :
Il fut un bruit, o Marot, qu'estois mort,
continue en dépeignant la douleur des gens de lettres, celle sur-
tout du sensible Charles qui s'écrie, « pleurant amèrement » :
Morte donq' est Françoise Poésie !
Ressuscité et capable enfin de reprendre la plume, Clément
songe à remercier ceux qui se sont inquiétés de lui, et il adresse
une épigramme pieuse et résignée à Pierre Vuyard ; une épî-
tre à Confier, lieutenant de Bourges, auquel il promet poli-
ment une longue gloire à cause des « termes azurez », des mètres
« touts d'or » et, du reste, « arduz » et peu intelligibles qu'il a
reçus de lui ; une épître, encore, à « Vignals, Thoulousan esco-
lier à Bourges »... Je ne sais trop qui est ce Vignals,... le même,
peut-être, que l'Etienne de Vignalz qui, aux pages liminaires
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 187
des Controverses de Drusac, vantait en prose emphatique le
génie de ce rhétoriqueur, l'un des plus déments et des plus
infirmes qui soient.
265. En terminant sa lettre à Gontier, Marot explique, pour
s'excuser d'avoir été bref, que « les Muses le contraingnent pen-
ser ailleurs », et qu'il lui faut chanter sans retard « la dure mort »
de Louise de Savoie. « Madame », en effet, était morte le 22
septembre 153 1, c'est-à-dire depuis quatre ou cinq mois, en
sorte que la complainte officielle, différée par la maladie du
poète, ri.squait d'avoir l'air inopportune, tant on se console
vite à la cour ! Agissant, néanmoins, comme s'il croyait que
l'oubli n'était pas déjà venu, Clément, faible encore et non
guéri, composa, en l'honneur de « la mère au grand berger »,
de cette femme si habile à conduire — et à tondre — le trou-
peau de son fils, une ample pièce en forme d'églogue [J. II, 260].
Deux pasteurs, Thenot et Colin, exaltent les vertus de la perle
savoisienne, énumèrent les signes de deuil que les bêtes des
champs (et les poissons) ont montrés en la perdant, puis re-
trouvent le sourire en songeant qu'elle réside, à présent, dans
l'Elysée, là où croissent des fleurs impérissables, et où brille
une lumière dont on n'a, ici-bas, aucune idée... Cette idjdle
funèbre ne nous touche guère. Outre que nous connaissons trop
;< Loysette » pour nous réjouir de son apothéose, l'auteur, nous
le devinons, fait là une tâche qui l'ennuie, un vrai pensum.
Aussi n'ose-t-il compter ni sur l'instinct infaillible ni sur cette
magistrale simplicité de moyens qui le servent si bien chaque
fois qu'il parle librement. La naïveté de son art est remplacée
par des artifices. Il imite, ici, divers modèles ; il plaque gau-
chement des lieux communs ; il a recours à la « rhétorique ».
L'émotion est absente : on le remarque partout et, notamment,
dans les deux strophes où il est question de Cognac qui se cogne
la poitrine en apprenant que la régente n'est plus, de la ville
d'Amboise qui en boit une cruelle amertume, du Maine qui
mène un lamentable bruit, de V Anjou qui crie jou ! et de la
Touvre à ce point désespérée qu'elle détruit « son pavé de trui-
tes ».
266. Vers le moment où cette œuvre destinée au roi lui fut
offerte, il quittait la capitale afin de se rendre en Normandie.
Bonne occasion pour ceux qui, pleins de patience et de haine,
cherchaient depuis longtemps à perdre Marot ! Profitant de
l'absence de son protecteur, le parlement réveilla soudain la
procédure ouverte contre lui en 1526, et le lundi, 18 mars 1532,
deux conseillers, maîtres Jean Tronsson et Nicole Hennequin,
furent chargés de le poursuivre à nouveau comme ayant man-
183 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
gé, et non pas seul, « de la chair durant le temps de karesme ».
L'accusé, pour l'instant, ne jeûnait que trop. A l'en croire, il
était, lorsqu'on l'arrêta, (( arresté au lict de mort ». Sans pren-
dre à la lettre cette pointe, nous devons admettre qu'il se trou-
vait, tandis qu'on le menaçait ainsi, débile encore et loin des
banquets. Les intentions de ses juges n'étaient point douteu-
ses ; le péril semblait grand ; on en voulait à sa vie. Par bonheur,
si François ne pouvait intervenir, Marguerite de Navarre était
restée à Paris. Ce fut d'elle que vint, et très vite, le salut. L'un
de ses secrétaires, Etienne Clavier, parut, le 20 mars, devant
la cour, fournit caution, se porta garant pour l'inculpé. L'affaire,
par ce moyen, fut éteinte, étouffée, du moins en ce qui concer-
nait Clément.
267. Cet Etienne Clavier, qui était entré si à propos en scène,
demeure peu connu. Il figure (1539), avec 200 livres de gages,
parmi les officiers de Marguerite. C'était un lettré, et même
il rimait à ses heures. Marot lui dédia une épigramme, reçut
de lui un rondeau flatteur, répondit en affirmant qu'Etienne
ne pouvait manquer d'être, puisque son nom commençait par
É, « ^sveillé, f'njoué ». L'agréable humeur que ce texte lui attri-
bue, elle éclate en un autre rondeau, puéril et gracieux, qui
se lit en un recueil manuscrit. Clavier, s'adressant à des ber-
gères, invite gaiement ces <( jeunes tendrons » à gambader sur
les « serpoulletz », puis il s'engage à remplir leurs pochettes de
tartelettes et de craquelins.
268. Après tant de traverses, Marot, à la fin, respire, et le
voici qui entre dans une période d'accalmie. Il est guéri ; il a
de l'argent ; ses ennemis ont desserré leur étreinte : rien ne
l'empêche d'oublier le vol dont il fut victime, la peste, le par-
lement, et il va profiter de ce répit pour mener à bien une en-
treprise utile à sa gloire, l'édition des œuvres qu'il a produites
jusqu'alors. Le 12 août 1532, elles parurent chez Pierre Roffet,
sous le titre significatif à' Adolescence clémentine. L'auteur indi-
quait par là qu'il donnait au public les fleurs, seulement, de
son printemps, et qu'il avait droit à l'indulgence. Il affectait
de tenir son livre pour un coup d'essai, une chose légère, non
mûrie. Mais il savait, au fond, que la force du génie précède
parfois celle de l'âge, et sa feinte modestie cachait mal un juste
orgueil. D'autres, après lui, ont allégué non moins fièrement
la même excuse, et ce mot à' adolescence rappelle la phrase de
Musset :
Mes premiers vers sont d'un enfant,
Les seconds d'un adolescent...
Le rapport entre les deux poètes ne se borne pas à cela, et il
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 189
y a lieu de noter, en outre, que si l'écrivain romantique déclare
en tête de son volume :
Ce livre est toute ma jeunesse...,
Marot, offrant son recueil à une amie, exprimait déjà une idée
semblable :
Tu as, pour te rendre amusée,
Ma jeunesse en papier icy...
Mais « l'enfant du siècle » était vraiment très jeune lorsqu'il
imprimait ses juvenilia ; Clément, au contraire, avait hésité
longtemps à livrer, sous leur forme définitive, les primeurs, les
prémices de son « petit jardin », les fruits de ses « arbres nou-
veaulx entez ». Tranquille à cet égard et ayant assuré, de la
sorte, la durée de ses travaux, il pensa à sauver ceux de son
père. Beaucoup, à cette date, étaient perdus : il réunit, en bon
fils, ce qui restait, et les pièces du vieux rhétoriqueur, confiées
au libraire Pierre Roffet, virent le jour en janvier 1533.
369. En cette année 1533, au commencement de juillet, le
roi quitta Lyon où il était resté six semaines, et se dirigea du
côté de Marseille où le pape Clément VII et lui avaient résolu
de se rencontrer. Mais l'entrevue n'eut lieu qu'en octobre. Fran-
çois, en conséquence, avait du temps devant lui : il voyagea à
petites jom-nées, ne suivit pas le plus court chemin, visita l'Au-
vergne, le Velay, puis le Languedoc. La reine, le dauphin, JMont-
morency, la cour entière l'accompagnaient, et Marot aussi, de-
puis Lyon, chevauchait derrière lui. Tout ce monde-là devait
s'arrêter à Toulouse, et cette cite, bien que prévenue assez tard,
avait ménagé au souverain une réception très magnifique. Dès
le 8 juillet, les capitouls avaient décidé d'employer aux prépa-
ratifs « tant de gens » qu'on en pourrait « treuver » et de les
faire « travailler jours de testes et aultres ». Peintres, broyeurs
de couleurs, imagiers, tapissiers, mouleurs, modeleurs, deux
cents ouvriers (ou peu s'en fallait) s'étaient mis avec zèle à la
besogne, et, pendant ce temps, les humanistes et les rimeurs
du cru ne demeuraient pas inactifs, mais, dirigés par le docte
Jean de Pins, organisaient le programme.
270. L'entrée d'Anne de Montmorency eut lieu le zy juillet ;
celle du dauphin et de ses frères, le 30 ; celle de Duprat, le 31 ;
celle du roi — comme il était juste, la plus pompeuse — le ven-
dredi, i^ï" août. Le héros de la fête, qui avait couché au châ-
teau de Balma, arriva, suivant la coutume, par la porte Arnaud-
Bernard. Là, de jolies filles, habillées en nymphes, lui récité-
190 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
rent des vers ; une harangue fleurie fut débitée par le capitoul
Filholi, et, dévalant, à cet effet, d'un nuage, le peintre Bernard
Nalot remit les clefs de la ville. Le cortège, alors, s'ébranla :
venaient en tête les ordres religieux et le clergé des paroisses ;
puis, avec fifres et « tambourins de Suysse », deux mille fan-
tassins ; puis des cavaliers coiffés de heaumes » surdorez a l'an-
ticque » et tenant « es mains branches de laurier » ; puis des
enfants vêtus de satin blanc et de damas ; puis les clercs de
la Basoche ; puis, à cheval, les bourgeois et marchands en robes
de soie cramoisie ; enfin, les tenanciers et les nobles, précédés
par Ramond de Royers, baron de Fourquevaux, qui portait
leur étendard. C'était fort beau. A chaque carrefour s'élevaient
soit des arcs de triomphe, soit des théâtres où l'on représentait
<i histoires, moralités et fictions poétiques )). L'architecture grec-
que et romaine revivait en toutes ces constructions et, plus
encore, dans une galerie d'ordre ionique, bâtie à Saint-Roch-
hors-les-murs, devant le couvent des Minimes. Longue de vingt-
quatre cannes (43 mètres) cette aida, formée de maintes colon-
nes, était couverte d'un brillant plafond « estoffé d'or, d'azur
et aultres fines couleurs ».
271. Tandis que le roi descendait chez le riche, le puissant
Bernuy, que devenait Clément ? Il ne restait pas, comme on
croirait, perdu dans la foule, car il était connu à Toulouse, et
des amis, des admirateurs l'y attendaient. Le plus notable était
Jean de Boissonné qui, plein d'estime pour le « Maro » moderne,
ne se lassait pas de chanter ses louanges, tantôt l'appelant
prince des écrivains, tantôt traitant de gros veaux ceux qui
osaient le critiquer. A un homme ainsi disposé l'arrivée du voj/a-
geur ne pouvait être que très agréable. Dès qu'elle lui fut an-
noncée (et il paraît l'avoir sue avant les autres), il transmit,
en un dizain, la nouvelle à l'un de ses confières, un certain Vil-
lars. Sus, lui dit-il, allumons « les forneaulx de Rhétorique »,
puis que chacun de nous, pour célébrer la présence du maître,
du « grand forgeur », forge, sur « l'enclume de purité », un ou-
vrage digne de lui être offert. A cet ouvrage ou à ces ouviages
il y a lieu d'admettre que plusieurs Toulousains voulurent col-
laborer. Trois, au moins, s'appliquèrent à bien recevoir Marot,
et celui-ci, qui tenait à leur rendre leurs politesses, les convia
à dîner. La « semonce » ou, si l'on préfère, le billet d'invitation
fut une épigramme collective envoyée aux trois enfants d'Apol-
lon, Boissonné, ViPars et La Perrièie. Le piemier a été plus
d'une fois étudié ; — du second nous ignorons tout, sinon qu'il
concouiut aux Jeux floraux, qu'il nt fut pas couronné, et que
Boissonné, s'en prenant aux juges, le consola par cette remar-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 191
que : « Le plus grand ncmbre a vaincu le meilleur » ; — quant
aa troisième suppôt de Phébus, il mérite de nous arrêter quel-
ques instants.
272. Guillaume de La Perrière, quoique sans talent, se figu-
rait avoir du génie. « Licencié es droitz », poète, chroniqueur
et, comme nous dirions, sociologue, il prétendait exceller en
tout cela, et, se rendant, à chaque occasion, pleine justice, il
publiait sans détour le bien qu'il pensait de lui. Son nom reste
lié à l'histoire de Toulouse parce que, de 1539 à 1553, il a rédigé
quelques-unes de ces annales (exactement sept) que les capi-
touls faisaient écrii e pour que fût conservée la mémoire de
leurs actes et paroles. Ils chargèrent aussi notre Guillaume de
composer, dit M. Roschach, « divers morceaux de littérature
officielle », lesquels paraissaient d'autant plus sublimes qu'on
les comprenait à peine, tellement il les oinait et farcissait d'allu-
sions, de citations, de fictions ! Mais, quand les circonstances
l'exigeaient ainsi, il savait se borner, employer des formules
lapidaires. Les inscriptions qui se lisaient autour du portail de
la salle d'audience, à l'hôtel de ville, étaient de sa façon. Elles
lui avaient coûté plusieurs jours de labeur, et il demanda « con-
digne recompense » aux magistrats municipaux. Ils lui acccr-
dèrent quinze livres, le 12 décembre 1552. Peu d'années aupa-
ravant (1549), ils l'avaient chargé — il parvint, du moins, à le
leur faire croire — de préparer un manuel d'administration et
de police. Cette compilation parut sous le titre de Miroir poli-
tique ; elle fut dédiée aux édiles toulousains, attendu, leui dé-
clara La Perrière, qu'ils méritaient seuls un si beau « présent
d'esprit », l'hommage d'une œuvre à ce point éminente qu'elle
ne pouvait manquer de valoir « immortalité de nom tant aus-
dicts sieurs qu'a son autheur ». Cette promesse et le Miroir
furent, l'une portant l'autre, payés 69 livres. En somme, ils
avaient de la chance, les capitouls de cette année-là, et ils en-
traient à peu de frais dans la gloire.
273. Assez nombreux sont les volumes qu'a laissés La Per-
rière. J'en néglige (voir aux références !) une partie, et n'appel-
lerai l'attention que sur les trois que voici :
274. D'abord, les Annales de Foix. Elles sont en prose ; mais
je lis, aux premières pages, plusieurs petites pièces de vers :
un dizain de M. « de Sainct-Paul, docteur es droictz, seigneur
de Brassac » ; — une « prosopopée » que le livre adresse à son
auteur pour lui reprocher d'offrir aux envieux de la pâture et
d'employer à ameuter les jalojix un temps qu'il aurait pu pas-
ser à dormir ; — une réponse au « petit livret » craintif, qui
eût dû se souvenir qu'on dédaigne, lorsqu'on a du cœur, les
192 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
gens prompts à censurer et « pigres a bien faire » ; — un dizain
de Jean de Boissonné ; — un douzain de « Pierre du Cèdre,
tholosain » ; — deux huitains commis par Drusac, « lieutenant
gênerai de Mgr le Seneschal de Toulouse >'. Parlant aux comtes
actuels de Foix, il les félicite d'avoir découvert, pour relater
les actes u chevalheureux » de leurs ancêtres, un « composeur »
expert et « soufïisant ». Certes, ajoute-t-il, vous avez, dans vos
coffres, de riches pierreries, mais vous y chercheriez en vain
une pierre semblable à celle qui brille en notre Perrière... Là-
dessus, les Annales commencent. Que valent-elles ? C'est aux
historiens à nous le dire.
275. Je signalerai ensuite la Morosophie. Titre engageant :
mais il ne s'agit, au fond, que d'un recueil de quatrains moraux.
Dédiés à Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, ces quatrains,
à n'en pas douter, n'ont été écrits que pour les vignettes aux-
quelles ils servent de commentaires. Quoique le rimeur ait expli-
qué, en appelant toute l'antiquité à la rescousse, en quoi con-
sistait sa morosophie, le choix de ce terme demeure étrange.
On ne saurait, en ces propos gnomiques, trouver le moindre
grain de folie ; quant à la sagesse, elle n'est que trop visible,
mais tellement plate et écœurante qu'on se croit revenu au
règne du doctrinal. Presque tous les adages du Toulousain ren-
ferment en puissance un apologue, et, d'ordinaire, il procède par
comparaison... Exemples : de même qu'on ne tire pas sans effort
d'un caillou une étincelle, ainsi on ne rend pas sans travail la
vérité évidente [nP 53) ; — de même que l'écrevisse ne marche
pas moins bien en arrière qu'en avant, ainsi nous devons « chan-
ger nos mœurs » à l'occasion (n" 61) ; — la chouette ne saurait
contempler le soleil, ni notre esprit pénétrer les cieux (n^ 35) ;
— regardez le poisson qui arrête cette nef : il vous enseigne que
les petites voluptés font souvent encombre aux grands hommes
(n'' 37)... Mais il arrive aussi que les maximes soient nues et
directes. Tel le n^ 47 qui accable les ivrognes :
En un repas boire un coup est louable ;
Boire deux foys est besoing ; tro3's, plaisir ;
Quatre fo\'s boire est fureur détestable ;
Tout le surplus est honte et déplaisir.
Çà et là, on remarque une note personnelle. L'auteur pense
à lui lorsqu'il demande avec une mélancolie évidente (n» 49) :
puisque les princes n'aiment pas les doctes.
Qu'attendons nous fors que la fin du monde ?
CLÉMENT MAHOT ET SON ÉCOLE 193
La dernière vignette figure le triomphe du génie :
Voicy, lecteur, en<^an victorieux...
Cette victoire d'Engin, c'est la revanche de La Perrière ; il
compte que la postérité l'élèvera à sa vraie place, et il ne lui
reste plus, dans cet espoir, qu'à répétei sa devise : Redime me
a calumniis homimim.
276. Quelques mots, pour terminer, sur le Miroir politique,
traité en prose où se glissent, par endroits, de courtes strophes.
Le fond est négligeable ; il n'offre aujourd'hui et n'a jamais
offert aucun intérêt, puisque l'écrivain se contente de vulgari-
ser des choses vulgaires et de mettre à la portée de chacun ce
que tous connaissent parfaitement. Afin d'atteindre ce résultat,
il a très souvent réduit ses idées en schèmes qui frappent les
yeux. Vous verrez, chez lui, les vertus sociales pendues aux
branches d'une sorte d'arbre généalogique, et les douze vices
qui ruinent les états ne vous échapperont point, car, nichés en
des cercles symétriques, ils couvrent une page entière... Ail-
leurs, d'une logette centrale qu'habite un principe à méditer
partent des traits divergents, des rameaux styHsés, fleuiis, qui
vous conduisent aux plus voisines conséquences du principe en
question, puis, de là, par de nouvelles lignes non moins ornées,
à des cases où ont élu domicile les termes extrêmes du raison-
nement. Rien d'aussi commode. Désire-t-on savoir, par exem-
ple, en quoi consiste la maison paternelle ? Il suffira de consul-
ter le tableau de la page 99. On y trouvera d'abord, imprimé
dans un rond, le mot « maison » ; une route s'ouvre à cet en-
droit qui mène à l'adjectif *c paternelle » ; vous tombez ensuite
sur un carrefour, d'où vous accédez, par trois voies, à trois
enceintes circulaires» résidences des mots « père », « mère »,
« enfants »... Aurions-nous, faute de cette démonstration gra-
phique, ignoré que le propre d'une maison paternelle est la
présence d'un père, et que, pour être père, il faut avoir des
enfants ? L'auteur ne se demande pas cela, et, bien résolu à
demeurer pratique, il multiplie les images de ce genre. Elles
rendaient, à son avis, le livre fort original, et c'était sur elles
qu'il comptait pour durer, comme il l'a dit, en la mémoire des
hommes.
277. Nous ne rencontrerons plus La Perrière, et il fallait, en
consijquence, le saisir au passage, tâcher d'esquisser la physio-
nomie de ce polygraphe languedocien qui aurait dû naître Gas-
con. Cela fait, rejoignons le roi de France au moment où, ayant
quitté Toulouse, il arrive avec sa cour, par Narbonne, Mont-
Cléinenl Marut et sun écolo 13
194 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
pellier et Nîmes, dans la ville d'Avignon. L'une de ses premières
visites fut pour le tombeau de Laure de Noves, lécemment
découvert dans la chapelle de la Sainte-Croix, au couvent des
Cordeliers. Maurice Scève, qui avait présidé à l'invention de
cette sépulture, la croj'ait ou la prétendait authentique, ayant
trouvé ou lorgé, pensait-il, assez de preuves... Mais la super-
cherie crève les yeux, et il ne reste aujourd'hui qu'une question
à trancher : Scève fut-il l'artisan ou la victime de cette mysti-
fication ? S'est-il amusé aux dépens des naïfs, ou bien, très
naïf lui-même, a-t-il été la dupe de quelque imposteur ? D'une
part, le sonnet italien, exhumé fort à propos avec les cendres
de Laure, rappelle la manière tendue et abstraite du poète
lyonnais ; mais, d'autre part, nous pouvons admettre qu'un
malin, exploitant ce riche et fervent touriste, lui a fait payer
cher l'honneur et la joie de ramener au jour ces fausses reli-
ques. La pièce, quoi qu'il en fût, avait été souplement jouée ;
le public tomba dans ce panneau, et la chapelle de la Sainte-
Croix eut ses dévots et ses pèlerins. François I^^, père des arts
et, sur le papier, amant platonique, se devait d'aller méditer en
ce « petit lieu » qui évoquait de si grands souvenirs. Il }' alla
donc, improvisa (à loisir, peut-être,) quelques rimes, chanta
cette « gentille âme « envolée. A son tour Marot prit la plume,
et, s'adressant à Laure, loua les vertus qui, après sa mort, lui
avaient mérité l'hommage d'un prince à la « dextre valeureuse ».
278. Rien ne prouve que ces vers aient été composés en Avi-
gnon, ni même que Clément ait suivi le roi jusqu'à cette ville.
C'est seulement à Toulouse que sa présence est bien attestée :
il se peut qu'il ait poussé plus loin, mais le contraire est possible
aussi. D'ailleurs, au mois d'août 1533 commence une longue
période durant laquelle notre poète va nous échapper. Lorsque
nous aurons dit qu'il fit paraître, le 30 septembre, son édition
de Villon, il faudra franchir une année presque entière pour
ressaisir, au 16 août 1534, le fil de sa biographie. A cette date,
le mariage d'Isabeau de Navarre et de René de Rohan, comte
de Penhoët, prince de Léon, fut célébré au château d'Alençon.
La foule était dense ; le beau monde affluait, et les bonnes fées,
c'est-à-dire les Muses, ne furent pas bannies. Deux des écri-
vains qui se trouvaient là nous sont connus : Sagcn et Marot.
Quelle fut, dans le programme des réjouissances, la part de
celui-ci ? On le sait mal. Tout porte à croire qu'il a dû oiïrir
quelque chose, épithalame ou livret de ballet. Mais la pièce
que Guiffrey lui attribue (Épistre présentée à la royne de Navarre
par madame Ysaheaii...) ne lui appai tient pas, ainsi que l'a
bien vu M. Becker, et ne convient guère à la circonstance. Quant
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 195
à la Mommerie de quatre jeunes damoiselles, quoique faible, très
obscure et peu en rapport, elle aussi, avec des fêtes nuptiales,
elle a depuis foit longtemps droit de cité dans les œuvres de
Marot.
279. Il nous apprend lui-même [G. III, 322] qu'il se rendit,
après son voyage d'Alençon, d'abord à Vauluisant (Yonne) où
s'élevait une abbaye de l'ordre de Cîteaux, puis à Lorris-en-
Gâtinais, résidence de son ami Antoine Couillart, seigneur du
Pavillon, et, enfin, vers le milieu d'octobre, à Blois. Là, si nous
l'en croyons, il se reposa, tâcha de se distraire sans penser à
mal, passa trois jours en aimable compagnie, joyeux, devisant
aux dames.
280. Mais pendant qu'il menait, hors de Paris, cette exis-
tence discrète et nomade, les conflits des catholiques et des
luthériens devenaient d'heure en heure plus acharnés. Le carême
de 1533 avait été troublé par une âpre lutte de prédicateurs,
Gérard Roussel expliquant et soutenant, au Louvre, les doc-
trines de la Réforme, tandis que, indignés, enragés, Noël Béda
et François Le Picart menaient au combat l'armée des moines,
excitaient le zèle des magistrats, et ameutaient le peuple contre
les nouveaux apôtres, contre ceux, aussi, qui les écoutaient,
les protégeaient. Béda et les siens ne respectaient, ne craignaient
personne. On le vit bien, en octobre, lorsque Marguerite d'An-
goulême fut mise — de quelle façon ! — en scène au Collège de
Navarre, et que son Miroir de l'âme pécheresse fut condamné
par la Sorbonne. En attendant ces grands coups d'audace, les
défenseurs de l'Église romaine affichaient leurs menaces au
coin des rues. Ils ne demandaient point qu'on discutât avec
les dissidents, ni même qu'on leui imposât silence, mais qu'on
les fît mourir. Certains placards exprimaient cela en vers. L'un
d'eux, qui commence par les mots :
Au feu, au feu, caste hérésie !...
traite les protestants de » chiens mauldictz )>, et, invoquant « le
roy de gloire », le prie de les tellement détruire qu'ils soient reje-
tés et oubliés comme « de vielz os pourris ».
281. Ce sauvage appel au meurtre souleva, dans le camp ad-
verse, une colère qui se conçoit. Il fallait protester et riposter.
Ce ne fut pas une seule réponse qui parut, mais deux. La pre-
mière (En l'eau, en l'eau, ces folz séditieux !...) reproche à Fran-
çois pï" de se montrer « un peu trop gratieux » pour les ivrognes
sanguinaires qui prêchent au peuple l'assassinat. La seconde
(Ail feu, en Veau, en l'air ou en la terre...) annonce que. Dieu
196 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
merci, le roi voit clair maintenant, en sorte que les mauvais
bergers vont être punis « selon la loy »... Quel est l'auteur des
deux pièces ? Jamais Marot ne les a réclamées ni avouées. Ce-
pendant il se peut qu'il ait, le dégoût et l'impatience aid ant,
rimé, sans y mettre son nom, l'une, au moins, de ces répliques.
Au reste, eussent-elles été d'un autre, les contemporains n'au-
raient pas laisse de les lui imputer : ses opinions, ses relations,
ses œuvres, sa vie entière poussaient les orthodoxes à le recon-
naître en de tels vers. Ainsi l'orage, une fois encore, s'amassait
et grondait autour de lui ; la marche des événements l'entraî-
nait, et il sentait bien (qui ne l'eût senti à cette date ?) que
le moindre incident déchaînerait une cruelle persécution, et
qu'elle tomberait d'abord sur lui, objet d'une longue haine,
victime df'jà marquée.
BIBLIOGRAPHIE ET REFERENCES
228. J. II, 217. — Bourgeois de Paris, 12, n. 4 et 306-307.
230. Becker, op. cit., 229. — G. II I, 115.
231. Rabelais, P. II, 15.
232. G. III, 115, n. I. — Id., ibid., 339 : « Si ne fey je jamais l'adieu | qui parle de
la pautonnière. » — Id., ibid., 128-132.
233-235. G. III, 132-140. — Louis Boileau : G. I, 151-152 ; III, 132, n. i ; Becker,
op. cit., 230, n.
234. Cadmus : G. I, 147.
237 . J eanne Demont : G. III, 140-144. — « Tant debroillis... » : Ibid., 149-150.
238. Bourgeois de Paris, 317-322. — Le texte de l'arrêt prononcé contre Berquin a
étL' publié au moins deux fois : Ibid., 423-426 et G. III, 683 sqq. — Romain Rolland,
U Dernier Proch de Louis de Berquin, (École fr. de Rome : Mélanges d'archéologie et
d'histoire, t. Xli, iùcj2, pp. 3i4-..25.)
239-240. Des. Erasmi Rot. Operum terlius iomus Epistolas complectcns universas (Bâle,
1540), pp. 916-917.
241. Bourgeois de Paris, 322, n. i.
242. G. III, 107-114.
244. G. IIF, 136, V. 73-80.
246. J. 111,50,53, 55.
247-254. Abel Lefranc, le Roman d'amour de Clément Marot ; Revue bleue, 12, 19,
26 avril, 3 mai 1913. Cette étude a été insérée ensuite dans un volume qui a pour titre :
Grands écrivains français de la Renaissance \Les lettres et les idées depuis la Renaiss.,
t. II], Paris, Champion, 1914. — Les prinoipa es indications que Marot nous a données
sur Anned'Alençonse trouvent dans les Épigr,CXXetC.CW\l (J. Ill, 50, 83). En ce
qui concerne la seconde de ces petites pièces, on observera que la lettre N se prononçait
tantôt finwe et tantôt aM««. La prononciation ««n* est attestée par plusieurs jeux de
mots dont la finesse (pas trop fine) consistée désigner par la lettre N soit 1'* ane »
(c'est-à-dire le canard ou la cane, en latin anas), soit 1'» .ne», asinus {Revue d'hist.
litt. delà Fr., 1912 p. 63). Cela posé, le vers de Marot : « N est la lettre en mon cueur
bien escrite » prend un sens parfaitement clair... Un calembour de même espèce et
de même force se lit àansVÉpigr. CXXX (J. III, 54) : « Puis que vous portez le nom
d'Anne, ' Il ne fault point faire la beste >
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 197
249-250. Génin, Lettres de Marsuerite d'Angoulême, I, p. XIII. — G. III, 595-601.
251. Élégie 1 1 [remarquez le vers : « O moys de may pour moy trop sec et maigre ! »]
et Épigr. XXII (J. Il, 10 et III, 13). —Voici (p. 273) ce qu'on lit chez le Bourg, de
Paris : « Audict an mil cinq cens vingt sept, incontinent après Pasques, jusques en
juing ensuivant, ne cessa de pleuvoir et faire froid, dont les rivières tant de Seine que
de Loire et plusieurs autres se desbordèrent et firent moult de dommaigc... »
252. Rondeaux XL, De trnys alliances ; L I, D'alliance de seur ; Épigr. CX IV, De Mar-
guerite d'Alençon, sa seur d'alliance (J. II, 149, 156 et III, 48).
253. D'après M. A. Lefranc, ce sont les élégies 1 1, V, X, X 1 I, XV, XV I, XV 1 1, X X ! V
et XXVI qui se rapportent à Anne. — J. 111,55 ; Épigr. CXXXW. — J. 111,60,64;
Épigr. CXLVIIIet CLVIII. — G. III, 605, v. 85-99. — J- H, 149 ; Rondeau XXX IX.
254. A Madame de Bernay, dicte de Saint-Pol. « Vostre mary a fortune Opportune : I
Si de jour ne veult marcher, j II aura beau chevaucher • Sur la brune. » (J. II, 211.)
— Anne d'Alençon, M"«^ de Saint-Paul [-le- Vicomte], M*"" de Bernay, la brunette et,
ici, la brune sont une seule et môme personne.
256. Bourgeois de Paris, 324 sqq. — J. II, 160 ; Rondeau LIX. — G. I, 153-I54-
257. Chronique de François i'"' [édit. Guift ey], 83. — J. M, 91.
258. Bourgeois de Paris, 343. — Chronique de François i<^', 88. — G. III, 162-173.
(Sur les sentiments de sympathie ou, selon Sébastien Moreau, de tendresse conçus par
Élconore pour le roi captif, cf., ihid., les notes i des pages 165 et 167.)
259. Bourgeois de Paris, 345, 352. — Becker, Zeitschrift jiir jr. Spr. u. Litt., 1914,
t. XLII, 88, le texte et la note 76. — G. HI, 174-178. — Grosse apostunte: Id., ihid.,
185, v. 17.
260-262. G. III, 182-192. — Becker, op. cit., XLII, 91, n. 80.
261. B. N. fr. 7856 [liste des officiers royaux], pp. 940-941. — Ch. Fontaine, la Fon-
« î ne d'^wîowr (Paris, 1546), vers la fin du livre W àes Épigrammes. ^ G. III, les notes
des pp. 63 et 188. —Becker, op. cit., XLII, 91. — J. III, 17-18; Épigr. XXXIII-
XXXVI.
262. G. 1, 171-172 ; III, 190, n.2.
263. Roger de Collerye : voir mon tome I, § 660. — G. 1 1 1, 193.
264. Mellin de Saint-Gelays, Œuvres, 1 1, 131. — 7,<7 Poésie fr. de Ch. de Sainte- Marthe,
P- 59- — J. III, 18, Épigr. XXXVIII [cf. G. 111, 178-181]. — G. III, 194.— ibid.,
197. Cf. Drusac, Controverses des sexes tnasc. et fém., Toulouse, Colomics, 1534 [v. s.).
266. G. I, 173-177 ; III, 288, le texte et la note i. — Becker, cp.cit., XLII, 92-93-
267. Lefranc et Boulcnger, Comptes de Louise de Savoie et de Marguerite d' An goule tue,
p. 72. — J. \U,^2; Épigr.QCW. — ld., \\, ï^,6-j^7 ; Rondeaux XWU e\. WX. —
B. N. fr. 1721, f° 22 r".
268. G. II, 13-16 ; 18.
269-270. E. Roschach, Inventaire des Archives communales [de Toulouse] antérieures
à 1790 ; t. I, série AA, n» i à 60 (Toulouse, 1891), p. 75. — Abbé H. Aragon, Hist. de
Toulouse et des Toulousains célèbres (Toulouse, Sistac, s. d.), pp. 179-180. • — H. Graillot,
Nicolas Bachelier, imagier et maçon de Toulouse au XVI* s. (Toulouse, Privât, 191-4).
PP- 32-35.
271. Les Dixains de maistre Jehan de Boysscne (sic), docteur régent à Tholose (Bibl.
mun. de Toulouse, ms. 836) : Éloge de Marot et réponse à ses adversaires : f 14 v",
20 v», 81 ro ; pièces adressées à Villars : 9 r", 27 v», 30 v». fLes ZJisams ont été publiéspar
H. Jacoubet, Thèse de Paris, 19:3.]— J. III, 51 \Épigr.CXX\\. [1^
272. E. Roschach, Les douze livres de l'histoire de Toulouse ; Chroniques municipales
manuscrites du XIII'^ au XVIII^ sic'cle, pp. 166 sqq. Cette étude se trouve comprise
dans le volume intitulé : Association framaise pour l'avancement des sciences ; 16^ ses-
sion à Toulouse en 1887, (Toulouse, Privât, 1887.')
273. Le Théâtre des bons engins ; Paris, Denys Janot, 1530. — Les Invectives satiri-
ques ; Tholose, Jacques Colomits, 1550. — Le Petit Courtisan avec la maison parlant
198 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
et le moyen de parvenir de pauvreté à richesse, et comment le riche devient pauvre ; Lyon,
155 1. — Les Considérations des quatre mondes, à savoir est divin, angélique, céleste et
sensible : Lyon, Macé Bonhomme et Toulouse, j; Moulnier, 1552. — La Perrière est
aussi l'auteur d'une traduction française des Gesta Tholosanorum de Nicolas Bertrand.
274. Les Annales de Foix, ionctz a ycelles les cas et faictz dignes de perpétuelle recor-
dation, advenuz depuis le premier Comte de Foix, Bernard, iusques a Tresillustre
et Puissant Prince Henry, a présent Comte de Foix et Roy de Navarre. Composées
et mises au champ de publication... par Maistre Guillaume de la Perrière, Licentié es
droictz, Citoyen de Tholose. On les vend a Tholose chez Nicolas Vieillard, Imprimeur,
demourant en la rue de Villeneujve. (Privilège du 30 juillet 1339. Dédicace — i8 pages
compactes ! — à Henri et à Marguerite de Navarre. Les Annales proprement dites rem-
plissent LXXX 1 1 f f . ch. au V.)
275. La Morosophie contenant cent emblème? moraulx, illustrés de cent tetrastiques
latins reduictz en autant de quatrains françois ; Lyon, Macé Bonhomme, 155:',.
276. Le Miroir Politique, œuvre non moins utile que nécessaire a tous monarches,
roys, princes, seigneurs, magistrats par G. de La Perrière, Tliolosain ; Lyon, Macé
Bonhomme, 1555. Un vol. in-4° de 199 pages. Privilège du 7 mars 1553. Dédicace» A
révérend Père en Dieu et treshonnoré seigneur, Messire lean Bertrand, Evesque de
Cumenge {sic), abbé de Bonnefont et Garde des seaux de France ». Vers adressés à La
Perrière par Pierre de Fontaugier, avocat au parlement, Bernard de Poey de Luc,
G. de Cayret, Guillaume Idriard. Dédicace aux capitouls. Les principaux schèmes se
trouvent aux pages 14, 25, 41, 49, 57, 78, 98-99... Les passages en vers se lisent aux
pages 18, 27, 55 [huitain expliquant une vignette qui représente dame Prudence avec
trois yeux], 112, 145 [dizain tendant h démontrer qu'il y a, dans l'amour, fiel et miel],
199 : « Estant en fleur la docte Republique | Des Tolosains par les divins octroys, |
Fut mis a fin ce Miroir Politicque | L'an mil cinq cens avec cinquante trois. » — Autre
édition du Miroir : Paris, Vincent Normant, 1567.
277. G, I, 189-192, — Albert Baur, Maurice Scève et la Renaiss. lyonnaise, pp. 28-32.
— J. III, 39, ^piî/-. XC.
278. G. m, 2b »sqq.— J. III, pp. 77-7S. — Becker, 0^. ciï., XLII, 104, n. 106.
280-281. J. II, 168-170. Les deux réponses sont l'une un rondeau, l'autre un dizam.
Le rondeau a été, dès 1535, imprimé à Lyon avec les autres œuvres de Marot. Quant au
dizain, il est anonj'me.
IV
L'EXIL A FERRARE ET A VENISE
382. L'affaire des placards. — 283-285. Persécution qu'elle en-
traîne. — 286. Marot ajourné « a trois hriefz jours ». — 287.
Il prend la fuite. — 288. Alerte à Bordeaux. — 289. La reine
de Navarre n'ose garder le poète auprès d'elle. — 290-291. De
Bordeaux à Ferrare. — 292. Renée de France. — 293. Les
Français à Ferrare. — - 294-295. Personnages que Clément y a
connus. — • 296-298. Les circonstances le forcent, et plus même
qu'il ne l'aurait voulu, à s' affirmer luthérien. — 299. // écrit,
à Ferrare, des pièces joyeuses et des pièces graves. — 300. Le
Beau tetin. — 301-306. Poèmes rimes à l'imitation du Beau
tetin. Vogue des blasons puis des contreblasons anatomiques.
— ■ 307-314. U-n audacieux blasonneur : Eustorg de Beaulieu,
et la première partie de son histoire. — 315-316. Protestations
contre le cynisme des poésies anatomiques ; Eustorg, qui les
condamnera plus tard, se fait, pour l'instant, leur avocat. —
317. Épître de Marot à Alexis Jure. — 318-321. Coq-à-l'âne
à Lyon Jamet. — 322-328. Œuvres sérieuses que l'exilé com-
pose à Ferrare : I. Épistre perdue au jeu contre Madame de
Pons ; II. Avant naissance du troisième enfant de Madame
la duchesse de Ferrare ; III. Épistre au roi ; IV. Autre Épis-
tre au roi. — 329-331. Renée de France et son entourage se
trouvent dans une situation de plus en plus troublée et difficile.
Départ de Michelle de Saubonne et de sa fille, Renée de Parthe-
nay. — 332-333. Clément dépeint à Marguerite les périls, les
angoisses de la duchesse. — 334-335. Complicatio7is. Jean de
Bouchefort et Jean Cornillau. Attaqué de nuit, frappé et mal-
traité, Marot se décide à partir pour Venise. — 336. Pourquoi
pour Venise ? — 337-338. Ce que le banni, après avoir visité
leur ville, pensait des Vénitiens. — 339-340. Adieux à Renée
de France ; la vie de cette princesse après 1536. — 341. Encore
un coq-à-l'âne à Lyon Jamet. — 342-347. Tristesse et nostal-
gie de Clément ; pour obtenir son rappel, il s'adresse successi-
vement au roi, au dauphin François, à la reine de Navarre. —
200 CLÉMENT .MAROT ET SON F-COLK
348. // eût souhaité qu'on le laissât rentrer sans condition, et
comptait, pour cela, sur ses protecteurs et ses amis. — 349.
Mais on ne l'autorise à revenir que s'il s'engage à abjurer.
Il s'y décide, et arrive à Lyon. — 350-352. Cordial accueil qu'il
reçoit en cette ville. Cérémonie de l'abjuration. — 353. Le poète
s'achemine vers Paris. Le Dieu-gard à la court. Rêves de paix
et de concorde.
282. Dans la nuit du samedi 17 au dimanche 18 octcbre
1534, des placards qui dénonçaient avec une violence passion-
née « les horribles, graves et insupportables abus de la messe
papale » furent affichés à Paris, à Orléans et dans plusieurs
autres villes. L'auteur de cette véhémente proclamation, impri-
mée à Neuchâtel, était le prédicant Antoine Marcourt, qui a
lui-même, dans la préface de son Petit traicté très utile et salu-
taire de la Saincte Eucharistie, revendiqué, fort content de lui
et animé d'un tardif courage, la responsabilité de cet acte. Mais
il n'y avait pas de quoi se vanter. Loin de servir la cause qu'il
voulait défendre, Marcourt avait exaspéré, par son fanatisme,
les fanatiques du parti romain ; il avait scandalisé les tièdes,
détourné de l'action les hésitants, conduit à l'exil ou à la mort
beaucoup de ceux qui pensaient comme lui. Pourtant, bien
qu'elle fût une lourde faute, cette provocation aurait eu des
conséquences moins tragiques, si l'on s'était abstenu d'appli-
quer l'outrageux factum sur la perte de la chambre du roi. Idée
vraiment désastreuse ! J'ai expliqué déjà [§ 55] quels furent
alors les sentiments de François I^^ ^t pourquoi, se croyant
bravé, défié, il se livra, lui qui eût excusé le sacrilège, à un trans-
port de fureur. On avait touché à l'arche : non pas à Dieu, mais
à lui. Aussitôt il perdit toute mesure. Parce qu'on ne trouvait
point les coupables, il condamna en bloc les innocents, vit un
criminel en chaque luthérien, et livra aux bêtes la secte entière.
Heure bénie pour le parlement ! Depuis des années il guettait
cette proie. Libre, enfin, et déchaîné, il se mit joyeusement à la
besogne ; les bourreaux retroussèrent leurs manches, et ce fut
une, curée. fS
283. La première -victime (13 novembre) fut un certain Bar-
thélémy Mollon, fils d'un cordonnier. Quoique malade, « impo-
tent de ses membres et paralitique ;>, ledit ^Mollon « fut bruslé
tout vif au cymetière Sainct Jean ». Le jour d'après, Jean du
Bourg, (( riche drappier, demeurant rue Sainct Denis, a l'ensei-
gne du Cheval noir », fut mené « devant les fontaines des Inno-
cens, ... là où il eust le poing couppé, puis aux Halles, où il fut
bruslé tout vif ». Ce n'était pas trop, pour celui-là, de deux
CLÉMENT MA ROT ET SON ÉCOLE 201
supplices, car, non content d'avoir affiché des « escripteaux es
coings de rues », il s'était, en outre, refusé à « accuser ses com-
paignons ». Vinrent ensuite, à tour de rôle, un imprimeur de la
rue Saint-Jacques qui, conduit à la place Maubert, y fut (c'est
un refrain !) brûlé « tout vif » ; un maçon « bruslé vif » devant
l'église Sainte-Catherine (i8 novembre) ; le lendemain, un librai-
re « qui relioit et vendoit livres de Luther » ; un <( gueynier » et
un couturier « de près Sainct Avoye » qui, au moment de mon-
ter au bûcher, obtinrent un petit sursis « pour ce qu'ilz en accu-
sèrent plusieurs » ; un bonnetier, logeant « au coing de la rue
de la Callende », dont les biens furent confisqués, ce qui ne l'em-
pêcha pas d'être « battu nud, au cul de la charrette »... La chas-
se aux hérétiques s'annonçait bonne ; un tel début promettait.
284. Le matin du 21 janvier 1535 eut lieu une procession
« solemnelle et generalle » à laquelle, marchant à côté des « relic-
quaires de la Saincte Chapelle et d'ailleurs », assistèrent le roi,
la reine et les dames à cheval, la cour, « tous les estas de Pa-
ris ». Belle fête religieuse, et qui s'étendit sur la journée entière.
L'après-midi, en effet, on convia à un spectacle non moins édi-
fiant, mais plus joyeux, ce même peuple qui avait, « en grande
dévotion et révérence », escorté et adoré de la sorte « le pré-
cieux corps de Ncstre Seigneur » : trois luthériens furent brû-
lés « a la croix du Tirouer », puis, quelques heures plus tard,
(( autres trois », parmi lesquels un fruitier des Halles, qui était
riche homme. Le 22, la femme d'un cordonnier subit un sem-
blable sort. Et il convient encore de citer : un marchand nommé
P^tienne de la Forge, demeurant « a l'enseigne du Pellican »,
riche, lui aussi, « et estimé homme de bien » ; un chantre de
la chapelle royale, « bruslé [13 mars] au carrefour du Gros Tour-
nois, près Sainct Germain l'Auxerrois » ; un procureur de Rouen
et un couturier de Melun qui « furent traynez sur une claye au
parvis Nostre Dame », transportés de là au marché aux pour-
ceaux, « illec pendus en l'air a chaisnes de fer, et ainsy bruslez
audict lieu » (5 mai) ; un cordonnier, natif de Tournay, « bruslé
[et les pièces de son procès avec lui] au carrefour du puys Saincte
Geneviefve» ; « deux compaignons faiseurs de rubben s de soye»...
Ceux-là revenaient «des Allemaignes », et avaient «quelque
livre luthérien » dans leur valise. Ils le baillèrent à garder à
leur hôte, et lui recommandèrent de ne le montrer à personne.
L'hôte, pourtant, le fit voir « a certain prestre », qui, l'ayant
feuilleté, dit incontinent : « Voicy un très maulvais livre et
damné ». Là-dessus, dénonciation et arrestation des faiseurs de
rubans. Ils furent, le 18 septembre, « bruslez tous vifz » et eurent,
de surcroît, la langue coupée.
202 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
285. On remarque, lorsqu'on parcourt ce martjTologe, que,
bien que les victimes appartiennent à diverses classes de la so-
ciété, ce sont les artisans qui se rencontrent en plus grand nom-
bre et ceux que le Bourgeois de Paris appelle des « jeunes filz ».
Le vendredi, 4 décembre 1534, c'est « un jeune filz, clerc et
serviteur de monsieur de Carriez », qui est livré aux flammes
devant le Temple. Le lendemain, « un autre jeune filz », enlu-
mineur de son métier, monte sur le bûcher « en la place du bout
du pont Sainct Michel ». Au même endroit, le 26 février, « un
jeune homme, mercier du Palays, nommé Loys de Medicis, »
est pareillement occis, et sa femme meurt « de desplaisance ».
« Item, un jeune escolier, natif de Grenoble en Daulpbiné, » est
condamné au feu par sentence du lieutenant criminel. A pro-
pos des deux compagnons qui avaient rapporté d'Allemagne
un volume de Luther, le Journal observe : « Hz estoient natifz
de Touis, et jeunes »... J'en passe, naturellement. Mais je me
reprocherais de ne pas dire ceci : l'histoire de cette tuerie, nul
ne la lira sans émotion. Il faut, avant de les quitter, saluei ces
humbles, ces ouvriers, tous ces « jeunes filz » au nom obscur.
Ils ressemblent aux premiers chrétiens. Ils ont donné leur vie
et accepté la douleur pour servir ce qu'ils croyaient être la vé-
rité. Exemple très digne de respect ! La plupart demeuraient
fermes ; ils proclamaient leur foi dans la torture, et le Bourgeois
leur décerne, naïvement et sans le vouloir, un magnifique éloge,
lorsqu'il dit, parlant de tel ou tel : il mourut « sans soy repen-
tir » ou « il mourut obstiné ».
286. Tandis que les simples gens se laissaient prendre et
détruire ainsi, d'autres, moins zélés ou plus subtils, glissaient
finement entre les mailles, fuyaient, s'esquivaient. Ce fut, on
le devine, en pure perte que, le 25 janvier 1535, on les ajourna
« a trois briefz jours », les invitant « a comparoir en personne »,
c'est-à-dire à se jeter entre les mains du bourreau. Ils ne répon-
dirent pas à l'appel, et continuèrent à gagner le large pendant
que, dans les rues et carrefours de Paris, on publiait leurs noms
à son de trompe. Elle est intéressante, la liste de ces défaillants.
On y voit figurer Lyon Jamet, « maistre Caroh, prestre, curé
d'Alençon », le chantre Jehannet et — comment non ? — « mais-
tie Clément Marot ». Une perquisition avait été faite au domi-
cile de ce dernier. Le bailli Morin, qui instrumentait, ne trouva
que des papiers et des livres. C'était assez pour perdre le poète.
Il avoue lui-même qu'il gardait chez lui, « au cabinet des sainc-
tes Muses », quelques volumes défendus. Sagon précise avec
perfidie. En ta maison, écrit-il, on découvrit des œuvres obs-
cènes, des « livres traduictz » (une Bible française : cas penda-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 203
ble !) et... des placards. Notez ce mot qui n'arrive qu'à la fin :
autant vaudrait un coup de couteau.
287. Mais Clément n'avait attendu ni cette visite de Morin
ni la citation du 25 janvier. Dès qu'il sut le bruit que faisaient
les affiches d'Antoine Marcourt, il songea à s'éloigner. Pour-
tant, sa première pensée aurait été, à l'en croire, de recourir
à la bonté du roi et d'aller plaider sa cause devant lui. « Quei-
cun » l'en dissuada. François, durant ses crises d'orgueil et de
colère, n'écoutait rien, ne connaissait personne, était capable
des pires violences. Mieux valait, décidément, l'éviter, plier ba-
gage. Marot, sur un ton de plaisanterie peu en rapport avec
la circonstance, déclare qu'il n'estime guère enviable le sort de
ceux que l'on a « si bien rostis ». Il ne se donne pas pour un
héros ; il n'approuve point les sacrifices volontaires. Or jamais,
dit-il.
Or jamais ne vous laissez prendre
S'il est possible de fouyr.
Et il ajoute, spirituel :
Il vault mieux s'excuser d'absence
Qu'estre bruslé en sa présence.
Évidemment. Mais encore faut-il avoir un refuge. Clément, à
cet égard, était tranquille. La reine de Navarre, il n'en dou-
tait pas un instant, serait émue de son infortune, le recevrait
et le défendrait. Ce fut donc vers elle, la mère des affligés, que,
sortant vite de Blois, il se dirigea, plein de confiance.
388. Jusqu'à Bordeaux, nul incident. Là, au contraire, une
vive alerte. « Vingt ou quarante bedeaulx », aux gages du par-
lement, arrêtent le voyageur. Il a, d'un air détaché, conté cette
aventure, et l'on jurerait, en le lisant, qu'il s'en est tiré le mieux
du monde, sans beaucoup de peine. Moi, aurait-il répondu aux
sergentSi je ne suis, messieurs, ni Clément ni Marot. Vous faites
erreur. Je suis « un bon Guillaume », courrier royal de mon état.
Ne me retardez point, car je porte une lettre de conséquence.
C'est pressé !... Qu'il ait joué cette comédie, la chose est pro-
bable. Mais il oublie de dire qu'il n'a pas réussi. La fable du
« bon Guillaume » n'eut aucun succès, et, le 27 novembre 1534,
un huissier amenait devant la cour de Bordeaux, ainsi que le
prouve un texte authentique, « maistre Clément Marot, soup-
çonné de suivre la secte luthérienne », lequel, interrogé, confessa
être « natif de Cahors en Ouercy » et « valet de chambre du
roy », Le péril semblait grave. Comment le poète l'a-t-il évité ?
204 CLÉMENT MAKOT ET SON ÉCOLE
Pourquoi lui a-t-on permis de repartir ? Nous l'ignorons. Ce
qui est certain, c'est qu'on le relâcha. Je n'avais pas soupe,
écrit-il :
Mais si tost que fuz eschappé.
Je m'en allay un pt-u plus loing.
289. Plus loin, c'est bien vague. On a souvent prétendu qu'il
s'agissait de Nérac, et que Marguerite s'y trouvait alors... S'y
trouvait-elle ? Rien ne l'atteste, et nous savons mal où le fugi-
tif la rencontra. Un seul point demeure acquis : c'est que —
avant ou après la scène de Bordeaux, soit à Nérac, soit ailleurs,
— il resta auprès d'elle quelque temps. Mais à cet espoir qu'il
avait conçu de ne pas la quitter avant la fin de l'orage, il lui
fallut presque aussitôt renoncer. Suspecte elle-même, surveillée
et menacée, la pieuse et douce femme ne pouvait offrir l'hospi-
talité aux bannis sans attirer sur elle un redoublement de haine.
Et puis que dirait son frère ? Elle le voyait avide de vengeance,
blessé au vif, et craignait qu'il ne lui reprochât, si elle aidait
ceux qu'il avait proscrits, de le trahir, de le mal aimer. Or, elle
l'aimait mieux que tout au monde, et elle eût immolé sa propre
famille à cette idole. Le moyen, cela étant, de lui déplaire, de
l'irriter en sauvant un simple Clément Marot ? La reine de Na-
varre n'hésita point. Elle conseilla au pauvTe diable de repar-
tir, mais, faisant pour lui ce qu'elle pouvait faire, elle lui donna
de l'argent, se chargea de son fils qu'elle reçut comme page,
puis s'engagea, « de bouche et d'escripture », à ne pas oublier
l'exilé, à obtenir, l'heure venue, son rappel. Les adieux furent
émouvants. Lui, il frémissait en pensant à ce qui l'attendait
sur les chemins ; elle, écoutant la voix de sa conscience et re-
grettant de renvoyer ainsi un confrère en Apollo, un frère en
Christ, elle éprouvait un peu de remords, s'affligeait \Taiment,
versait des larmes.
290. La suite de son voyage, Marot l'a relatée sur deux tons
fort différents. D'une part, s'adressant à Lyon Jamet, il affecte
une extrême désinvolture. Ma foi ! dit-il, je marchais comme
un prince, et traînais derrière moi, le long des routes, « gens de
pied et gens de cheval ». Belle escorte ! Elle s'efforçait en vain
de me rejoindre : grâce aux « petitz chevaulx legiers » qu'on
trouve dans le Midi, je filais plus vite que les sergents, et « me
mis hors de touts dangiers »... Mais, d'autre part, dans une
grave lettre à Marguerite, il se compare au cerf qui, pour dépis-
ter les chiens dont il entend les abois, franchit les marais à la
nage, saute les buissons, se lance parmi les « grans forestz » et
court sans repos ni trêve, parce qu'il croit déjà sentir les dents
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 205
qui, « a dextre et a senestre », vont le mordre et le déchirer.
Image sombre et juste ! Ainsi, ajoute le poète, ni torrents ni
montagnes n'arrêtaient ton serf, ô reine !... Par malheur, il
n'indique pas son itinéraire, et se borne à dire : J'ai traversé
(( Languedoc et Prouvence ,>. Il est certain qu'il remonta ^a
vaUée du Rhône et qu'il s'avança au delà de Lyon. Ces faits
ressortent d'une autre épître où il déclare avoir passé par Ta-
rare.
291. Sa présence en cette ville nous prouve qu'il voulait se
•rendre en Savoie. Toutefois, il n'y alla point. Je n'ose, écrit-il
à deux damoiselles de ce pays, me fixer là où vous êtes, car on
a, chez vous, une mauvaise opinion de moi, et l'on m'accuse
« d'estre contraire aux humaines doctrines ». Qu'entend-il par
là ? Ce n'est pas clair. Mais, sans nous arrêter à la lettre de ce
texte, rappelons-nous seulement que le duc de Savoie comptait
parmi les papistes militants, raison plus que suffisante pour
que, à la réflexion. Clément Marot évitât sa cour. Il se tint
donc, pendant quelques mois, caché on ne sait où, puis, au
printemps de 1535, après s'être annoncé par une flatteuse et
insinuante épître, il se dirigea vers Ferrare, et vint demander
asile à la duchesse Renée de France.
292. C'est là un personnage très complexe, que l'on a, de
nos jours, diligemment étudié. Renée, bien qu'on s'accorde à
dire qu'elle avait un air imposant, royal, n'était pas de ces
femmes qui n'ont qu'à se montrer pour ravir les cœurs. Hercule
d'Esté, fiancé, écrivait à son père : « Ma madama Renea non
è bella. » Le duc d'Uibin l'appelait un monstre, tout rondement,
et Brantôme, sans aller jusque-là, avoue « qu'elle fut très gastée
de son corps )>. En revanche, au témoignage de ce même Bran-
tôme, elle possédait l'un des meilleurs et des plus subtils esprits
qui fussent, et pouvait, ayant beaucoup appris, « discourir tort
hautement et gravement de toutes sciences », voire de l'astro-
logie. Intelligente, certes, elle le fut. Mais indépendante aussi.
Les idées, les dogmes qu'on croyait intangibles, elle les discu-
tait, les contrôlait, et c'est assez dire qu'elle penchait vers la
Réforme. De là mille difficultés domestiques, politiques, les
colères du mari, l'aversion de la plupart des sujets. Quelques-
uns, par contre, qui pensaient comme la duchesse, se rangeaient
autour d'elle et l'excitaient à agir pour la victoire de leurs opi-
nions. Il y avait, en effet, à Ferrare un groupe de luthériens,
des savants presque affranchis. L'Université ne se piquait nul-
lement d'être orthodoxe. Celio Calcagnini avait publié un livre
tendant à établir Que le ciel est immobile, et que la terre se meut.
et Palingenio Stellato s'était permis d'offrir à Hercule d'Esté
206 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
son Zodiacus vitae où il traitait brutalement le pape d'athée,
les moines de porcs. Même si elle ne fréquentait point les gens
trop compromis, trop violents, Renée ne devait pas, du moins
au début, se sentir absolument isolée, et rien ne l'empêchait
de réunir un petit cénacle d'initiés dans cette noble salle de
l'Aurore que décoraient quatre fresques, et le long de laquelle
courait — et couit maintenant encore — une frise de jolis bam-
bins menant, au moyen de rênes rouges, des oiseaux, des gre-
nouilles, des serpents et des tortues.
293. Mais les vrais compagnons, les confidents de la dame,'
c'étaient les Français. Elle en avait amené plusieurs, et d'au-
tres, chaque jour, débarquaient, se présentaient. Elle les ac-
cueillait tous, car, dit Brantôme, « elle a eu cela de bon que
jamais elle n'a oublié sa nation ». Nul Français, «< ayant néces-
sité et s'adressant a elle, n'a party d'aveq'elle qu'elle ne luy
donnast une ample aumosne et bon argent pour gaigner son
païs ». Ceux qui arrivaient sans le sou et malades, elle voulait
qu'on les soignât bien, puis les renvoyait guéiis et remplumés.
Ces hôtes, le plus souvent, étaient des hérétiques fuyant l'a-
mende honorable et le bûcher, des artistes, des poètes. Tel Ma-
rct ; tel Charles Fontaine. Beaucoup, mieux reçus ou plus har-
dis, plantaient leur tente, se fixaient là, en sorte que le palais
se remplissait peu à peu de serviteurs qui sentaient le fagot,
et devenait une Ile des Papefigues. La place de Marot était
marquée en cette colonie dissidente, et il n'eut aucune peine
à être admis. Mauvais catholique et bon écrivain, il avait deux
titres qui parlaient pour lui. Renée, en conséquence.l'emplcya
aussitôt, et lui accorda, avec deux cents livres de gages, une
charge de secrétaire.
294. A l'époque où Clément y résidait, les personnes ou même
les personnages que voici vivaient ou ont passé à Ferrai e : i°
Michelle de Saubonne, dame de Soubise. C'est elle qu'il faut
citer en tête. Amie de la duchesse, elle ne la quittait guère, la
ccnseillait, la gouvernait, nourrissait en elle le mépris de Rome,
le goût des idées libérales, et se rendait chaque jour, pour ces
causes, plus odieuse à Hercule d'Esté qui l'appelait pessimo
instriimento, et méditait son renvoi. — 2^ La fille aînée de Mi-
chelle de Saubonne, Anne de Parthenay. Son portrait, œuvre
attachante du peintre Girolamo da Carpi, nous la montre belle,
fine et blonde. Elle avait appris le latin, le grec, la musique,
la théologie. Au reste, que ne savait-elle pas ? Lilio Gregorio
Giraldi, qui lui dédie le second livre du Poème des dieux, loue
son érudition encyclopédique, son génie universel. Nulle pédan-
terie, pourtant. Maiiee en 1533 à Ant-oine de Pons, comte de
CLÉMENT MAROT ET SON KCOLE 207
Marennes, elle lui écrit des lettres tendres et sans apprêt, le
tutoie puis lui dit vous, et signe : « Vostre humble et très obéis-
sante femme et amye, Ton cueur » (i8 juillet 1539). Établie en
Saintonge à son retour d'Italie, elle travailla à y répandre la
Réforme, et mourut en 1555. — S*' Les deux sœurs cadettes
de la précédente, Charlotte et Renée de Paithenay. Charlotte,
peut-être la moins oien douée, n'a pas eu d'histoire, que je
sache. Quant à Renée, la « noble nymphe Renée », elle eut, au
témoignage de Marot, une âme pleine « de bonté naïfve », un
esprit brillant et cultivé. Elle se baignait au ruisseau des scien-
ces, était vêtue, accoutrée de grâce, et on ne pouvait la voir sans
l'aimer. Clément, lorsqu'elle dut repasser les monts, annonça
qu'elle ne tarderait point à se marier, et elle justifia la prophétie
en épousant (1536) René de Fonsèques, seigneur de Surgèles.
295. 40 Une jolie et gaie Provençale, Françoise de Bucyron.
Venue jeune à la doctrine de Luther et contrainte de s'enfuir
à Strasbourg, elle s'était, de là, rendue à Ferrare et avait obtenu
de la duchesse une place de suivante. Cinthio Giraldi, le frère
de Lilio, lui a consacré des vers. Elle trouva, sur la terre d'exil,
un parti, et l'on récita aux noces (1539 ?) un cpithalame de
Jean Fichard. — 5° Anne de Beauregard. Arrivée « d'enfance »
en Italie avec madame Renée, les regrets, la nostalgie la con-
sumaient. Loin de ses parents, de sa maison, elle languissait,
mélancolique, et ce qu'elle semblait craindre ne lui fut pas
épargné : elle mourut en cette ville étrangère. Marot composa
une épitaphe. Anne (il lui prête la parole) sent encore, au tom-
beau, le mal du pays, et déclare avoir moins souffert en lais-
sant le monde, le « fleurissant aage », un « futur espoux » que
lorsqu'il lui fallut quitter la France. — 60 Lyon Jamet. — 7°
Jean Du Bellay et son compagnon, François Rabelais (22-26
juillet 1535). — 8° Vers la fin de février ou dès les premiers
jours de mars 1536, parut à Ferrare, escorté de son ami Louis
de Haulmont [pseudonyme de Louis du Tillet], un homme ar-
dent, sombre, plein de génie, qui disait s'appeler Charles d'Es-
peville. C'était Calvin. L'affaire des placards l'avait contraint,
lui aussi, à franchir la frontière, et il venait à présent de Bâle,
faisant en route des prosélytes et cherchant où s'établir. Forte
et durable fut son action sur l'âme de la duchesse qui l'eût
gardé près d'elle, si elle avait pu. Mais il resta deux mois à peine
dans cette Italie qu'il ne voulait voir, remarque de Bèze, que
d'un peu loin, veluti procul. En avril ou en mai, il repartit. Fer-
rare, décidément, n'était pas le refuge qu'il rêvait, et il alla
fonder ailleurs sa r('publique chrétienne, une rigide et noire
cité de Dieu.
208 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
296. Transplanté dans ce milieu hétérodoxe, Marot, qui avait
évité jusqu'alors toute profession de foi catégorique, devra pren-
dre ouvertement parti, agir, désormais, et s' exprimer en pro-
testant. Il n'a plus rien à cacher car, dans les états d'Hercule
II, amis et ennemis connaissent ou croient connaître le fond
de son âme, ce qu'il pense et ce qu'il veut. Le 30 août 1535,
Giacomo Tebaldi annonce au duc l'arrivée à Ferrare d' « un
francese nominato Clementi -, lequel « è stato bannito da tutta
la Franza per essere lutherano », homme d'autant plus à crain-
dre qu'il ne se gênera point pour « introdure cola quella peste »,
et qu'il est au service de u l'Ex» S» Duchessa nostra »... Eh
bien, les renseignements de maître Tebaldi n'étaient pas aussi
exacts qu'ils le paraissaient à première vue. Marot n'était pas,
à proprement parler, luthérien : il était, chose différente, anti-
catholique. L'impérieuse ignorance de la Sorbonne, l'atroce jus-
tice des chats fourrés, la haine de toute théocratie, un invin-
cible instinct d'indépendance l'avaient jeté dans l'opposicion,
et les élévations de Marguerite l'avaient ému et l'avaient ins-
truit. Mais il restait, en définitive, plus épicurien que chrétien.
Son cœur n'était pas religieux, et la sphère mystique demeu-
rait fermée à ce poète gai et narquois, moins porté — comme
tant d'autres — à rebâtir qu'à détruire. Il se trouvait' donc,
lorsqu'il lui fallut partir pour l'exil, à mi-chemin entre la Ré-
forme et la tradition. Celle-ci, il la méprisait, ne l'acceptait
plus ; celle-là, il ne l'adoptait pas encore, hésitait au seuil, crai-
gnait de perdre, s'il entrait, les bénéfices de l'expectative, le
droit, par exemple, aux pensions.
297. En somme, il lui advint ce qui arrive souvent. Ce ne
fut pas lui qui se décida : les circonstances le décidèrent. En le
forçant à fuir, on le poussa dans les bras des luthériens, et c'est
pourquoi Giacomo Tebaldi, qui redoutait l'influence de Clé-
ment sur Renée, aurait pu prévoii à meilleur titre celle de Renée
sur Clément. De Renée et de son entourage. Xul ne fréquente
impunément un cercle dont tous les membres partagent et
défendent la même foi. A la com de la duchesse, Marot ne pou-
vait plus tergiverser. Là, on ne rêvait que le schisme ; chacun
tirait vers la nouvelle Église le nouveau venu, et il lui fallait
ou rompre avec Rome ou renoncer à plaire. Ajoutez que, depuis
sa disgrâce, le pain de ses enfants était passé de ce côté-ci de la
barricade. Chassé par un prince qui se disait catholique, de qui
recevoir l'aumône, sinon d'une princesse amie de Calvin ? Cruelle
sujétion des pauvres ! Trop luthérien pour Hercule, Marot ne
l'était pas assez pour Renée. Il le sentit ; il comprit qu'il devait
donner des gages, se lier formellement et par écrit à la secte
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 209
qui pouvait l'abriter et le nourrir. Mais (et voilà son tort) il
gardera, en ayant l'air de brûler ses vaisseaux, l'espoir de reve-
nir en arrière, de '.egagner, à la prochaine saute de vent et dès
que François I®^ sera calmé, la France, la maison de ce roi
qui l'avait banni. S'il se montrait vaillant dans l'exil, c'est qu'il
ne le croyait pas sans terme. Mieux eût valu se dire : c'est pour
toujours. La peur de rendre son infortune irréparable a beaucoup
nui au poète : elle lui dicta, nous le verrons, de très pénibles
palinodies ; elle l'amena à parler, selon qu'il s'adressait à l'un
ou à l'autre des deux partis, deux langages en désaccord, et
le résultat de ces ménagements fut que, haï à jamais des pa-
pistes, il parut jusqu'à la fin inquiétant aux huguenots.
298. Quand j 'ai dit qu'il leur avait donné des gages en 1535,
avant de s'acheminer vers Ferrare, je pensais à l'épître envoyée
par lui aux deux bénignes sœurs savoisiennes qui auraient souhai-
té le voir se fixer dans leur pays. On observe, en cette pièce, .
un accent évangclique, une onction, une gravité continue s^ns
précédent chez Marot. Il flétrit les juges, « les brûleurs » qui
ont torturé, mis à mort, dispersé la pieuse et « innocente sé-
quelle » du Seigneur. Et moi aussi, proclame-t-il, j 'ai porté non
pas une croix, mais plusieurs. Contre son habitude, il ne rit
pas de lui-même ; il ne s'amuse point de sa détresse, et se range
presque parmi les martyrs. Avoir souffert en soutenant la cause
de Dieu, n'est-ce pas, en effet, une gloire et une joie ? Ce que
Jésus fit pour nous, ne devons-nous pas le taire pour lui ? Le
serviteur cherchera-t-il le repos, alors que le maître a cherché
la peine ? Non. Demandons, aimons la douleur. Elle afflige la
chair, mais affranchit l'âme. Et ainsi, « mes dames, fléchir ne
fault ». Le loyer de nos tribulations, nous le trouverons au ciel,
et nous préparons, par nos tourments et notre constance, le
règne, le « triumphe n de Christ... Une telle homélie, on le con-
çoit, n'était pas exclusivement destinée aux deux demoiselles
savoyardes, et l'auteur comptait la répandre dans les milieux
protestants. Et ce fut bien ce qui eut lieu : elle courut, circula,
et quoiqu'elle n'ait été imprimée que de nos jours, elle fut, en
son temps, beaucoup lue. Sagon la connaissait; l'estimant hypo-
crite et impie, il voulut la « conf uter », et rima une réplique véhé-
mente, c'est vrai, mais grotesque.
399. Marot n'a jamais été mieux inspiré que durant son
séjour en Italie. Les vers qu'il écrivit à Ferrare sont nombreux,
et ont tous de la valeur. Et puis, quelle variété ! On aurait tort
de croire que, une fois entré dans le genre sérieux, le poète n'en
soit plus sorti. Il y entre et il en sort à sa guise, selon son ca-
price, l'heure, le besoin, et, quand on étudie les œuvres qu'il
Clément Marot et son école 14
210 • CLÉMENT .MAROT ET SON ÉCOLE
a composées pendant son exil, on remarque à l'instant qu'elles
se laissent diviser en deux groupes : les unes, qui nous rappel-
lent le Clément de l'Adolescence, l'Enfant sans souci, le bon
vivant et le railleur, sont gaies, légères, crues et mordantes ;
les autres (sa seconde manière) prennent un ton austère, reli-
gieux, soucieux, et portent l'empreinte des chagrins qui l'ob-
sèdent, de l'âge qui vient, de la foi nouvelle qu'il tâche d'avoir.
— Commençons par les pièces ou joyeuses ou satiriques, et pas-
sons-les en revue.
300. La plus célèbre est l'épigramme du Beau tetin [J. III,
■^^'], excellente en son genre, hors ligne et réellement inimita-
ble. Le mot épigramme doit s'entendre ici comme l'entendaient
les auteurs de l'Anthologie, et ces quelques vers plastiques, drus
et savoureux sont, à proprement dire, un « blason ». Tombé,
à cette époque, en désuétude, le blason, dès que Clément eut
rimé le Beau tetin, se retrouva tout à coup en vogue, et, jaloux
(mais incapables) de rivaliser avec le maître, beaucoup de bla-
sonneurs se levèrent à la fois qui voulaient, puisque c'était la
mode et qu'elle avait du succès, peindre, eux aussi, le corps
féminin.
301. Jean de Vauzelles chanta les cheveux, s'appliqua, le
pam-re homme, à démontrer qu'autant vaudrait un arbre sans
rameaux qu'une dame chauve. Telle n'était pas la sienne, heu-
reusement. Rien d'aussi admirable que sa « perruque » blonde,
plus épaisse que celle de Samson, dorée, illuminée, raj'onnante
et répandant autour d'elle une « clarté diverse et diaphane ».
La moindre boucle, « un chascun » des cheveux de cette per-
ruque-là eût mérité d'être « baptisé de quelque nom de dieu ».
— ■ Héroet, lui, a célébré le charme, la puissance des yeux. Am-
ple et sublime sujet. Il eût fallu du génie. Héroet n'a eu, pour
cette fois, qu'un peu de grâce. Passant à côté de l'essentiel, il a
rencontré quelques traits brillants, justes et fins. On approu-
vera ce vif et joli coup de pinceau :
Œil s'accordant au ris de la fossette....
et cet autre, très riche de sens :
Me vo3'ant mieulx que s'il me regardoit...
— Un inconnu, qui signe Albert le Grand, a loué l'u oreille
blanche, clère et nette ». Mais le dessin est réduit, en cette trop
longue pièce, au minimum, et l'oreille est moins considérée en
elle-même que comme « porte » de l'intelligence. — Un certain
I.-N. Darles, l'un de ces niais qui ne doutent de rien, s'est, en
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 211
téméraire, lancé dans le panégyiique du nez. Un éloge ? Non :
une suite d'exclamations enthousiastes. Darles pense que le nez
est le « souverain bien », voire le seul bien de la machine hu-
maine, et c'est pourquci, fort de cette idée, plein de respect et
de gratitude, il s'écrie dès le début :
O noble nez, organe odoratif,
Du corps humain membre décoratif,
que nous serions à plaindre sans toi ! Notre visage paraîtrait
<( déforme, hydeux, espoventable ». On a eu bien raison de te
loger juste au milieu. Ainsi planté, tu rends la face « angelic-
que », et je proclame ici ton excellence,
Nez des amans la vraye nourriture,
O nez bien faict, nez reconsolatif,
Nez mignonnet, o nez récréatif !
— Le blason de la bouche est dû à Brodeau ; celui des dents
à « l'esclave fortuné », Michel d'Amboise, seigneur de Chevil-
lon, fîls naturel de Charles d'Amboise, amiral de France.
302. Mais qui croirait que Maurice Scève, le roi des poètes
philosophes, celui qui a laissé des livres si vigoureux, si réflé-
chis, se soit amusé à de tels jeux ? Ils l'ont séduit, cependant,
et il a daigné composer non pas une de ces bagatelles, mais bien
cinq. Le front, le sourcil, le soupir, la larme et la gorge, voilà
les divers points qu'il a traités, et il figure donc à plus d'un
titre — lui, le penseur pur, — dans un recueil souvent scanda-
leux. Hâtons-nous, toutefois, de dire que Scève est resté Scève.
Les sujets qu'il avait choisis ne risquaient nullement de l'en-
traîner hors de sa route ordinaire, et les petits tableaux tracés
par lui s'accordent fort mal avec l'ensemble de cette galerie
anatomique. Il s'intéresse beaucoup moins à l'organe qu'à la
fonction ; il ne s'attache guère au monde visible, et les formes
du corps ne sont, suivant lui, dignes d'examen qu'en tant qu'elles
traduisent des pensées ou expiiment des passions. Après avoir
noté, par exemple, que la larme est comparable à une perle
Ronde d embas, denhault menue et gresle,
il ne parlera plus que de la vertu des pleurs, et nous confiera
que sa maîtresse le fait pleurer non pas « a grandz plains seaux »,
ce serait peu, mais « a gros bruyans ruisseaux ». De même, si
les sourcils, voûtes contractiles d'ébène ou de jayet, retiennent
son attention, c'est parce qu'ils enregistrent les mouvements
de l'âme, nos colères, nos dédains, et qu'ils méritent mieux,
212 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
lorsqu'ils dispensent le pardon et l'espoir, le nom de « soubz
ciel » que de sourcil. Le front, de son côté, le noble front a patent
et ouvert », évoque l'idée d'une coupole sur un temple, com-
mande le respect, garde toujours un air brave, et « ne craint
riens, fors honte )>. Quant à la gorge, Scève ne la regarde pas
avec les yeux de Marot : il vénère en elle le blanc « pulpistre »
de l'Amour et la sainte armoire de Chasteté.
303. Parce qu'il a voulu rendre moral et psychologique un
genre destiné à choir dans la boue, on sera indulgent pour ce
poète. Et, cependant, que de vers bizarres, ardus, tourmentés,
et, à chaque moment, quel mauvais goût ! L'apologie du sou-
pir est lamentable. Loin de nous toucher, l'amant nous amuse
lorsqu'il compare à une cheminée son poumon. Les soupirs en
sortent tellement épais qu' « en la bouche ils se battent », et
qu'ils ont beaucoup de mal à « yssir ». Ils s'envolent enfin, in-
nombrables, en (( longue traînée », et les gens qui les voient
noircir le ciel, ébahis et terrifiés d'abord, devinent ensuite que
cette fumée suppose im feu vraiment sans égal... Oui, ces fines-
ses nous font rire aujourd'hui. Mais, quoique affectés et même
très comiques par endroits, les blasons de Maurice Scève restent
supérieurs à presque tous les autres, et nous ne saurions leur
préféier ni celui de la cuisse par Le Lieur, ni celui du genou
par Lancelot de Carie, ni celui du cœur par Jacques Peletier du
Mans, ni ceux, bien entendu, que Sagon a perpétrés. Ce borné
et rampant Sagon ! La prose la plus terre à terre est moins
plate que ce qu'il rime, et l'imagination semble, chez lui, atro-
phiée et quasi morte. L'audace, en revanche, ne lui manque
pas. et il l'a prouvé en publiant son navrant blason du pied.
Là. nul modelé, nulle lueur d'esprit, mais un bon sens qui acca-
ble. Le meilleur titre eût été De l'utilité des pieds. Eux suppri-
més, l'homme ne marcherait pas facilement. Nécessaire à qui
veut « casser, rompre ou fendre la glace », le pied est, en outre,
Cl convenable » (ce n'est pas trop dire !) aux personnes qui ai-
ment la chasse. Et puis, il a sa beauté. La nature l'a façonné
avec soin et « enrichy de cinq orteils divers ».
304. Mauvaise ou bonne, raisonnable ou non, chacune de ces
pièces composées aux quatre coins de la France arrivait, un
jour ou l'autre, à Ferrare, et on la lisait alors à la duchesse,
au cercle qui l'entourait. Cette femme d'élite et ses fidèles, qui
avaient, par ailleurs, tant de soucis, des pensées si hautes,
prenaient plaisir à ces choses frivoles, s'amusaient aies juger,
à leur assigner des rangs. « Nostre court », écrit Marot, a accor-
dé la couronne de laurier à l'auteur du Sourcil, un Lyonnais
que je ne connais point, et il convie, après avoir tendu cette
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 213
palme à Maurice Scève, tous les poètes à entrer en lice. Pour-
quoi, demande-t-il à Mellin de Saint-Gelays, pourquoi, ô « créa-
ture gentile », ne nous as-tu rien envoyé ? Si vous estimez, en-
fants d'Apollon, que cette veine est à présent tarie et qu'il ne
reste plus à peindre aucun charme de nos dames, eh bien, imi-
tez-moi une fois encore. Je viens, après le Beau tetin, de vous
buriner « a contrepoil » et « par manière de rire » un sein flétri,
flasque et noir [J. III, 34]. Faites ainsi. Mandez-nous, « en stile
espouvantable », le « rebours » de vos tableaux d'hier. Atta-
chez-vous à rendre la laideur ; montrez-nous des yeux pochés,
des bouches qui soient des mufles. Mais, je vous en prie, pas
de mots sales, et ce que la nature a pris grand soin de cacher,
n'allez pas le découvrir.
305. En ce qui concerne les contreblasons, l'appel de Marot
fut entendu, et l'on vit naître, ainsi qu'il le souhaitait, un vrai
musée des horreurs, une longue série de caricatures. Quant au
conseil qu'il avait donné : jamais de termes infâmes ni de des-
criptions obscènes ! on ne le suivit point, et c'était fatal. Un
tel genre, qu'on le voulût ou non, allait droit au Parnasse saty-
rique, et il était facile de prévoir que, une fois dit ce qu'on pou-
vait dire, certains aimeraient mieux paraître immondes que de
se taire. Immondes, plusieurs le furent pleinement, avec cou-
rage et tranquillité. On ne saurait même pas reproduire, tant
ils méprisent la périphrase, un seul de leurs titres si explicites.
Chose à noter : les auteurs de ces ordures n'étaient ni de jeunes
effrontés ni des grimauds sans aveu. Ils avaient un nom, quel-
que gloire, un autre gagne-pain que celui-là ; on les tenait pour
honnêtes, très dignes, soit de célébrer les actes du roi, soit d'en-
seigner la morale ou de prêcher l'Évangile.
306. Trois de ces hardis blasonneurs ont, en effet, laissé une
trace dans l'histoire de la Renaissance ou de la Réforme. Le
premier, Claude Chappuys, qui a rimé des pièces fort répugnan-
tes, fut, par ailleurs, un poète officiel, un adroit et prospère
courtisan et (qui le croirait ?) un chanoine. — Le second, Guil-
laume Bochetel, seigneur de Sassi, a rempli, par ordre de Fran-
çois I^i" puis de Henri II, d'importantes missions diplomatiques,
et, mettant à profit son influence, a enrichi, élevé et lui-même
et sa famille. Il mourut en 1558. On a de lui, outre les vers igno-
bles à cause desquels il figure ici, une traduction de V Hécuhc
d'Euripide et des plaquettes en prose qui relatent le sacre d'E-
léonore d'Autriche et son entrée à Paris. Bochetel n'a pas pris
la peine d'orner sa narration. Elle est stricte, froide et nue.
On ne trouvera là que l'ordre exact des cortèges, le nom de
tous les assistants de marque et le menu des festins. — Quant
214 CLÉMENT .MAROT ET SON ÉCOLE
au troisième de nos anatomistes sans vergogne, c'est le remuant
et divers Eustorg de Beaulieu, l'un des types, à mon sens, les
plus étranges de ce siècle violent et romanesque.
307. S'il n'avait pas été gentilhomme, on aimerait à com-
parer à Gil Blas de Santillane l'Eustorg (ou l'Hector) en ques-
tion. Que d'aventures au cours de sa carrière, que de contrastes
et quelles péripéties ! Né près de Cahors, il eut pour père Ray-
mond (?), seigneur de Beaulieu, et pour mère Jeanne de Bosco
rotundo, de Bosredon. Assez bonne noblesse quercynoise, mais
peu dorée. Les cadets, leur éducation terminée vaille que vaille,
étaient conduits à la porte du manoir puis invités, dûment
bénis, à partir. La maison de Beaulieu était fort lourde : Eus-
torg se trouvait, il nous le dit, le dernier de sept enfants, quatre
fils et trois filles, et, de plus, il avait, encore en bas âge, perdu
son père. Cela compliquait la situation, et il résolut, dès que
les plumes lui furent poussées, de quitter le pays, de chercher
fortune ailleurs. Il aurait pu devenir Rastignac ou d'Artagnan.
Mais il avait d'autres vues, d'autres goûts. Il cro3-ait se sentir
une âme d'artiste, et, sans nous préciser où il avait appris quel-
que chose, il nous laisse entendre qu'il savait tout. Les vers, la
prose, la morale, la galanterie n'avaient pour lui aucun secret ;
il rimait des œuvres dramatiques et les jouait ; la musique, sa
passion dominante (en attendant la théologie), lui valait des
succès et quelque argent. Quoique préférant l'orgue, il connais-
sait à merveille l'épinette, le luth, le manicorde. Versé dans
le contrepoint et l'harmonie, il composait des chansons, les
chantait mieux que personne, et s'accompagnait lui-même. Il
ne lui manquait plus que de posséder la jurisprudence : mais il
y songeait.
308. Avec tant de talent?, il semble agréable de courir le
monde. Où ne serait-on pas bien reçu ? Eustorg, pourtant,
qui a maintes cordes à son arc, change si souvent de ville et
de métier qu'il paraît ne réussir nulle part. Organiste à Lectoure
en 1522, il arrive à Tulle, l'an d'après. Que cherchait-il là ?
Aspirait-il au titre de greffier ou de procureur ? On l'ignore.
Ce qui est certain, c'est qu'il s'affilia à la Basoche, et que, mem-
bre actif de cette confrérie, il se plaisait à lui servir d'interprète
et à réciter des vers en son nom. Ce fut en qualité d'Enfant sans
souci qu'il rédigea trois pièces : une ballade sm une chapelle
(lisez taverne) de la Pauvreté, siège de la joyeuse corporation ;
une Istoire moralle de l'enfant 'prodigue ; un rondeau « présenté
par le roy de la Bazoche de Tulle a Monsieur de Montchenu,
seneschal du pays de Lymosin, le jour qu'il fîst son entrée ».
Tout cela n'aurait pas rendu notre voyageur beaucoup plus
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 215
gras. Mais la musique le nourrissait : il donnait des leçons, et
avait quelques élèves. Professeur au cœur tendre, il offrait des
vers à ses écoliers et, de préférence, à ses écolières. Les filles
de Tulle lui plaisaient. Deux fois il les a célébrées en bloc, et
il espérait que l'une d'elles serait, pour son maître d'épinette,
une nouvelle Héloïse. Grande raison de ne pas s'éloigner, d'ac-
quérir à Tulle droit de bourgeoisie.
309. Cependant, lorsque nous retrouvons Eustorg en 1529,
c'est à Bordeaux qu'il réside... Autre surprise : il n'est plus
basochien ; il est curé. Il signe Eustorg de Beaulieu, prestre.
Poète, d'ailleurs, comme devant. Ce qui l'occupe, cette année-
là, c'est moins le saint ministère qu'un procès. L'héritage de
feu Raymond était resté indivis. Mais Jean, l'un des frères,
avait exigé qu'on partageât, et, représenté par un curateur de
mauvaise foi, Eustorg avait été, car l'absent a toujours tort,
ou lésé ou dépouillé. Son affaire était venue en appel à la cour
de Bordeaux, et, lui, il avait suivi le sac qui renfermait ses pa-
piers. Afin d'avoir gain de cause, il usa des moyens en son pou-
voir, rima une ample épître soignée, et l'envoya à l'un de ses
juges, au « tresnoble seigneur. Monsieur maistre NycolleArnoul,
seigneur de Sainct Symon, au pays de Xaintonge, et conseiller
du Roy... en sa court de Parlement a Bordeaulx ». La lettre,
qui a plusieurs pages, explique abondamment et par le menu
la genèse puis l'évolution de ce litige, et l'auteur, pour un homme
qui tourne en décasyllabes la prose des huissiers et des avoués,
s'exprime avec clarté et rondeur. Je ne sais s'il le dut à son
talent, à la protection ou à son bon droit, mais il obtint enfin
ce qu'il demandait, et le tribunal lui donna raison.
310. Rentré à Tulle après la bataille, il adressa des remer-
ciements à ceux dont il avait eu à se louer. M. de Saint-Simon
reçut une épître qui lui promettait la vie éternelle en récom-
pense de son équité, et lui apportait, par la même occasion,
des nouvelles d'une sienne fille, Marguerite, qui visitait alors
le Limousin. Je me propose, écrivait le plaideur reconnaissant,
de l'avoir un de ces jours à dîner. On s'imagine qu'on ne mange
ici que des châtaignes, des raves, des glands. Erreur ! « Mes-
sieurs les Tullistes » ont de quoi faire de fameux repas, et nous
servirons à ton infante des truites de la Corrèze, de belles car-
pes, des barbeaux... D'autres actions de grâces — toujours en
vers — vont « a scientificque seigneur. Monsieur maistre Ber-
nard de Lahet, advocat du Roy ». Un musicien, celui-là ; donc,
un ami. Eustorg le couvre d'abord de fleurs, puis lui rappelle
les relations qu'il eut avec Clément Jannequin, le temps, dit-il
aussi, où « toy. Biaise (?) et moy », nous formions un si agréa-
216 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
ble concert et de voix et d'instruments. Bien que tout, en 1529,
fût hors de prix, ta maison restait ouverte à chacun. Quelle
hospitalité généreuse ! Quel charmant accueil ! Et les jolis trios
qu'on jouait !
311. N'allez pas conclure de ces pièces que jamais nul Fran-
çais ne fut, autant que celui-ci, fier de la justice de son pays.
Le contraire est manifeste, et si Beaulieu rencontra à Bordeaux
deux ou trois magistrats selon son cœur, il dut aussi, au cours
de son procès, frapper à des portes toujours closes, multiplier
les pas et démarches, se débattre parmi beaucoup d'intrigues,
devinei l'énigme (« Or çà ! Or çà ! ») qu'il faut résoudre pour
franchir le guichet des Chats fourrés. Humilié d'avoir tellement
trotté par la ville, et plein de dépit au souvenir de ces anti-
chambres où il avait cent fois attendu son tour, il exhala bien-
tôt sa rancune en composant et publiant coup sur coup les Ges-
tes puis le Pater et Ave des solliciteurs. Il aurait pu écrne d'un
solliciteur, car c'est à lui qu'il pense, à ses propres courses, à
ses déboires. Rien, semble-t-il, ne lui fut épargné. La sentence
prononcée en sa faveur lui causa elle-même des ennuis. Après
avoir payé à grand'peine les « dix francz ou plus » qu'elle coû-
tait, voilà qu'il apprend que le greffier exige, pour la signer
deux écus. Où les trouver ? Le pauvre poète sans le sou tâcha
d'attendrir monsieur le greffier, le « noble seigneur » greffier,
lui versa, faute d'argent, une ballade, et le supplia de modérer
la somme, de signer, cette fois, au rabais. La réponse du greffier
n'est pas connue.
312. A partir de 1529, Eustorg de Beaulieu est reçu, comme
maître de musique ou précepteur, chez diverses personnes de
qualité. Madame Anthonye de Polignac, femme de Godefroy de
la Tour, — François de la Tour, vicomte de Turenne, — les de
Tournon, famille éminente du Vivarais, l'admettent dans leurs
maisons. Cela prouve qu'il ne reste ou bien qu'on ne le garde
longtemps nulle part, et, de fait, en 1536, nous le trouvons
établi (non pour toujours !) à Lyon. Il y arrivait porteur d'une
lettre de Charlotte de Maumont, sa cousine, qui le recomman-
dait à Charles d'Estaing, chanoine de Saint- Jean. Ce fut ce haut
protecteur qui présenta sans doute l'artiste nomade à Marie-
Catherine de Pierrevive, femme d'Antoine de Gondi, sieur du
Perron, l'une des gloires de la cité. Héritière d'une vieille dynas-
tie d'échevins, de banquiers, de marchands d'épices, puissam-
ment riche par conséquent, instruite, subtile, insinuante, idole
qui trônait dans un cadre somptueux, amie du plaisir et s'éle-
vant au-dessus de la morale, M™^ du Perron voyait les prélats
et les princes attentifs à capter ses bonnes grâces, et elle sera,
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 217
plus tard, la confidente, la conseillère de Catherine de Médi-
cis. Eustorg, en pénétrant dans ce milieu, en donnant (il l'ap-
pelle son « escollière ») des leçons à M^-'e Hélène de Gondi, pa-
raissait faire enfin un grand pas vers la fortune. En outre, comme
le prouve un treizain acrostiche qu'il lui a offert, il avait pour
élève Jean du Peyrat, fils d'un magistrat alors célèbre, et il
était aussi, j'ignore à quel titre, entré au service du gouverneur
de la ville, Pomponio Trivulce. Il le nomme son « maistre » en
des vers où il lui souhaite, à l'occasion d'un « froid premier
jour de l'an », une « plaine boeste » de ducats, la guérison de
sa « goutte et mal de teste », le recouvrement des biens qu'il
possède dans le Milanais et même « la duché de Venise », car
les vœux ne coûtent rien.
313. L'auteur de ces gentillesses n'a pas l'air de compter,
pour subsister, sur les ordres sacrés qu'il a reçus. Il vit de l'or-
gue plutôt que de l'autel, et fréquente moins les gens d'Église
que les gens du monde ou les gens de lettres (Antoine Du Mou-
lin, par exemple). Je me demande s'il n'était pas venu à Lyon
afin de se rapprocher déjà, au propre et au figuré, de Genève.
Sa quaHté de prêtre catholique ne transparaît que de loin en
loin dans son livre des Divers rapportz. Publié seulement en
1537, il contient maintes pièces composées à une date anté-
rieure, et beaucoup d'entre elles nous invitent à conjecturer que,
ses premières messes une fois dites, cet homme inconstant, mo-
bile, épris de tous les mirages, avait songé à jeter aux orties le
froc qu'il portait depuis peu de jours et à courir au temple d'en
face qui, meilleur ou non, l'attirait étant autre. Je n'oublie pas
que le vingtième rondeau des Divers rapportz recommande « de
ne babiller dedans l'église » : mais, par contre, combien de pas-
sages révèlent le protestantisme naissant du poète ! Il envoie
une épître à Marguerite de Navarre, la supplie de lui accorder
une petite place en sa maison, et affirme qu'il serait trop heu-
reux d'être, chez elle, garçon de cuisine ; il vante les mérites
et pleure la mort d'Érasme ; il attaque ceux qui font mauvais
usage des biens du clergé ; parlant à Chaï lotte de Maumont,
il l'engage à mépriser les mascarades des moines et à se moquer
de la Sorbonne ; il convie Jacques Thibault, Parisien, à rire
avec lui de Babylone, et, partisan de la Bible française, il re-
marque, disciple ingénieux de Clément Marot :
C'est un bon livre qu'ung psaultier,
Pourveu que chascun ne l'entende.
Tout cela présage un nouvel avatar, une prochaine métamor-
phose.
218 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
314. Au demeurant, quel que soit l'aspect sous lequel on
le considère, ce très divers recueil des Divers rapportz reflète
l'existence picaresque du rimeur, exprime le décousu de sa
doctrine et les antinomies de ses goûts. Prêcheur à certains
moments, il discourt, sérieux comme un mage, « d'arrogance
et gravité », « de vérité et mensonge » ; il conseille « de tenir
promesse », « de discipliner les jeunes enfants », de ne jamais
blasphémer Dieu en jouant aux dés ; il s'émeut en pensant aux
lo3'aux, aux vieux serviteurs ; il réprouve « la folle despense » ;
il gémit sur les égards qu'on a pour les mauvais riches et sur
le « desprisement des vertueux » ; il condamne « la brague
excessive de plusieurs », et censure les gourmands, les pares-
seux, les ivrognes... A merveille ! Voilà, allez-vous croire, un
traité ad usum delphini, et Eustorg le destinait à ses élèves.
Mais tournez quelques feuilles, et vous trouverez le rondeau
« d'ung verollé », les « commoditez d'ung coqu », l'épisode, qu'il
eût mieux valu taire, de la nouvelle mariée et, dans le genre
scatologique, deux prédictions nullement amusantes, mais fort
sales... Eh bien, ces vers-là, quoique impudents, sont encore
tolérables si on les compare (car nous y revenons) aux blasons
qui terminent le volume. Idée révoltante ! A cet ouvrage où
figure une pièce relative à la mort de sa mère, où se cache, dis-
persé dans les rondeaux, un manuel de morale, et où se lisent
les noms des jeunes filles, ses écolières, Beaulieu donne comme
conclusion et couronnement les pires turpitudes qui soient, non
pas un blason, mais sept : la langue, la voix, la joue, les dents,
le nez... Pour le surplus, voir le texte !
315. Eustorg avait passé toute mesure, et des gens, cette
fois, se fâchèrent, protestèrent. Un auteur anonyme blâma
l'ignominie, l'impiété même de ces productions qui, célébrant
la chair périssable, des charmes réservés aux vers du tombeau,
fondaient une nouvelle et très matérielle idolâtrie. D'autres,
qui ne craignaient pas de signer, prirent le parti de l'accusa-
teur, et vinrent bravement à sa rescousse. Gilles Corrozet, qui
devait, en 1539, essayer, par ses fort estimables Blasons domes-
tiques, de purifier le genre et de l'ennoblir, écrivit Contre les
hlasonneurs des me^nbres. Cette satire abonde en fines remar-
ques. Lorsque Corrozet déclare :
Selon la chose en quoy le cueur abonde,
La bouche parle ou soit necte ou immonde,
il exprime d'avance la saine formule classique :
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 2.19.
La fonction du poète ne consiste point à engendrer, à propager
la luxure. Qu'il se rappelle son frère, le cygne !
Les oignes blancs sont les oiseaulx sans vice
Qu'au dieu Phebus on donne en sacrifice.
Voilà de candides pensées, une manière honorable de concevoir
le rôle des arts. Il s'en faut, malheureusement, que les cham-
pions des bonnes mœurs se soient tous montrés aussi judicieux.
Le Toulousain Drusac, qui n'avait pas attendu, pour s'indi-
gner, la vogue des peintures anatomiques, prohibe, dans ses
Controverses, l'emploi des mots grossiers. Un, surtout, lui tait
hoireur. Ce mot qui le scandalise, je n'ose, quant à moi, l'écrire.
Mais lui, intrépide et plein d'inconséquence, il nous aligne 442
vers équivoques, en chacun desquels on rencontre au moins
une fois l'obscène syllabe en question. N'est-ce pas un remède
délicatement administré ? Et que dirons-nous de ce beau ma-
gister qui use cinq ou six cents fois d'un terme (je n'ai pas comp-
té) pour prouver qu'on ne doit jamais s'en servir ?
316. Ces critiques, néanmoins, ne laissèrent pas d'agir, et,
parmi ceux qui les avaient méritées, certains se repentirent et
se corrigèrent. Honteux d'avoir chanté la chevelure des femmes,
le prieur Jean de Vauzelles publia, en compensation et comme
antidote, une austère louange de la mort. Elle seule, à ses yeux,
est douce et belle. Votre corps, vraie guenille, n'a aucun prix.
(( Fard, aornement ne drogue » ne sauraient le rendre « gay et
parfaict ». La mort, au contraire, parce qu'elle lui procm-e la
vie éternelle, le transfigure et l'exalte. Donc, ne cherchons plus
les parures mondaines, et tâchons, en vue du grand voyage,
d'acquérir la chemise d'innocence, le manteau de loyauté, le
chaperon d'espoir et le bissac d'érudition... C'est ainsi que
parle, sur son chemin de Damas, Jean de Vauzelles. Mais Eus-
torg, pour l'instant, refuse de se convertir. Il répond insolem-
ment aux censeurs, leur décoche des lettres virulentes. L'une
aggrave sa faute, car il y prodigue des facéties capables de cho-
quer Rabelais ; l'autre, qu'il intitule avec ironie l'Excuse du
corps pudique, daigne, tout en traitant l'adversaire de calom-
niateur, de veau, de « brayllard », discuter le principal grief,
le prétendu sacrilège. Oui a créé la femme ? Qui lui a donné
tant de grâces ? Dieu. Donc, célébrer « les membres femenins ».
c'est admirer les œuvres divines, se montrer, en somme, bon
chrétien. J'ignore si, au moment où il le construisait, Beaulieu
était fier de ce syllogisme : mais il regrettera avant peu de l'avoir
produit. Il eût fallu que notre homme eût bien changé pour
220 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
rester longtemps de son propre avis. Une fois encore, il va s^
déplaire à lui-même, se démentir, détester ses tableaux pluS
que lascifs, reconnaître ses torts ingénument. Alors il se con-
damnera à développer un thème expiatoire, le Souverain blason
du très digne corps de Jésus-Christ, et il avouera que le rouge
lui monte à la face,
Quand se souvient des sept blasons lubriques
Qu'au livre dict Blasons anathomiques
// mit j adis
317. Marot n'éprouvait pas de tels remords. Content d'avoir
proposé à ses émules, avec l'épigramme du Beau tetin, un mo-
dèle qu'ils n'avaient pu égaler, c'était d'une autre manière
qu'il dépensait maintenant la gaieté de son esprit, et, de nou-
veau, il se sentait attiré par l'enjouement de l'épître, les brus-
ques saillies du coq-à-l'âne. Il semble qu'on doive ranger parmi
les ouvrages qui datent de son premier exil l'alerte billet qu'il
envoya à Alexis Jure, de Quiers en Piémont. Ce personnage,
d'ailleurs très mal connu, fut un. de ces rimeurs de province
qui risquent de loin en loin de gauches pièces destinées à périr.
Mais si Jure manquait de talent, il avait, en revanche, des ami-
tiés, et hantait les gens de lettres qui habitaient Lyon ou y
passaient. Il a été er rapport avec Bonaventure des Périers qui
lui dédia son Chant des vendanges, dont le rythme exprime
l'ivresse dansante des dionysies, et avec Charles Fontaine. Celui-
ci lui a offert deux épigrammes, et il lui rappelle, dans l'une et
dans l'autre, l'affection dont l'honora Clément. De fait, le bon
Piémontais n'avait guère que ce titre de gloire. Marot ne lui
a point caché les défauts qu'il lui trouvait, et, ayant reçu de
lui quelques vers, il en a souligné les négligences, les faiblesses.
Je les ai, dit-il, pris en gré autant que s'ils me venaient d'Alain
Chartier ou de Georges Chastellain. Il s'en faut, pourtant, que
tu approches de ces demi-dieux. Veille sur tes césures, mon
camarade ; soigne les détails ; rabote-moi ta phrase « pour oster
les gros nœudz » qui la déparent ! On le voit, la critique est
franche. Elle n'a rien de blessant, néanmoins; toute pédanterie
en est exclue, et c'est, je pense, le seul exemple que nous ayons
d'une leçon de style présentée en vers de trois syllabes, sur un
mètre propre à la bourrée, à la farandole.
318. Mais quand Marot voulait donner libre cours à son
humeur badine et satirique, ce n'était pas à un Alexis Jure
qu'il s'adressait, et il se tournait d'instinct vers son ami et
principal confident, Lyon Jamet. Donc, ayant à dire des choses
qu'il jugeait intéressantes et hardies, il les lui exposa en un
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 221
coq-à-l'âne, où une incohérence voulue, un air de détachement,
de persiflage, ne voilent qu'à moitié de vives rancunes, des sou-
cis qui n'étaient que trop réels, des convictions, des passions
sincères. Que cette pièce ait été écrite durant l'automne de
l'année 1535, cela ressort manifestement de certaines mentions
ou allusions qu'on remarque dans le texte. L'auteur, par exem-
ple, annonce comme un fait récent la prise de Tunis (20 juil-
let ) ; il parle à mots couverts de la mort du financier Jean de
Poncher, pendu le vendredi, 24 septembre ; il consacre quatre
vers à l'échec des négociations de la cour de France avec Phi-
lippe Mélanchthon. François I^r l'avait invité, par lettre du
23 juin, à se rendre à Paris pour conférer de unione doctrina-
rum. Mais l'Électeur de Saxe s'étant opposé au voyage, et la
Sorbonne ayant remis au roi un mémoire quo ostenditur non
esse disputandum cum haereticis, il fallut, en novembre, renoncer
à ce projet. Clément est au courant de la résistance des docteurs
catholiques, et cela nous prouve que son œuvre a bien été com-
posée vers la fin d'octobre ou dans le mois suivant.
319. Des traits de satire générale, des attaques dirigées con-
tre Rome et les papistes, quelques rapides notes personnelles,
tels sont — épars à dessein, brouillés et confondus — les trois
éléments de ce coq-à-l'âne. On y voit figurer, trompés toujours,
toujours patients, les maris parisiens, et ni leurs filles ni leurs
femmes ne sont épargnées. Jeunes ou non, elles sont ici en belle
place, et le sexe entier défile sous nos yeux, depuis les adoles-
centes « tant pouppines » qui, sachant leur prix, se vendent
« cher comme cresme », jusqu'aux vieilles de bonne volonté et
même jusqu'aux nonnains dont les faveurs, aisées à gagner,
laissent de cuisants souvenirs. L'ombre des églises, propice aux
rendez-vous, rassemble et cache les couples suspects, et le galant
arrive à ses fins grâce à de dévots stratagèmes et pourvu qu'il
ait de l'argent. L'argent, la clef par excellence, celle qui va à
chaque serrure, ouvre le cœur des dames et la conscience des
magistrats. Le Palais ne change point ; il garde son avidité
d'autrefois ; il vole et grippe comme devant. Avares et cruels,
les juges font durer les procès civils, et tranchent vite, à grands
coups de hache, les procès criminels. Ceux-ci n'engraissent pas
le tribunal. A^^quoi servirait-il de les prolonger ? Mieux vaut
que la tête roule sans délai sur l'échafaud, et que se justifie
l'adage : // n'est bourreau que de Paris. Les trésoriers, les ban-
quiers du roi en savent, les pauvres, quelque chose. L'année,
pour eux, a été mauvaise ; ils sont « tous péris ». N'entendez
pas tous tués. Certains furent bannis et non pendus.
320. L'essentiel de l'ouvrage n'est pas là, et l'intention de
222 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
l'auteur était moins de censurer les femmes et les financiers
que de déchirer ses vrais ennemis : le monde noir, les ultra-
montains. Attachez, dit-il, deux grandes oreilles au chaperon
« d'un moyne crotté )>, et vous aurez, très ressemblant, un bon
sot de la Basoche. Mais non... Nous seiions trop heureux si
capucins et cordeliers n'étaient que des ânes. Ils n'ont pas, ces
ignares, la douceur du baudet. Ils écument ainsi que des ver-
rats, trépignent en chaire, « ne preschent que des fagots », et
ont soif du sang des hérétiques. Exterminez, disent-ils au roi,
« bruslez ces mastins ». Si vous ne les détruisez pas, votre auto-
rité va faiblir ; on refusera de vous payer l'impôt, et vous vous
réveillerez, au prochain jour, sans le sou. Argument de poids,
et qui force le prince à réfléchir. Mais le clergé, malgré sa puis-
sance et les complicités qu'il se ménage, n'empêchera ni les
intelligences d'évoluer ni la clarté de se faire. Déjà la décadence
romaine s'annonce par plusieurs signes : l'étude de l'hébreu,
du grec, du latin restitue aux textes sacrés leur sens primitif ;
le lucratif commerce du purgatoire bat de l'aile, et la caisse
des âmes en peine risque de se trouver vide avant peu ; le ca-
rême se révèle à maintes gens comme une superstition suran-
née, et bientôt les prélats italiens ne seront plus les seuls à bouf-
fer, en temps défendu, la viande de chevreau aux cardons...
Oui, le règne du pape touche à son terme. Un orage menace
Babylone. Votre tyrannie s'écroule et s'efface, patcr sancte !
D'amples événements se préparent, et il n'y aura pas besoin,
pour y assis+er, de \ieillir autant qu'un patriarche : il suffira
d'atteindre « l'aage d'un veau ».
321. Cette espérance console, soutient le poète, l'incite à se
résigner aux chagrins de l'heure présente.La mélancolie, cepen-
dant, tisse quelques fils en cette trame si brillante, et affleure,
discrète, çà et là. Clément regrette ses années d'enfance, si peu
fécondes à cause de l'ineptie de ses régents ; il se demande s'il
n'a pas eu tort de consacrer sa vie presque entière à un roi qui
oublie, sans motif valable, une longue et solide fidélité ; plein
de gratitude lorsqu'il paile de
la fille au roy Loys
Qui le reçoit quand on le chasse,
il se plaint « des froidz amys » qu'il a en France, s'étonne que
personne ne travaille à son rappel, se croit négligé, presque
trahi. En cela il se montrait injuste : plusieurs de ses confrères
déploraient son absence, et souhaitaient hautement qu'on mît
fin à son exil. Mais rester équitable dans le malheur, qui le
CLÉMENT jMAROT ET SON ÉCOLE 223
pourrait ? Cet effort exige un complet stoïcisme. Et puis Marot,
ce semble, visait quelqu'un, son ancien protecteui, Jacques
Colin, qui n'avait pas osé, étant courtisan et appliquant la
règle primo mihi, défendre un homme tombé en disgrâce.
322. Autant de raisons, pour le banni, de ne plus retrouvei,
en éciivant, l'inaltérable joie de jadis. Les teintes grises et les
coins d'ombre, qui, dès cette heure, atténuent la gaieté de ses
facéties, iront s'élargissant de jour en jour, et nous le verrons
se plaire davantage aux pièces graves, réfléchies, travaillées.
Plusieurs de celles qu'il rima à Ferrare sont de cette espèce.
En voici quatre qui ont beaucoup de valeur et d'intérêt : I.
Épistre perdue au jeu contre Madame de Pons. La première
partie de cette épître glorifie le « bon sçavoir », l'âme indulgente
et douce d'Anne de Parthenay, « l'une des neuf Muses », la
sœur de Minerve, une vraie nymphe. Ce sont là, dira-t-on, des
airs connus, les vieux refrains du panégyrique. Sans doute :
mais les louanges sont, ici, méritées ; on sent que l'auteur ne
ment pas, qu'il admire cette femme de cœur, la providence des
exilés, des libres esprits. Si les images et les termes sont usés,
l'accent les rajeunit, les relève, et nous devinons, sous la bana-
lité de l'hommage, le respect sincère qui l'a dicté... La seconde
partie; au contraire, est, pour l'époque, entièrement nouvelle.
Marot, chose rare, y exprime une idée purement lyrique ; il
se montre poète au sens exact et moderne de ce mot ; il s'aban-
donne à un lève qui l'entraîne loin de la prose et hois du pré-
sent. Évoquant une scène qui se passera après sa mort, il assiste
à sa gloire, en jouit d'avance. Lui disparu, ses vers resteront :
des lèvres amies se plairont à les réciter, et la tombe, par là,
sera vaincue en même temps que l'oubli.
323. IL Avant naissance du troisième enfant de Madame la
duchesse de Ferrare. Ce troisième enfant, encore à naître, vien-
dra au monde le i6 décembre 1535, s'appellera Lucrezia d'Esté,
et épousera plus tard François-Marie de la Rovère, duc d'Ur-
bin. Mais Marot ignorait, lorsqu'il prit la plume au mois de
juillet, s'il devait promettre à la terre un héros ou une héroïne,
et il s'est tiré d'affaire en proclamant que celui ou celle qu'on
attendait pouvait sortir hardiment « du royal ventre », vu que,
à ce moment-là, s'ouvrirait enfin l'âge d'or. Rien n'est aussi
touchant que cet optimisme, et les malheureux seuls, décidé-
ment, conservent l'illusion jusqu'au bout. Déraciné, errant
comme Œdipe, persécuté et pauvre, séparé des siens, Marot
garde la foi, annonce que tout ira bien, montre du doigt l'étoile,
et crie Noèl l Son histoire, certes, ne l'invitait pas à tant d'es-
poir, et chacun demandera : pourquoi donc croyait-il à l'excel-
224 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
lence des temps futurs ? Alléguer qu'il a simplement voulu imi-
ter la sublime églogue virgilienne où se trouvent annoncés une
seconde genèse, le magnus saeclorum ordo, ce serait mal répon-
dre. Il suit, j'en conviens, Virgile de près : mais les éléments
qu'il lui emprunte, il les rend siens, il les traite à sa manière,
il les adapte aux faits et aux doctrines du jour. Le panthéisme
de la Renaissance, son culte de la nature, son besoin de joie et
de lumière éclatent dans les vers où, s'adressant à l'enfant que
porte la duchesse Renée, le prophète lui dépeint, avec de sobres
et larges gestes, la magnificence de l'univers. Que tardes-tu ?
La création est si belle ! Elle charmera tes yeux, et tu contem-
pleras en extase 1' « ornature » de la terie, la mer et son « grand
tour », le ciel qui se courbe, plein de clarté, d'harmonie, et dont
la voûte embrasse tout... Voilà le païen, le néo-grec. Et voici
à côté, inséparable, l'homme de la Réforme : Hâte-toi, enfan-
çon ! La vie n'est plus telle que nous autres, hélas, nous l'avons
connue. A présent l'Ignorance, mauvais ange artisan de folie
et semeur d'ivraie, cède la place à dame Vertu ; longtemps
prédit et sans cesse différé, le règne de Christ s'impose enfin.
Jésus nous protège, « vainqueur et triumphant » ; la mort, dé-
sormais, n'est plus la mort... Ainsi discourt l'apôtre après l'hu-
maniste. Et le courtisan se taira-t-il ? Non. Se levant à son
tour, il offre une palme au loi. Ne faut-il pas, pour rentrer en
France, désarmer cet orgueilleux ? Et comment l'adoucir sans
le flatter ? Marot, en conséquence, le range parmi les meilleurs
ouvriers du progrès. Sous ce prince, dit-il, et par ce prince, les
lettres et les arts, jusqu'alors flétris, méprisés, vont s'épanouir
derechef et jeter beaucoup d'éclat.
324. III. La première épître que, de Ferrare, Clément a en-
voyée à François P^ est aujourd'hui classique, mais plus lue,
il me semble, qu'étudiée. Elle mériterait qu'on l'examinât avec
méthode, qu'on en fît voir la solide structure, l'adresse insi-
nuante et le point faible. Nous avons là moins une épître qu'une
apologie. L'auteur veut prouver qu'il ne fut pas coupable, et
qu'on devrait, par suite, le rappeler. Sa fuite n'était pas un
aveu. Il ne se reproche rien. Des torts, il n'en a aucun, mais il
a, en revanche, des ennemis : les magistrats, les « sorboniqueurs ».
Faut-il qu'il rougisse de s'être attiré leur haine ? Nullement.
S'ils détestent le poète, ces gens-là n'aiment pas le roi, lui sont
hostiles, le servent mal. Jamais la Sorbonne ne lui pardonnera
la fondation de l'Académie trilingue, la liberté accordée aux
sciences, la dispersion des ténèbres au centre desquelles l'im-
posture trônait, le désir, en somme, de rendre la France plus
reluisante que la Rome d'Auguste. Concluez que ces prêtres du
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 225
mensonge otit une dent contre Marot parce qu'il pense comme
son maître... Quant aux juges de Paris, ces juges aux longues
griffes, pillards et paillards, ils gardent au peintre de l'Enfer
une rancune qui va s'exaspérant, et ne cherchent, malgré son
innocence, qu'à le traiter en criminel. De là, ajoute Clément, à
m 'impliquer dans l'affaire des placards, à me compter parmi
les fous qui causèrent ce scandale, il n'y avait qu'un pas. Rha-
damante l'a franchi, et moi, alors, certain de périr si j'étais
pris, je montai à cheval et m'en allai. Mais suis-je parti en sujet
rebelle ? Ai-je trahi mon souverain, ma patrie ? Ai-je demandé,
mon bon seigneur, asile à tes adversaires ? Non pas. Forcé de
te quitter, toi et mes « enfants petits », j'ai couru d'abord vers
ta sœur, vers cette Marguerite à qui, autrefois, tu m'avais toi-
même donné, puis j 'ai servi, passant les Alpes, une « humaine »
princesse « de ton cler sang », Renée de France, « ta belle sœur
et cousine germaine ».
325. Ni la vigueur ni la logique ne manquent à ce plaidoyer,
et l'avocat, appuyé solidement sur la raison et la vérité, paraît
jusqu'ici gagner sa cause. Mais la question essentielle n'a pas
été abordée encore, et il est évident qu'on va dire : Soit ! Nous
accordons que vous n'avez ni affiché les placards ni pactisé avec
l'étranger. Nous vous en donnons acte. Mais, cela posé, reste
à savoir enfin qui vous êtes. Expliquez-vous ; confessez votre
foi ; cessez de cachei votre bannière, et déclarez par oui ou par
non à quelle Église vous appartenez. Il ne s'agit plus d'imiter
la chauve-souris de la fable. Servez- vous la Réforme ou bien
le catholici.sme romain ?,.. Mis de la sorte au pied du mur, le
poète se trouve dans un embarras cruel. Tout son avenir dépend
de la réponse qu'il fera. S'il s'avoue expressément luthérien,
il se ferme les routes qui ramènent en France, se condamne à
ne plus revoir sa famille et à mourir en exil ; si, au contraire,
il se prétend orthodoxe, il s'aliène Renée et sa cour, et doit
aussitôt quitter le toit qui l'abrite pour l'instant. Des deux
côtés, angoisse, incertitude et péril. Quel parti prendre ? Com-
ment naviguer entre de tels écueils ? La solution la plus franche
eût été, peut-être, la plus habile. Mais Clément n'eut pas le
courage de son opinion ; il essaya de louvoyer et voulut se tirer
en Normand de ce mauvais pas.
326. Moi, écrit-il à François I«i" [v. 87-102], je ne suis pas
« lutheriste ». Ce sont les (( grandz loups rabis », les cagots, les
cafards qui ont, pour me perdre, fait courir ce bruit. A quel
titre, s'il vous plaît, regarderais- je Luther comme un dieu ?
Ai-je été baptisé au nom de Luther ? Est-ce Luther qui, cloué
sur la croix, a racheté mes péchés et ceux du monde ? Non.
Clémenl MaroL et son écule 15
226 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Je ne dois rien à Luther ; je ne suis pas le fils de Luther. Je suis
l'un des enfants du médiateur grâce auquel le Père exauce les
prières des hommes, et qui a contraint l'ange et le démon à
plier le genou. Je n'adore, en somme, que l'Étemel et que Jésus.
Et voilà tout mon credo... Cet éclaircissement, qui a l'air si
décisif et que l'auteur donne sur un ton fort grave, est au fond
une pure plaisanterie, une façon de mystifier les gens. Répondre
ainsi, c'est ne rien répondre. D'une part, les protestants n'a3'ant
jamais prétendu que Luther fût un messie, on peut lui dénier
cette qualité sans s'écarter de leur doctrine. D'un autre côté,
lorsque Marot divulgue les articles positifs de sa foi, il se borne
aux points qui sont communs aux deux Églises, car leurs diver-
gences ne portaient ni sur la toute-puissance du Père ni sur la
divinité de Christ devenu, par sa passion, un lien entre le ciel
et la terre, la main qui reçoit d'en haut puis transmet la grâce
ici-bas. Que si le poète avait réellement voulu découvrir au roi
le fond de son âme, s'affirmer catholique ou Réformé, il eût,
au lieu de proclamer ce que professent tous les chrétiens, ex-
primé son avis sur les choses qui les divisent : le culte de la
Vierge, la transsubstantiation, le purgatoire et les indulgences,
la messe et sa liturgie, la confession auriculaire, l'iconolâtrie,
le monachisme, la cro3'ance en l'intercession des saints... Mais
de ces problèmes, les seuls qui, dans l'espèce, fussent impor-
ants, Clément n'a pas soufflé mot. Sa tactique a consisté à
dire ce qu'on ne lui demandait pas, à ne pas dire ce qu'on atten-
dait, et il s'est figuré que, par ce m.oyen, il pourrait, n'ayant
contristé personne, garder un pied dans chaque camp.
327. Qu'il était loin, pensera-t-on, d'imiter les martyrs, ceux
qui achetaient si cher le noble titre de témoins ! Quel pateli-
nage hypocrite ! Quel défaut de franchise et d'énergie !... Oui
et non. C'est uniquement dans notre théâtre classique qu'on
trouve des caractères tout d'une pièce. La vie n'en produit guère.
Marot, jele répète, est diflicile à saisir, compliqué, instable etplein
de surprises. Il faut, pour le juger, plus d'un poids et plus d'une
mesure : sans cesse il déconcerte la louange et, pareillement,
échappe au blâme. En cette même épître, par exemple, où, fin
renard courtisan, il tâche de ne pas froisser le maître, de ne rien
écrire de trop précis et de se sauver au moyen d'excuses ambiguës,
nous le voyons [v. 103-122] adresser au ciel une oraison fer-
vente, une manière d'élévation, consentir soudain à monter,
s'il le faut, sur le bûcher, et former le vœu de conserver, parmi
les tourments, assez de force pour ne pas renier Celui <( en qui
seul gist toute sa fiance )>. A ce moment il oublie le roi, et lors-
que, sa prière finie, il se tourne vers lui de nouveau, il ne craint
CLÉMKNT .MAKOT ET SON ÉCOLE 227
pas de dire : Je pensais ailleurs. Traduisez : à un roi plus roi
que vous, au vrai Seigneur, le mien et le vôtre. Ces mots Je
pensais ailleurs, qui abaissent le sceptre devant l'autel, ne sont
pas d'un valet, mais d'un homme libre, ma:s d'un chrétien.
Et nous lisons plus loin [v. 186-190] un autre passage coura-
geux. Parlant de ceux qu'on avait, à cause des placards, livrés
aux flammes. Clément s'indigne et s'attendrit. Ils valaient
mieux que moi ! s'écrie-t-il, puis il ajoute aussitôt que le sup-
plice de tant d'innocents a scandalisé le monde entier, et que
« mainte nation », saisie d'horreur, « en est tombée en admira-
tion ». Or, ce massacre, qui l'a voulu ? François I^^" lui-même.
C'est donc lui que condamnent ces vers émouvants. Leur au-
teur, s'il avait écouté les conseils de l'égoïsme, aurait dû ou
se taire ou accabler les victimes de la tyrannie : il a préféré ne
pas trahir ses frères et s'exprimer selon la justice.
328. IV. Parfois sincère, parfois embarrassée, cette lettre
n'était pas de nature à avancer beaucoup les affaires de l'exilé,
et il n'avait pas le droit de croire que, grâce à elle, on le rap-
pellerait avant peu. Il lui laudra revenir à la charge et envoyer
d'autres épîtres. Vers la fin de novembre 1535, il écrit de nou-
veau au roi qui, après avoir été assez malade à Dijon, avait
annoncé, par Antoine Macault, son rétablissement à la duchesse.
Marot célèbre cette guérison, dépeint la joie qu'elle lui donne,
celle, aussi, de Renée et de l'enfant qu'elle porte en son sein.
« De grant plaisir » il sautelle « la dedans ». Mais la pièce n'a
pas été conçue pour les flatteries qu'elle renferme. Elles ne sont
qu'un prétexte, et le poète désire, au fond, faire savoir deux
cho.^es qui le concernent : d'abord qu'il serait heureux de voir
ses gages passer les monts et le rejoindre à Ferrare ou la pau vieté
risque de le réduire à néant ; puis, aussi, qu'il n'a pas perdu l'es-
pérance de rentrer à la cour, d'être accueilli encore par Fran-
çois I^^^ et de le servir comme naguère. Et même mieux ! A présent,
dit-il, la langue italienne m'est familière, et mon prince pour-
rait m'employer non pas seulement comme homme de lettres,
mais « en affaire », aussi bien à l'étranger que chez nous, en
temps de paix ou en temps de guerre. Il se déclare propre à
tous les ofhces, et s'offre, au choix, en qualité de rimeur, d'érudit
ou de diplomate. Mon âme, afïirme-t-il, n'est pas aussi laide que
le prétendent mes ennemis. Je ne ressemble ni aux Turcs ni
aux Juifs. M'étant miré, Narcisse chrétien, « au cler ruisseau
profont de vérité », je n'ignore pas ce que je vaux. Craignant
Dieu et fidèle à mon roi, je suis de ceux qui s'acquittent en
conscience des charges qu'on leur confie. Reprenez-moi, sire, et
vous verrez...
228 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
329. Cette insistance s'expliquerait mal si Marot s'était senti,
à Ferrare, solidement établi, sûr du lendemain et hors de dan-
ger. Mais il s'en fallait qu'il en fût ainsi. Plus le temps passait,
plus devenait précaire la situation de ceux et de celles qu'ai-
mait et protégeait la duchesse. Ouvertement dévouée à la France,
luthérienne de cœur et hostile à Rome, elle s'attirait, chaque
jour davantage, la défiance et même l'aversion d'un mari par-
tisan de Charles-Ouint et papiste. Persuadé, je l'ai dit, que sa
femme lui eût fait une opposition moins résolue si M"^^ de Sou-
bise n'avait pas jeté de l'huile sur le feu, il méditait depuis
un an le renvoi de cette active personne et de ses filles. Déjà,
en juillet 1535, Jean Du Bellay avait dû intervenir et tâcher,
lors de son passage à Ferrare, de rétablir l'harmonie dans cette
cour si troublée et d'amener Hercule d'Esté à souffrir la pré-
sence de la meilleure amie de Renée. Du Bellay parla avec force.
François I^^ lui avait enjoint de ne pas laisser ignorer au duc
que, au cas « ou il o'oublieroit jusques la que d'accomplir sa
délibération et d'oster a ladicte dame ses serviteurs », le roi,
loin de permettre « une telle injure », en éprouverait de l'indi-
gnation et s'en ressentirait clairement. Cette menace non dégui-
sée, l'influence, en outre, de l'ambassadeur Jean de Langeac,
évêque de Limoges, produisirent quelque effet, et Hercule cessa
d'exiger le départ immédiat de Michelle de Saubonne. Mais il
demeurait, au fond, bien décidé à se débarrasser d'elle, et, au
printemps de 1536, il lui ordonna de s'éloigner. Elle s'en alla
le 20 mars. Sa fille. Renée de Parthenay, repassa les Alpes avec
elle. Quant à M^ûe de Pons, quoiqu'on la trouvât « pire que sa
mère », elle ne quitta, semble-t-il, l'Italie qu'un peu plus tard.
330. Plein de chagrin, de regrets sincères, Marot, à l'heure
des adieux, offrit à chacune des deux voyageuses une jolie épî-
tre, tendre et déférente. Que de choses hardies il aurait pu ex-
primer ! Sa propre rancune contre le duc et tout le parti anti-
français, la douleur de la duchesse maintenant privée de ses
confidentes, l'angoisse de ceux qui, suspects comme elles, ris-
quaient d'être chassés à leur tour, voilà les thèmes que, dans
la circonstance, il eût été naturel de traiter. Mais le poète ne
les aborde pas. Il attend et se réserve. Le vrai tableau de la
situation, c'est à Marguerite qu'il l'enverra, et non à M™^ de
Soubise qui connaît mieux que nul autre la situation et n'a plus
aucun moyen d'agir. Clément, en conséquence, ne lui adresse
que des vœux et des compliments. Il ordonne au soleil d'éclai-
rer la route, à la bise de ne pas souffler, à la belle saison de repa-
raître, aux torrents de ne pas arrêter la « dame prudente » qui,
après avoir vécu « tant d'ans » loin de sa maison, va y chercher
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
229
le repos. Que Dieu l'accompagne sur les chemins ! A mesure
que la distance s'accroît entre ses amis et elle, les cœurs se ser-
rent davantage, et les larmes coulent plus abondantes. Cette
femme si chère à la reine Anne puis à la noble et douce Renée,
Marot ne l'oubliera point, et ne cessera jamais de la bénir. N'a-
t-elle pas été sa providence, celle de son père, le pauvre Jean,
la patronne de tous ceux qui cultivent les « arts liberaulx » et,
par exemple, du nouvel Homère, « Jean Le Maire Belgeoys ' ?
331. L'affection, le respect, une touchante gratitude éclatent
en ces vers où soupire une tristesse voilée. Mais l'épître à Renée
de Parthenay est d'un ton moins sérieux. On devine que l'au-
teur, parlant à une jeune fille qui avait devant elle toutes les
joies et toutes les illusions de l'avenir, s'est efforcé de sourire.
Pourquoi nous quitter ? demande-t-il. Je crains qu'on ne se
moque de vous. Les gens diront ou bien : Elle a passé l'âge'de
courir ainsi après sa maman ! ou encore : Elle a tellement peur
de ne pas trouver un mari ici qu'elle affronte, afin de décou-
vrir un épouseur, le verglas, la neige, les loups « et les soul-
dardz » bien plus cruels que les loups... « Ha, Parthenay, ne
partez pas ! »
332. Prière inutile : les coffres étaient « ja prestz », et la li-
tière devant la porte. L'heure des adieux sonna, et ils furent
déchirants. Renée de France, inconsolable, s'enferma dans un
petit cabinet, refusa, déclare un témoin oculaire, de paraître en
public, et s'obstina longtemps à ne pas mettre le pied dehors.
Elle avait, outre sa peine de cœur, un pesant souci et même de
l'effroi. Elle se voyait, maintenant, presque à la merci de ses
serviteurs italiens, et, se rappelant que son mari descendait,
par sa mère, des Borgia, elle redoutait le poison. C'est une chose
très étrange que Marot ait osé raconter en termes nets, sans
nulle précaution ni périphrase, cette grande infortune, cette
anxiété. La noire peinture qu'il en a faite se trouve dans une
manière d'épître (mais divisée en stances) qu'il envoya à la
reine de Navarre. Il n'aurait pu s'adresser mieux. Le sort de
Marguerite, au poison près, avait quelque analogie avec celui
de la duchesse. Pareillement haïes à cause d'une foi sembla-
ble, elles luttaient, en des milieux différents, contre des enne-
mis communs ; l'une et l'autre, parce qu'elles auraient voulu
servir la politique française, s'aliénaient par là une partie de
leurs sujets, et toutes les deux, quoique à divers degrés, lan-
guissaient, au foyer conjugal, parmi les reproches et les orages.
Les souffrances de Renée, Marguerite ne les connaissait que
trop, et elle pouvait, en la consolant, citer le vers : Nonjgnam
mali... Ajoutez que la sœur du roi, capable, à certains moments,
230 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
de l'émouvoir et de le conduire, avait des chances d'obtenir
de lui qu'il persévérât à aider la pauvre princesse lointaine.
333. Qu'elle est donc à plaindre ! s'écrie Marot. Transplantée
« en terre estrange », elle n'y mange que poires d'angoisse, et
mêle ses larmes au vin qu'elle boit. Au temps jadis, Hélène,
enlevée par son amant, n'eut qu'à se louer de lui. Mais cela
prouve, aux dépens de la morale, qu'il }' a parfois moins de
dévouement et de tendresse dans le mariage que dans l'adultère.
Le duc, la jugeant trop française, persécute sa femme. Déjà
séparée par la masse des Alpes de ceux qui voudraient la secou-
rir, de vous autres, François et Marguerite, saints qu'elle invo-
que à tout moment, il faut, de plus, qu'elle se laisse arracher
les serviteurs qui l'ont sui\àe ici, les seuls qui l'honorent et
qu'elle estime. Telle une poule à qui, après lui avoir ravi ses
poussins, on bouterait scorpions dessous l'aile. Quels scorpions ?
Les domestiques choisis par Hercule, les « bailleurs de bouc-
cons ». Réduite au rôle de « petite signore », la fleur de lis, la
dame insigne devra les accepter bon gré mal gré. Que devien-
dra-t-elle si sa famille et sa patrie ne l'assistent ? O roi, con-
clut Marot, tu es son cousin, son frère, son père. Si tu ne te
jettes pas entre elle et son tyran, on la croira aussi exilée que
moi, et elle risque, « quelque demain », de mourir « sèche et
ternie ».
334. Nous lisons, dans la douzième strophe de ce poème, que
les Français aux gages de la duchesse doivent s'attendre, même
les plus humbles, à être traités comme Michelle de Saubonne.
Ainsi s'expliquent 1' « angoisseux esmoy » dont l'auteur parle
un peu plus loin et les supplications qu'il adresse à la reine
de Xavarie afin qu'elle travaille à son rappel. Il pressent que
bientôt la place ne sera plus tenable, et qu'on l'obligera à fuir
encore. De fait, les choses ne s'arrangeaient guère dans la pe-
tite cour divisée, et même elles se gâtaient de jour en jour.
M°ie de Soubise venait à peine de s'éloigner lorsque se produisit
un nouvel et grave incident, provoqué (et là était le péril) par
l'un des familiers de Renée. Les textes oii il figure le nomment
Jeannet ou Zanetto : mais son nom authentique, son nom com-
plet était Jean de Bouchefort. Clerc du diocèse de Tournay,
chantre de la chapelle royale et, non sans cause, suspect d'hé-
résie, il avait cherché, après le drame des placards, un refuge
en Italie. Bien reçu, employé par la duchesse (il touchait, cha-
que mois, vingt livres huit sols), il s'était engagé à rester tran-
quille et à ne donner aucun scandale. Mais cette promesse fut
mal gardée. Le vendredi saint, 14 avril 1536, Jeannet, assis-
tant à un office dans la principale église de Ferrare, se leva sou-
cl'j:ment m.\f<ot et son école 231
dain au moment où le prêtre présentait aux fidèles l'ostensoir,
puis s'en alla haussant l'épaule, en homme qui n'avait nulle
honte « di despregiare et di tener poco conto de la fede di Chris-
to ». Là-dessus, colère, tumulte. On s'indigna, on cria au sacri-
lège. Le coupable fut, par ordre de l'inquisiteur, arrêté le soir
même et mis sans retard à la question. Renée eut peur, et de-
manda à François I^"^ d'intervenir. Georges de Selve, évêque de
Lavaur et ambassadeur à \^enise, réclama le prisonnier. Her-
cule d'Esté ne voulut pas le rendre, et, non content de ce refus,
il fit incarcérer, comme trop dévoué et trop adroit, un certain
Jean Cornillau, secrétaire et trésorier de la duchesse.
335. Je renonce à suivre, en leurs complications ultérieures,
ces deux affaires connexes. Renée, multipliant les messages et
négociant contre son mari, remua ciel et terre, et mit en ligne,
pour le salut de Cornillau et de Jean de Bouchefort, une cohorte
d'éminents personnages. Montmorency, le cardinal de Tour-
non, le cardinal Trivulce, Georges d'Armagnac, évêque de Ro-
dez, Marguerite de Navarre et — qui l'aurait cru ? — le pape
lui-même collaborèrent à la délivrance des captifs. Le duc, après
une belle résistance, succomba sous le nombre et dut céder.
Envoyés, au mois d'août, à l'ambassadeur de France à Venise,
les accusés repassèrent les monts. Cornillau, quoique éloigné
de sa patronne, resta à son service ; Zanetto, redevenu Jeannet,
trouva moyen de rentrer dans la chapelle de François l^"^, et
toucha, en juin 1537, ses gages de 1535 et de 1536, parce que,
expliquait-on, il avait été « omis » sur les états de l'hôtel. Ainsi
on pouvait dire, en ce qui le concernait : tout est bien qui finit
bien... Oui, mais son attitude à l'église, durant l'office du ven-
dredi saint, quel préjudice elle avait causé aux luthériens fran-
çais de Ferrare ! La réprobation qu'il méritait seul s'étendit
sur l'heure à chacun d'eux. Ce qu'il avait fait, les autres, pen-
sait-on, auraient aimé à le faire, en sorte que la prudence vou-
lait qu'on les traitât comme lui. Marot, plus en vue et, donc,
plus exposé que le reste de ses compatriotes, récolta les ran-
cunes si mal à propos semées. Une nuit, des gens armés l'atta-
quèrent dans la rue, le battirent, le blessèrent peut-être [M.
165]. N'était-ce pas (c'est lui qui le demande à sa protectrice)
un « admonestement » de déloger ? Son premier mouvement
avait été un désir de vengeance. Pourtant, laissant à Dieu le
soin de punir ses agresseurs, les couards manants de Ferrare,
il se résigna (fin mai ou juin) à partir, et choisit Venise comme
résidence.
336. Pourquoi Venise ? Parce que les Vénitiens ne deman-
daient pas compte aux étrangers de leurs opinions ni de leurs
232 CLÉMENT MAROT ET SOX ÉCOLE
croyances. I.a vie étemelle les tourmentait peu, et il leur pa-
raissait: plus utile de prospérer en ce monde-ci que de discuter
les moyens d'être heureux après la mort. Les inquiétudes, les
passions des spiritualistes ne tioublaient en rien ces marchands.
Le gain, les joies positives, celles que procurent le luxe, le lucre,
voilà ce qu'ils aimaient, et, fuyant le mysticisme qu'ils esti-
maient improductif, ils l'excusaient, le toléraient chez les autres
comme une douce manie sans conséquence. Pourvu qu'on res-
pectât le secret de ses conseils et les ambitions de son négoce,
la sérénissime république permettait aux voyageurs et aux mé-
tèques, qu'ils fussent pour ou contre le pape, d'entrer et de
s'étabhr. Seul Caraffa, le futur Paul IV, a^ors légat pontifical,
se plaignait de cette indulgence, et dénonçait les suspects. La
\nlle en abritait plus d'un, et l'on pouvait citer, notamment.
Paolo Vergerio, évêque d'Istria, et Antonio Bruccioli qui avait,
en 1534, publié une traduction de la Bible en italien. Puisque
\^enise souffrait leur présence, Marot avait le droit d'espérer
qu'on l'accueillerait aussi. Il prit donc congé de Renée de France,
et lui expo.- a, dans une épître, les trop bonnes raisons qu'il avait
de s'éloigner. Mais, ajoutait-il, où que j'aille, et quand même
ce serait au bout du monde, je n'oublierai jamais la princesse
qui m'a gardé en sa bergerie « lorsque les loups me vouloient
dévorer », et — 8U delà des monts, des plaines, de « la grant
mer » largement épandue v^ je continuerai à servir le beau lis
planté parmi les épines, l'ange qui règne sur des méchants.
337. Ce fut peut-être avec l'ambassadeur Georges d'Arma-
gnac, qui se trouvait en juin à Ferrare, que le poète partit pour
Venise. Arrivé dans cette \n]]e, il commença par la \àsiter,
puis, ayant résumé ses impressions dans une pittoresque et très
vigoureuse épître, il l'envoya (juillet 1536) à la duchesse Re-
née. Une épître, non ; un pamphlet plutôt. On ne saurait lire
ce texte sans se rappeler à l'instant l'un des meilleurs sonnets
des Regrets. Parlant des Vénitiens à Olivier de Magny, Joachim
Du Bellay se moque de ces « coyons magnifiques », de leur gra-
vifé, de leur faste, de leur « vi\Te solitaire ;>, des airs d'augures
qu'ils affectent en traînant leurs amples « robbes a grand man-
che » et de ce titre de maris de la mer qu'ils s'obstinent à por-
ter, comme si Thétis, en prodiguant ses faveurs au Turc, n'avait
pas fait d'eux, ouvertement, un peuple de " vieux cocus ». Marot
n'est guère plus indulgent : mais, parce qu'il s'adresse à une
femme pour qui le monde intérieur existe, ses critiques sont
d'une autre sorte. A la vérité, il ne songe pas à nier la splen-
deur de cette cité bâtie sur les eaux ; il admire ce qu'elle a d'é-
trange et de somptueux ; il salue en elle un chef-d'œuvre de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 233
l'industrie humaine, et s'étonne au spectacle de ce que peuvent
la patience et la volonté. Ni la place Saint-Marc, ni les canaux,
ni les palais, ni les chevaux de bronze, ni l'arsenal ne le lais-
sent froid, et il avoue qu'il n'existe nulle part un tel ensemble
de monuments, tant de merveilles créées pour ravir les yeux
et l'esprit... Oui, mais aux gens qui ont construit tout cela,
à ces banquiers, à ces armateurs si riches, il manque cependant
quelque chose : ils n'ont point d'âme, ou, du moins, ils ne sont
pas soigûeux de l'âme qu'ils ont.
338. L'exemple de Rome, « la paillarde meretrice », les a con-
duits à croire qu'd suffisait, pour gagner le ciel, d'édifier des
temples à grands frais, de dépenser beaucoup d'argent en théâ-
trales cérémonies et de multiplier, tout comme si l'on pouvait
figurer l'inconnaissable, les images de la divinité. Ainsi, retour-
nant au paganisme, les Vénitiens adorent le bois et le marbre,
brûlent de l'encens devant leurs idoles, et s'imaginent avoir
fait leur salut dès que, par des chants, des gestes et des « my-
nes )\ ils ont honoré, apaisé les fétiches. Erreur grossière ! Ils
ne savent pas, ces trafiquants, que leurs châsses, leurs tableaux,
leurs cathédrales sont des œuvres mortes, et qu'il n'existe qu'un
sanctuaire : le cœur fidèle. Quel abîme entre la foi et les rites !
On ne le voit que trop en cette ville où la piété ne consiste qu'en
signes. Les statues y reluisent, couvertes d'or, tandis que les
pauvTes gémissent tout nus dans la poussière. La vraie patronne,
la déesse éponyme d'une telle cité, c'est Vénus. Vénus, Venise.
Venise, comme Vénus, est sortie de la mer, et c'est pourquoi
la prêtresse de Vénus, la courtisane « esventée et publicque ->,
règne et triomphe à Venise où pei sonne ne tient compte de
la vertu ni de la pudeur. Ne cherchez donc pas, en ce milieu, « la
belle Christine % la jeune et chaste Église de Jésus, celle qui
ne porte ni crosse ni mitre, qui ne vend rien, ne prend rien, et
ne ment pas lorsqu'elle dit : Mon royaume n'est pas de ce
monde.
339. Voilà ce que, sûr de plaire à la princesse « deux foys
née », son ancien secrétaire lui écrit. En terminant sa lettre,
il la supplie de garder son souvenir, et nous arrivons ici à l'adieu
définitif. Les routes de la dame royale et du poète ne se croi-
seront plus, et ils vont, chacun de son côté et dans sa sphère,
souffrir longtemps encore pour la même cause. On sait, en effet,
que Renée mena jusqu'au bout ce qu'elle croyait être le bon
combat. Les deux partis en lutte se disputaient son âme, et,
tandis que les papistes l'invitaient à ouïr les homélies d'un pré-
dicateur qui s'appelait maître François, Calvin lui conseillait
(1541) de chasser au loin cet homme qui ne songeait qu'à « rem-
234 CLÉMENT MA ROT ET SON ÉCOLE
plyr son bissac », tournait « en farce » les choses saintes, et dont
les paroles et les serments n'étaient pas dignes de plus d'atten-
tion que n'en mérite « le chant d'une pie ». Ainsi démasqué,
maître François ne risquait pas de convertir la duchesse. Au
reste, ses convictions s'enracinaient et s'affermissaient de jour
en jour. Le 24 octobre 1542. écrivant à Henri Bullinger, « an-
tistes » de l'Église de Zurich, pour lui recommander Celio Se-
condo Curione, elle lui déclare expressément : Nous vous offrons,
à vous et à vos amis, Notre assistance, et voulons être prête à vous
servir. Souvent elle consulte Calvin ; elle le prie de lui envoyer
un bon ministre (ce fut François de Morel qui fut choisi) et
deux gouvernantes, deux veuves d'au moins cinquante ans,
mais de vraies veuves selon saint Paul [I. Tim., V, 3-16], « say-
nes et fortes,... sobres de parolles,... point caquetaresses »,
vêtues de serge noire, d' « honnestes robbes rondes a hault col-
let ». On se figure l'humeur d'Hercule d'Esté à la pensée de
voir débarquer cette duègne (Calvin n'en trouva qu'une) et ce
pasteur. Le ménage, on le devine, allait de mal en pis, et une
crise était imminente. Elle éclata le 7 septembre 1554. Ce jour-
là, poussé par Jules III et par Henri II, le duc fit arrêter sa
femme comme hérétique, la sépara de ses enfants, l'arracha à
son palais, et la tint captive au Vieux Château d'Esté. Il lui
fallut, pour sortir de là, consentir à un simulacre d'abjuration,
se réconcilier en apparence avec la messe, chose qui lui coûta
beaucoup et qui fut suivie d'un long repentir.
340. La mort de son mari affranchit Renée. Les chefs de son
parti auraient souhaité qu'elle restât à Ferrare : mais elle n'y
consentit point. Api es avoir quitté l'Italie (2 septembre 1560),
elle se rendit à Orléans où la cour était alors, puis, le 13 janvier
1561, elle se fixa à Montargis. Le manoir qu'elle y possédait
fut changé par elle en forteresse, et devint l'asile des persécu-
tés. Nulle maison, proclame Calvin, ne méritait mieux le beau
nom à' hôtel-Dieu. « Plus de trois cents bouches », au témoi-
gnage de Brantôme, étaient nourries là, et il s'y rassemblait,
aux heures sombres, « une infinité de peuple de ceux de la reli-
gion ». François de Lorraine, duc de Guise, gendre et ennemi
intime de Renée, songea, après la bataille de Dreux, à s'empa-
rer de sa belle-mère, et, « veuille ou non veuille », à la mener
ailleurs. Mais il ne réussit pas à l'effrayer, et elle le menaça de
monter la première sur la brèche et d'offrir comme cible aux
assaillants la poitrine d'une fille de roi. Le meurtre de ce même
duc de Guise (février 1563) excita en elle des sentiments con-
tradictoires : d'une part, loin de le regretter, elle voyait en sa
mort un coup du ciel ; d'un autre côté, l'esprit de famille, la
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 235
charité lui rendaient intolérables les imprécations des hugue-
nots qui vouaient à l'enfer, corps et âme, l'homme de Vassy.
Cas de conscience troublant. Fallait-il pleurer le gendre ou mau-
dire la mémoire du nouvel Hérode ? La pieuse duchesse recou-
rut à l'oracle de Genève. Laissez donc, répondit-il, le coupable
à son juge ! Prétendre qu'il soit damné, « c'est aller trop avant ».
Point d'anathèmes ni de prières ! Ne vous mêlez pas de la sen-
tence, et haïssez le crime, non le criminel. L'avis était sage, et
l'on aime à croire qu'il fut suivi... L'une des dernières lettres
de Calvin (4 avril 1564) est adressée à Renée. Elle mourut onze
ans après le réformateur, le dimanche 12 juin 1575.
341. Mais Marot attend à Venise, et il faut l'y rejoindre main-
tenant... Isolé en cette ville qui, nous l'avons dit, lui déplaisait,
il regrettait FeiTare, languissait mélancolique, et s'efforçait de
passer inaperçu. Néanmoins, bien que souffrant plus que jamais
de la pauvreté et de l'exil, il se faisait une loi, à certains jours,
de paraître content et de sourire malgré tout. Cette gaieté fein-
te, cet air de confiance s'observent, notamment, dans un coq-à-
l'âne envoyé, le 31 juillet 1536, à Lyon Jamet. J'ai déjà parlé
de cette pièce où le poète raconte d'une manière caustique et
enjouée [v. 136-162] sa fuite après l'affaire des placards. Le
reste de l'œuvre a moins de valeur, et j e ne vois que trois points
à signaler. D'abord, Clément accable sous un véritable déluge
d'invectives deux personnages qu'il ne nomme pas. Le premier,
« ce malheureux asnier », pourrait bien être soit Noël Béda, soit
plutôt l'abbé de Saint-Evroult, le maître de François Sagon ;
le deuxième, un « gros vilain marault », un « traistre plein de
vanité » et pire que Barabbas ou Judas, c'est l'auteur même du
Coupd'essay... On lit ensuite, aux vers 175-181, quelques mots
relatifs à l'invasion de la Provence par les Impériaux, et la
mention de cet événement amène enfin une raillerie froide et
de mauvais goût. Elle vise tous ceux qui risquent leur peau à la
guerre, et développe une idée malsaine : Fi de mourir pour la
gloire! (Et pour quoi mourir, alors ?) Conservons-nous ! ordonne
Marot. Le moindre petit boulet qui vous traverse le corps vous
met hors d'état « de j amais boyre », et, f ussiez-vous gentilhomme,
si vous recevez un bon coup sur l'œil, vous voilà borgne. L'ex-
cuse de celui qui débitait de tels propos, à la fois lâches et fades,
c'est que, vaillant lui-même et bien souvent téméraire, il se
bornait à traiter, en somme, un thème traditionnel. BasseUn
soutient, lui aussi, qu'il vaut mieux se remplir de cidre à l'au-
berge « qu'aller sur un rempart faire la sentinelle », et cette
laide sagesse d'ivrogne, Scarron, à son tour, la prêchera cvTii-
quement dans l'une de ses chansons.
236 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
342. Le coq-à-l'âne dont je viens de parler se termine par
un distique évidemment peu sincère :
C'est ainsi que Clément devise,
Vivant en paix dedans Venise.
Oui ne croirait, d'après cette phrase, que le banni ne demande
qu'à finir ses jours là où il est, puisqu'il jouit, à l'entendre,
d'une sécurité entière ? Mais pour comprendre à quel point
il s'en fallait qu'il se sentît heureux et tranquille chez les Véni-
tiens, il suffira d'opposer aux vers destinés à son ami Lyon
l'épître qu'il adressait, presque au même moment, à François
pr. Ici, tout change : le ton est pathétique ; l'auteur, contre
son habitude, ne risque plus la moindre plaisanterie ; il dépeint
l'abandon où chacun le laisse depuis sa disgrâce ; il cesse de
dire : je vis en paix, et, loin de nier sa nostalgie, il évoque les
paysages de France, il songe à sa « maison désolée » et à son
« petit et povTe parentage ». Ce sont déjà, avec un art moins
discret, moins accompli, les accents de Du Bellay. Celui-ci ne
se livrera qu'à demi ; le goût de la mesure, une instinctive pu-
deur l'empêcheront de nous dévoiler tout son chagrin, et ses
plaintes ne franchiront pas les bornes d'une mélancolie conte-
nue et surv^eillée. Marot, au contraire, tâche d'exprimer l'excès
de sa tristesse, la violence de ses regrets et de son désir, en sorte
que cette partie de la lettre s'élève au-dessus du style épisto-
laire et, par le mouvement et les images, se rapproche du lyrisme
et de l'ode.
343. Ah, soupire le poète, que n'ai-je le cheval Pégase, les
di-agons qui transportaient de ciel en ciel la magicienne Mé-
dée. les ailes de Persée ou de Dédale ! J'irais, je volerais droit
en France, et là,
Pendant en l'air, planant comme un gerfault,
je contemplerais les sites que j'aime, la terre de ma patrie,
mon roi, mon toit... Hélas, ce n'est qu'un rêve, un souhait d'en-
fant. L'exilé n'a pas d'hippogriffe ; les plumes de Dédale, il
ne les possède point, et, lié au sol, il ne saurait prendre son essor.
Oui donc, d'un coup de baguette, le changera en oiseau ? Fran-
çois 1er, pour opérer la métamorphose, n'aurait qu'un geste à
faire, qu'un mot à dire. Clément, ce mot prononcé, aurait le
droit de franchir les monts, et il arriverait comme une flèche.
Mais c'est trop prétendre, et il demande moins. Si on refuse
de le rappeler pour toujours, qu'on lui accorde, afin qu'il aille
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 237
voir ses enfants et mettre ordre aux choses qu'il a laissées en
souffrance, un sauf-conduit pour six mois. Ce n'est pas là une
grande faveur ; il n'aspire, cependant, à rien de plus. Je le crois
bien. Il n'ignorait pas que les six mois n'auraient jamais de
fin, qu'ils seraient suivis de six puis de six autres, et qu'on n'au-
rait pas le cœur de le contraindre, une fois rentré, à repartir.
344. Le sauf-conduit, en conséquence, était à ses yeux un
moyen subtil de reconquérir, sans bruit et par degrés, sa posi-
tion à la cour. Dès lors, on s'explique aisément l'importance
qu'il attachait à ce bout de papier, à cette « escripture » qui
lui aurait ouvert la frontière, et l'on ne s'étonne pas de le
voir, tant il avait peur de ne pas réussir, rimer une seconde
requête et la présenter au fils du roi. Mais, bien qu'elle vise le
même but, l'épître au dauphin François ne ressemble guère à
la précédente. L'adressant à un prince de dix-neuf ans, l'auteur
a voulu qu'elle fût joyeuse, et c'est avec désinvolture, sans
aucune plainte et sans aigreur, qu'il formule sa prière. Pour
que je puisse, dit-il, embrasser « mes petits Maroteaulx », plaise
à votre père de m 'autoriser à revenir, et s'il estime que six mois,
c'est trop, eh bien, qu'il me donne « demy an ». D'ailleurs, s'il
désirait absolument me garder, je ne refuserais pas, car on doit
obéir à son maître. Il n'aurait pas tort, allez, de me rendre ma
place auprès de lui : je suis tellement sage, maintenant ! Les
Lombards m'ont enseigné à me conduire... Et, de nouveau, il
parle comme parlera Du Bellay. Celui-ci, en deux sonnets acé-
rés, avoue qu'il n'a rien appris à Rome, sinon à affecter une
mine grave, à réprimer les effusions d'une âme libre et sincère,
à s'abriter sous le voile glacé de la politesse, à se retrancher der-
rière les vagues et fuyants E cosi, à accueillir chacun avec un
sourire et à « respondre de la teste ». Cette dernière expres-
sion, elle se trouve déjà chez Clément. « Je responds de la teste »,
déclare-t-il. A quoi il ajoute qu'il poltronise, qu'il ne prononce
un mot qu'après avoir réfléchi une heure, et que ni Dieu ni
la religion ne figurent plus dans ses discours. Un homme si
plein de circonspection, qui déguise « depuis un peu » sa pensée
et connaît à présent le prix du silence, n'apportera en France
aucun trouble. Ou bien il se taira, ou bien, s'il lui arrive de des-
serrer les dents, ce sera pour célébrer les fleurs de lis. Déjà il
médite « un œuvre exquis », des vers qui feront « vivre sans
fin » le roi et le fils du roi.
345. Perspective engageante. Mais, en attendant de vivre sans
fin, le dauphin François mourait à Tournon, le lo août 1536.
Se refusant à admettre que l'héritier du trône ait été, en quel-
ques jours et comme un simple mortel, enlevé par une pneu-
238 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
monie, la cour et le peuple aimèrent mieux croire qu'il avait
été empoisonné. Le chœur entier des poètes adopta cette hypo-
thèse émouvante, et lança contre l'assassin présumé, Sébastian©
de Montecuculi, mille imprécations en français et en latin. Ma-
rot ne resta pas en arrière, et composa, lui aussi, une épitaphe.
Elle est exactement ce qu'elle pouvait et devait être. « Fran-
çoys, filz de Françoys » y est glorifié suivant le rite : la nature
lui avait donné une haute taille ; il tenait du ciel « un esprit
bien posé » ; il eût été un excellent capitaine si un criminel,
obéissant à la volonté « d'autrui » (comprenez de Charles-Ouint),
ne l'avait pas occis méchamment. Il a perdu, à cause de ce
forfait, la couronne que son père lui aurait transmise : mais
cesse de pleurer, passant, car Dieu lui en offre une plus belle.
346. Son épître au dauphin étant devenue inutile, Clément
chercha ailleurs un appui, et pria sa providence ordinaire, la
très charitable INIarguerite, de tenter une démarche en sa faveur.
La lettre rimée qu'il lui envoya est, je pense, ce qu'il a produit
en sa vie de plus désolé et de plus sombre. Manifestement, il
est à bout de courage et de patience ; il pleure de vraies larmes,
et s'épuise, tout vibrant, à découvrir des images capables de
bien rendre sa tristesse. (( Plante esbranchée » que le vent du
malheur a jetée hors du joli jardin de France, il subit autant
d'épreuves qu'il y a de nuances, au printemps, sur la robe de
la terre. Ce qu'il a souffert depuis son exil, il le rappelle en quel-
ques vers rapides mais dramatiques, et se représente, non sans
frémir tandis qu'il réveille ce passé, tour à tour chassé de Blois,
puis de la maison de Marguerite, puis de la cour de Renée. Et
maintenant encore, et plus que jamais, que de douleurs ! Le
mal du pays, d'abord. Comment, né français, ne pas l'avoir ?
Les Allemands l'ont bien, et quoique tout manque chez eux,
le pain et la grâce, ils aspirent à rentrer dans leur patrie. L'ours,
le lion retournent avec plaisir à leurs cavernes, et chaque créa-
ture ressent, quand elle pense au sol où elle a grandi, <* ne sçay
quelle doulceur » invincible. Écoutez le sage Ulysse. A la nym-
phe qui lui promettait, s'il restait auprès d'elle, l'immortalité :
Non, répondait-il, je préfère Ithaque et ses cailloux, et pourvu
que, auparavant, j'aie humé l'air de mon île
Et veu de loing mon village fumer,
je subirai volontiers la loi commune, et descendrai content chez
les ombres.
347. Languir à l'étranger, passe encore ! Mais s'y trouver, de
surcroît, en butte à la calomnie, à la haine, c'est vraiment trop.
CLKMIiNT MAKOT ET SON ÉCOLE 239
Or, telle est, depuis qu'il court le monde, la destinée du pauvre
Clément. Une fatalité inexorable s'attache à lui et le persécute.
« Je vy en peine », écrit-il. Transi et plein d'épouvante, j'aper-
çois à chaque pas un péril ou un obstacle. Pleurs et plaintes,
voilà mon lot. Peurs et doutes ne cessent de m'assaillir. Tontes
les calamités fondent sur moi ; je ne sais plus qui je suis ni où
je vais, et succombe sous le faix de mes ennuis. Le sommeil
même, cette « grant médecine » qui procure aux autres des ins-
tants d'oubli, ne me donne, à moi, aucun repos. Mes songes,
prolongement de la cruelle réalité, abondent en images néfas-
tes. Sergents, huissiers, bourreaux se dressent, me cherchent,
me saisissent ; un cachot m'enserre, et j'en crois voir le mur
et les grilles. Si ce sont, au contraire, mes joies d'autrefois que
je ranime et me retrace en dormant, le contraste m'accable au
réveil, et ces aimables souvenirs du passé augmentent, aggra-
vent ma détresse présente... Cette page est belle. Et gardons-
nous de dire : littérature,... morceau à effet... Il n'y a là ni
mensonge ni exagération. L'inquiétude de l'auteur n'était que
trop fondée, car les Vénitiens, moins hospitaliers pour lui qu'il
ne l'avait espéré, commençaient à lui faire grise mine, à se dé-
partir, à son égard, de la tolérance dont j'ai parlé. Il signale
lui-même ce revirement. Ton serf (lisez cerf), explique-t-il à la
reine de Navarre, s'est en vain jeté, pour éviter la meute, dans
« l'estang salle » de Venise : les << chiens du Pau » viennent l'y
relancer ; il les entend déjà qui clabaudent, et ils le forceront
avant peu... Décidément, ce n'est pas en ItaHe qu'il trouvera
le salut. Il lui faut ou rentrer en France ou périr. Cela étant,
puisse Marguerite apaiser le roi et le résoudre enfin à « desban-
nir » le banni !
348. On notera que rien ne l'eût empêché de revenir, et mê-
me qu'il en aurait eu le droit depuis une année entière, s'il s'était
résigné à se reconnaître coupable d'hérésie et à se réconcilier
publiquement avec l'Église romaine. En effet, « l'ord chance-
lier )) Duprat étant mort le 9 juillet 1535, on l'avait — car tout
arrive — remplacé par un homme de bien, messire Antoine du
Bourg, et celui-ci avait signé, dès le jour de son installation
(16 juillet), le libéral édit de Coucy qui rouvrait les frontières
à tout exilé pourvu qu'il se fût, avant six mois, désisté de ses
erreurs. Marot aurait pu, en principe, se prévaloir de cette am-
nistie. Mais soit qu'elle lui parût cacher un piège, soit qu'il
préférât (hypothèse meilleure) sa misère actuelle à la honte
d'abjurer, il ne tint guère compte de l'édit, et travailla à être
rappelé sans condition. Divers motifs le poussaient à croire qu'il
aurait, s'il persistait, gain de cause : la colère de Fraaçois I^^
240 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
s'était calmée ; la reine Marguerite s'employait en faveur du
poète, et, malgré les attaques de Sagon, il conservait des par-
tisans. La voix publique le réclamait, et, parmi les gens de let-
tres, certains désiraient son retour. Tel Jean Visagier. Les ab-
sents, pour lui, n'avaient pas tort ; il courtisait le malheur,
s'honorait en l'honorant, et ne se lassait pas d'exprimer en
élégants vers latins sa solide et vaillante affection. Tantôt,
s'adressant à la duchesse de Ferrare, il la remercie d'avoir ac-
cueilli le « vates » gaulois qui fuyait « per gelidas Alpes » ; tan-
tôt il supplie le souverain de rendre « hune patriae, huic pa-
triam » ; ou bien il prête la parole à Clément, et celui-ci, en
deux brèves élégies dignes des Tristes et des Pontiques, s'appli-
que à prouver son innocence à Jean Du Bellay, au roi lui-même.
349. Ces témoignages de sympathie, ces protestations et d'au-
tres semblables, Marot, évidemment, ne pouvait les ignorer, et,
parce qu'il se sentait soutenu par l'opinion, il s'imaginait que,
de guerre lasse, on cesserait d'exiger qu'il se rétractât à son
retour. Mais il s'abusait, et tout porte à croire qu'on lui fit sa-
voir, en novembre 1536, que la voie était libre, qu'il n'avait
qu'à venir, qu'on le recevrait en enfant prodigue, étant, tou-
tefois, bien entendu qu'il faudrait abjurer coram populo. Alors
il accepta l'inévitable ; le plaisir de revoir sa famille, ses amis,
la France, la cour le consola en partie de rhumili9.tion qui l'at-
tendait ; il se décida à ne regarder que le beau côté de l'aven-
ture, et, célébrant « la bonté merveilleuse » du roi, il se mit en
route sans retard. La traversée des Alpes était, en cette fin
d'automne, rude et périlleuse. Mais, dans une épître au cardinal
François de Tournon, gouverneur, depuis le 10 octobre, du
Lyonnais, le voyageur affirme qu'il n'a « trouvé rien de dur »
aux chemins. Il se figurait, parmi la neige et malgré la froi-
dure, qu'un tiède printemps régnait ; les âpres roches lui sem-
blaient prairies, et les bruyantes eaux des torrents avaient, à
ses yeux, le charme des fontaines. Se reflétant sur la nature,
sa joie intérieure la transformait. Les ailes qu'il désirait na-
guère, vous auriez dit qu'il les possédait, et si grande fut sa
diligence que, dès les premiers jours de décembre, il arriva à
L3^on.
350. Là, il fut accueilli à bras ouverts par tous ceux qui
aimaient la poésie. Chacun le saluait comme le chef ou comme
le Maître ; on lui fit fête ; on l'entoura. Scève lui ouvrit sa de-
meure, le trouva bon compagnon, et, l'entendant chanter, après
boire, d'une voix agréable mais sans art, l'engagea à apprendre
la musique. Bonaventure des Périers le complimenta en prose
rythmée et rimée. Eustorg de Beaulieu lui envoya, pour ses
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 241
étrennes, un billet assez mal tourné, mais flatteur. « O homme
de vertu )>, y lisait-on, devant toi que " rage et fureur aguë » ont
voulu perdre, je m'incline très humblement. Attiré par la se-
crète affinité du malheur, Etienne Dolet, lui aussi, offrit à Marot
ses vœux de nouvel an, et lui souhaita — active, durable —
la bienveillance du roi. Quant au fidèle, à l'excellent Visagier,
il triomphait, et son allégresse était extrême. L'exprimer en
une seule pièce, il ne l'aurait pu, et il s'y reprit, selon sa mé-
thode, à plusieurs fois. Jamais il ne se fatigue d'applaudir en
répétant : Félix illa dies ! Il invite la Gaule à essuyer, main-
tenant, ses larmes ; il essuie les siennes, tresse des guirlandes,
et affirme qu'il faudrait être de pierre (saxeus) pour se refu-
ser à faire une ovation à Clément. Clément a du génie, et il est
un saint, le saint le plus saint qui soit au monde (nihil sanctius
711 orbe) : si donc vous regrettez son retour, ce n'est pas de l'exil
que vous êtes digne, mais de la potence et du biicher.
351. Ainsi, d'après Visagier, la ville de Lyon berçait, ré-
chauffait in tenero sinii l'hôte de choix, le grand homme. Mais
il n'en faut pas conclure qu'il fût complètement heureux. La
pensée de l'abjuration à faire devait rabattre son orgueil et
gâter sa joie, car il avait là en perspective une très odieuse
cérémonie. On sait que le pénitent, dépouillé usque ad canii-
siam, était contraint de restei agenouillé à la porte de l'église
tandis que l'officiant le frappait d'une longue verge et récitait
le psaume Miserere niei, Deus. La flagellation n'était peut-être
qu'un simulacre, mais combien cruel ! Mieux eût valu un réel
supplice... On s'explique bien, cela étant, que M. O. Douen,
qui voyait en Marot un apôtre, un confesseur, ait essayé de
prouver, avec un zèle ardent et pieux, qu'il n'avait pas consenti
à abjurer, et que jamais, par suite, la laide et si triste comédie
n'avait eu lieu. Vaine ingéniosité, peine perdue. C'était là, en
effet, nier l'évidence et contredire plusieurs textes formels.
352. J'en citerai quatre, i» Le Rabats du caquet de Marot.
On remarque, dans ce pamphlet, quelques venimeuses phrases
relatives à la manière outrageante dont le poète fut traité quand
on le rebaptisa en public. — 2^ Des reflexions sur cette même
scène. L'auteur, qui écrit en latin, laisse entendre que le repen-
tir de l'hérétique était joué, et il dépeint avec complaisance
le désespoir, la rougeur, la rage des luthériens niarotistes lors-
qu'ils virent o. leur dieu » prosterné aux pieds illustrissimi viri,
cardinalis Tiinionensis. — 3° Daté du 14 décembre 1536, un
billet du cardinal en question. S'adressant à Anne de Montmo-
rency, François de Tournon assure que Clément renonce à ses
erreurs passées, qu'il a « bonne envie de vivre en bon chres-
('.k-nieiit .Marot ot s"ii i-colu 10
242 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
tien » et qu'il mérite d'être bien reçu par le roi « après l'abju-
ration faicte ». — 4° Et si on demandait une preuve encore,
Marot en personne la fournirait. Elle se dégage, irréfutable,
d'un passage souvent allégué :
Va, Lyon, que Dieu te gouverne !
Assez longtemps s'est esbatu
Le petit chien en ta caverne,
Que devant toy on a batu.
Il y a là des allusions au plus haut point transparentes. Appli-
quant à son propre cas une expression iigurée (battre le chien
devant le lion), notre homme désigne par le mot lion les Lyon-
nais témoins de sa honte, puis avoue, confus et mélancolique :
le pauvre « petit chien », c'était moi.
353. Après cette réconciliation qui le laissait plus hostile que
jamais, moins sympathique et très amoindri, il voulut toucher
le prix du reniement, c'est-à-dire aller \dte à la cour, retrouver
sa place, ses gages, la faveur royale. Mais, pour qu'on ne l'accu-
sât point d'être ingrat, il résolut de payer, avant de se remettre
en route, l'hospitalité qu'il avait reçue, et composa [G. III,
551] les Adieux à la ville de Lyon, l'une des meilleures choses
qui soient sorties de sa plume. Le vers 36 de cette pièce nous
renseigne sur la direction qu'il comptait prendre, et nous an-
nonce qu'il partait pour Paris. Il y arriva à la fin de janvier
ou en février 1537. A peine débarqué, il rima son admirable
Dieu-gard à la court, dont la première phrase, vrai cri de triom
phe.
Vienne la moit quand bon luy semblera ! ...
rappelle le cantique de Siméon... Les vœux de Marot sont exau-
cés, et il déclare, mauvais prophète, qu'il a maintenant vaincu
la fortune, et que l'adverbité ne peut plus l'atteindre. Il salue,
avec l'enthousiasme de l'entière confiance et du bonheur, son
maître, « le plus doulx roy « du monde, le dauphin et son frère,
la France qu'il décore du titre éclatant de «ro3me sacrée », Mar-
guerite « pleine de dons exquis », toutes les dames, « (oute la
fleur de lys », tous ceux qui, pour cette fleur, combattent, veil-
lent, conseillent. A quoi il ajoute — pensée émouvante, noble
inspiration du cœur — que, n'ayant plus de haine ni de ran-
cune, il pardonne à ceux qui ne l'aiment pas, et leur tend la
main, à eux aussi... Comme la prospérité nous aveugle ! Le
poète, parce qu'il s'engage à être généreux, croit que ses enne-
mis désarmeront à leur tour. C'est le contraire qui se produira.
Sa joie, son indulgence vont les rendre implacables, et il devra
lui-même renoncer à la paix, lutter de nouveau, répondre aux
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 243
coups par des coups. Qu'y faire ? Nos meilleures intentions sui-
vent le flux et le reflux, le rythme de chaque destinée ; elles
reflètent le jour qui passe, et, selon qu'il nous traite bien ou
mal, la conscience les forme ou les oublie.
BIBLIOGRAPHIE ET REFERENCES
282-285. Bourgeois de Paris, 358, 379-386.
286. Ibid., 381. — G. I, 214-217 ; III, 298-300.
287. G. III, 302, 445.
288. G. III, 443-444. — Becker, op. cit., XLII, 113.
289. Id., ibid., iio. — G. III, 323-324. — M. 239,241.
290. G. III, 444-445. — M. 239. — G. III, 323, v. 25.
291. G. III, 312, V. 55-60. — 7^., ibid., 281-284.
292. Sur Renée de France consultez 1° Brantôme [Lalanne], Des Dames, VIII, 108 •
113 ; 2° Fontana, Renata di Francia, duchessa di Fer-rara. Roma, Forzani, 1 889-1 899.
Trois vol. ; 3° Emmanuel Rodocanachi, Une protectrice de la Réforme en Italie et en
France: Renée de France, duchesse deFerrare.PanSjOUendorf, 1896 ;4° E. Doumergue,
Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps. T. II (Lausanne, Bridel, 1902),
pp. 13 sqq.
293. On trouvera, dans les Ruisseaux de Fontaine (Lyon, 1555, pp. 46-48) une épitre
de Fontaine A madame Renée de France. La petite fontaine, écrit-il, vient de gravir
« maint mont » (absurde image !) « pour saluer ta hautesse ». Puisque les marchands
vont jusqu'aux Indes chercher des perles, mon voyage vers toi n'a rien d'étonnant.
Jésus a construit ici, par tes mains, un temple de pierre vive, plus beau, plus saint
que celui de Salomon. Qui ne voudrait visiter ce temple ?... A noter que le rimeur
s'approprie de son mieux les idées de la duchesse, et qu'il s'efforce de parler le patois
de Chanaan. — Sur Marot, secrétaire de Renée, cf. G. I, 232-233.
294. Jules Bonnet, Clément Marot à la cour de Ferrure, {Bulletin histor. et litt. de la
Soc. de l'hist. du Protestantisme fr., t. XXI, 1872, pp. 159 sqq.) — Michelle de Sau-
BONNE : G. III, 388, n, I et mon tome I, § § 359, 463. — Anne de Parthenay, Dame
DE Pons : G. III, 313, n. i ; Doumergue, Jean Calvin, II, 41-44. — Renée de Par-
thenay : M. 161-163.
295. J. Bonnet, op. cit., 164-166. — J. II, 234, n" XXIII. — Doumergue, op. cit.,
5 sqq.
296. Fontana, Renata di Francia, 1, 243.
298. G. m, 307-312.
300-316. I. Les blasons parurent d'abord, avec le recueil intitulé Fleurs de Poésie
françoise, dans la 2^ édition de V H écatomphile de Léon Battista Alberti ; Lyon, François
Juste, 1537. — 1 1. S'ensuivent les Blasons Anatomiques du corps femenin, Ensemble
les contreblasons, de nouveau composez, et aditionnez. Avec les figures, le tout mis par
ordre. Composez par plusieurs Poètes contemporains. Avec la table desdictz Blasons et
contreblasons. Imprimez en ceste Année. Pour Charles VAngelier. 1550. — III. Méon,
Blasons, poésies des XV' et XVI^ s., imprimés ou mss. ; Paris, 1807. — IV. Blasons
anatomiques du corps féminin, publiés sur l'édition de 1550 avec un avant-propos, des
notes et un glossaire par le bibliophile Ad** £*** ; Paris, Sansot, 1907. (Je me suis servi
de ce dernier texte, et c'est à lui que je renvoie.)
Z^\. Blasons (1907), pp. 15, 20, 23, 26, 29, 33.
302. Ibid., 18, 19, 22, 40.
ifSZ.Ihid., 38, 69, 71, 77. — Œuvres poétiques de J. Pelcticr du Mans (édition Séché),
p. 115. Peletier a composé aussi {Ibid., 118) un Contrcblason du cueur qu'il a soumis au
jugement de Marot : « Te plaist il bien, Marot, en ceste forme ? »
244 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
3C4 . G . III, 400-409. — Sur Maurice Scève et son blason du Sourcil, cf. encore loannis
VuUeii... Epigrammatumlibri IIII, p. 244.
306.BlasonsdeChappuys:o^.ct7.,46, 48, 52, 53. — Blason de Bochetel : ibid., 50. —
Le Sacre et Coronnement de la royne imprimés par le commandement du roy nostre sire ;
Paris, Geoffroy Tory, 1530. In-40. — Ventrée de la royne en sa ville et cité de Paris,
imprimé par le commandement du roy nostre sire ; Paris, Geoffroy Tory, 1531. Ia-4°.
[Et Bruxelles, Van Trigt, 1863]. — La traduction de VHécube a paru à Paris, chez
Robert Estienne, en 1550.
307-316. I. Les plus nombreux, les meilleurs renseignements que nous ayons sur la
biographie d'Eustorg de Beaulieu se trouvent dans l'un de ses premiers ouvrages: Les
Divers r apportz. Contenant plusieurs rondeaux, dixains et ballades sur divers propos ;
chansons, epistres, ensemble une du coq a l'asne et une aultre au coq ; sept blasons ana-
tomiques du corps féminin [etc.. le titre a 28 lignes]... Le tout composé par M. Eustorg
de Beaulieu, natif de la ville de Beaulieu au bas pays du Lymosin. Lyon, Pierre de Sainte-
Lucie, 1537 ; 92 ff. in-S". (Autre édition : Paris, Alain Lotrian, 1544.) — H. Eugène et
Emile Haag, La France protestante (2« édition, 187g), II, col. 31-42. — III. O. Douen,
Cl. Marot etle psautier huguenot, I, 400-410 et ^assîwt. — IV. Herminjard, VI, 286-289 ;
VIII, 400-403. — V. Hélène J. Harvitt, Eustorg de Beaulieu, a disciple of Marot ;
Press of the new Era printing C°, Lancaster, PA ; 1918. Un vol. de VIII-163 pages.
Cette monographie, dont il faut louer la diligente exactitude, est riche en intéressantes
précisions.
308. Divers rapportz, ballades IX et X ; rondeau LU. — Éloge des filles de Tulle :
rondeau LXXV et ballade XII.
309. Ibid., épître III.
310. Ibid., épîtres I et II.
311. Les Gestes des Solliciteurs j Ou les lisans pourront cognoistre | Qu'est ce solli-
citeur estre [ Et qui sont leurs reformateurs. Imprimé à Bourdeaulx, le 23 de aoust,
l'an 1529. Petit in-40 goth. de 10 ff. On lit au 2« feuillet : « Les Gestes des Solliciteurs
composées par maistre Eustorg de Beaulieu, prestre. » — S'ensuyt de (sic) Pater et
Ave I des Solliciteurs de procès, | surnommez bateurs de pavé, 1 de crédit souvent
repoussez, S. l. n. d, ; 4 ff. in-40. — Divers rapportz, ballade VIII.
312. Anthonye de Polignac : Divers rapportz, épitaphe IV. — François de la Tour :
épitaphes I, II et « Brefve deploration » du même. — M^'e de Tournon : rondeau LIV
et dizain I. — Charles d'Estaing : épître VI. — Marie-Catherine du Perron : épîtreVIII.
(C'est ici la pièce grâce à laquelle Eustorg s'est introduit auprès de cette puissante
dame. Si j'ose vous écrire, lui dit-il, c'est que Charles d'Estaing m'y a poussé. Il la
compare, d'abord, à Hélène et à Didon, puis, songeant aux aventures fâcheuses de
l'une et de l'autre, il se rétracte et pr fère appeler la célèbre Lyonnaise une nouvelle
Vénus, une seconde Pallas, mais mieux douée.) — Hélène de Gondi : rondeau LXXXV 1 1.
— Pomponio Trivulce : dizain IV.
313. Antoine Du Moulin : ibid., Huictain duquel la première lettre capitale signifie
Anthoine, et les autres portent son surnom [DVMOLIN']. — Marguerite de Navarre :
épître IX. — Erasme : épitaphe VII. — a De ceulx qui s'aquitent mal des biens de
l'église » : rondeaux XXXVIII et suivants. — Charlotte de ^laumont : épître X du
coq à l'âne. — Jacques Thibault : épître X I de l'âne au coq.
314. Pièces morales des Divers rapportz (dans l'ordre oîi mon texte les présente) : ron-
deaux VIII, IX, XV, XXXI, XXXVI, X-XII, XXIII, XXVI, LXII, LXIV. — Piè-
ces grossières : rondeaux LVIIl [cf. ballade XI], LXVII, LXXX, LXV-LXVI. — Mort
de la mère d'Eustorg : rondeau LX. — Les blasons de Beaulieu se lisent, dans l'édition
d'.\d = *B ***, aux pages 27, 31, 34, 36, 57, 67, gi.
315. Contre les blasonneurs des membres : Montaiglon, Rcc, VI, 274-277. — Drusac,
Controverses, pp. 107 r"'-ii7 v°. « S'ensuyvent 442 bourdons par equivocques sur ce
deshonneste, villain, et de très perverse nature, mot c. n. Suppliant les lysans d'iceulx
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 245
n'en vouloir mespriser, redarguer ne aucunement en blasmer ni vitupérer l'autheur
pour nommer iceluy. » 11 n'en a point parlé par volupté, mais afin de faire voir « les
malheurs et povretez » qui naissent de ce mot calamiteux. [Montaiglon se trompe lors-
qu'il affirme (Rec.W, 274, n. i) que Drusac a rimé, sur le sujet qui nous occupe, « 365
rondeaux ». Cela eût donné quelque cinq mille vers. Quatre cent quarante-deux « bour-
dons », c'est déjà bien joli.]
3\6. Jean de VzuzeWes, Blason de la mort : Recueil d' Ad ** B "***, 09. — Excuse du
corps pudique : ibid., 95. (Cette pièce, comme tout ce queBeaulieu a écrit pour défendre
ses blasons, se lit dans les Divers rapports.) — Le Souverain blason d'honneur à la
louange du très digne corps de Jésus-Christ. Composé par Eustorg autrement dit Hector
de Beaulieu, Ministre évangélique, natif aussi de la ville de Beaulieu au bas pays de
Lyniosin. Et extraict d'un sien livre intitulé « Chrestienne resjouyssance ». Reven des-
puis et augmenté par luy mesme comme on verra. S. /. n. d.; 14 ff. in-8°. — Les vers
cités à la fin de ce § 316 sont tirés de la Chrestienne resjouyssance.
317. G. III, 317-320. — Des Périers [Lacour], I, 92. — Ch. Fontaine, Ruisseaux de
Fontaine, p. 182 ; la Fontaine d'Amour, livre II des Épigrammes : « A Alexis Jure, de
Quiers, et Claude Le Maistre, Lyonnois. » La pièce commence ainsi : u Tous deux ensem-
ble bons amys, Tous deux de feu Marot aymez... »
318. G. III, 327-387. Voyez les vers 140 ; 104-107 [cf. Bourgeois de Paris, 393] ;
134-137.
319. Ibid., V. 64-67 ; 74-75 ; 24-25 ; 170-171 ; 52-55 ; 86-88 ; — 201 ; 36-7 ; — 35.
320. Ibid., V. 80-85 ; 20-23 ; 60-63 ; 6-7 ; 44-47 ; 76-79 ; 178-181 ; 32-33 ; 8-9.
321. Ibid., V. 118-121 ; 108-109 [« Fault il, pour un verre cassé, ] Perdre pour vingt
ans de service ? »] ; 184-185 ; 68-69 ; 148 sqq. Cf. la note du v. 151 et G. III, 480.
322. I. G. m, 313-316.
323. II. G. II, 273-280. Cette pièce a paru trop imprudente à son auteur. Elle ne
figure pas dans les recueils publiés de son vivant, et les éditions imprimées depuis ne
nous donnent pas, avec toutes ses hardiesses, le texte primitif. Un seul manuscrit nous
l'a conservé. On y découvre [cf. p. 278] quelques vers très mordants : ils attaquent
« la beste sans raison » (la papauté), et la représentent prête à choir « atout sa triple
creste » (la tiare). Destiné à réjouir Renée et les amis de Renée, ce passage fut supprimé
plus tard. Nous verrons ailleurs notre Clément atténuer de cette même façon, avant
de la soumettre à des lecteurs orthodoxes, une autre épître composée aussi pour la
duchesse de Ferrare.
324-327. III. G. III, 284-307.
328. IV. M. 163-164. —Becker, op. cit., XLII, 120-121.
329. G. I, 276-277 et 278, n. 2.
330. G. III, 388-392.
331. M.161-163.
332. Doumergue, Jean Calvin, II, 47.
333. J. II., 121-126.
334. Foïitana, Renata di Francia, 1,319. — G. 1,283. — Becker, 0^. cî7., XLII, 128.
335. G. I, 284. — Becker, 130.
336. Jules Bonnet, Clément Marot cl Venise [Bulletin histor. et litt. delà Soc. de l'hist.
du protestantisme fr., XXX IV, 289-303). — M. 165-166,
337-338. G. 111,410-427. — Dans la copie qu'il a faite ou fait faire, pour le très catho-
lique Montmorency, de cette hardie et véhémente épître, Marot a pris soin d'adoucir
les critiques et de les rendre moins significatives. 11 s'ensuit que le texte présenté au
connétable [M. 167-170] diffère beaucoup de celui que l'auteur destinait à Renée de
France. Les passages les plus énergiques, les plus « protestants », ne figurent pas dans
le ms. de Chantilly, et certains vers ont été remaniés de manière à ce que leur sens
devînt orthodoxe ou, du moins, neutre. C'est ainsi que la dernière phrase où le poète se
disait victime « des ennemys de la belle Christine » le montre, dans le recueil que M. Maçon
a publié, fuyant « la fureur et les ruses | Des ennemys d'Apollo et des Muses ».
246 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
339>340. Lettres de Jean Calvin recueillies pour la première fois et publiées d'après
les mss. originaux par Jules Bonnet ; Paris, Meyrueis, 1854 ; 2 vol. in-S". [ Il y a douze
lettres à Renée de France : I, 43 (année 1541) ; 428 (6 août 1554) ; 1 1, 4 (2 février 1555) ;
57 (10 juin 1555) ; 215 (20 juillet 1558) ; 337 (5 juillet 1560) ; 368 (i6 janvier 1561) ;
436 (février 1562) ; 513 (10 mai 1563) ; 545 (8 janvier 1564) ; 550 (24 janvier 1564) ; 558
(4 avril 1564)]. — Brantôme, Des Dames [Ludovic Lalanne], VIII, 112-113. — Her-
minjard, VIII, 161, n» 1170. — Doumergue, Jean Calvin, II, 69-81.
341. G. 111,428-450. — Fai^-t^e-Firc d'Olivier Basselin (édition P.-L. Jacob ;
Paris, Garnier, s. d.), p. 20-23, la Guerre elle vin. — Les Œuvres burlesques de M. Scar-
lon. dédiées à sa chienne {RoMQn., David Berthelin, 1668), p. 226: «... Un coup de canon
N'est, ma foy, ny beau ni bon. Il | vaut mieux dedans Paris manger perdreaux et
cailles | Que d'aller au Pays-Bas Et de n'en revenir pas. » — [Notons, pour compléter
ce § 341, que Marot, durant son séjour à Venise, a peut-être composé un deuxième coq-
à-l'âne (G. III, 451-513). Mais comme cette pièce ne figure que dans les recueils post-
humes, et que d'autres raisons encore rendent douteuse son authenticité (Becker,
op. cit., 137, n. 159), j'ai jugé préférable de n'en pas faire état.]
342-343. M. 233-238-
344. G. 111,392-400. — J.DuBelIay, iîegre/s, s.85et86.[Auv. 59 de Marot :c Des-
sus un mot une heure je m'arreste » on comparera celui de Du Bellay : « Et, pour res-
pondre un mot, un quart d'heure y songer. »]
345. J. 1 1, 233. Cette pièce a paru d'abord dans le Recueil de vers latins et vulgaires de
plusieurs poètes françoys sur le trespas de feu Monsieur leDaidphin -jL-yoUiFr. Juste; 1536.
346-347. M. 23S-243. — Il existe un rapport très étroit entre les mots Et veu de loing
mon village fumer et le souhait [Regrets, s. 31) de Joachim Du Bellay : a Quand revoirai
je, helas, de mon pauvre village | Fumer la cheminée ?... » C'est que ces deux phrases
sortent de la même source : Homère, Od. I, 57-59.
348. loannis Vulteii EpigrammatujnLibri ////.Les pièces relatives à Clément Mairot
injustement proscrit sont au nombre de six : p. 11$ , De Maroto poeta ; 120, Ad Dominant
Renatam... de Maroto ; 126, Ad loannem Bellaium... inducitut Marotus querensdeexi-
lio ; 128, Ad Franciscum regem exul Marotus loquitur ; 129, De exilii causa ; 131, Ad
Franciscum Gall. regem de Maroto.
349. G. 111,542-550.
350. J. III, 54; Épigr. CXXXII. — Des Périers [Lacour], I. 110. — Les Divers
rapportz d'Eustorg de Beaulieu : « douzain a treseloquent Poète, maistre Clément Marot,
pour lors estant a Lyon, contenant son nom et surnom aux lettres capitalles ». —
Etienne Dolet, Carm. I, 58. — Jean Visagier, op. cit.: 191, Dereditu Maroti poctae a
Ferraria ; 230, Ad G. Scaevam de revocato Maroto et absente Doleto ; 238, De rediit^le-
mentis Maroti [C'est ici la pièce la plus étendue et la plus importante] ; 240, Ad G. Scae-
vam de Maroto ; 248, Lug [dunum] queritur de Doleti et Maroti discessu ; 249, Ad Maro-
tum... Et je n'indique pas tout !
351. G. I, 313. — Douen, I, 235 sqq.
352. i» G. I, 312. — 2° Ibid., 315-316. — 3° Ibid., 311. — 40 G. III, 554, v. 41-44-
353. G. III, 556-563. — En tète d'un recueil où se lisent quelques-unes de ses pro-
pres poésies, Jean Chaperon a publié (1537) /e Dieu-gard. Un huitain aussi gauche que
flatteur accompagne le texte de Clément. Puisque « nul Françoys », explique Chaperon,
n'a répondu à !'« homme très sage » qui saluait courtoisement tout le monde, moi, du
moins, en « mon dur langage », je veux lui dire : Sois le bienvenu ! . . . Voilà de louables sen-
timents. Mais celui que les exprimait se trompait en croyant les éprouver seul. Ils lui
-étaient communs avec beaucoup d'autres écrivains. J'en ai cité plusieurs, et j'aurais
pu ajouter à la liste le nom d'Antoine Héroet. Celui-ci, dans une épître à François \"
[Gohin, 81], fait une discrète allusion au retour de Marot. Vous régnant, remarque-t-il,
« ... on voit restitués Grec et hebrieu, langages trop hays. Et les bannys remys en
leurs pays ».
L'ANNEE 1537
LA QUERELLE DE MAROT ET DE SAGON
354. Marot reprend son rôle de poète officiel, et assiste au banquet
offert à Etienne Dolet. — 355. Voyage dans le Midi de la
France. — 356. Démarches du poète pour être remis « en les-
tât » des officiers royaux. — 357. // allume un feu de joie à
l'occasion de la prise de Hesdin. — 358-359. Henri d'Albret et
François I^^ tombent malades ; Clément s'adresse à la déesse
Santé. — 360. Épître A madame Marguerite de France au
nom de Jeanne d'Albret. — 361-362. L'Adieu envoyé aux da-
mes de la court et le recueil des Étrennes. — 363. Le principal
événement de cette période est La querelle de pRANÇOis Sagon
ET DE Marot. — 364. La famille de Sagon. — 365. Il entre
dans les ordres. — 366. // se croit poète, et concourt au piiy de
Rouen. — 367. Il devient secrétaire de Félix de Brie. — 368-
371. Motifs qui ont pu le conduire à s'attaquer à Clément. —
372. Comment fut composé le Coup d'essay. — 373-377. Étude
de ce factum. — 378. Jean Leblond, seigneur de Branville,
entre en scène. — 379-384. Le Printemps de l'humble espé-
rant. — 385. Marot se réserve et garde le silence. — 386-390.
Trois de ses amis, Bonaventure des Périers, Charles Fontaine
et Nicole Glotelet, répondent pour lui. — 391. // se décide à
riposter lui-même ; V admirable épître de Fripelippes. — 392-
393. Faible réplique de Sagon. — ■ 394. Un libelle de Charles
Huet. — 395. Généalogie de Fripelippes. — 396. Encore une
Défense de Sagon! — 397-399. Diverses pièces en faveur de
Clément. — 400. Le provocateur donne des signes de fatigue,
et commence à parler de paix. — 401. Le sentiment de lassitude
paraît général. — 402. Germain Colin Bûcher veut jouer le rôle
de médiateur. — 403. // a eu tort de se montrer neutre ; d'autres,
mieux inspirés, ont bien vu où était le bon droit. — 404-407.
Intervention des Conards de Rouen ; elle marque la fin du con-
flit. — 408. Que les Conards, en somme, ont dit et pensé ce
248 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
qu'il fallait penser et dire. — 409-410. Sagon vaincu ne re-
nonce pas à la poésie : le Regret d'Honneur féminin. ■ — 411.
Étrennes pour l'année 153g. — 412. Discours de la vie et
mort de Guy Morin. — 413. Complainte de troys gentilzhom-
mes françoys. — 414-415. Apologye pour le Roy. — 416. Le
Chant de la paix. — ■ 417. Coup d'œil sur les œuvres en prose
de Jean Lehlond : traductions qu'il a laissées ; le Livre de police
humaine. — 418. Branville apologiste de la langue franç.aise
et précurseur de Joachim Du Bellay.
354. Accueilli de nouveau à la cour, Clément Marot se hâta
de reprendre son rôle de poète officiel : il adressa au roi une
Estrenne, puis célébra, en un Chant nuptial, le mariage (i^^* jan-
vier 1537) de Madeleine de France et de Jacques Stuart, roi
d'Ecosse. Après une si longue absence, il eût désiré, peut-être,
le pauvre nomade, rester un peu avec ses enfants. Mais il eut
à peine le temps de souffler, et il lui fallut se préparer à suivre
Henri et Marguerite de Navarre qui allaient s'acheminer vers
le Midi. Cette obligation, à ce qu'il semble, n'enleva rien à sa
belle humeur, et ce fut sur le ton le plus jovial qu'il demanda
à son « second roy » de lui faire don, pour la route, d'une haque-
née. La sienne, expliquait-il, était vieille. D'où venait cela ? De
ce qu'elle était née depuis longtemps, bonne raison de n'être pas
jeune. Ayant donc beaucoup vécu, cette bête déclarait ne pa.->
se sentir la force, à son âge, de trotter jusqu'à Narbonne, et
réclamait une remplaçante. Son maître appuyait cette requête,
et l'on se plaît à croire qu'il eut gain de cause... La date du
départ n'est pas très exactement connue. Marot, vers le 20
février, se trouvait encore à Paris, car nous ?avons qu'il assista
au banquet offert à Etienne Dolet par quelques-uns de ses
amis. Dolet, qui avait tué à Lyon, le 31 décembre 1536, un
peintre appelé Compaing, s'était enfui aussitôt, avait imploré
la clémence de François I^^* et obtenu (19 février) des lettres
de rémission. Il a raconté lui-même, dans un poème souvent
cité, ce festin donné en son honneur. Il y avait, parmi les con-
vives, le prince des humanistes, Guillaume Budé, Nicolas Bé-
raud, Pierre Danès et Jacques Toussain, brillantes colonnes de
l'académie trilingue, Salmon Macrin, Nicolas Bourbon, Jean
Dampierre, Jean Visagier, François Rabelais. Quelle table !
Nul ne pensera sans émotion à une telle assemblée, et l'on aime
à se figurer les agapes de ces libres esprits, constructeurs et
vaillants prophètes d'un meilleur avenir. Ils parlaient de mille
choses graves, et louaient, en leurs discours, les hommes qu'ils
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 249
regardaient comme leurs guides ou comme leurs émules : Éras-
me, Mélanchthon, Bembo, Sadolet et Sannazar.
355. Peu de jours après cette fête, Marot s'éloigna, accompa-
gnant Marguerite et son mari. Le voyage, qui fut rapide, eut
lieu, la chose est sûre, avant le printemps. Cela ressort d'une
phrase c^ui se lit dans la correspondance de la reine et d'un
vers, aus.si, d'une épigiamme intitulée De M^^ de La Fon-
taine. On passa par Touis et Limoges, et, de Limoges, on gagna
Cahors. Le poète, au moment de revoir sa ville natale, l'invita
à se montrer « plus gave et mieulx vestue » pour recevoir le
roi de Navarre et « son espouse humaine ». Supposé, dit-il, que
tu me doives, ô Cahors, autant que Mantoue devait à Maro,
je te tiens quitte de la dette entière pourvu que tu accueilles
dignement « ces deux ». En entrant chez toi, ils t'apportent
plus de gloire que moi par le fait « d'en estre yssu «... On ne
s'arrêta guère à Cahors. De là on chevaucha, par Toulouse,
vers Mont-de-Marsan. Clément n'y resta point, et revint vite
à la cour de France où une urgente affaire le rappelait. Profi-
tant de son exil, on avait omis, sur la liste des officiers royaux,
son nom, son titre. Il était donc, une fois encore, sans traite-
ment, et il s'agissait d'ouvrir une nouvelle campagne afin de
reconquérir les gages supprimés.
356. Selon sa méthode invariable, il s'adressa au roi direc-
tement, et nous connaissons trois épigrammes que, dans sa
détresse, il lui envoya ou lui présenta vers cette époque. Pour-
quoi trois épigrammes ? Parce que l'écrivain ne désiiait pas
seulement être payé pour l'année en cours, mais qu'il voulait,
en outre, toucher le salaire qu'on lui avait retenu tandis qu'il
estait par chemin, puis (et ceci legardait l'avenir) être remis
(( en Testât ». Autant de batailles à livrer. Il dut recommencer
à mendier avec des airs folâtres, des pirouettes verbales, un ton
fringant et dégagé, ce peu d'argent qui le faisait vivre, le pain
de ses Maroteaux. Et ce fut une lutte de deux ans. En mars
153S on lui accorda la somme due pour 1537, ainsi que le prouve
l'acte que voici : « A Jean Carré [un pillard de marque, promu
homme de confiance après avoir beaucoup et ouvertement volé]
240 livres pour payer les gages de Clément Marot... qui n'avoit
pas été inscrit sur Testât desdits officiers de ladite année der-
nière. » Ensuite, sous une autre forme, même mandement en
janvier 1539 : » A Jean Carré, 960 livres pour payer les gages
de Jeannet Bouchefort,.,. des deux dernières années, et ceux
de Clément Marot... et d'Antoine Poinsson, joueur de cornet,
de Tannée dernière. » Quant à l'arriéré, aucun document ne le
mentionne, mais je suppose que, là encore, notre poète triom-
250 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
pha. Sire, avait-il dit à François I^^, ordonnez ce versement
à messieurs vos trésoriers. Ce sera comme une rente qui m'ar-
rivera, et la douceur d'avoir des rentes, je l'ai ignorée jusqu'à
ce jour. Mes ennemis m'auront, contre leur attente, rendu un
fier service, et quelle gratitude je vais leur avoir 1 Pensant me
ruiner, ils m'auront forcé a faire des économies... Le moyen
de rejeter une si jolie requête ? — A partir de 1539, Clément
cesse de réclamer, et son silence nous invite à croire qu'on l'a-
vait officiellement rétabli en sa fonction de valet de chambre.
357. Les faveurs, du reste, qu'il recevait, il les avait méritées
d'avance, tant il se montrait attentif à saisir les occasions de
louer ses maîtres ou de badiner pour leur plaisir. Chaque évé-
nement qui se produisait à la cour excitait sa verve aussitôt,
et la moindre victoire lui servaH de thème. On le vit notamment
lorsque, au printemps, l'armée enleva Hesdin. Arrivé au camp
le 17 mars, François I^'" s'empara de la ville sans coup férir,
mais le. château offrit quelque résistance et ne capitula que le
7 avril. Ce n'était pas là un exploit reluisant, et il n'y avait
pas de quoi pavoiser. Néanmoins, le roi fut couvert de fleurs
comme s'il avait gagné une seconde bataille de Maiignan. Les
princesses en chœur, Catherine, Anne et trois Marguerite, lui
affirmèrent par lettre avoir senti, à la nouvelle de ce succès,
une « joye indicible », une « merveilleuse consolacion ». Leur
transport, à les entendre, était tel qu'elles en avaient perdu
l'esprit, et que la plume leur tombait de la main. Marot, lui,
alluma un « feu de joie >> ou, si vous préférez, rima un dizain
remarquable sinon par un très vif enthousiasme, du moins par
un double jeu de mots. Nous avons pris Hesdin ; toi, César,
prends patience. Tu nous rends cette cité ; nous ne rendrons
rien, nous autres, que grâces à Dieu. Ce n'était pas très fort,
et ces calembours brillaient moins par la finesse que par le loya-
lisme. Tels quels, leur auteur les jugea bons, et il les envoya,
accompagnés d'une épître pimpante et légère comme un pas de
danse, à deux amies, M^e de Bazoges et Hélène de Ha'îton, dite
Treza^^
358. Le 10 mai, François 1^^ quitta l'armée, et, voyageant
par petites étapes, il arriva le 5 juin à Fontainebleau. Vers
cette date, le roi et la reine de Navarre s'établirent à Saint-
Cloud, mais ce séjour ne leur réussit guère. Henri d'Albret
tomba gravement malade ; une grosse fièvre le saisit qui ne
voulait pas céder, et il fallut changer d'air, mener à Vanves
le prince souffrant (25 juin). Il reçut, tandis qu'il languissait
ainsi, la visite de sa fille Jeanne qu'on élevait loin de ses pa-
rents afin de la soustraire à leur influence. La venue de cette
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 251
enfant fut saluée par un dizain de Marot. Souvent, disait le
poète, un raj^on de soleil, frappant un nuage noir, l'éclairé en
partie, lui rend la couleur et la gaieté : de même nos âmes, main-
tenant si sombres, s'illuminent en te voyant, joyau de tes père
et mère et leur chef-d'œuvre. L'un de nos yeux te rit ; l'autre,
morne et très « piteux )>, pleure sur un roi « mal sain », voire
sur deux.
359. Le deuxième, c'était François. Lui non plus, il n'allait
pas bien, et on le soignait à Meudon. Le devoir des Muses, en
cette circonstance, était nettement tracé : il fallait d'abord prier,
gémir, puis, après guérison, entonner le Te Deum. Clément pro-
céda selon cette règle, et commença par adresser un Cantique
à la déesse Santé. L'aise et la force qu'elle dispense, la joie qu'on
éprouve à reprendre, quand on était blême, de belles joues
rouges, l'avantage qu'il y a, pour les vieux, à garder quelque
vigueur et, pour les jeunes, à être en état de s'amuser, tout cela
est développé en sept strophes que personne ne s'avisera, je
crois, de juger paradoxales. Mais ce n'est qu'un prélude, un
moyen de se concilier, en proclamant ses charmes, sa puissance,
la « doulce » déesse, « nourrice des humains ». L'ayant ama-
douée de la sorte, l'écrivain l'envoie droit à Meudon, et l'invite
à arracher au tombeau le souverain si menacé. Pourquoi t' en-
fuir, Santé, loin d'un corps orné de tant de grâce ? Quelle idée
étrange, déraisonnable ! « Où peulx tu estre ailleurs si bien
logée ? » Cette métaphore rappelle le riche appartement de Tris-
sotin, et le Cantique entier ne vaut pas grand'chose. A peine
meilleure paraît la pièce qui célèbre la convalescence. L'auteur
nous apprend que son maître a failU mourir, qu'il avait déjà
« le pied dedans la fosse », et qu'un nouvel avènement semblait
tellement certain que le ressuscité a le droit de dire qu'il dure
plus que sa postérité et qu'il succède à son successeur. Là-des-
sus, quelques avis pour un judicieux emploi de ces jours que
les Parques ont restitués. Ce n'est pas un moraliste qui parle,
et il ne s'agit nullement ici du bon usage des maladies. C'est
d'Horace que Marot s'inspire. « Vy donc, François ! » s'écrie-t-il.
Ressaisis les biens et les plaisirs qui s'envolaient. Consacre à
te distraire chacune des heures qui te sont rendues, et attends
le « dernier poinct naturel » sans souci ni peine, « tout belle-
ment ». Jolis, braves conseils, et fort bien suivis.
360. M. Becker a montré d'une manière assez probante que,
dans les premiers jours du mois d'octobre 1537, Clément se trou-
vait à Tours auprès de la reine de Navarre, et que l'épître A
Madame Marguerite date, en conséquence, de ce moment et
non, comme le veut M. Guiffrey, du mois de janvier 1538. Ma-
252 CLÉMENT MAKOT ET SON ÉCOLE
dame Marguerite, c'est Marguerite de France, née le 5 juin 1523.
La lettre qui lui est destinée est censée écrite par sa cousine
Jeanne d'Albret, qui avait alors dix ans. Le poète, qui lui prête
sa plume, s'applique à reproduire le langage décousu et naïf,
l'ingénuité de l'enfance. Rien ne s'imite plus malaisément, et
il faut renoncer, une fois qu'on les a perdues, à feindre l'inno-
cence et la candeur. Cependant notre auteur se tire d'affaire
en homme habile, et son pastiche a beaucoup de charme. La
petite princesse, après avoir loué sa mère comme sans le savoir
ni le vouloir, raconte le voyage qu'elle vient d'achever. Nous
allions, dit-elle, par eau. Je n'étais pas seule. J'avais avec moi
un écureuil, et, pareil à un bouquet de marjolaine, mon beau
perroquet habillé de vert. La Loire nous portait doucement.
C'est un fleuve magnifique. Il se sentait si fier de nous revoir
qu'il s'enflait d'orgueil. S'il avait eu l'honneur de votre présence,
non content de grossir, il eût débordé. A ces menus propos
s'ajoutent des vers relatifs à une leçon de danse, puis quelques
formules de politesse, • — et c'est fini.
361. En ce même mois d'octobre, le roi, très inquiet de ce
qui se passait dans le Piémont et ayant à cœur de délivrer Turin
que del Guasto était sur le point de prendre, courut à Lyon,
réunit en hâte de grandes troupes, les mit sous les ordres du
dauphin et de Montmorency, et leur enjoignit de franchir les
monts. C'est à cette expédition que se rattache la pièce intitulée
l'Adieu envoyé aux dames de la court. Il n'y a pas lieu de croire
que Marot ait suivi l'armée jusqu'en Italie, ni même qu'il ait
quitté Tours pour se rendre au camp où les forces royales se
concentraient. Malgré certains vers très personnels [85-99] ^^
quoique le poète salue sa maîtresse [v. 98] comme s'il risquait
de ne pas la revoir, l'Adieu, manifestement, est collectif, et
ce sont les jeunes gentilshommes, en chœur et tant qu'il y en
a, qui, se séparant de leurs amies, dépeignent, plutôt qu'ils ne
les regrettent, les mille aspects, les grâces, les joies de la vie
courtoise et passionnée. Au demeurant, ce genre littéraire n'était
pas nouveau, et l'on connaît plusieurs « adieux » analogues.
362. Mais celui-ci diftere des autres en ce qu'il est un pur
chef-d'œuv'ïe. Chef-d'œuvre aussi, du moins quand on pénètre
(beaucoup nous échappent) les allusions qui y sont cachées,
le délicieux recueil d'Ètrennes offert, au premier jour de l'an-
née 1538, à plus de cinquante personnages. La reine, la dau-
phine, toutes les princesses, la favorite, les femmes les mieux
titrées, celles des grands officiers de la couronne, les filles d'hon-
neur, qu'elles servent France ou bien Navarre, reçoivent une
perle de ce collier, un compliment, un sourire, un mot aima-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 253
ble à pointe d'or, une malice voilée, exquise. L'artiste donateur
n'oublie aucun de ceux qui lui sont chers. Il pense même aux
gens de province, et il étend, plein de gratitude, sa munificence
aux bons Lyonnais, aux Lyonnaises, à Etienne Dolet, à Jeanne
Faye, à Jeanne Scève.
363. Nous arrivons, avec les Étrennes, à la fin de l'année
1537, et nous avons énuméré, sauf une, les principales produc-
tions de Clément depuis son retour d'exil. Mais il nous reste
encore beaucoup à dire, car, en étudiant cette période, nous
avons, nous réservant de le traiter à part et en une seule fois,
laissé de côté l'essentiel, à savoir la si célèbre querelle de Marot
€t de Sagon. Rien ne nous empêche, maintenant que le terrain
est déblayé, d'aborder ce point d'histoire, et nous allons com-
mencer par présenter au lecteur l'adversaire du poète, l'auteur
de l'agression, la bête noire, le « sagouin ».
364. Jean Sagon ou de Sagon, le père de notre François,
était « natif du pa3^s d'Espaigne ». Pour des motifs qui nous
échappent, il vint, vers 1480, s'établir à Rouen où il s'entremit
« de toutes manières de marchandises,... espérant d'y acquérir
biens meubles et immeubles et y finer le seurplus de ses jours ».
Était-il, ainsi que l'en accuse Fripelippes [G. III, 578], un mar-
rane, un juif converti, et avait-il voulu, en s'expatriant, faire
peau neuve, fuir la contrée où son origine était notoire ? Rien
ne le prouve ni ne l'indique, et il y a des chances pour que ce
soit là une calomnie. Après être resté en France vingt ans « ou
environ », ce métèque, qui avait pris place parmi les bons mar-
chands rouennais, demanda et obtint, au mois de juillet 1501,
des lettres de naturalité, faveur qu'il eût peut-être briguée en
vain s'il avait été de mauvaises vie et mœurs. On se sent donc
porté à croire qu'il méritait, au moins en partie, les éloges dont
son fils l'a comblé [G. III, 723], et qu'il était, quoique peu
« scient », garni de qualités solides, exempt d'envie, de haine,
« sobre, modeste et patient », « de race claire » par-dessus le
marché. Sans doute ce ne sont là que des mots ; mais il y a,
en outre, un fait : Jean, ce déraciné qui cherchait fortune loin
de chez lui, avait épousé — quel honneur ! — une fille appar-
tenant à la caste des Ango, nom illustre aujourd'hui encore.
François avait bien raison d'être fier de descendre, par sa mère,
de ces marins admirables qui, trafiquants et soldats, servaient,
en même temps que leurs intérêts, la science et la patrie. Un
vrai titre de noblesse, dont il ne se montra que trop indigne,
était conféré par là au vil rimeur ; c'était à bon droit qu'il tirait
vanité de sa famille « autantique », et nous ne .sommes pas
surpris qu'il ait dédié l'un de ses ouvrages « a vénérable reli-
254 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
gieux Domp Richard Ango, prieur de Beaiimont en Auge, son
oncle ».
365. Ainsi, parmi les Ango, certains se détournaient de la
mer, et, n'aspirant pas à mener une existence tumultueuse,
piéféraient aux belles aventures le calme du cloître, un gras
et solide canonicat. L'exemple de ces hommes prudents fut
suivi, quand arriva le moment de choisir une carrière, par le
jeune François Sagon. Il aurait pu devenir corsaire, mais il
aima mieux imiter son oncle Richard, faire des études, entrer
dans l'Église, chanter la messe et couler (illusion \) des jours
paisibles. Ordonné prêtre, il joua, dans son diocèse de Rouen,
un rôle, semble-t-il, assez actif. Nous savons que, durant l'été
de 1530, il prêcha en latin devant ses confrères, et qu'il dut,
après ce sermon, en débiter d'autres encore, car, sur les regis-
tres de l'archevêché, son nom se lit plusieurs fois accompagné
« de la mention de sommes variées qui représentent apparem-
ment les émoluments de ses discours ».
366. Mais le prédicateur se croyait poète, et il ne manqua
pas, ayant la chance d'habiter Rouen, de concourir au puy de
cette cité, de célébrer, comme cent autres curés de la région,
Marie conçue sans péché. Clément se vante [G. III, 579] d'avoir
« refaict )>, afin qu'il rapportât à son auteur « quelcque petite
somme », un chant royal de Sagon, ébauche très informe qui
« ne valoit pas un œuf ». Ce ravaudage m'étonne. François n'a-
vait pas besoin d'aide pour se couvrir de gloire en ces concours
d'àneries, et il n'avait qu'à rester lui-même. La preuve, c'est
qu'il triompha à diverses reprises, et qu'il fut (parlons sa lan-
gue) abondamment « premié )>. Vainqueur en 1531, il obtint
ensuite le lis, puis (1533) « l'anneau ou signet >, puis encore
(1535) la rose, juste récompense d'une ballade sur le (( petit
ver qui luit de nuit ». Et ce n'est pas tout. Il résolut d'envahir
les académies similaires, rafla (1532) le premier prix à Caen,
et gagna à Dieppe une couronne. Couronné de la sorte, palmé,
chargé de lauriers, il s'écriait : Que de fleurs ! Le lis a fleuri ma
main ; les palmes l'ont décorée, et le bel anneau d'or brille à
mon doigt. [Bonnefon, 106]. De tels succès l'enivrèrent ; il se
prit pour quelqu'un, se flatta d'être un bon fadeur, et commit
la sottise de publier les œuvres qui lui avaient valu tant d'insi-
gnes et de guirlandes. Il s'ensuit que nous pouvons les lire et
que, les ayant lues, nous les estimons na\Tantes. Elles le sont,
et à fond. Voyez, par exemple, le chant royal où sont expli
quées les causes de la « prelature » de Marie, et comment Dieu,
après avoir décidé qu'Adam serait toujours « au ver tributaire »,
fit ce « tribut taire » en faveur de la Merge, si bien que son corps
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 255
monta au ciel <; sans estre putrefaict », et qu'il échappa, exem-
plaire exemption, aux outrages de « l'humain ver »... Quel pa-
thos ! 11 y a, dans les anthologies palinodiques, beaucoup de
choses risibles, mais n'y cherchez rien de plus sot, de plus gra-
vement bouffon que ceci.
367. Des lis et des roses, c'était honorable, certes, mais peu
nourrissant. Ni ses sermons ni ses pieuses rimes ne donnaient
de quoi vivre au chantre de Notre-Dame, et, puisque les hom-
mages qu'il adressait au ciel demeuraient improductifs, il lui
fallut chercher des protecteurs sur la terre. Il les trouva chez
les Brie-Serrant. Poète officiel de cette famille, il lui voua quan-
tité de vers, et nul membre de la lignée n'eut le droit de quitter
la vie sans une épitaphe de sa main. Il comptait qu'à force d'o-
raisons funèbres il mériterait si bien la gratitude des héritiers
qu'ils se chargeraient de sa fortune, lui donneraient un titre,
une fonction. De fait, il devint secrétaire de Félix de Brie, fils
de Gilles de Brie et d'Anne Giffard, abbé de Saint-Evroult-de-
Montfort, au diocèse de Lisieux, et grand doyen de l'église Saint-
Julien, au Mans. Il ne semble pas, à distance, qu'être secrétaire
d'un abbé de Saint-Evroult ait constitué un emploi très envia-
ble. Mais ce n'était là qu'un marchepied. Sagon espérait bien
gagner, par l'entremise de son patron, un bénéfice, une bonne
place. Les de Brie avaient quelque influence, et Félix disposait
de certaines charges ecclésiastiques. Déjà promu, selon Fripe-
lippes, à la cure de Sotigny qui lui appartenait sans conteste
et qu'il était si digne d'occuper, Sagon briguait celle de Soli-
gny (Orne). Il ne put l'obtenir. Son maître, estimant sans doute
qu'il demandait trop tôt la récompense de ses services, lui pré-
féra un autre candidat, François Bellenger, un pédagogue.
368. En attendant une meilleure chance qui, avec le temps,
se présenta, notre homme, dévoré d'ambition, rongeait son frein,
et cherchait comment il ferait pailer de lui. On aurait tort de
croire que ceux-là seuls aspirent à la renommée qui ont du génie
ou du talent. L'amour de la gloire torture souvent les esprits
médiocres autant que les grands cœurs, et cette passion impi-
toyable pousse des impuissants, quand ils ne peuvent rien inven-
ter de mieux, à se rendre immortels par le scandale. Tel fut le
cas de Sagon. Humilié, au fond, de sa mince célébrité provin-
ciale, plein de rage parce qu'il se voyait, lucide en cela, très
incapable de bâtir une œuvre belle et solide, il rêvait de met-
tre le feu à un temple. Et puis — qui sait ? — le démon héré-
ditaire, le goût des aventures l'agitaient peut-être. Justement,
l'un des Ango, le plus illustre de la dynastie, Jean Ango, « mar-
chand de Rouen et vicomte de Dieppe », venait (1531) d'armer
256 CLÉ.MENT MAROT ET SON ÉCOLE
à la fois dix-sept vaisseaux, et de contraindre, après avoir me-
nacé Lisbonne et bloqué l'embouchure du Tage, le roi de Por-
tugal à se soumettre et à traiter avec lui. Quel exemple ! Arbo-
rer le pavillon noir, jouer le rôle d'un écrivain corsaire, n'était-
ce pas un mo3'en de gagner vite et beaucoup ? Mais qui fallait-il
frapper ? Le roi des poètes, évidemment. Or, le roi des poètes,
c'était Marot, et Marot se trouvait, à ce moment, en disgrâce
et en exil. Ainsi il y avait une place à prendre et même deux :
l'une à la cour de France, l'autre auprès de la reine de Navarre.
Sagon connaissait un peu Marguerite, ayant, un jour qu'elle
passait au Mans [Bonnefon, 109], prêché en sa présence « du
mariage et loi sacramentelle ». Il espérait que son éloquence
lui avait attiré de l'estime, et que, pourvu qu'il peignît le pau-
vre Clément sous des couleurs bien noires et lui fermât le che-
min du retour, il n'aurait pas de peine à lui succéder.
369. Que le pirate ait fait ce calcul, je n'en doute, quant à
moi, nullement. Mais toute âme humaine est complexe, et rien
n'est plus rempli de m37stère que les raisons qui nous détermi-
nent. L'intérêt, la peur de vieillir inconnu ne sauraient suffire
à expliquer le Coup d'essay, le coup d'éclat de Sagon. Sa con-
duite hardie a d'autres causes, et lui-même a pris soin d'en
alléguer une. Il ne nie pas avoir été, un temps, en bons termes
avec Marot, et va jusqu'à prétendre que, liés par très « loyale
amitié » et « \Tai amour », ils communiquaient leurs affaires
ensemble. La brouille, inattendue et subite, serait née d'une
divergence d'opinions, d'une dispute qui aurait eu lieu « au
beau parc d'Alençon », le lendemain des noces d'Isabeau d'Al-
bret (16 août 1534). Les deux chers confrères devisaient tran-
quillement « dessus l'herbe » après souper, lorsque, de propos
en propos, leur discours tomba sur « la foi catholique ». Marot
blâma âprement François de rester fidèle aux doctrines romai-
nes, et l'engagea à sortir des ténèbres qui l'aveuglaient, à n'écou-
ter que le seul Évangile. Le prêtre, alors, avec onction et d'une
voix douce, essaya de ramener au bercail cette brebis égarée.
Mais Clément se fâcha, s'emporta, et se mit à crier si fort que
deux témoins survinrent, puis d'autres encore en grand nom-
bre. A la fin ils étaient cent. Le conflit continuait, l'un rugis-
sant avec frénésie, l'autre admonestant d'une manière civile.
Modération mal récompensée ! L'hérétique tira soudain son
poignard en « étourdi », et voulut tuer l'homme de Dieu.
370. Que vaut ce récit ? Est-il exact ? J'admets bien qu'il
n'est pas inventé de toutes pièces, et que la discussion s'est
réellement produite. Mais l'auteur a (grosse malice normande)
arrangé les choses à sa façon ; il a vu et fait la scène à faire.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 257
et, sans dire un mot des motifs égoïstes et personnels qui l'in-
vitaient à rompre avec Marot, il s'est bravement représenté
comme la victime d'un zèle dévot, un apôtre outragé dans l'exer-
cice de son ministère, un champion du devoir et de la foi. Par
ce moyen il se ménageait une multitude de partisans, il mon-
trait à la Sorbonne que leurs causes, à lui et à elle, se confon-
daient, et, ralliant la masse catholique, il semblait dire : Atten-
tion ! C'est pour vous que je combats. La lutte à laquelle vous
assistez n'a rien qui me soit particulier. Ne vous figurez pas
que l'ambition, l'intérêt, la gloriole me guident. Je me sacrifie
à des vérités générales, et c'est ici un débat qui porte sur des
idées.
371. Sagon n'a fourni, à qui voudrait comprendre son étrange
conduite, que cet unique et trop habile éclaircissement. Mais,
encore une fois, il avait, lorsqu'il est parti en guerre, bien d'au-
tres raisons qu'il nous a cachées. A celles que j'ai déjà déduites,
j'en ajouterai une, conjecturale mais plausible, que M. Becker
a très clairement exposée. Il semble que, dans l'un de ses coq-
à-l'âne, Marot s'était moqué de Félix de Brie comme ayant sou-
tenu, et peut-être en pleine Sorbonne, que la fornicatio sacer-
dotis n'était pas, après tout, un cas pendable. En vengeant son
patron ainsi attaqué, Sagon pensait acquérir de nouveaux droits
à devenir curé de Soligny ou d'ailleurs, et s'il avait eu, au mo-
ment de publier son pamphlet, des hésitations ou quelques
scrupules, il eût suffi, pour le décider, de cette seule considé-
ration. M. Becker signale, en outre, un fait qui confirme et
justifie son hypothèse : c'est que l'abbé de Saint-Evroult, une
fois le différend engagé, s'y est trouvé mêlé malgré lui. Clément
affirme que si le secrétaire lui a cherché noise, c'était par « ex-
près commandement » de monsieur son maître, et il menace
celui-ci de lui décocher, à moins qu'il ne se tienne tranquille, une
épître qui ne mettra point les rieurs de son côté... Et voilà,
je crois, tout ce qu'on peut dire sur les origines de cette que-
relle. Replacez-la au centre de la biographie de Marot, étudiez
ensuite la psychologie de l'agresseur, et vous conclurez que le
conflit devait se produire fatalement. Certains le présentent
comme un épisode singulier, un jeu du hasard, une sorte de
« phénomène ». Mais non ! Dans la vie de Clément, tragi-comé-
die si émouvante, les fureurs sagontines constituent une scène
analogue aux autres. Tout concorde et tout se tient. Puisque
le vaillant poète avait dénoncé et bravé la Sorbonne, qui ne
voit que les rancunes de tous les papistes, aussi bien de Rouen
que de Paris, entraient dans la logique de sa destinée ? Puis-
sants ou non, ils voulaient sa perte, et l'on s'étonnerait qu'un
(Uéraenl Marot et sou école 17
258 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Sagon ne l'eût pas insulté durant ses épreuves, et qu'il n'eût
pas reçu, peu après sa chute, le coup de pied de cet âne.
373. Le secrétaire de Félix de Brie s'est efforcé de nous per-
suader que son premier libelle, celui qui a mis le feu aux pou-
dres, fut composé presque d'un seul élan et comme par un mi-
racle de génération spontanée. Inspiré par une noble colère, ce
second Juvénal n'eut, à l'entendre, qu'à enregistrer les vers
que l'indignation lui dictait. J'étais, afftrme-t-il, en voyage,
et, par ordre de « mon seigneur », je suivais la cour « et tout le
train roj-al » en route, à cette date, vers ^a Bourgogne. J'allais
seul au pas de mon cheval ; le chemin s'étendait, monotone et
long, et je me sentais « ennuyé de l'esprit )>. Tandis que je rê-
vais, oisif et mélancclique, deux t'pîtres de toi, ô Marot, l'une
adressée de Ferrare au roi et l'autre destinée à deux demoi-
selles [G. III, 284, 307], me revinrent en mémoire. Je connais-
sais, depuis peu ces œuvres toutes pleines d'hérésie et d'impos-
ture ; on me les avait lues à Paris, et je résolus d'y répondre,
quoique n'ayant pas le texte sous les yeux. Tant pis si l'on re-
fuse de me croire, mais je jure que, m'arrêtant bien des fois
pour marquer sur mes tablettes ce que j'inventais à travers
champs, j'eus terminé mon poème en trois jouis. Voilà ce qui
s'appelle marcher. Quand j'entrai à Dijon, la morale était ven-
gée, la foi aussi... Il ne restait plus qu'à obtenir du roi une au-
dience afin de lui offrir ce travail conçu et rédigé toujours cou-
rant. Mais, à Dijon, François I^^ se trouva malade (novembre
1535) > et ce fut seulement à Lyon (14 janvier-21 février 1536)
que Sagon put l'approcher et lui présenter « par vertueuse au-
dace » son manuscrit. Le prince le reçut avec bienveillance, et
(( lâcha » au rimeur normand un gracieux « trait d'œil ». C'était
comme un permis d'imprimer. Sagon, en conséquence, publia
son factum, et, empruntant une expression imagée à la pré-
face de l'Adolescence clémentine, adopta pour titre Coup d'essay.
373. Les deux épîtres gauchement critiquées en cet ouvrage
méritaient, il faut le reconnaître, qu'on les blâmât. On se sou-
vient, je pense, qu'elles étaient contradictoires, et que, désirant
se concilier les bonnes grâces de la luthérienne Renée sans trop
déplaire à François I^^" qui ménageait Rome à ce moment, le poète
exilé avait envoyé à celui-ci, avec une satire de la Sorbonne
et des tribunaux, une profession de foi ambiguë, tandis qu'il
adressait aux « chères sœurs joinctes par charité » une lettre
nettement évangéliqiic. Sagon, cela étant, avait le droit de crier :
trahison ! duplicité ! palinodie et mensonge ! Il pouvait acca-
bler son adversaire en le montrant beaucoup moins attaché aux
choses du ciel qu'à sa fortune, et, vraiment, une belle occasion
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 259
s'offrait à lui d'ouvrir les écluses de son éloquence et de multi-
plier les invectives. Oui, mais il n'avait aucun génie, et si le
fiel ne lui manquait pas ni la meilleure de toutes les haines,
celle du dévot, cela ne lui ôtait point sa tare originelle : la sot-
tise. Même quand il a raison, le style, son pauvre style amor-
phe, assomme ou noie les idées. La phrase se traîne, décrit de
longs méandres, se perd en chemin et n'aboutit pas. Chaque
proposition, embarrassée de maintes queues successives, lan-
guit, inarticulée, et lorsqu'on arrive à la fin d'une période, on
a oublié le début. De gros clous relient, vaille que vaille, ces
membres qu'on voudrait dissocier, et c'est ici le triomphe du
que, du joint que, du qui, du lequel. Comment^donc vaincre avec
une telle arme ? Il eût fallu une épée légère, et le chevalier très
catholique possède une si lourde massue qu'on le voit incapa-
ble de la soulever. La fatigue est pour lui, le péril de même, et
l'on devine que ce poids énorme lui retombera dessus. En outre,
la science dont il se vante d'être meublé lui joue, comme à tant
d'autres, un méchant tour. Elle se retourne contre lui, et le
rend plus ridicule et plus niais qu'il ne l'eût été naturellement.
Quand il expose en vingt vers [p. 17] la sage conduite d'Aris-
tide banni, on a envie de lui dii-e : Passez au déluge ! Il y passe,
en effet, ou peut s'en faut. Je l'entends qui se compare à Phaé-
ton et à Tantalus [pp. 4, 6], puis qui raconte sans se presser
[pp. 9-10] comment Abraham a creusé des citernes que les Phi-
listins « estoupèrent » plus tard. Cela, au concours des Palinods,
eût valu au rimeur un chapeau de roses, mais son pamphlet ne
gagne rien à un tel étalage d'érudition.
374. Le Coup d'essay commence par une très copieuse dédi-
cace à François I^^. Cette dédicace, Jean Mohnet ou Guillaume
Crétin l'auraient signée, car on y retrouve, abominablement
délayé, un lieu commun cher à la troupe des rhétoriqueurs.
L'auteur avoue que sa hardiesse fut excessive, et qu'il n'aurait
jamais dû, lui si nul, traiter un sujet à ce point difficile. Il hé-
site, maintenant encore, à rendre public ce qu'il a griffonné.
Crainte lui livre un rude assaut ; Honte le ramène en arrière,
et Danger serre à deux poings la corde de son franc arbitre.
Quelle situation ! Ma « langue bransle », dit-il, et je n'ose par-
ler. Mon « esprit vital » se trouble, et je demeure « comme es-
bahy », prêt à anéantir mes inventions et à » suffocquer » l'en-
fant nouveau-né [p. 3]. Ce thème centenaire, usé par tant de
loyaux services, est plaqué ici fort mal à propos. Sagon, vrai-
ment, se moque du monde lorsqu'il se prétend plein de modes-
tie, car il espère que le roi pensera dès qu'il aura lu ce joli « pro-
logue » : un second Marot vient d'apparaître ; laissons le pre-
260 CLÉMENT MAROT ET SON ECOLE
mier au delà des Alpes... Le même désir de supplanter le grand
poète proscrit inspire à Sagon la pensée d'offrir à la reine de
Navarre quelques vers de son cru. Le Coup d'essay est suivi
d'une Épistre aux troys frères princes et enfans de France, et
c'est de cette épître, galimatias métaphysique où sont célébrés
les sacro-saints mystères du triangle et du nombre trois, que
Marguerite reçoit l'hommage. Bien entendu, l'écrivain s'excuse
(et il a raison) d'oser faire un pareil cadeau. Il ne cache pas qu'il
a tracé d'une « main tremblante » ses fantaisies triangulaires, et
supplie qu'on soit indulgent poiu- son « lourd et gros esprit »
[p- 35]-
375. La partie essentielle du Coup d'essay comprend les ré-
ponses aux épîtres que Marot avait envoyées au roi et aux de-
moiselles sœurs. Je n'ai rien à dire sur le début de la première
réfutation, car elle commence par une centaine de vers mortel-
lement ennuyeux et comparables à un prône qui serait à la fois
perfide et pédant. Ce sermon (c'est bien le moment !) exalte
la vraie charité, la charité « non faincte » [p. 9]. L'auteur, son
exorde fini, entre dans le vif du sujet, et parce que l'effronté
Marot a calomnié la Sorbonne et la magistrature, il s'applique,
lui, à les défendre. Elles venaient, pourtant, de triompher ;
Marot avait dû prendre la fuite, et louer les puissances qui
l'avaient banni, c'était voler au secours de la victoire. Mais
qu'importe ! Le protégé de l'abbé de Saint-Evroult n'a pas de
vaines délicatesses, et il n'hésite pas un seul instant à servir
la cause des plus forts. Les docteurs de Sorbonne, afïîrme-t-il,
ne sont pas des ignorants. J'admire, je vénère « leur grande ex-
cellence ». De même que le peuple élu vivait de la manne, ils
« cueillent le fruict du texte evangelique ». Le « bien transi-
toire » ne les touche pas ; ils ne pensent qu'au ciel, et la grati-
tude de ceux qui jugent sainement leur est acquise, vu qu'ils
ont livré le bon combat contre la philosophie. Grâce à eux, les
philosophes se taisent, et la théologie parle, dominant les scep-
tres « des empereurs et roys ». Dès que ces messieurs de la Fa-
culté veulent ouvrir la bouche. Dieu, en leur faveur, lâche la
bride au Saint-Esprit [pp. 14-15]... Quant à la justice du par-
lement et du bailli Morin, elle aussi « va droict et d'ung seul
pied ne cloche » ; elle n'est pas sourde ; elle n'est pas aveugle ;
du glaive qui flamboie en sa dextre « oncques ne fut personne
a tort frappée », et le poids qu'elle tient en sa main sénestre
annonce qu'elle rend à chacun ce qui lui est dû [p. 18].
376. S'adressant ensuite « aux deux sœurs de Clément », Sa-
gon travaille à « confuter » la lettre qu'elles ont reçue. Il les
connaît si peu, ces Savoisiennes, qu'il les croit de Paris. Bien
CLÉMENT MAROT ET SON ECOLE
261
mieux, il les y a vues un jour qu'il s'en allait à l'église, et il a
deviné que leurs maris étaient fort à plaindre, attendu qu'il y
avait en elles « ung je ne sçay quoy » dont on pouvait conclure...
tout ce qu'on voulait [p. 21]. Mais Sagon, bien qu'il les enrôle
au petit bonheur parmi les impures, ne laisse pas de les caté-
chiser. Donc, nouvelle prédication. Notre homme, ici, est à
son affaire. Il développe, explique, commente, enfle la voix.
Sa première phrase a vingt-six vers. Il montre à ces Parisiennes
de Savoie que leur « maulvais fraire » a eu tort de leur dire que
la foi seule justifie le chrétien et que les œuvres n'importent
guère. Qui admet cela sera damné. La foi, condition nécessaire
pour « impetrer » la grâce, ne saurait, néanmoins, suffire. Il faut
des œuvres, et, sans les œuvres, point de salut [p. 29]. S'il vous
manque l'une de ces deux clefs, jamais vous n'ouvrirez la porte
du paradis, et même vous resterez au seuil si, arrivant avec la
foi et les œuvres, vous êtes dépourvu de charité. Deuxième
éloge de cette vertu. Insensible aux outrages, patiente, con-
fiante, fuyant les actes d'où naît le remords, telle est la cha-
rité qui « aulcun ne blasme ». Là-dessus, joignant l'exemple
au précepte, le prêtre rimeur insulte les victimes du drame des
placards, traîne dans la boue tous ces martyrs, et, après avoir
une seconde fois marqué [p. 30] un bon point aux chats four-
rés, déplore que certains hérétiques aient échappé à leurs coups
[P- 331
377. Les deux réponses de Sagon se ressemblent encore en
ceci que les injures à l'adresse de Marot y foisonnent, basses
et violentes. Le talent même lui est dénié, et on le donne [p.
20] comme n'étant « orateur ni poète ». Ignare puisqu'il ne
sait « ung seul mot de latin » [p. 28], il n'a d'autres dieux que
Tibulle et qu'Ovide, se nourrit de livres voluptueux, et se mêle
pourtant, vrai serpent qui prophétise sous l'herbe [p. 34], à'ob-
ténébrer [p. 9] la doctrine évangéhque et d'éloigner les simples
de l'orthodoxie. Nul, à cet égard, n'a fait autant de mal que ce
mangeur de lard en carême ; principale cause du « desarroy »
de l'Église, il mérite d'être regardé comme le « porte guydon »
des gens à brûler [p. 14], et les mensonges de cet hypocrite,
de ce Pathelin doublé d'un Villon, sa « langue injuiieuse et vile »
[p. 15] déçoivent ceux qui ne le connaissent pas. Sa vie privée,
sa vie « infâme et orde » [p. 16] ne vaut pas mieux que ses œu-
\res publiques, et Sagon lui crie, tout écumant : « O pauvre
beste insensée », tu as laissé tes enfants et ta femme à l'aban-
don [p. 26] ; si grande, si honteuse est ta pauvreté que tu ne
possédas « onc habit net » en ton cabinet. Tu les as mises en
gage, tes nippes, et celles qu'on te voit sur le dos, quelqu'un te
262 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
les a prêtées [p. 19]. Et tu t'imagines, vaniteux, que la France
te regrette ? Ah, la « .départie aggreable » ! Elle réjouit les bons
citoyens, et ils n'ont qu'un désir, c'est que la justice mette « la
dent sur ta charogne » [p. 13]. Cela viendra. Ton crime est « égal
a lèze majesté » [p. 12] ; tu n'éviteras pas le supplice, et bien-
tôt, que tu te repentes ou non, tu mourras « en feu, en croix,
en roue ou potence » [p. 34]. Ce vers est le dernier du libelle.
La tâche du saint homme est achevée, et il n'a plus qu'à écrire
sa devise, par malheur identique à celle du grand Jean Par-
mentier ; Velà de quoy !
378. Bien que le Coup d'essay fût, à tous égards, un répu-
gnant ouvrage, il fit cependant beaucoup de bruit, et suscita,
dès son appaiition, un certain nombre d'imitateurs. En voici
deux qui s'empressèrent de suivre les traces de François Sa-
gon : le premier, Charles Huet ou La Hueterie, est un person-
nage autant dire inconnu, et nous pouvons, du moins pour l'ins-
tant, le négliger ; le second, Jean Leblond, seigneur (et non
pas curé) de Branville, a quelque valeur, et les divers livres
publiés par lui méritent qu'on les examine. Il se dit, en l'une
de ses dédicaces, natif an territoire d'Évreux. C'est un peu va-
gue, mais il précise ailleurs : « Barra [il s'agit de La Barre-en-
Ouche] mihi patria est... quae bis | Millibus Ebroica distat ab
urbe novem ». Il fit ses études en « Paris la docte », et paraît
avoir eu comme protecteurs Claude d'Annebaut, amiral et ma-
réchal de France, et les parents du j eune et « noble baron de
Ferières, seigneur de Chambrays », dont il se proclame le a très
humble esclave, ministre obeyssant et subject perpétuel ». Qu'il
ait tâché de se pousser à la cour, il n'y a pas lieu d'en douter
puisque nous savons qu'il a quitté, un temps, sa province, et
qu'il a composé « au domicile des gratieuses et humaines Muses
parisiennes » une partie du lecueil de vers imprimé en 1536.
De plus, on trouve une pièce de lui parmi celles qui déplorent
le trespas de feu monseigneur le Daulphin, et il a, sous le titre
de Niiptiaulx virelays, rimé un épithalame de Madame Made-
leine de France. Si vous ajoutez que Leblond se désigne par
les mots d'humble espérant et que sa devise est Espérant mietilx,
vous admettrez volontiers qu'il ne devait pas, lui non plus,
manquer d'ambition, et qu'il cherchait les moyens de percer.
Franchement, les Nuptiaulx virelays, tout encombrés de vaine
et trop facile m>i:hologie, n'étaient guère de nature à lui ouvrir
d'un coup la porte du roi, et il perdait son temps et son encre
en dépeignant la jalousie de Junon, de Vénus et de Pallas qui
craignent d'être avant peu éclipsées par Madeleine et que « Jup-
piter n'ayt d'icelle accointance ». Sans doute, c'était flatteur :
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 263
mais Clément était capable de faire aussi bien, et on l'évin-
cerait plus facilement par des calomnies que par des vers. Voilà
ce que pensa le normand Branville comme l'avait pensé le nor-
mand Sagon, et comme le pensait, à la même date, La Hue-
terie qui, lui, alla droit son chemin, et, ayant le courage de son
opinion, demanda tout net à François I^^ la place du pauvre
Marot.
379. Le réquisitoire dirigé contre lui par Jean Leblond se
lit à la fin du Printemps de l'humble espe'ranf. Ce volume, où
sont réunies les choses les plus disparates, nous présente d'abord,
comme pièce de résistance, un Temple de Diane. Ceci nous ra-
mène assez loin en arrière, au temps où Molinet, Lemaire et
Clément lui-même s'amusaient à construire, sur un plan inva-
riable, des temples de Mars, de Minerve, de Vénus, de Cupido.
La règle, on se le rappelle, voulait que l'on dotât de la liturgie
romaine ces sanctuaires païens, et que la peinture fût allégo-
rique. Ici, il s'agit des plaisirs et, en outre, des avantages mo-
raux de la chasse. Branville n'a pas cherché à paraître original,
et a suivi point par point la méthode de ses devanciers. Le tem-
ple de Diane, « gracieux umbrage d'arbres haultains », repose
sur des colonnes qui sont des « lauriers odorifères ». Le prélat,
monseigneur Déduit-royal, homme joyeux, sanguin et délibéré,
officie entouré de chanoines et de chapelains qui se nomment
Jeunesse, Santé-de-corps, Liesse, Persévérance et Appétit. Les
chiens courants [f. Bi v»] jouent le rôle de chantres ; leurs cris
valent mieux que « flustes et hauboys », et c'est « une droite
faerye » de les entendre. Une longue file de pèlerins accourt
sans cesse vers ce lieu sacré, et l'on remarque, dans l'assis-
tance, Enée et Didon, les pucelles de Sparte, Adonis, Méléagre,
Atalante et François I^r. L'auteur qui, dès les premiers vers du
poème, s'était détourné avec horreur de la statue de Vénus,
demande, en concluant, à être ordonné prêtre de Diane. Cette
requête est bien accueillie, et, à l'instant, le nouvel Hippolyte
fait vœu d'éternelle chasteté.
380. Tournez la page ! Ce même Jean Leblond, qui vient
ainsi de renoncer à l'Amour, à ses pompes et à ses œuvres, lui
rime une supplique en qualité de « povre fouldroyé », c'est-à-
dire de pauvre avarié. Le mal dont il souffre, il le désigne très
clairement, sans périphrase ni euphémisme. Du Temple de Diane
à ce mal-là, vraiment, le passage est un peu brusque, et une
petite transition n'aurait pas semblé de trop. Mais le lecteur,
une fois remis de sa surprise, se plaît à constater que l'écrivain
est beaucoup mieux inspiré comme martyr du traître Cupidon
que lorsqu'il chante la virginité. Si les plaintes du foudroyé
264 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
sont grossières, elles ont une certaine vigueur, un air cavalier
et picaresque. Je signale un couplet qui se recommande par
im réalisme digne de Villon : Branville déclare à l'Amour que,
s'il ne porte pas remède au fléau qu'il a déchaîné, sa cour, tel-
lement brillante jadis, va devenir une cour des miracles. Au-
trefois, dit-il, c'étaient les rois qui te servaient, te faisaient
cortège. Et maintenant !... Maintenant, ceux qui marchent der-
rière ton char, ce sont des gens à ^ pales museaulx », plus blancs
que plâtre, couverts de cicatrices, décharnés, « monstrant leurs
dens comme s'ils vouloyent mordre », muets ou « parlant du
nez », s'avançant à l'aide de béquilles, « plains d'oignements »,
et dont la figure est à ce point enrichie d'emplâtres qu'on n'a-
perçoit plus que leurs « yeux mengés ». Voilà tes ministres, ô
Cupidon ! Ils n'ont rien gagné à te prendre pour maître, et
com ien tu vas perdre, toi, à cet étalage de leurs plaies ! Cha-
cunbfuira tes autels, fatigué d'un culte si onéreux.
381. Que ce soit là de la « poésie », on peut, on doit même le
nier. Mais on ne refusera pas à ce tableau une certaine force
plastique, qui se retrouve, d'ailleurs, en quelques autres par-
ties du Printemps. Assez alerte et spirituelle me semble l'Épis-
tre à ung drapier. L'auteur qui s'excuse de n'avoir pas encore
payé ce marchand, et qui le renvoie au k joly moys » de mai,
se défend d'imiter maître Pierre Pathelin, le trompeur à 1' « oaye
grasse », l'homme gui se gandissait de drapperie. Branville, lui,
compte s'acquitter : mais, dit-il, « le cuir de ma bourse est si
tendre » que l'argent glisse et coule à mon insu. Donc, prenez
patience ! Endurez ! Pourquoi non ? Jésus-Christ endura beau-
coup, et il est écrit, dans la patenôtre, « qu'il faut aux debteurs
pardonner »... Le reste du livre ne vaut pas cela, et j'indique,
sans m'y arrêter, la Déflagration de la ville de Chambrays (30
juillet 1534), l'Épisfre (toujours Trissotin !) à la fièvre quarte
qui avoit prins ung évesque [f. Dii r^], l'Épistre élégiacque de
l'humble espérant à sa dame, en rythme alexandrine, un Chant
royal en l'honneur de monsieur sainct Jehan-Baptiste et des let-
tres adressées à maistre Guillaume Saulnier, poète français et
latin et à Jehan Basset, facteur et chantre.
382. Nous arrivons, cette énumération faite, à ce qui nous
intéresse le plus, aux pages qui visent Clément Marot. On ne
se douterait guère, en les lisant, que Leblond devait, plus tard,
composer, avant Joachim Du Bellay, un éloge, une défense de
notre langue vulgaire et nationale. Pour l'instant, il écorche
horriblement le latin, et l'on rencontre chez lui un grand nom-
bre de ces termes que Pantagruel jugeait « diaboliques ». Les
premiers vers sont un pur grimoire, un logogriphe quasi indé-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 265
chiffrable, et le reste abonde en mots non moins sauvages que
savants : universe, par exemple, ou sitihond. A quoi vous ajou-
terez énucléant, parisiaque, traditeur, augurateur et parvipen-
dant. Voilà un joli vocabulaire, à la fois riche et très distingué.
Pourtant Branville ne méprise pas, comme on aurait pu s'y
attendre, le style en apparence naïf et un peu nu de Marot, et
si, en un transport de rage, il lui arrive de l'appeler un « vray
barragouin », il avoue ailleurs que son ennemi est remarquable
par sa « veine faconde )>, que nul ne l'égale en « beau parler »,
qu'il obtiendrait, pourvu qu'il renonçât à l'hérésie, aussitôt
« loz et triumphe », et que personne ne lui disputerait le « trosne
d'éloquence françoise ».
383. Oui, mais Clément a fait siennes les damnables erreurs
de Luther, et il en résulte qu'il n'est plus, malgré son génie,
qu'un « presumptueux veau », qu'un sanglier qui se roule, de
manière à le rendre boueux et noir, dans le « ruisseau caba-
lin » [f. Hi ro]. Qu'attendre, en effet, d'un être assez inique pour
calomnier ce qu'il y a, sur terre, de plus vénérable, savoir le
parlement et la Sorbonne ? Les louanges que Sagon décernait
tant aux magistrats qu'aux docteurs pâlissent devant le pané-
gyrique enflammé que leur adresse l'Humble Espérant. La Sor-
bonne, à l'en croire, est « angelique » ; il la proclame « fille de
Dieu » ; les malveillants seuls peuvent l'accuser d'ignorance,
car ces langues hébraïque et grecque dont elle interdit l'étude,
elle les connaît et les possède. Ceux qui la haïssent ne lui repro-
chent, au fond, qu'une chose : son zèle catholique, sa ferme foi.
Et qu'il y ait, parmi ces hommes de bien et dans l'armée im-
mense des moines, quelques membres gangrenés, quelques mau-
vais pasteurs, des gens avides, oisifs ou simoniaques, on ne
songe pas à le nier. Mais cela neprouve rien. Où donc le mal ne
se glisse-t-il pas ? Tous les rois ne sont pas bons rois ; tous les
nobles n'ont pas l'âme noble ; tous les laboureurs ne labourent
pas comme il faudrait ; chaque mariage que le prêtre bénit ne
forme pas un heureux ménage, et les juges, parfois, se moquent
de la justice... Non pas ceux, pourtant, qui siègent au parle-
ment de Paris ! Ce royal sénat, « orné d'esprits notables », Bran-
ville l'appelle non seulement « le pilier et le solide marbre »,
mais encore la chaire, « le pol articque et céleste solstice » de
l'équité. Une telle cour, sainte et incorruptible, quiconque n'a
pas un cœur de galérien la salue et la respecte. Par contre, les
méchants ne l'apprécient guère, et, prévoyant qu'ils seront un
jour pendus, ils insultent d'avance le tribunal. Ne vous en éton-
nez pas ! C'est la règle : jamais teigneux n'a aimé le peigne.
384. Inutile de dire que tout cela s'applique au pauvre Clé-
266 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
ment. Branville ne le ménage pas, et lui décoche mille invec-
tives. Tu es, lui crie-t-il, « pourri d'heresie » ; il serait plus facile
de blanchir un Arabe que de laver ta sale conscience ; je te dé-
nonce au monde comme un galeux rempli d' « impurité », et
j'espère, avec tous les vrais chrétiens, que Dieu te châtiera
quelque jour et nous délivrera de toi, « lezardeau, venimsuse
lice, poignante vipère, loup terrien, basilic infaict, tortueux
serpenteau, dragon pestilent », nouvelle « hydra » [f. Hi v^].
Il faut que ton orgueil soit démesuré pour que tu aies, Marot
porteur de marotte, osé prétendre [G. III, 304] que la France
avait été « ingratissime » envers toi. Pour qui donc te prends-
tu ? La France te doit-elle quelque chose ? Es-tu son grand-
père ? Est-elle tenue à te respecter comme un second Enoch
ou un autre Élie ? Il serait plaisant qu'elle te gardât une vive
reconnaissance, à toi dont elle n'a reçu que honte et poison.
Tu proclames en vain l'innocence de tes amis, de ces miséra-
bles luthériens qui ont eu « les os pelez en ardant feu ». Leur
supplice fut très mérité, et non moins juste sera ta mort. Nous
te verrons avant peu sur le bûcher. Tu le sais bien, et, à cette
pensée, ton fro7it sue de -peur. Parlant des monstres qu'on a brû-
lés pour crime de lèse-eucharistie, tu as avoué [G. III, 303]
qu'ils valaient mieux que toi. S'il en est ainsi, que vaux-tu ?
De quelles tortures n'es-tu pas digne, et comment échapperais-
tu au bourreau ?
385. Assailli de la sorte par Sagon et Branville, le poète exilé
se résigna assez longtemps au silence, feignit de n'avoir pas
senti l'outrage, et, attendant son heure, ne bougea point. Pour-
tant, dès juillet 1536, alors qu'il languissait à Venise, il avait
lu le Coup d'essay [G, III, 437, v. 80] ou avait appris, tout au
moins, l'existence de ce factum. Répondre à ce moment eût
été fort périlleux. Marot qui travaillait à son rappel, et que
ses adversaires peignaient séditieux et turbulent, gagnait beau-
coup à se taire, et n'avait pas intérêt, certes, à jeter de l'huile
sur la flamme. D'ailleurs, quelques mois plus tard, il remporta,
sans prendre la plume, une victoire sur ses ennemis. Son retour,
qu'ils croyaient impossible, les consterna, et sa rentrée en grâce
fut un soufflet pour eux qui n'avaient cessé de prédire qu'il
n'éviterait pas ou la potence ou les fagots. Content d'avoir fait
mentir cette féroce prophétie, il différa sa Vengeance, et nous
savons même [Lenglet-Dufresnoy, 107-108 ; Bonnefon, 124-125]
qu'ayant rencontré Sagon chez la reine de Navarre, « au pont
Saint-Cloud, sur le fleuve de Seine », il dissimula sa rancune,
demeura impassible, et ne prononça « paiole ne demie ». L'au-
tre, en cela mauvais psychologue, s'imagina que cet homme
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 267
prime-sautier et fougueux acceptait avec patience la brutale ava-
nie du Coup d'essay, et que sa calme attitude signifiait qu'il ne
riposterait pas. Il fallait être Sagon pour nourrir une pareille
illusion. Il confesse l'avoir eue, et demande ingénument : D'où
vient que tu ne m'as pas averti « qu'encontre moy Fripelippes
faisais » ?
386. Mais tandis que Marot, secrètement et à loisir, méditait
son écrasante réplique, trois de ses disciples ou de ses admira-
teurs se levaient afin de le défendre, et l'on entendit bientôt,
lui rendant pleine justice et huant son détracteur, les voix de
Bonaventure des Périers, de Charles Fontaine, puis celle d'un
inconnu qui se dérobait sous le pseudonyme de Nicole Glote-
let. L'intrépide, le si généreux Bonaventure, sans grand talent
mais cœur chevaleresque, rimeur gauche mais champion hardi,
toujours pi et à courir au danger, au sacrifice, se montra pour
Clément le vrai ami, comprenez l'ami des mauvais jours. Le
bien qu'il pensait de lui, très vaillamment il le proclama au
temps de la défaveur et de l'exil. Le poète était à terre lorsqu'il
lui tendit la main, et ce fut là un geste émouvant. Des Périers
supplie le roi de rouvrir la France et la cour au second Maro.
Sa cause, déclare-t-il avec une sincère et touchante modestie,
cent autres la plaideraient mieux que moi. Allons, qu'ils parais-
sent et me suivent ! Pourquoi me laissez-vous seul, vous autres
qui avez de l'esprit ? Hâtez -vous de secourir votre maître, votre
grand confrère. S'il a commis des fautes, elles sont légères, vé-
nielles, et le coupable qu'il faut confondre, c'est « cebestion »,
ce vilain oiseau à la plume de harpie ou de chouette qui veut
nuire au phénix sans pair, et trouble « la divine assemblée »
des Muses... Bonaventure pénètre excellemment le dessein caché
du « maromastix ». Ce qui l'inspire et le pousse, c'est l'envie, et,
au fond, il ne cherche qu'une chose : se tirer de l'ombre, du
néant, se faire un nom, « s'advancer ».
387. Charles Fontaine qui entre en lice avec (il avait alors
vingt ans) l'ardeur passionnée et téméraire de la jeunesse, assi-
gne les mêmes motifs à la conduite de François Sagon. Il a
voulu, et Huet comme lui, supplanter Clément, obtenir ses
gages et son « lieu » (sa place), parvenir, au moyen de vers qui
ne valent pas deux groseilles, « a honneur et a joie », c'est-à-
dire à mériter « quelque don ». Voilà pourquoi ce veau, ce Zoïle
a calomnié un absent. Fontaine aurait dû insister, j:raiter lar-
gement ce thème moral. Mais il l'indique à peine, et préfère
critiquer en détail le .style misérable du Coup d'essay. Il note
les rimes faibles, les phrases obscures, les mots pédants calqués
sur le latin, et conclut que c'est là une de ces œuvres qui, plus
268 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
sèches qu'une tuile, sont condamnées à mourir. Fatigue, indigne,
le lecteur s'écrie Bren du poète ! et il envoie aussi l'imprimeur au
diable. En quels termes ? Consultez le texte (p. 173), et vous
verrez.
388. Cette apologie de Marot semble puérile dès qu'on la com-
pare à celle, si ample et par endroits si forte, que Nicole Glo-
telet composa. Il est dommage qu'elle soit hérissée de m^dhes
et de noms antiques, car, à ce vice près, elle est digne de beau-
coup d'estime, et donne une haute idée aussi bien du caractère
que de l'intelligence de l'auteur. Lui, il est parti en guerre vers
l'heure où Clément repassait les monts, et il commence, cela
étant, par une façon d'églogue enthousiaste qui célèbre l'arrivée
du proscrit. Toutes les divinités rustiques et musiciennes, le
chœur entier des chantres fabuleux, les l3Tiques de la Grèce et
de Rome, les nymphes et les pâtres de A'irgile sont priés de
ressusciter au plus vite et de se réjouir à cause de ce retour
désiré. A l'instant ils approuvent et consentent. Voici Apollon
qui prépare sa 13^-6 ; « Pan l'arcadique » joue de la flûte ; Orphée
« sj-mphonize », les doigts sur son luth ; Arion, Musée, Amphion
se mêlent gentiment au concert ; Tityre les accompagne « par
mesure et compas » ; l'autre Phébus (c'est Pindare) émet des
accords ensorcelants ; Triton frétille, plein d'allégresse, et fait
sonner, entre deux gambades, sa conque marine, « sa grant co-
quille creuse et tortue » ; Alcée et Corydon, coiffés de « chap-
peaux de fleurs très redolens » et tenant chacun une déesse « par
soubz le bras », forment des danses parmi les prairies, et mau-
dissent les gueux, les sots qui s'affligent « de veoir Marot a la
France rendu ». Finalement, ce bal des immortels et ce bruit
d'orchestre dans le bois sacré aboutissent à une manifestation
hostile au vaniteux secrétaire de l'abbé de Saint-Evroult, et
c'est lui qui paiera les frais de la fête.
389. Glotelet lui reproche d'abord d'avoir méconnu les dons
surnaturels de Marot et, pour montrer en quoi ils consistent,
il s'applique à définir le \Tai poète. Dieu, affirme-t-il, est en
lui. Les accents qu'il nous fait ouïr, la Sagesse suprême les lui
prête et les lui souffle ; il écrit sous la dictée de l'Éternel, et
ressemble ainsi à un instrument qu'animerait l'artiste infailli-
ble, le maître d'en haut. Oui dit poète dit prophète. Autant de
beaux vers, autant d'oracles, et nous pouvons comparer l'œuvre
d'Homère à la mission d'Ézéchiel. Ce sont là des idées platoni-
ciennes, et une telle manière de concevoir le rôle et l'essence du
génie devait, à cette date, paraître étonnamment neuve. Ron-
sard eût signé avec plaisir la page que je viens d'anal3'ser. Reste
à savoir, toutefois, si ce portrait du surhomme inspiré évoque
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 269
en nous la figure de Clément. Oui certes, répond Glotelet, et les
cuistres et les jaloux soutiendront seuls le contraire, alléguant
que Marot s'est exprimé en vulgaire langage, en simple français
bon pour la plèbe. Objection risible ! Pourquoi ne pas blâmer,
à ce compte, l'hébreu de l'hébreu David, le grec de l'Homère
grec et le latin du latin Virgile ? La haine des sots n'épargne
jamais les grands esprits. Chaque Virgile crée un Bavius ; cha-
que Marot produit un Sagon. Oh, l'outrecuidant, le « povre
idiot )), r « asinin » personnage que cela fait ! Et quelle bravoure !
Il attend que son adversaire soit à trois cents lieues poui lui
envoyer un boulet de canon. « Bon canonnier », ta pièce ne
porte pas si loin, et celui que tu n'aurais pu abattre quand vous
étiez nez à nez, tu ne l'atteindras pas à Ferrare en le visant
de Paris. La lutte n'est pas égale entre vous deux, et je te com-
pare à un manant qui défie un prince, à la mouche qui provoque
un éléphant, au corbeau criard qui veut chanter comme un
rossignol, au hibou qui préfère sa queue à celle du paon, au
petit moineau « tout desplumé » qui ose attaquer un gerfaut
royal.
390. Mille autres images s'offrent d'elles-mêmes à Glotelet —
et quelques-unes sont excellentes — lorsqu'il s'agit dépeindre
la lourde bêtise de François Sagon. En lisant, lui dit-il, ton
Coup d'essay, tes « carmes » agressifs mais invalides, on croit
voir un bœuf qui- danserait, couvert d'une armure, la pyrrhi-
que. Tes arguments décousus tombent « comme crottes de chiè-
vre » ; rien n'est plus comique, malheureux fou, que tes contra-
dictions, tes battologies, et quand, renonçant à la satire, tu te
lances dans la métaphysique, on aperçoit à plein ton arrogante
stupidité. Ici se place, gaie et judicieuse, une critique de cette
Épistre aux troys enfans de France où Sagon, philosophe dément,
a servi, sous la forme d'une horrible macédoine, le peu de no-
tions qu'il avait touchant les vertus de la triade et du triangle.
Nicole Glotelet regarde ce bavardage mystique comme un rêve
de malade, le délire d'un cabaliste ou d'un thaumaturge ; il rit
de ce triangle qui n'a ni angle « ny bout ny coing », et demande
ce que les jeunes princes ont pu comprendre à cette poésie chao-
tique où tout se trouve confondu, l'enfer et la terre, la terre
et le ciel, le bien et le mal, le blanc et le noir, l'homme et les
dieux. Il conclut en affirmant : ton Coup d'essay appelle des
coups de fouet. Si tu ne veux pas les recevoir, amende-toi ;
renvoie le « cacodemon qui presche en toy » et te rend mania-
que, puis, au lieu de travailler à acquérir le renom d'un sot,
d'un veau et d'un âne, chante « par mélodie » (si tu peux !) le
jour qui nous ramène notre Clément.
270 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
391. De toutes les pièces qui ont trait à la fameuse querelle,
je dirais que celle-ci est la meilleure si Marot lui-même n'avait,
rompant le silence, vengé en personne sa propre injure et décoché
à son ennemi la joyeuse, l'accablante épître de Fripelippes.
Devant cette œuvre on pense : voici le maître ! et il ne reste qu'à
saluer. Voltaire n'a jamais fait mieux, et l'esprit français triomphe
ici. Vraiment, c'est par modestie et politesse que l'auteur réclame
le secours de ses partisans [G. III, 582, v. 152 sqq], et veut
réunir sous sa bannière La Borderie, Fontaine, Lyon Jamet,
Victor Brodeau et Bonaventure. Il les vaut tous à lui seul ; il
n'a pas besoin d'eux, et sa réplique au « vieulxresveur normand »,
nul autre n'aurait pu l'écrire. C'est une très adroite fiction
d'avoir chargé un valet de répondre aux basses dénonciations
d'un grimaud. Et Fripelippes riposte avec génie. Loin d'imiter
l'adversaire qui s'égare, avant d'aborder son sujet, en de longs
circuits de paroles, il saute à pieds joints au cœur de la place.
Dès les premiers vers il saisit à la gorge le Sagon, il le secoue, Iç
roule à terre, ne le lâche plus. Chaque mot porte, acéré et perçant.
Quelle colère et que de mépris ! Ces deux hommes — celui-ci
filleul des fées, clairvo\-ant et invincible ; celui-là toujours
furieux, mais balbutiant et noué — rappellent Prospero et
Caliban. Lorsque le magicien n'est pas là, Caliban médite de le
tuer, pousse contre lui des assassins, et dit à Stephano : « Je t'en
prie, mon roi, commets le bon crime, et je te lécherai les pieds. »
Vains projets sanguinaires ! Sitôt que se montre Prospero, il lui
suffît, pour que le conspirateur tremble et s'effondre, de le regar-
der en face et de lui crier, dédaigneux : Va-t'en poussière ! Tais-
toi, esclave !... Ainsi Marot domine et dompte Sagon. Le mou-
vement endiablé de la fin, les interjections Zon dessus l'œil!
Zon sur le groin ! donnent l'impression d'un châtiment corporel,
et l'effet d'ensemble que produit rou\Tage est figuré à merveille
par la vignette du titre : un fort gaillard qui bâtonne un singe.
392. Si le domestique de Félix de Brie avait été fin et avisé, il
aurait senti que son procès, maintenant, était perdu, qu'il ne se
relèverait jamais de V<i epistre a oultrance » qu'il venait de rece-
voir, et que rien, par conséquent, n'était plus sage que de rester
coi. ]^rais il n'eut pas l'esprit de se résigner, et rima une inter-
minable duplique intitulée Rabais du caquet de Fripelippes..,
par Matthieu de Boutigny, paige de maistre Françoys de Sagon.
Ainsi, en passant la plume au serviteur qu'il a ou prétend avoir,
l'indigent artiste copie le poète qu'il attaque et lui rend hommage
naïvement. D'ailleurs, il l'imite encore de bien des manières, et
voici quelques exemples de ses procédés : Clément l'ayant changé
en sagouin, il lui semble indispensable d'opérer à son tour une
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 271
pareille mc'tamorphose. Il réfléchit, le front dans ses mains, et
travaille à commettre un calembour. Tout marche à souhait,
car il en trouve un, puis deux, puis trois, même quatre. D'abord,
Marot est converti en maraud ; ensuite il se transforme, à cause
de son rappel, en rat pelé, après quoi il devient un marmot,
vocable qui désigne un singe. Or, observe l'auteur de ces gen-
tillesses, il y a moins loin de Marot à marmot (une seule lettre en
plus) que de Sagon à sagouin (deux lettres). Et pourquoi se
moquer du mot Sagon ? N'a-t-il pas une flatteuse origine, de
beaux états de services, et oubliez-vous que les Sagontins (con-
sultez Tite-Live ! ) se sont, en 219 avant Jésus-Christ, ensevelis
sous les ruines de leur ville plutôt que de trahir Rome ? Ici, une
demi-page qui exalte « la foy sagontine » et rattache Sagon non
à sagouin, mais à Sagonte. On le voit, ce qui était, chez Fripelip-
pes, une très brève plaisanterie, un jeu portant sur une syllabe,
s'étale en long et en large, s'enfle et déborde dans le Rabais,
et c'est de cette façon que Boutigny rabaisse le caquet de son
rival. Il lui vole ses idées, mais, afin de paraître original, il les
amplifie jusqu'au dégoût. Reprenant l'exclamation Zon sur
l'asne de Balaan ! [G. III, 589], il en tire quatre-vingt-quatre
vers, raconte par le menu l'histoire du prophète, et insiste sur ce
fait qu'il montait non pas un âne, mais une âhesse. Il est difficile
de saisir l'intérêt d'une telle distinction, et l'on ne devine pas
ce que Sagon peut gagner à être comparé à une ânesse plutôt
qu'à un âne.
393. De même que Clément appelait à la rescousse ses amis,
il convoque, lui, tous ses tenants, et ce lui est une occasion nou-
velle de noircir beaucoup de papier. Commençant, en effet, par
implorer le secours des morts, il adj ure Alain Chartier , Meschinot,
Molinet et Crétin de quitter la tombe pour voler au combat, et
c'est seulement après cette conscription des ombres qu'il se
tourne du côté des vivants et s'efforce d'amener à lui Branville,
qui est déjà venu, Germain Colin, qui ne viendra guère, Bouchet
et Macé, qui ne viendront pas... Boutigny, en somme, n'invente
rien, et, vraiment, je ne puis mettre à son actif que deux choses :
une assez grande variété rythmique (il va jusqu'à orner son
épître d'une petite ballade et d'unrondeau), puis un lot d'injures
nouvelles. Auparavant, la personne physique de ]\Iarot était
restée hors du débat. Elle est, ici, dépeinte comme un phénomène
de laideur répugnante. L'homme de Cahors fait peur aux gens
à cause de son regard « très difforme » et de sa barbe plus noire
que la « laine d'ung noir mouton ». Chacun sait qu'il est u infect,
ladre, pourry, fangeux )>, et l'on n'a qu'à l'approcher pour cons-
tater qu'il ne sent pas bon. Ce renseignement, Sagon le tient
272 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
d'« aucunes damoiselles » qui ont embrassé le vilain. Ses maro-
teaux ne sont pas plus beaux que lui qui ressemble à un gorille
sans queue, à un rat, à un bouc, à une taupe. Quand même cet
être hideux viendrait à disparaître, ce ne serait pas grand dom-
mage, et nous entendons, en conséquence, de nouveaux cris
de mort. Le bourreau est invité [p. 94] à mettre les mains sur
Fripelippes et sur son maître, à brûler bien vite ce dernier [p. 89] ,
à le transformer en a rosty pour la nopce ».
394. Charles Huet ne parle pas autrement. Il a voulu, lui aussi,
répondre à la réponse de Clément, et n'a rien trouvé be plus
charitable ni de plus subtil à dire que ceci : l'anagramme de
Marot est A mort ! Une fois publiée cette découverte, il se bat
les flancs, tombe dans le verbiage, se répand en menaces peu
précises, flagorne Mellin de Saint-Gelays, et tâche (mais il n'y
parviendra pas) de l'attirer dans son camp. Il prodigue à son
adversaire, suivant le rite, les noms d'animaux, et le traite
tantôt de corneille ou de chenille, tantôt de lièvre ou de « crapault
bote ». Après avoir reconnu qu'« il escript bien aucunes fois »,
il affirme que la plupart de ses vers « ne vallent pas une bille »,
et que ce vagabond « foité » à Ferrare doit être exécré par tout
le monde, surtout par les Parisiennes qu'il a, dans le temps,
calomniées. La Hueterie, on le voit, remue de vieilles histoires,
se plaît à raviver d'anciennes rancunes... Vous pensez bien
qu'il n'oublie pas le lard, le fameux lard mangé en carême.
395. Sans qu'on puisse l'affirmer, on a des raisons de croire que
le factum intitulé Généalogie de Fripelippes, et dont l'auteur
se donne comme « ung j eune poète champestre », est aussi
l'œuvre de Charles Huet. Nul, à moins de travailler à un lexique
de la langue verte, ne lira volontiers ces quatre pages qui sou-
lèvent le cœur. C'est en pleine crdure qu'on patauge là, et, loin
d'éveiller une idée « champestre », de pareils vers sentent la
voirie, le ruisseau des villes. Et ils ne sont même pas gais !
L'ignoble /)Of/e attribue au « magnanime » Fripelippes une longue
série d'ancêtres paillards, et veut qu'il descende d'un tas de
vidangeurs, de faux monnayeurs, de filles perdues qui auraient
habité Cahors à l'époque de l'hérésie albigeoise. Une épître
dédiée au si « gentil secrétaire » de l'abbé de Saint-Evroult lui
offre humblement cette immonde Généalogie, le proclame un
vrai « filz Crétin dont tout sçavoir distille », admire « sa plume
dorée », et annonce que le valet de Clément sera, ainsi que son
patron, promu avant peu évêque des champs, ce qui revient à
dire qu'on le pendra, et qu'il bénira de haut les passants avec le
pied.
396. Si je compte bien, voilà donc trois nouveaux réquisitoires
CLKMENT MAROT ET SON ÉCOLE 273
contre notre Marot. Mais l'infatigable Sagon estime que ce n'est
pas assez ; une fois de plus il court à son pupitre, tire à lui son
écritoire jamais vide, pond vite et mal encore un libelle, puis
publie cette attaque en la baptisant Défense. L'imprimeur, pour
le coup, s'est mis en frais, et la plaquette est illustrée de gravures
qui expriment par de clairs symboles l'invincible constance de
l'auteur, ou représentent ses ennemis sous la forme de chiens ou
de grenouilles. Bien que très médiocres, ces images valent mieux
que le texte. Réduit maintenant à se répéter, le chevalier de
dame Sorbonne tâche en vain d'éviter la monotonie. C'est en
vers et en prose, en français et en latin, (même en grec) qu'il
insulte abondamment ou fait insulter le clan adverse : mais les
dialectes ont beau varier, les injures demeurent identiques, et
elles ne nous semblent pas rajeunies lorsque nous les retrouvons,
comme il arrive dans la Défense, condensées en dizains, arran-
gées en « conf Litation » ou se déguisant en élégie.
397. Presque insensible à cette pluie d'invectives et certain
d'avoir cause gagnée, Marot ne sortait guère de sa tente, et con-
templait la bataille d'assez loin. Hormis un vif rondeau qui
renvoie aux champs le poète champêtre [J. II, 131], il ne faisait
pas à la meute acharnée l'honneur de s'occuper d'elle, et laissait
à la troupe de ses partisans le soin et la peine de le venger. Sa
confiance ne fut pas trahie, et ceux de son camp furent actifs.
D'abord, ils rassemblèrent en un recueil, qui n'eut pas moins de
trois éditions, les pièces qu'ils avaient déjà écrites, ensuite ils
en composèrent beaucoup d'autres.
398. Signalons au premier rang, dans cette mêlée nouvelle,
maître Daluce Locet, Pamanchois (Claude Colet, Champenois).
Claude Colet n'a pas de talent. Ses vers pénibles, chevillés,
marchant par saccades et qu'alourdissent maintes parenthèses
nous forcent à regretter qu'il n'ait pas employé la simple prose,
et nous lui donnons raison quand il se range parmi les apprentis
de Marot. Mais si les qualités du poète et même du polémiste
lui manquent, il se montre honnête et sensé. Il y a deux choses
qu'il saisit fort bien : le dessein réel de Sagon, son désir d'(( impe-
trer » la charge vacante de valet de chambre, puis l'accès de
folie qui l'a poussé, lui si bavard, si pauvre d'esprit, à essayer
de supplanter un grand homme. La place que tu guignais,
observe le Champenois, cent autres en étaient plus dignes, et
ton Coup d'cssay, ouvrage non moins inepte qu'infâme, ne pouvait
servir ni toi ni ton libraire. Lui, il a perdu, pour t'avoir imprimé,
une grosse somme d'argent, et personne n'ignore qu'il « faict
maie trongne » et te donne au diable, de tout son cœur ; toi,
l'orage que tu as excité t'accablera avant peu : il n'y a fils de
Clément Marot cl sua école 18
274 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
bonne mère qui n'aille hurlant après tes chausses, et qui ne se
propose de défendre Clément, de continuer « en despit de ta
gueule » à l'admirer, à le glorifier.
399. Claude Colet nous semble, en ces quelques pages, plus
dévoué qu'adroit ou subtil : mais il suffira, pour qu'il ne paraisse
point sans quelque valeur, de le comparer à l'auteur anonyme
qui publia VEpistre responsive au Rabais de Sagon. Ce libelle,
dont la morne platitude désole et consterne le lecteur, n'apporte
rien de nouveau, et ne présente aucun point saillant auquel
puisse s'accrocher l'analyse. Les injures elles-mêmes manquent
des seules qualités qu'on serait en droit d'attendre : l'énergie,
la .'aveur, le pittoresque. Le rimeur, qui reproche durement à
Sagon d'avoir employé le langage des harengères ou des mar-
chandes de tripes, a eu tort de l'imiter en cela, et, content de
l'appeler un « monstre trop plus que monstrueux », il n'avait pas
besoin de le comparer, lui et son livre,àunesentine,à un «trou
punais ». — Pareillement, on négligerait bien volontiers, si l'on ne
craignait de fournir une liste par trop incomplète, i*^ VEpistre
nouvelle faicte par un amy de Clément Marot, 2P le Frotte-groing
du Sagouyn, 30 la Réplicque par les amy s de V auctheur . . . , 40 le
Rescript à François Sagon et au jeune poète champestre. La pre-
mière de ces pièces n'ajoute pas grand'chose au débat, mais se
recommande, du moins, par une certaine modération ; la seconde
remplit la promesse de son titre, et abonde en propos virulents,
grossiers ; la troisième ne nous arrête un instant que parce qu'elle
égratigne au passage, comme ayant pris le parti des sagoniieaux,
un personnage notable, Nicolas Denisot, que ce texte change en
« Denys sot » ; la quatrième profère des menaces qui demeurent
sans effet, et annonce quantité d'intentions dont aucune n'abou-
tit. Celui qui s'est rendu coupable de cette vaine philippique ne
cesse de lever un poing qui ne frappe jamais... Il est à peine
utile de dire que La Hueterie paraît çà et là au cours de ces
pamphlets. On lui a même, tant s'en faut qu'il soit resté dans
l'oubli, consacré une longue satire à lui tout seul. C'est la Res-
ponce à Charles Hiiet par Calvy de La Fontaine, un Parisien qui
a traduit en français [Bonnefon, 263] le traité De la félicité de
Philippe Béroalde. Il vole au secours de son cher Clément en
homme zélé et intrépide, ne ménage point La Hueterie, et fait
grêler sur lui les outrages. Tu es, lui dit-il, un « picquebeuf »,
un « gros manyeur de besche », une « teste sans cerveau », un
« vieux mastin », un champignon né en une nuit. Tes vers ne
valent pas un navet, et j e crois voir, lorsque tu te mêles de poésie,
une truie qui file ou un ânon qui joue du rebec. Tiens-toi tran-
quille, ivrogne, et va soigner la maladie que tu sais !
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 275
400. Franchement, c'est trop. Condamné à remuer cette boue,
à respirer cette odeur déplaisante, à fréquenter si mauvaise
compagnie, l'historien ressent beaucoup de fatigue, une sorte de
honte, et il quitterait volontiers, sans attendre la fin de leur
querelle, des gens tellement mal élevés. La répugnance que cette
manière de pugilat nous cause aujourd'hui, les contemporains
semblent l'avoir éprouvée, et nous savons que plusieurs se lassè-
rent d'être les acteurs ou les témoins d'une lutte brutale qui
s'éternisait. Le premier qui parla de la suspendre, de conclure
un pacte, ce fut l'agresseur en personne, François Sagon. Com-
ment, assailli de toutes parts et submergé par la marée montante
des gros mots, n'aurait-il pas, pour grand que fût son orgueil,
voulu dissiper la tourmente qu'il avait imprudemment excitée ?
Sa constance, à présent, était à bout, et il ne tarda guère, ren-
gainant à moitié son poignard, à agiter une branche d'olivier.
Dans une épître qu'il composa à Rennes au mois de septembre
et dont le titre est assez bizarre et long, il glissa, au milieu d'une
dissertation théologique émaillée de quelques perfidies, un appel
à la concorde, un pacifique raisonnement qui peut se résumer
comme suit : Je n'ai pas, en écrivant le Coup d'essay, obéi le moins
du monde à une « malice de nature », mais ce furent. Clément,
(( ton vice et forfait » qui m'ont contraint à discourir contre
toi. Donc, tu n'as pas le droit d'être vexé, ta rancune n'est pas
légitim e, et si tu avais un « cœur ennobli », jamais tu ne m'eusses
répondu... Soit ! C'est le passé ; n'y pensons plus. Je mets
« Fripelippes en oubliance » ; imite, toi, cet exemple magnanime,
et excuse le Coup d'essay. Agir ainsi nous sera utile. Nous y
gagnerons de cesser d'être le sujet de toutes les conversations,
la fable du peuple, le thème sur lequel on brode « en chacun
auditoire ». Et puis notre sainte religion nous dit : Aimez-vous
les uns les autres ! Nourrir une haine interminable, ce n'est pas
se conduire en bon chrétien, et nous risquons, à cause d'un tel
péché, de ne pas trouver miséricorde au dernier jour et de rester
au seuil du paradis... Impudent, odieux Tartuffe ! Il se croit très
généreux lorsqu'il pardonne le mal qu'il a fait ; il se montre
indulgent pour sa victime, s'étonne un peu qu'elle ait résisté,
mais devient souple, se voyant vaincu. Au moment de succomber,
il tend la main à l'homme qu'il voulait perdre, lui crie : Soyons
amis ! et ose invoquer cette même loi de Jésus que lui, prêtre,
il a violée.
401 . Le seul que la durée du conflit n'aurait pas dû scandaliser,
c'était le provocateur. Mais autant sa lassitude nous paraît
comique, autant l'impatience des spectateurs désintéressés
mérite qu'on l'approuve et qu'on la partage. La valeur d'un fait
276 CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
divers réside en sa nouveauté, et les assistants détournent les
j^eux, eût-elle été amusante à l'origine, d'une scène qui ne change
point. Quand arrive la monotonie et que s'endort la curiosité, le
charme de toute chose est rompu, et voilà pourquoi, au bout
d'une année, cette guerre de plume laissait le public indifférent.
Nul ne courait plus aux fenêtres lorsque montait de la rue la
voix de ceux qui vendaient, frais encore, le dernier factum pour
on contre Marot, et l'on trouvait ce tapage incommode et abusif.
Cela, une lettre en vers adressée aux chefs des deux camps le
déclare de façon formelle. L'auteur, certes, n'est pas impartial :
il admire Clément presque sans réserve ; il ne juge pas excessif
qu'on l'ait égalé au demi-dieu Virgile ; Sagon lui semble un assez
pauvre sire, et il souligne d'un trait dur les « apertes » fautes de
Charles Huet. Mais, commençant par où je termine, cette épître
proclame : Bas les armes ! Vos noises, vos disputes sans mesure
ni terme offensent la morale de l'Évangile ; c'est une triste habi-
leté que celle qui consiste à bien savoir s'entre-mordre, et vous
aurez beau rompre les oreilles au monde, ce ne sera jamais une
preuve de génie... Des conclusions analogues découlent d'une
froide et courte pièce intitulée le Différent de Clément Marot et de
François Sagon. La balance, ici, ne s'incline ni d'un côté ni de
l'autre, et l'on croirait lire, équitable et stricte, la sentence d'un
arbitre. Après un résumé de leurs griefs réciproques, les plaideurs
sont renvoyés dos à dos, et nous sommes invités à reconnaître
que si Clément demeure sans pair en « nostre langue » , son rival ,
en revanche, possède mieux le latin. Vrai pavé de l'ours ! Éloge
tuant pour un poète français !
402. Au nombre des gens de lettres qui voulurent rester
neutres figure un homme de quelque talent, Germain Colin
Bûcher, Angevin. Que pensait-il de Marot, et quels sentiments
réels éprouvait-il à son égard, voilà ce qu'il est très malaisé de
définir et même de comprendre. D'une part, il se donne comme
un ami de Clément, et cette entière et fidèle sympathie qu'il
affirme lui avoir vouée doit être d'autant moins révoquée en
doute qu'il penchant, lui aussi, vers la doctrine de Luther, et
que le jour allait arriver où il aurait, à son tour, maille à partir
avec les gardiens de l'orthodoxie. Mais nous lisons, d'autre part,
en ses œuvres deux petites pièces désobligeantes pour l'écrivain
qu'il prétend chérir. La première constate que la vogue de ses
moindres vers s'explique par la u grâce de Reine et Sire », ce
qui signifie par la protection que Marguerite et François accordent
à leur serviteur ; la seconde lui reproche de ne faire « responce ny
réplique » aux si jolies choses que son confrère d'Angers lui
envoie. Ce dernier texte n'exprime qu'un léger dépit, mais l'autre
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 277
révèle un envieux, et jamais envieux ne fut bon juge. Pourtant,
dans répitre « tendant à leur paix » que Germain Colin adresse
à Marot et à Sagon, il s'efforce de ne laisser voir ni animosité ni
prévention. C'est au nom de « Christ, nostre seigneur », qu'il
engage à se réconcilier ces trop furieux champions. Il s'étonne
qu'ils osent dire leu/ prière du soir et se mettre au lit sans remords
et tranquilles, alors que le soleil « a tant de fois tourné sa regar-
dure » sur leurs actions impies et pleines d'ire. Les invectives
qu'ils se prodiguent, il les flétrit surtout comme sottes. Un mot
n'est qu'un mot. Personne ne devient singe parce qu'on l'a
nommé sagouin ; rien n'est aussi flatteur, pour un exilé, que son
rappel, et le piètre calembour rat pelé ne rendra pas dégradante
une faveur honorable... Cette semonce à double tranchant
s'achève tout à coup en idylle. Descendu de sa chaire, le pro-
fesseur de morale affecte une soudaine modestie. Moi, avoue-t-il,
je n'ai ni argent ni gloire. Après avoir couru la terre et les mers,
je me suis retiré sous mes <■ petits chaumes )>, et là, vieil enfant
débonnaire, transi encore et tout mouillé par une pluie de
malheurs, je n'ai d'autres joies que les espiègleries de mes filles,
« deux petites garses » qui me font cent tours, et dont le babil
me déride chaque fois que je rentre au logis.
403. En prenant cet air d'humilité, Germain Colin espérait,
je suppose, se ménager l'indulgence de ceux qu'il venait de cha-
pitrer. Mais ni l'un ni l'autre ne lui pardonnèrent la sentence
bilatérale qu'il avait rendue. Clément qui lui avait dédiéTune
épigramme [Voyez G. II, 8] la lui retira pour l'offrir à Dolet ;
quant à Sagon, il dénonça, dans une épître à Bouchet, l'hypocri-
sie et la noire trahison de l'homme « faux qui se nommoit son
frère ». M. Bonnefon [p. 269] observe que « c'est là le sort ordi-
naire de ceux qui veulent être impartiaux... et que personne ne
leur sait gré de leur réserve et de leur bonne foi ». En thèse géné-
rale, rien n'est plus vrai que cette remarque, et il est certain que
les modérés, ceux qui se tiennent au juste milieu, n'évitent
jamais la haine ni les coups des partis extrêmes. Mais, dans
l'espèce, il me semble que cette règle s'applique mal. Ce n'était
pas ici une circonstance où l'on pût, comme on dit, ménager la
chèvre et le chou. Le devoir était clair, et nul brave cœur n'avait
le droit d'hésiter. Entre Marot et Sagon, il fallait, sans tant balan-
cer, choisir d'un seul élan et dire : Je suis pour Marot ! Les mieux
doués, les meilleurs l'ont bien senti. Mellin de Saint-Gelays,
indifférent aux flagorneries des sagonneaux, jette lestement
par-dessus bord le « sot busard » normand, et, dans une fable
écrite sous forme de ballade, le compare à un oiseau de proie qui,
ayant attaqué à l'improviste un chat endormi, rencontre une
278 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
telle résistance qu'il reste « pris à la prise ». De même, si Nicolas
Bourbon se borne à prêcher la concorde, Charles Fontaine, alors
que la querelle est finie depuis longtemps, proclame encore ses
sympathies. Et n'oublions pas Jean de Boissonné ! Il n'avait
pas peur, celui-là, d'afficher le mépris que lui inspirait Sagon, et
ce n'était pas trop, à son avis, de quatre dizains pour châtier
cette vilaine « chouette ^, ce vaniteux imbécile, cet eunuque
qui voulait « fa^.re enfants ».
404. A présent nous touchons au but, et voici par bonheur le
dénouement de cet âpre et long conflit. Ceu.x qui vont dire le
dernier mot, ce sont les joyeux « Couards )' de Rouen. Seuls
détenteurs du pri\dlège de se déguiser au mardi gras et de vendre
aux autres la même licence, ils élisaient un abbé dont les insignes
paraissent avoir été une crosse et un jambon, formaient une
confrérie où régnaient la gaieté, l'esprit satirique, le franc parler,
et s'arrogeaient le droit de rire de tout. La grande bataille des
poètes français ne trouva pas grâce devant les membres de cette
académie carnavalesque, et ils résolurent de décréter qu'elle
lassait le public et avait assez duré ! Là-dessus, certains critiques
croient pouvoir conclure : la lutte de Sagon et de Marot a été
terminée par les Couards. Nullement ! Leur intervention marque
bien la fin de la dispute, mais elle n'a pas amené, elle n'a pas
produit cette fin. Les deux camps n'ont pas cessé d'échanger des
horions à cause de la sentence des Conards, mais cette sentence,
au contraire, les Con9,rds l'ont prononcée parce qu'ils savaient
les champions à bout de souffle. Interprètes de l'opinion, l'abbé
et ses suppôts ont pensé et dit ce que chacun disait et pensait ;
ils ont traduit le sentiment général, et s'ils se sont mêlés de cette
affaire, c'est que, Sagon étant de Rouen, elle avait un rapport
avec leur cité.
405. La première pièce publiée par eux est une manière
d'arrêt que précèdent plusieurs considérants. Bien entendu, c'est
monsieur l'abbé qui tient la plume au nom des simples « fratres ».
Quoiqu'il l'assaisonne au gros sel comme il convient à un prélat
qui porte dans ses armoiries un jambon, la minute qu'il rédige
nous semble raisonnable et même un peu fade. Après avoir
retracé les principales lignes du litige, il arrive à cette conclusion
que ceux qui ont ému un tel débat sont de « glorieux babouyns » ;
que les gens d'esprit respectent la règle : bien dire ou se taire ;
que maître Alain Chartier n'employa jamais le langage des
halles ; que si on laisse faire ces fous enragés, ils en viendront
« a jouer des couteaulx », et qu'il est grand temps, en consé-
quence, que lui, le « beau père abbé, seul chef de l'ordre, » leur
fasse inhibition de se mordre comme chiens, sous peine, s'ils
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 279
persistent, de recevoir enfin la discipline avec un bon fouet tout
neuf, à quinze pointes.
406. Cela, au fond, n'était pas méchant, et l'on s'étonne qu'un
quidam ait cru nécessaire de riposter. La brève réponse qu'il
rima a été, au XVI^ siècle et depuis,, réimprimée cinq ou six fois,
et il est difficile de deviner ce qui lui a valu tant d'honneur.
Est-ce la multitude des calembours qui, partant de Conard,
s'étendent à corne, à corneur, à cornet puis à corps net ? Et si ce
n'est pas cela, qu'est-ce donc ? Enlevez ces jeux de mots, rien
ne reste. Vide absolu. L'auteur se contente d'affirmer que le
révérend abbé de Conardie ou de Conardière n'aurait pas dû
se mêler de poésie. Pourquoi ? Parce qu'il est trop gras. Un
ventre, non un cerveau. Les perles et les rubis, il ne les avait pas
dans son style, mais sur le nez, et nulle pensée fine, délicate ne
pouvait sortir de ce glouton pesant, bourgeonnant et boursouflé,
à la joue écarlate, au triple menton... Là-dessus, colère des
joyeux Rouennais. Ils voulurent venger leur président. L'un
d'eux composa, à cet effet, une réplique aux vers que je viens
d'analyser, tandis qu'un autre, qui était ou se prétendait secré-
taire de la corporation, confirmait en quelque sorte la sentence
qu'elle avait rendue, et enjoignait aux belligérants de signer une
trêve au premier jour. Ce Salomon normand se contente de repro-
duire les arguments qui ont déjà servi à l'abbé, mais il ajoute
que les cris de ceux qui vendent les pamphlets troublent, affolent,
étourdissent le bourgeois, et qu'il néglige son livre d'heures,
préférant lire ces vilenies. Ainsi, à cause de ces deux forcenés qui
se gourment coram populo, plusieurs oublient ce qu'ils doivent
à Dieu. Puisse-t-il désarmer les écrivains ennemis, les conduire
doucement à la paix :
Ad quam pacem perducat vos ambos
Qui creavit oves, vaccas et bos !
407. Cette fois, personne ne bougea plus, et les Conards eurent
le dernier mot. Alors, profitant de leur avantage', ils voulurent
enterrer l'affaire, prouver qu'ils la regardaient comme vidée, et
ce fut l'un d'eux, selon toute apparence, qui se chargea de com-
poser, sous le titre de Banquet d'Honneur, la pièce destinée à
marquer la conclusion, l'épilogue, la chute — enfin ! — du rideau.
Banquet d'Honneur ! ... Cela nous rappelle Jean Lemaire, Jean
d'Auton, tous les fervents de la rhétorique. En fait, ici, Honneur
est un dieu. Averti par Hermès de ce qui se passe en France, du
conflit qui divise les auteurs, il les invite à dîner sur le Parnasse.
Clément y monte sans aucune peine, d'un pas vif, décidé, et
280 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Fripelippes ainsi que Charles Fontaine n'ont pas trop de mal à le
suivre : mais La Huetei ie manque de choir, mais le page de Sagon
sue sang et eau, mais Sagon lui-même, qui roule, se ramasse et
repart endolori, grimpe à cette cime comme au calvaire, n'arrive
qu'après les autres convives, s'assied à table en retard. On mange.
Description très détaillée du menu. Au dessert, musique et dis-
cours. Marot ouvre le feu, retrace clairement l'agression dont il
a été victime, et paraphrase l'adage populaire :
Cet animal est fort méchant ;
Quand on l'attaque, il se défend.
Alors Sagon se lève ; il verse des larmes, ce crocodile ; il avoue
qu'il a eu tort ; que l'espoir de conquérir « bruit et renom » l'a
aveuglé ; qu'il n'aurait pas dû, pauvre petit singe, se mesurer
avec un grand homme, mais qu'il était poussé « a crier haro » par
son complice, Charles Huet, lourde bête, âme jalouse et basse.
Honneur, touché de ce repentir, conseille la clémence à Clément,
puis déclare que les débats sont clos, et fait connaître sa décision :
Vu et considéré, dit-il, que rien ne vaut mieux que vi^Te en paix,
voulons et ordonnons que les deux poètes boivent ensemble avant
de quitter ce lieu, et leur enjoignons de se traiter en amis à
l'avenii, « sous peine d'être privés de la cour de céans ».
408. L'invention de ce banquet sjmbolique ne révèle aucun
génie, mais elle nous semble, par ailleurs, remarquable et digne
d'estime. La conclusion dernière qui se dégage de cette allégorie,
je la tiens pour morale et très équitable. Les Couards, ces bons
drilles qui riaient de tout, ont montré plus de cœur, plus de sens
que beaucoup de gens sérieux et rassis. On doit savoir gré à ces
Normands d'avoir pesé leur compatriote à son juste poids et
d'être loyalement sortis d'une impossible neutralité. Ils ont bien
senti deux choses : d'abord, la nullité, l'ineptie foncière de Sagon
que seule une crise d'ambition aiguë avait amené à se croire
l'émule d'un Clément Marot ; ensuite, la laideur de sa conduite,
de l'action initiale commise par lui. Quand même, au cours de la
bataille, son adversaire aurait été trop brutal et véhément, il
n'en restait pas moins coupable, lui, d'avoir violé, pour établir
sa fortune, les droits de l'absence, du talent, du malheur. Cette
tache originelle, rien n'était, à présent, capable de l'effacer, et si
les péripéties de la lutte fournissaient de loin en loin quelques
excuses au provocateur, était-il raisonnable d'oublier qu'il avait,
aussi méchant que téméraire, de parti pris attiré les coups ?
L'opinion, en France, tolère maintes faiblesses, et regarde même
d'un œil indulgent certaines fautes qu'il vaudrait mieux flétrir :
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 281
mais toujours elle méprise et condamne les lâches manœuvres,
les trahisons, les attaques faites par derrière. Les plu? humbles,
chez nous, conservaient alors et conservent encore — inaltéra-
bles — des goûts, un idéal chevaleresques, et si les Conards
avaient préféré le délateur à sa victime, ils n'auraient pas été
de notre pays.
409. Après le Banquet d'Honneur, Sagon considéra son procès
comme perdu, et n'essaya point de réagir. Mais s'il renonça enfin
à rimer de nouvelles apologies, il continua, hélas ! à écrire, passa
à d'autres sujets, et publia d'abord une savante machine allégo-
rique, le Regret d'Honneur féminin. Cette pièce amusante quoique
éplorée est consacrée aux mânes de Françoise de Foix (j octobre
1537) qu'avait épousée, pour ses péchés, Jean de Laval-Montfort,
seigneur de Châteaubriant. La scène s'ouvre par quatre discours
laudatifs que prononcent Honneur et les trois Grâces, puis « l'ac-
teur » prend à son tour la parole, et affirme que nul plus que lui
ne peut, ne doit célébrer la morte, attendu qu'elle l'a toujours
protégé, et qu'elle lui a, un mois avant son trépassement et en
présence de Mlle Sépeaux, donné « grant confort contre l'effort
des marotins alarmes » [fo 5 r^]. Comment ne pas engager, cela
étant, les dames et les bourgeoises à verser des larmes, soit au
temple soit à domicile, sur ce « cœur munde », cette fleur sans
pair ?... Ici, l'une des Grâces, « coupant propos » aurhétoriqueur,
l'invite à glorifier l'intelligence de Françoise de Foix. C'est bien
dit ! répond le poète ; je vais par d'adroites similitudes vous
peindre cet esprit délicat. Le fuseau de notre comtesse était une
« plume d'oaye ou d'autre oyseau » ; son aiguille était « ung
stille )), et en guise de laine, de soie à filer, on trouvait chez elle
(la comparaison cloche) « ung livre et ung pulpitre » [fo6ro].Bref,
elle fut l'exemple et le miroir de son sexe. Le miroir !... Ce mot
si plein de sens, tellement riche en symboles, arrête et frappe
Sagon. Il faut, annonce-t-il, expliquer en premier Heu « la matière
du miroer », et il s'enlize, parlant à la fois du verre, du cristal,
du corps humain. Après quoi il ajoute : « Déchiffrons » mainte-
nant (( le miroer plus haultement »... Si hautement que le lecteur
n'y voit goutte. L'auteur non plus, et il le confesse [fo 9 r»].
Quand on est au bout, l'impression qui reste est celle-ci : il y a
(qu'on se rappelle le bâton dans l'eau !) des miroirs trompeurs
qui déforment ou multiplient les images, et que la « crassitude »
a ternis ; mais il existe, en revanche, des glaces loyales, sans
fard. Eh bien. M™® de Châteaubriant fut une glace de cette
espèce, un « miroer » exempt « de macule ou diffame » ; il est
fâcheux qu'il soit cassé, et moi, Sagon, je regrette en vers
Ce miroer qui gist a l'envers.
282 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
410. Quittons, s'écrie-t-il, ce thème « haultain ». Assez de
philosophie transcendante ! Je me sens presque épuisé, et je suis
d'avis d'écouter les Grâces qui se préparent à maudire Atropos...
Effectivement elles débitent des imprécations sur un joyeux
rj'thme de bourrée [fo ii r»], puis le poète achève le panégyrique
de Françoise de Foix. Il la place fort au-dessus de Sapho, attendu
qu'elle savait l'italien et l'espagnol ; il la déclare aussi belle que
la belle Hélène, et n'hésite même pas à la nommer, sottise vrai-
ment intrépide, une seconde Pénélope, une Porcia, une Lucrèce,
une Cornélie, une Catherine de Sienne. Il aurait dû se modérer
quelque peu, ne pas évoquer tant d'ombres chastes pour conduire
au ciel une personne qui fut la maîtresse de François I^^ et celle
aussi, à en croire les mauvaises langues, de Bonnivet et du conné-
table de Bourbon. Si le pauvre mari très consolable, et qu'on
accusait d'avoir hâté la fin de sa Lucrèce, a lu cette hyperbolique
tirade, il y a lieu de penser qu'il est demeuré saisi, qu'il a ouvert
des yeux tout ronds, et qu'il s'est refusé à admettre que sa femme
était de son vivant
Une dame non endormie
Au faict de l'amour conjugal.
Cette phrase ne signifie pas ce que vous pourriez soupçonner.
Vous auriez tort d'y chercher une équivoque. « L'acteur » ne
plaisante pas. Entendez bonnement que la fidélité de l'épouse
ne sommeillait jamais... Après avoir rapproché [fo 13 v^] de
sainte Catherine de Sienne sainte Françoise de Foix, Sagon
avoue qu'il est arrivé au bout de son rouleau, et qu'il va conclure
parce qu'il ne sait plus que dire
Smon que Mort par ung seul coup
A faict du dommage beaucoup.
Mais sa douleur est telle qu'il ne l'a pas encore entièrement
exhalée. Aussi ajoute-t-il un « distichon », puis, s'adressant à
lui-même [Ejusdem ad seipsuni), six vers latins dont chaque mot
commence par la lettre / :
Felicem Fortuna facit, Francisée, fidelem
Franciscam
Fidelem ! Il y tient, remarquez -le.
411. Passant à un genre bien différent, il publia, en janvier
1539, un recueil d'Éire^ines. Ce titre éveille une idée agiéable ;
on songe à une date heureuse, à des fleurs, à des cadeaux, à de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 283
jolies choses qu'on offre aux autres. Mais l'an neuf n'a rendu
Sagon ni souriant ni libéral. Il se montre de mauvaise hum-îur,
parle de se cacher « en son estude », de se plonger au sein des
rêveries ennuyeuses et de continuer à s'affliger au souvenir de la
dame dont j'ai, écrit-il, « ploré l'accident ». Quant aux Étrennes.
il n'en donne pas, il en demande. Offre-moi, dit-il à son maître,
l'abbé de Saint-Evroult, offre-moi « ce que de toy j'attends ». Si
tu t'obstines à m'oublier, gare ! je renonce aux Muses, et m'en-
fonce dan s mon trou, comme un ours! Se tournant ensuite vers ses
compatriotes et principalement vers les Couards, il leur envoie,
en guise de présents, d'amers reproches, et se plaint d'avoir
été trahi par eux. Enfin, il se décerne, confiant la plume au page
Matthieu de Boutigny, son aller ego, son double, un certificat de
génie, des louanges que la postérité, il y compte, ne manquera
pas de répéter ; après quoi il gratifie Marot, puisque l'on est au
premier janvier, de quelques injures complémentaires et d'insi-
nuations déjà usées. Ne sont-ce pas là de belles « étrennes » ?
Elles ne restèrent pas impunies, et M. Bonnefon ne nous semble
pas se tromper en regardant [p. 284] comme une réponse à ce
factum l'ironique Z)g//£'«Cd; des escriplz de Sagon par Louis Pratin.
Loin d'admettre que les écrits en question feront les délices de
l'âge futur, Pradn annonce qu'ils iront tout droit de l'imprimeur
chez les épiciers.
412. Il parle d'or, et l'on ne voit pas à quoi pourraient servir,
à moins de les rouler en cornets, les dernières œuvres du fadeur
normand, son Discours, par exemple, de la vie el mort... de noble
homme Guy Morin. Ce Guy Morin, seigneur de Loudon, avait été,
en son enfance, un piocheur, un fort en thème, et s'était rangé, à
force de pratiquer la rhétorique, parmi l'élite des gens de lettres.
Aussi personne ne le méprisait bien qu'il fût petit « en corpu-
lence ». Mais qu'importe ! Une perle vaut mieux qu'un tas de
neige, et, si vous mesuriez son intelligence, le petit Morin vous
semblait grand. Après avoir longtemps guerroyé, il renonça aux
« martiales ruses », et se confina dans sa maison « avec sa femme
et sa loyale espouse ». Là, un traité d'Érasme « preparatif a la
mort » tomba « par accident » entre ses mains, et il résolut de le
traduire. Le jour était proche où cette science de bien mourir lui
serait très nécessaire. L'auteur du Discours ne nous explique pas
comment ce Morin que nous avons laissé tout à l'instant en com-
pagnie des Muses et de sa femme, nous le retrouvons, à minuit,
sur un pont, « devant Gruillac, ville près de Turin ». Évidemment,
le goût des combats lui était revenu, et il avait, sentiment hono-
rable, préféré la gloire au repos. Mais ce fut là son ultime cam-
pagne -.frappé (3 août 1536) d'uncoup d'arquebuse tiré au hasard.
284 CLÉMENT .MAROT ET SON ÉCOLE
il « chut ainsi qu'eperdu » sur ce maudit pont. Il cria trois fois
le nom de Jésus, et rendit l'âme en murmurant In niamis...
413. Sagon s'est imaginé avoir reçu du ciel le don spécial de
l'épitaphe, et volontiers il louait, soit en prose soit en vers, ses
amis ou ses protecteurs trépassés. Outre l'oraison funèbre du
pauvre amiral Philippe Chabot de Brion qui connut l'extrême
faveur, les pires disgrâces, et qui succomba (i^r juin 1543) à
l'heure où la fortune lui riait de nouveau, nous pouvons citer
encore une élégie collective à la mémoire de trois gentilshommes
« occis et morts » à la bataille de Cérisoles. L'auteur a varié
de son mieux un sujet fatalement uniforme. D'abord, nous enten-
dons une « complaincte » du seigneur d'Acyer, grand écuj-er de
France, qui pleure son fils unique « fauché en fleur de j eunesse » ;
ensuite le poète jette quelques lauriers sur la tombe de M. de
Chemens, neveu du garde des sceaux, à qui cette partie de l'ou-
vrage est dédiée ; enfin [f. Ciii v^] nous apparaît, disert et pro-
lixe, le fantôme de la troisième victime, le seigneur deBarbezieux,
fils de Gilbert de La Rochefoucauld, grand sénéchal de Guyenne.
Onaimeraitàs'en tenir là. Mais non ! Voici [f. Eiii v^] un colloque
composé « a la requeste d'une dame de la court ». C'est un long
dialogue à deux personnages, Rien-du-Mondc qui se désole et
Toiit-le-Monde qui le console... Il restait un peu de papier blanc.
Sagon en a profité pour donner au lecteur le « dixain d'une courte
joye ». Cette courte joie, c'est M™^ de Serrant qui l'a eue « pour
la naissance d'un sien enfant nommé Claude de Brie » qu'elle
perdit aussitôt... Et je ne vois plus rien à notei en ce volume,
sinon la marque du libraire : un gros bouquet de chardons.
414. L'opuscule dont nous avons à présent à nous occuper
nous prouve, tout comme le précédent, que Sagon a essayé de
se glisser parmi les gens en place et de jouer un rôle officiel. Les
vers intitulés Apologye... pour le Roy révèlent clairement cette
intention, mais il faudrait, pour la pleine intelligence de ce texte,
un commentaire historique étendu. Bornons-nous à rappeler ici
que François P^, soumis en cela à ses fluctuations coutumières,
avait compris les avantages d'une alliance avec les Ottomans,
sans avoir l'énergie ni la constance de suivre jusqu'au bout une
politique si neuve et si hardie. Aussi le voyons-nous tour à tour
signer (février 1536) un traité avec Soliman II le Magnifique ;
lui manquer de parole au moment d'agir ; garder, lors de l'expé-
dition de 1 empereur Charles contre Alger (octobre 1541), une
neutralité fallacieuse ; envoyer derechef un émissaire à «l'Excel-
se Porte » ; s'emparer de Nice (août 1543) grâce à la flotte du
vieux Barberousse qui traînait après lui quinze mille hommes,
puis payer cher cette armée musulmane pour qu'elle s'en retourne
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 285
en son pays. A distance, une conduite tellement hésitante et
versatile paraît difficile à excuser : mais on l'estimera beaucoup
moins coupable si l'on se rend compte de l'effet désastreux qu'un
pacte conclu avec les Turcs produisait alors sur l'opinion. La
croix unie au croissant, quel scandale et quelle douleur ! Com-
ment le roi très chrétien osait-il, oubliant plusieurs siècles de
haine épique, rechercher l'amitié des infidèles ? Ceux qui l'en-
touraient— sa femme, ses maîtresses, ses favoris, sonTournon —
versaient de pieuses larmes, et il n'avait pas la consolation de
sentir son peuple derrière lui. Au dehors, la catholique Espagne
criait à l'apostasie, et le pape jetait feu et flamme. Il fallait
donc ou renoncer à l'appui de Soliman ou amener la foule à se
résigner. Une campagne de presse, comme nous dirions aujour-
d'hui, devenait fort nécessaire. Bien des gens s'en chargèrent
ou en furent chargés. Nos ambassadeurs débitèrent, notamment
à Venise, d'adroits plaidoyers ; Jean Du Bellay répandit en
Allemagne un probant et solide discours latin ; certains poètes
travaillèrent aussi, spontanément ou par ordre, à défendre
l'alliance avec le sultan, et parmi eux se trouve, qu'on l'ait payé
ou non, le secrétaire de Félix de Brie.
415. Le titre de son Apologye annonce qu'elle est « fondée sur
texte d'Évangile », et c'est vrai. S'emparant de l'histoire du
Bon Samaritain [Luc, X, 30-37], Sagon la commente d'une
manière très inattendue. Le voyageur que les brigands ont
blessé et dépouillé figure François I^^ ; la bande des larrons nous
représente les ministres de Charles-Quint, enfants « de la noire
nuict )), « toujours garnis d'astuce et de falace » ; le sacrificateur
et le lévite qui passent leur chemin sans secourir l'homme à demi
mort, on peut les comparer aux cardinaux et au pape ; quant au
Bon Samaritain, idolâtre mais compatissant, qui bande les plaies
du malheureux, les lave avec du vin et de l'huile, qui donc serait-
ce, sinon le Turc ? Et pourquoi pas, je vous le demande ? La
« françoise cicatrice »>, le Turc seul avait tenté de la fermer, et
tandis que le saint-père restait indifférent aux maux de son
fils « languissant tout nud », le remède, la « forte médecine ».
le réconfort étaient venus de Byzance, Ajoutez que l'empereur
Charles, si prompt à s'indigner lorsque son rival liait partie avec
le Grand Seigneur, n'a pas hésité, après entente diplomatique,
à pousser, contre ce même souverain « hors la loy », le Sofi de
Perse et son armée. D'ailleurs, rien ne prouve qu'on ait raison
d'appeler. Dieu n'a3^ant d'autre ennemi que le péché, « ennemis
de Dieu » les Musulmans. Et puis qui sait s'ils ne vont pas, main-
tenant qu'ils luttent à nos côtés, se convertir, renier Mahomet
et se résoudre au baptême ?... Cette espérance est par trop
286 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
naïve : mais l'ensemble de l'argumentation n'est pas dénué de
valeur, et ces quelques pages sont, il me semble, ce que Sagon a
produit de plus sensé.
416. Il nous dit lui-même qu'au moment où il rimait cette
pièce — il était alors curé de Sérigny (Orne) — il souffrait (mai
1544) d'une maladie grave. Il y a lieu de croire qu'il ne s'en
releva point, car, selon M. Bouquet, il mourut avant le 19 août
de cet e année-là. Ainsi VApologye serait l'adieu de ce cygne,
et je n'aurais plus rien à citer de lui, si je n'avais, ne sachant où
la placer faute de connaître sa date exacte, négligé jusqu'ici
une poésie qui s'intitule le Chant de la paix. Mais de quell
paix ? Le texte ne nous l'apprend pas, et plusieurs hypothèses
seraient de mise. Certains, du reste, prétendent que cette œuvre
n'est pas de notre Normand, et l'attribuent à Gilles Corrozet.
Je le veux bien, si l'on réussit à m'expliquer la phrase du début :
Chacun orra la muse sagonline
Chanter de paix
Au demeurant et quel que soit l'auteur de ces vers, ils ne méritent
pas de nous arrêter longtemps, vu qu'ils se bornent à retracer,
suivant un rite plus que séculaire, la « congratulation » des trois
états. Eglise, d'abord, maudit la guerre qui l'a chargée d'impôts.
Puis, complaisamment, Noblesse dénombre les avantages dont
elle va jouir en ses f 03' ers : tous les enfants de bonne famille
seront nourris « en lettres)); le vieillard dormira tranquille dans
son lit « mollet » ; la beauté des « damoiselles )) croîtra si promp-
tement qu'elles auront « presque a demy aage )) le bien de se
marier, moyennant quoi il y aura des chances pour qu'elles
gardent la « mundicité )) et vivent honorablement. Enfin Labeur
entre en scène, de beaucoup le plus bavard et même (chose
curieuse) le plus savant du t io. Il convie Pomone, Flora, Cérès
et Diane à célébrer ensemble le retour de Bon-temps, à cueillir
puis à répandre des fleurs et des fruits, pendant que les manants,
les « simples bergers )> et leurs bergères, heureux de n'avoir plus
à redouter les pillards ni les « aventuriers passans )), soi.neront
les cloches à toute volée, remerciant Dieu qui a fait taire clairons
et tambourins : car la paix vient du ciel et non des hommes, ainsi
que nous l'enseigne un dizain qui sert d'épilogue à cette poésie.
417. Ici nous quittons enfin — et sans regret — François
Sagon. Mais puisque nous l'avons mené jusqu'au terme de sa
carrière, pourquoi traiterions-nous autrement son principal
complice, le seigneur de Bran ville, Jean Leblond ?... Branville
semble, après son Printemps, avoir presque renoncé aux vers,
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 287
et il s'est borné à quelques très brèves pièces liminaires qu'on lit
en tête de ses traductions. En effet, c'est au métier de translateur
qu'il a consacré son été, son automne, et il nous apprend non
sans orgueil qu'il a tourné cinq volumes en français. On trouvera
aux références l'indication de ces divers travaux. Un seul nous
intéresse, le premier, dont le succès fut vif et assez durable. Un
auteur connu, Gilles d'Aurigny, « advocat en la court de parle-
ment », avait publié des extraits d'une immense compilation
due à l'évêque de Gaéte, Francesco Patrizzi. Il faut croire que
cette réduction d'une œuvre vraiment énorme ne passa point
inaperçue, car Branville mit en langue vulgaire l'abrégé qu'avait
fait Gilles d'Aurigny, l'intitula Livre de police humaine, et le
confia (1544) au libraire Charles L'Angelier. Si jamais il exista
un sujet vaste, c'est assurément l'humaine police, car elle com-
prend, outre la fondation des cités et la constitution de la famille,
une éthique générale ; un tableau des arts et métiers ; un exposé
des devoirs qui incombent aux prêtres, aux capitaines ; des
réflexions touchant la guerre et la paix ; un chapitre relatif au
commerce ; plusieurs pages sur la meilleure manière de construire
les églises, les remparts, la bibliothèque [p. 85 r»] d'une ville ; des
conseils à qui veut acheter et vendre ; une encyclopédie domes-
tique et agricole ; un catéchisme du bon père et du bon mari ;
un manuel du parfait magistrat ; un discours sur les monnaies...
que sais-je ? Toutes ces questions et vingt autres, Jean Leblond,
c'est-à-dire Gilles d'Aurigny résumant Patrizzi, les examine,
les résout. Et, certes, cela aurait pu suffire au lecteur, et le
champ ouvert à ses méditations n'était déjà que trop étendu.
Pourtant, dès la deuxième édition (1546), le nombre des feuilles
s'accroît, la matière s'enfle, s'élargit ; deux choses viennent
s'adjoindre à la police humaine : « l'éducation duPrince » (d'après
Erasme), puis, servant de préface au tome II, une apologie de la
langue française.
418. Combien cette partie de l'œuvre était curieuse et nouvelle,
M. G. Charlier l'a fort bien montré. L'auteur du Printemps,
un rhétoriqueur attardé, nous cause ici la plus vive surprise, car
qui donc aurait pu s'attendre à rencontrer en lui un précurseur
de Joachim Du Bellay ? Il l'annonce, néanmoins ; il semble lui
frayer la route, et soutient souvent les mêmes idées que ce grand
poète soutiendra. Lorsque Branville déplore la manie des ecor-
cheurs de latin ; lorsque, continuant le rêve de Jean Lemaire, il
affirme que notre idiome remonte jusqu'aux Gaulois, jusqu'aux
Troyensetmêmejusqu'àNoé;quandil compare notre» vulgaire»
à une belle et vivace plante qui n'aurait besoin, pour <( reverdir
et refleurir », que d'être soignée avec amour ; quand enfin il
238 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
invite les riches, les puissants à imiter l'exemple de Mécène, à
combler de leurs faveurs ceux qui veulent rendre le français aussi
élégant et copieux que le latin et le grec, il formule précisément
ce que le manifeste de la Pléiade exprimera mieux et plus au
long, A supposer donc que Joachim ait lu ce plaidoyer antérieur
au sien, il aurait dû, plein de sympathie et de gratitude, nommer,
saluer son devancier, parler de lui en termes flatteurs. Mais il
s'en faut bien ! Il n'a cité Leblond que pour le ranger parmi les
rimeurs aux « enrouées cornemuses », et il a signalé comme
risibles le titre de Printemps appliqué aux essais d'un jouvenceau
et les mots symboliques : humble espérant. Cette raillerie, ces
malices, de quelle manière les expliquer ? Dirons-nous que Du
Bellay ignorait les traductions de Branville, et ne le connaissait
que par ses vers ? Ce serait l'hypothèse la plus indulgente, et il
se peut qu'elle soit fondée. Mais il se peut aussi qu'elle soit fausse,
et nous aurions alors le droit de croire que Leblond déplaisait
à Joachim justement parce qu'il avait eu avant lui les mêmes
idées que lui. Tel est, en effet, l'état d'esprit des novateurs :
ils estiment, ils louent quiconque les suit et les écoute, mais celui
qui a sur eux l'avantage de la priorité, ils ont de la peine à ne
pas le haïr, et lui reprochent tout bas d'avoir eu trop tôt des
opinions dont ils se réservaient le monopole.
BIBLIOGRAPHIE ET REFERENCES
354. EstrenncauRoy,^. II, 211. — Chant miptial, Ibid., 96. — Ibid., lU, 57, Epigr.
CXL. — Doleti Carmina (1538), II, i. — Copley Christie, Etienne Dolet, 293-299.
355. NmiveUes lettres de la reine de Navarre, II, 146. — J. III, 28, Épigr. LXVI :
« En grand travail, plein d'amour, j*ay passé | Les montz très froidz an partir d'Aqui-
taine... » [ Sur la date du voyage dont il est question en ce §, cf. Becker, Zeitsch. jut
fr. Sp. und Litt., XL 1 1, 142-3. M. Becker place cette course dans le Midi avant le banquet
de Dolet : mais je ne vois pas le moyen, pour brève qu'on suppose son absence, de rame-
ner Marot à Paris vers le 19 février. Le texte de Marguerite et l'épigramme mentionnée
ci-dessus ne s'appliquent pas mal au mois de mars, époque où, certes, les monts sont
t. très froidz .. 1 — J. 111,58, Épigr. CXl^lW.
356. J. III, 61, Épigr. CXLIX ; 73, Épigr. CLXXXI ; ibid., IV, 181, Épigr. CGC. —
G. 1,330, le texte et la note i. — Becker, 145-7.
357. G. I, 332-333- — Becker, 148, le texte et la note 1S6. — G. III, 593, n. i. —
Ibid., 592-5-
358. Becker, 148-9- — J. HI, 49, Épigr. CXVI.
359. J. II, 100 ; III, 74, Épigr. CLXXXIII.
361». Becker, 149-150. — G. III, 608-613.
361. G. 111,602-605.
362. J. II, 19--211.
364. On trouvera au t. VI des Œuvres de Marot publiées par Lenglet-Dufresnoy (La
Haye, 1731) la plupart des pièces relatives à la fameuse querelle. Mais ce recueil ne
saurait suffire, car trois ou quatre textes fort importants n'y figurent pas. — La lutte
CLÉMENT MAROT ET SON ECOLE 289
des deux écrivains et de leurs tenants a été racontée au moins quatre fois : i" [Pour
jnémoire, vu que ce travail est d'une parfaite inanité] Voizard, De disputalione inter
Maroium et Sagontum, Thèse de Paris, 1885 ; 3° le savant et pénétrant a.-ticle de Pau!
Bonne^ov, Revue d'hist. litt. de la Fr., i8g4, pp. loyizS et 25g-2S5 ; 3° G. I, eh. XVI;
40 Recker, 156-165. — Pour la dédicace du Triumphe de grâce à Richard Ange, cf.
Bonnefon, 107, n. 3.
365. Bonnefon, 106.
366. Le Triumphe de grâce et prérogative d'innocence originelle, sur la conception et
trespas de la vierge esleue mère de Dieu, composé par Sagon... On les vend a Paris en la
grand salle du palais, au premier pillier, par Jehan André, libraire juré de l'université
de Paris ; 1544- In-8ode 53 ff. non chiffr.. (Bibl. de l'Arsenal, n" 8083, BL.) — Léchant
royal qui montre comment la Vierge a vaincu « Mort et Nature » se lit eu un splendide
manuscrit (B. N. fr. 379, i° 33 ro) où sont rassemblées quantité de pièces couronnées aux
Palinods. Le parchemin, l'écriture, les vignettes du volume en question réjouissent les
3'eux, et tout est beau en ce recueil de poèmes, hormis les vers.
367. G. III,590,letexteetlan. I. — Lenglet-Dufresnoy, 113-113.
369. Bonnefon, io8-iog.
371. Becker, 156-9. — Sur Marot et Félix de Brie, cf. G. 111,362,431, 589-590, v.
336-334.
372-377. Bonnefon, iio-iii. — Becker, 159-160. — Sur les mots « Coup d'essay »
que Marot revendique comme siens, cf. G. II, 14, 1. 16 ; III, 580-581, v. 1 15-134 et la
n. I de la p. 581. — Le coup des- | say de Françoys de [ Sagon Secrétaire de labbe de |
sainct Ebvroul. Contenant | la responce a deux | epistres de | Clément Marot retire a
Ferrare. | L'une adressante au Roy treschresticn. | L'autre a deux damoysellesseurs. |
Vêla de quoy. j Avec ime Responce a celuy qui a escript | que limprimenr de ce présent
livre I avoit beaucoup perdu à l'impres- | sion diceluy. | Les semblables sont à vendre |
à Paris à V enseigne du pot | cassé. 1 1 [Au v" du f . 37] : Imprime de rechief le XX IV. Jour j
de Septembre mil cinq cens | trente sept. In- S" de 28 ff. non chiffr... Il ressort d'une
phrase qui se lit au f. 38 r" que cette édition du Coup d'essay serait la troisième. [Les
chiffres entre crochets dans mon texte renvoient au recueil de Lenglet-Dufresnoy. J
378. C'est dans le titre du Livre de police humaine que Jean Leblond est qualifié
« curé de Branville », mais l'une des pièces liminaires de ce volume le nomme « seigneur »
et non « curé ». Les mots « seigneur de Branville » se lisent en toutes lettres au titre du
Printemps, et l'on notera aussi que les Nuptiaulxvirelays portent la mention « par Bran-
ville ». Or, si un gentilhomme prend le nom de sa terre ou de son manoir, le nom d'une
paroisse ne passe pas au desservant. — Les renseignements que j'ai donnés sur Jean
Leblond sont tirés de l'article de Gustave Charliér (voir plus bas) et des dédicaces des
deux ouvrages dont il vient d'être question ci-dessus. — Nuptiaulx virelays du mariage
du roy d'Escosse et de Madame Magdaleine, première fille de France, ensemble une
ballade de l'apparition des troys déesses, avec le blason de la cosse en laquelle a tous-
jours germiné la belle fleur de lys, faict par Branville. Cum privilegio. On les vend au
Palays au premier pillier en la boutique de Arnoul et Charles Langelier. Paris, (1536) ;
car. goth. ; in-S» de 4 ff. non chiffrés. (B. N. Rés. Y» 3620.) Cf. Montaiglon, Rec, II,
25 sqq. [On observera que Charles Hiiet, dans un petit poème intitulé Concile des dieux
(1536) et dédié à Mellin de Saint-Gelays, avait, lui aussi, chanté le mariage de Jacques
Stuart et de la fille de François 1'=''.] — ■ Sur Charles Huet candidat à la place de Marot,
cf. G. III, 572-3, V. 47-52 et Lenglet-Dufresnoy, 73.
379-384. Le Prin- | temps de Ihumble espe- j rant aultrement dict| lehan Leblond
Seigneur de Branville 1 oi' sont compris plusieurs petitz | œuvres semez de fleurs,
fruict I et verdure qu'il a composez | en son ieune aage fort recréa- | tifz comme on
pourra 1 veoir a la table. 1 1 On les vent a la grant salle du Pâlies au premier | pillier en
la boutique de Arnoul Langelier. 1 1 M. D. XXXVI. 1 1 Cum privilegio. In-S» de 62 fï. non
chiffrés. (B. N. Rés. Y^ 1652.) — Le pamphlet contre Marot se compose de deux pièces
dont voici les titres : Epistre du gênerai Chambor responsive a lepistre de Clément Marot
Clément Marot et son école 10
290 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
qu'il envo^'a au Roy treschrestien Ftançoys [f. Fiiii V] ; Epistre a Clément Marot respon-
sive de celle parguoy il se pensait purger dheresie lutheriane.
386. Pour Marot absent contre Sagon par Bonaventiire, valet de chambre de la Royne
de. Navarre (Lenglet-Dufresnoy, 165). Cette pièce est suivie (p. 170) de huit vers latins
intitulés Ejusdem Bonaventurae de eodem epigramma.
387. Epistre à Sagon et â La Hueterie par Charles Toiitaine (Lenglet-Dufresnoy,
171-177)-
388-390. Apologie de maistre Nicole Glotelet de Victry en Partoys [Vitry-en-Perthois,
arrondissement de Sainte-Menehould, Marne] pour Clément Marot (Lenglet-Dufresnoy,
149-165).
391. Le valet 1 de Marot contre 1 Sagon. [ Cum Commento. | On les vend a Paris
en la Rue sainct lacques | près sainct Benoist, en la boutique de | lehan Morin, près
lestroys Couronnesl d'argent. | 1 1537. 1 1 In-S" de 8 ff. non chiffrés. — Lenglet-Dufresnoy,
51-59 ; G. m, 565-592. — Le bois qui représente Fripelippes frappant à tour de bras
le sagouin a été reproduit plus d'une fois, ^■'oyez, notamment, G. I, 352 et III, 564.
392-393. Le rabais du ] caquet de Fripelippes et de Marot dict | Rat pelé adictionné
avec le commentaire. 1 Faict par Matthieu de Boutigny pai- | ge de maistre Françoys de
Sagon secre- j taire de Labbé de Saint Ebvroult. || S. /. n. d. (Paris, 1537)- Ii^-8° de
20 ff. (Lenglet-Dufresnoy, 85-117.)
394. Responce à [Marot, dict Fripe- | lippes et à son maistre Clément. 1 1 On les vend
à Paris en la rue sainct Jac-|ques, devant l'escu de Basle, par | Jehan Luquet. (Lenglet-
Dufresnoy, 71-79.) La vignette du titre, qui figure un rat, un matou, im morceau de lard,
a comme légende les deux vers : « Mus cavet ire au lard | Quando videt Mitouart. » Le
chat Mitouart symbolise le bailli Morin.
395. La gran- j de généalogie de Frip- | pelippes, composée par ung jeune | poète
champestre. Avecques un Epistre | adressant le tout a Fran- | çoys Sagon. 1 1 On les
vend au mont sainct Hylaire, près le | collège de Reims, au Phœnix. In-S" de 8 ff. (Len-
glet-Dufresnoy, 61-70.)
396. Defiense de Sagon | contre | Clément Marot. 1 1 On la vend au mont Sainct
Hylaire, devant | le Collège de Reims. In-S" de 36 ff. non chiffrés. (Bibl. de l'Arsenal
6427, BL.)
397. Les disciples! et amys de Marot con- | tre Sagon, la Hueterie et leurs adhérents. | |
On les vend a Paris, près le collège de Reims, | a lenseigne du Phœnix. In-8° de 30 a.
non chiffrés.
398. Remonstrance [ a Sagon, a la Hu- | terie [sic] et au Poe- 1 te Campestre, | par
maistre Da- lluce Locet, Pa- | manchoys. || On la vend au mont sainct | Hylaire,
devant le col- liège de Reims. In-80 de 8 ff. non chiffrés. (Lenglet-Dufresnoy, 124-134.)
399. Epistre respon- ] sive au rabais | de Sagon. | Ensemble une | aultre Epistre
faicte par | deux amyz de Clément | Marot. [ | On les vend a Paris au mont | sainct
Hilaire, devant le Collège | de Reims. In-8° de 8 ff . non chiffrés. (Lenglet-Dufresnoy,
1 18-123.) — Contre Sagon] et les siens, Epi- | stre nouvelle | faicte par ung [ amy de
Cle- I ment Ma- | rot. 1 1 On la vend Devant le Collège de Reims. (1537). In-S" de 7 ff.
non chiffrés. — Le frotte- [groing du Sagouyn. [Avec scholies exposantz lartifice... | |
On le vend a Paris en la rue S. Jacques | a lenseigne des trois Brochetz. | 1537. In-S"
de 4 ff. non chiffrés. — Replicque par 1 les Amys de l'auctheur de la Remonstrance |
faicte a Sagon, contre celuy qui ce (sic) dict | amy de l'imprimeur du Coup | d'essay. \
Ensemble responce a Nicolas Denisot | qui blasma Marot en vers enragez a la fin
du Rabais. In-80 de 7 ff. non chiffrés. S. /. n. d. — Rescript A | Françoys Sagon et au
jeune poète 1 Champestre facteur de la ge- | nealogie de Frippelippes. | Avecques
ung Ron- | deau faict par | Clément | Marot j dudict jeune poète. | 1537. In-80 de
4 ff. non chiffrés. (Lenglet-Dufresnoy, 80-84.) — Responce a Charles Huet dict Hueterie
gui feit Mitouart le Gm par C[alvy] de La Fontaine. Cette pièce se trouve dans le recueil
des Disciples et amys de Marot. (Cf. Lenglet-Dufresnoy, 178-187.)
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 291
400. Epistre a I Marot par Fran- 1 çois de Sagon pour lui monstrer que [Fripelippes
avoit faict sotte comparaison | des quatre raisons dudit Sagon a quatre | Oysons. | |
Au Palais par Gilles Corrozet | et Jehan André. 1537. In-8<» de 16 ff. non chiffrés. (Cf.
Bonnefon, 265-269.)
401. Epistre | a Marot, a Sa- | gon et a la | Huterie. 1 1 On la vend au mont Sainct |
Hylaire, Devant le Colle- | ge de 1 Reims. In-8° de 8 £f. non chiffrés. (Lenglet-Dufresnoy,
135-145.) Sagon (ou quelqu'un des siens) a estimé utile de riposter. Insipide et indigente
réplique ! On la trouvera chez Lenglet-Dufresnoy (231-234), sous un titre d'assez longue
haleine : Responce d'ungqu i ne se nom me pointa V epistre de celluy qui ne s'est point nommé,
adressée à Marot, à Sagon et Hueterie, etc.. — Pour le Différent de Clément Marot et de
François Sagon, cf. ibid., 227-230.
402. Poésies de Germain Colin Bûcher [édition J. Denais, 1890], pp. 183, n" CLXXV
et 218, n° CCXXI. — Epistre [ envoyée a Clément | Marot et Françoys Sagon ! ten-
dant a leur paix. I j On la vend en la rue sainct | Jaques près le mortier d'or. In-S» de
4 ff. non chiffrés. A la fin : » Voustre bon frère, serviteur et amy, Germain Colin. » Cette
pièce a été publiée (Paris, Techener, 1890) par Emile Picot, et Bormcfon (270-27?) en
a donné de longs extraits.
403. Jean Bouchet a inséré la lettre en vers de Sagon dans ses Epistres morales et
familières du Traverseur, 3« partie, i° 73. — Œuvres de Mellin de Saiiit-Gelays [Blanche-
main], II, 1-3. — Nicolaï Borhonii... Nugarum libri octo, p. 465, n" 81. — Ruisseaux
de Fontaine (1555), pp. 230-231. — Poésies françaises de Jean de Boissonné (Bibl. mun.
de Toulouse, ms. 836), Première centurie de dizains, i"' 25 v», 31 v°, 32 r" et \°.
405. Appologie 1 faicte par le grant | abbé des Conards | sur les invectives Sagon,
Marot, la Hu- | terie, pages, valets, braquetz, etc. S. l. «. d. [1537]. In-80 de 4 ff. non
chiffrés. (Lenglet-Dufresno}', 202-207.)
406. Responce a Lab- I bédés Gon ar s de | Rouen. || On les vend en la rue sainct
Jacques, par | Jehan Morin. | M. D. XXXVII. In-S» de 4 ff. non chiffrés. (Lenglet-
Dufresnoy, 224-227.) — La première leçon des matines ordinsdres du grand abbé des
Conardz de Rouen, souverain monarcque de l'ordre, contre la response faicte par ung
corneur a l'apologie du dict abbé. S. /. n. d. [Rouen, 1537.] — De Marot j et Sagon les
trêves | Dormez jusqu'à la fleur des febves. | Par l'auctorité de Labbé des Conards.
S. l. n. d. [Paris, 1537.] In-80 de 7 ff. non chiffrés. (Lenglet-Dufresnoy, 215-221.)
407. Le bancquet 1 Dhonneur sur la Paix faicte entre Clément | Marot, Françoys
Sagon, Fripelippes, | Hueterie et aultres de leurs ligues ] Nouvellement imprimé. 1 1
1537- 1 1 De guerre paix. S. l.. In-S» de 8 fif. non chiffrés. (Cf.Boimefon, 277-280.)
409-410. Le regret d'honneur fceminin et des troys grâces sur le trespas de noble
dame Françoyse de Chasteaubriant et mirouerde noblesse fœminine. Par Françoys
de Sagon Secrétaire de labbé de sainct Ebvroul. B. N. fr. 2373. (C'est à ce texte que je
renvoie.) Le Regret d'Honneur a été publié par F. Bouquet, Soc. des bibliophiles normands,
Rouen, 1880, in-4°.
411. Recueil des | estrenes de Françoys | de Sagon pour l'an présent. | 1538. [|
A la fin : Imprimé a Paris le seiziesme jour de jan- | vier 1538 (v. s.). In-8° de 28 ff.
non chiffrés. — Deffence | des escriptz de Sagon a | luy envoyée pour | estreines de |
parloyspratin. || S. /. n. (i. In-S» goth. de 8 ff. nonchiffrés.
412. Le dis- 1 cours de la vie et | mort accidentel- | le de noble homme Guy | Morin,
traducteur 1 de ce présent Preparatif a | la mort, par Françoys | de Sagon, secre- | taire,
son vray 1 amy. 1 1539. 1 1 he Discours se lit aux fif. 100-127 de : Le Preparatif à la mort
traduict du latin d'Erasme par Guy Morin dict de Loudon ; Paris, Vincent Sertenas,
1539-
413. La complainte I de troys gentilz- | hommes Françoys, occis et morts au voyage
deCar- 1 rignan, bataille et journée de Ci- | rizolles, par Françoys de Sagon. 1 1 1544. 1 1
De l'imprimerie de Denys Janot, imprimeur | du Roy en langue Françoise et libraire |
juré de l'Université de Paris. 1 1 Ala fin : Et fut achevé d'imprimer ce dit livre le XXIIIe
jour de may, mil cinq cent quarante et quatre. In-S» de 44 fif. non chiffrés.
292 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
414-415. Apologye en | défense | pourle Roy, | fondée sur texte d'évangile, con- | tre
ses enneinys et caluniniateurs | par Françoys de Sagon. | Avec privilège du Roy. 1 1
1544. Il De l'imprimerie de Denys Janot, imprimeur | du Roy en langue Françoyse,
et libraire juré | de l'Université de Paris. In-S" de 24 ff. non chiffrés. (Au f. Aii r»,
dédicace à la reine de Navarre.) — Cf. J. Mathorez, Un apologiste de l'alliance franco-
turque au XVI" siècle dans le Bull, du bibliophile et du bibliothécaire, 1913, pp. 105-120.
416. Le Chant de la paix de France et d'Angleterre chanté parles trois Estats, com-
posé par l'Indigent de sapience. Publié a Paris le samedi vingt-neuvième jour de Mars
mil cinq cents quarante neuf avant Pasques [1548]. In-8° de 24 ff. non chiffrés.
417. I. Le livre de Po- j lice humaine, conte- | nant briefve description de plusieurs
choses dignes | de mémoire... Le- | quel a esté extraict des grandz et amples volumes
de I François Patrice, natif de Senes en Italie, Evesque | de Gaieté, par maistre Gilles
d'Aurigny, advocat | en la court de parlement : et nouvellement traduict j de Latin en
François par maistre lehan Le Blond, eu- | ré de Branville... | j Reveu et corrigé avec
grand'diligence j parledict Translateur. [ Avec privilège, j 1546. j On les vend a Paris
par Charles l'Angelié, tenant | sa boutique au premier pillier du Palais. Le privilège est
du mardi, 8 avril 1543, v. s. A la fin de la dédicace, on lit la devise Espérant mieulx et
quelques vers de Branville [« a tous nobles Lecteurs amoureux de la Langue françoise »]
et de ses amis.
Les mots « reveu et corrige » prouvent qu'il s'agit ici d'une seconde édition ; je rappelle
que la première est de 1544.
Voici l'ouvrage dont maître Gilles d'Aurigny a tiré les extraits que Jean Leblond a
traduits : Francisai Patricii senensis, pontifiais aaietani, de institutione reipuhlicae libri
novem, historiarum sententiarumque referti, hactenus nunquam impressi, cum lohannis
Savignei annotationibus margineis... Vénales prostant in aedihus Galioti a Prato ;
1518. In-folio.
Il existe une version antérieure à celle de Jean Leblond : Livre très fructueux et utile
a toute personne de l'institution et administration de la chose publique, composé en latin
par Fr. Patrice de Senes et translaté en françois... Imprimé a Paris le dernier jour
d'avril mil cinq cens et vingt par maistre Pierre Vidoue pour Galiot Du Pré, marchand
Libraire.
Brunet cite une traduction italienne, Venise, 1545.
II. Abrégé des « histoires, dictz et sentences de Valère Maxime » (1548 ?).
III. Ensuite, Branville a tourné enlangue vulgaire le livre que voici :Cayio>n's [lohan-
nis] Chronicon ab exordio mundi ad Carolum V imperatorem. Jean Carion (f 1538) avait
publié cette Chronique en allemand (Wittemberg, 1532). Hermann Bonn la mit quelques
années plus tard en latin (Halle, 1537), et ce fut ce texte latin que Leblond traduisit
(Lyon, J. de Tournes et G. Gazeau, 1549 ; in-i6 de 30 ff. prél. et 750 p?ges.)
IV. La description de l'isle d'Utopie ou est comprins le miroer des republicques du
monde et l'exemplaire de vie heureuse, rédigé par escript en stille très élégant, de grand'
haultesse et maiesté par illustre Thomas Morus... avec lepistre liminaire composée
par M. Budé. Paris, Charles l'Angelier, 1550. — Voici le titre de l'original : Libellus
vere aureus nec minus salutaris quam festivus de optimo reipublicae statu, deque nova
insula Utopia, authore clarissimo viroThoma Moro. Louvain, 1516.
V. Parmi ses translations, Branville cite un traité de « Vincent de Lyfy contre les
hérésies renouvelées ». Il s'agit, d'après M. G. Charlier, de Vincent de Lérins et de son
Commonitorium pro aatholicae fidei antiquifate. Brunet ne mentionne pas cette version,
et elle paraît être demeurée manuscrite.
— Telles sont les cinq traductions dont l'Humble Espérant lui-même se déclare
l'auteur. Mais son œuvre ne se borne pas à cela, et il a laissé, aussi, une chronique inti-
tulée : « La fondation du royaume de Neustrie | maintenant Normandie, en la Gaulle |
Celtique parles François Allemans: | et du discours des princes qui y ont régné: j ensem-
ble de leurs gestes et glorieux j faictz. » C'est, il nous le dit, son « dernier labeur ». Il
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 293
resta inédit, et se trouve maintenant à la B. N. (ms. fr. i8 931). Ce volume est dédié
'< A Monseigneur Monsieur Robert de Quenel, abbé de la Noe et de Conches ». Comme
ces deux abbayes furent données à Robert de Quesnel en 1558, la dédicace ne saurait
être antérieure à cette année, et c'est ici, écrit M. Charlier, « la dernière date assurée
dans la biographie de Jean Leblond ».
418. Gustave Charlier, Jean Leblond et son apologie de la langue française, (Revue
de 'instruction publique en Belgique). — J. Du Bellay, £>^/. <;< /i/. [Chamard], 310-313.
VI
LES DERNIÈRES ÂNNEE^>
419. Vers adressés à Montmorency créé connétable. — • 420. Dolet
éditeur de Marot. — 421. Marot à Lyon. — 422-423. // célèbre
l'entrevue du roi et de l'ejnpereur à Nice, fuis la venue en France
de Marie d'Autriche. — 424-425. La maison du cheval de
bronze. — 426. François i^r tonibe malade ; poème écrit à cette
occasion. — 427-429. Charles-Quint traverse la France. —
430. Editiondes (.iTrente pseaulmes)). — 431. Mariage de Jeanne
d'Albret. — 432. Voyage à Lyon. — 433-434. Par des publica-
tions audacieuses, Clément, de nouveau, provoque ses ennemis ;
il s'enfuit à Genève. — 435. Fausses raisons qu'on a données
de ce départ. — 436-437. Les vraies raisons. — 438. Oit se trou-
vait le poète lorsqu'il a cru devoir s'exiler ? — 439. Date de son
arrivée à Genève. — 440-443. Mathieu Malingre et son Épître
à Marot. — 444. Réponse de celui-ci. — 445-447. Eustorg de
Beaulieu : la seconde partie de son histoire. — 448. Son Épître
à Clément. — 449. L'exilé continue à jouer le rôle d'écrivain
officiel. — 450. Il travaille à la translation du Psautier. — 451.
Le Conseil de Genève lui refuse une subvention. — 452. Qu'il
était impossible à Marot de vivre longtemps à Genève. — 453.
Une partie de trictrac. — 454-455. François Bonivard. ■ — •
456. Clément s'achemine vers la Savoie. — 457. Calomnies des
huguenots et des catholiques à propos de ce voyage. — 458.
Épître à Raymond Pellisson. — 459. .'Eglogue sur la naissance
du filz de Mgr le Dauphin. — 460-462. Amis savoisiens du
poète. — 463. Bataille de Cérisoles ; Épître à François de Bour-
bon, comte d'Engliien. — 464. Marot se rend à Turin, et c'est
là qu'il meurt. — 465-466. Divers poèmes à sa louange. — 467-
468. Sa famille : sa fille ; son fils Michel. — • 469-471. Carac-
tère de Clément Marot.
419. Le dimanche. lo février 153S. Anne de ^Montmorency fut
élevé à la dignité de connétable. La cour se trouvait alors à
Moulins, et ce fut en cette ville que se déroula, avec beaucoup de
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 295
solennité, l'imposante cérémonie. Plusieurs poètes la célébrè-
rent, et prédirent qu'une ère de paix ou de victoires allait naître,
puisque l'épée de la France était confiée à de si martiales mains.
Clément Marot n'osa garder le silence, et il souhaita, dans une
épigramme, que celui qu'on venait de mettre au-dessus de tous
les Français plaçât à son tour, « par prouesse et bonheur », le
roi au-dessus de la terre entière. L'écrivain courtisan flattait
d'autant plus l'impérieux et rude Montmorency qu'il le crai-
gnait davantage. Il le savait hostile à ses idées, à ses audaces,
peut-être à sa personne, et, hors d'état de se passer de lui, il
s'efforçait de l'amadouer. Non content de cette épigramme qu'il
lui avait adressée (mince cadeau, car ces dix vers ne valaient pas
grand'chose), il lui offrit, au mois de mars de cette même année,
un recueil de ses « dernières oeuvres... non imprimées ». Il aurait
dû, pour compléter ce titre, ajouter : et soigneusement revues...
420. La cour résida quelque temps à Moulins, et ce fut là que
François i^r octroya à Etienne Dolet (6 mars 1538) les lettres
patentes qui l'autorisaient à « imprimer ou faire imprimer touts
livres par luy composés et traduictz et touts aultres œuvres des
autheurs modernes et antiques... » Marot, à qui, peut-être, était
due l'obtention de cet ample privilège où se devinent une bien-
veillance particulière et un désir d'obliger, résolut de profiter
pour lui-même des presses que son vaillant ami était en train
d'établir. Les éditions de ses écrits que l'on avait données jus-
qu'alors lui déplaisaient à cause de « mille sortes de faultes
infinies » qui les déparaient, et, aussi, parce que des libraires peu
scrupuleux lui avaient faussement attribué certaines pièces ou
froides et rimées « de maulvaise grâce », ou « pleines de scandale
et sédition ». Au contraire, il assurait l'intégrité, la loyauté de
son texte en le confiant à un homme docte, respectueux du
labeur d'autrui, et qui aurait, à coup sûr, une admirable cons-
cience professionnelle. Et puis Marot comptait surveiller lui-
même l'exécution du recueil. Justement, François i^r, si instable
et remuant sans être actif, se préparait déjà à quitter Moulins
pour Lyon. Il y arriva à la fin de mars, et son poète avec lui.
42L A Lyon, Dolet et Clément, son frère d'armes, travaillè-
rent ensemble au beau volume, aujourd'hui si précieux. Un mois
et demi plus tard, l'auteur n'avait pas achevé sa révision, ses
corrections, puisque la dédicace à Messire Nicolas de Neufville
qu'il plaça en tête de son vieux Temple de Cupido porte la date
du 15 mai. Au reste, la mise au point de son livre ne l'absorbait
pas complètement, et il trouvait encore assez de loisir pour pro-
duire quelques vers rapides qu'il éparpillait de-ci, de-là. Ce fut
bien durant ce séjour à Lyon, et non pas en 1529 (M. Becker l'a
296 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
clairement démontré) qu'il composa l'épigramme intitulée
Pour le may planté par les imprimeurs de Lyon devant le logis du
Seigneur Triviilse. L'erreur s'explique par ce fait que les gou-
verneurs de Lyon sont issus, durant plus de trente années, de
la même d3-nastie. On a cru, cela étant, que le Trivulse à qui les
imprimeurs avaient apporté le mai devait être TeodoroTrivulzio
(f 1532), tandis qu'il s'agit de son neveu, Pomponio. 11 suffira,
pour s'en convaincre, de lire les vers latins que Dolet lui dédie
[u Ad Pomponium Trivulsium, Lugduni rectorem... »] précisé-
ment à l'occasion de ce mai qui lui était offert, viridem tihi
pinum consecratam. Quant à l'épigramme de Marot, elle est
remarquable pour deux raisons : en premier lieu, on y rencontre
ces mots :
La liberté, des trésors le plus digne,
ensuite, cette petite pièce qui vous paraissait d'abord négli-
geable, examinez-la bien, c'est un sonnet, et, à cet égard, elle
fixe une date.
422. Combien de temps Marot demeura-t-il à Lyon ? On
l'ignore. Nous avons vu qu'il y était encore le 15 mai, et rien ne
nous oblige ni même ne nous invite à penser qu'il ait suivi le roi
qui s'acheminait vers la Provence, et s'en allait lentement à
Nice où l'attendaient le Pape Paul III et Charles-Quint. Les
peuples comptaient que la paix, chère et belle espérance toujours
déçue, sortirait enfin de cette conférence, et ils saluaient ce nou-
veau mirage. Maître Clément s'y laissa prendre comme les autres,
et composa, pour célébrer ce (( voyage de Nice )>, un Cantique de
la Chrestienté. On devine ce que Chrestienté coT\sei\\e, chante et
prêche aux deux princes ennemis : ayez, dit-elle, pitié de mes
enfants ! Si la destinée calamiteuse des humbles soldats sans
nom, victimes innombrables de vos guerres, ne vous touche pas,
songez, du moins, à cette fleur de chevalerie qui va s'épuisant, à
ce sang noble qui coule à flots. Si votre haine persiste, le monde
chrétien aura le sort de Troie : beaucoup de gloire, puis ruine
et cendre. Donnez-nous l'occasion de faire des « feuz de liesse ",
et que la Paix descende au milieu de nous, riante et (( claire
comme le jour » !
423. L'entrevue de Nice s'était terminée le 18 juin sans pro-
duire aucun résultat décisif. I\Iais l'empereur et François i^^
se rencontrèrent peu après, et comme par hasard, à Aigues-
Mortes. Là, mille embrassements, mille pohtesses, mille protes-
tations d'amitié, sans parler des diamants ni des chaînes d'or,
furent échangés entre les deux bons frères, à bord de la galère
impériale (14 juillet). La reine Éléonore pleurait de joie, et ce
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 297
fut une espèce d'idylle marine. En jouant, et non pour la der-
nière fois, cette comédie chevaleresque, François i«i" était en
partie sincère. Vraiment, il souhaitait un répit, et il le prouva en
s'efforçant de gagner à sa cause la sœur de Charles, Marie d'Au-
triche, reine de Hongrie et gouvernante des Pays-Bas. Femme de
tête, intelligence vaste et lucide, c'était, en outre, une sorte
d'amazone que n'effrayaient ni la vie des camps, ni la pluie du
ciel, ni le malheur. Comme elle avait sur son frère beaucoup
d'ascendant, il importait de la ménager et de lui faire approuver
les conventions de Nice et d'Aigues-Mortes. Elle fut, dans ce
dessein, invitée à venir en France ; le roi et la cour allèrent au-
devant d'elle, et la rencontre eut lieu dans la seconde moitié du
mois d'octobre 1538. Marot, « ce gentil salueur » [G. III, 102],
qui avait déjà chanté tant d'illustres arrivées, célébra celle de
Marie d'Autriche. Il la compare d'abord à l'arc-en-ciel qui
annonce la fin des tempêtes, puis, après avoir montré combien
elle diffère de Penthésilée qui ne voyageait que pour combattre,
il admire en elle, prenant le Pirée pour un nom de femme, une
nouvelle reine Saha qui vient, « prudente et meure », visiter le
Salomon de France.
424. Ainsi, depuis son retour de Venise, le poète n'avait négligé
aucune occasion de jouer son rôle officiel, et cela méritait une
récompense. Il l'obtint au mois de juillet 1539, car le roi lui fit
alors cadeau, « pour luy, ses hoirs, successeurs et ayans cause »,
d'une « maison, grange et jardin, le tout encloz de murailles et
situé et assis es fauxbourgs St Germain des prés lès Paris, en
la rue du clos Bruneau », sur l'emplacement actuel des rues de
Condé et de Tournon. Cette maison avait une histoire, que l'acte
de donation raconte en partie. Elle appartenait à un prêtre
nommé Jean Vimont, et François i^r, en 1531, l'avait acquise
par l'intermédiaire d'un certain Pierre Espine. Acheté 500 livres
tournois, puis augmenté aussitôt d'un bâtiment qui coûta 220
livres, ce logis fut livré à un sculpteur florentin, Giovanni Fran-
cesco Rustici. Le roi lui avait commandé de fondre u un grand
cheval de cuivre » et un cavalier de même métal. L'artiste s'éta-
blit au clos Bruneau, lui « et son train » ; il semble que le cheval
finit par sortir du moule, mais il demeura sans cavalier. L'œuvre,
à moitié exécutée, ne s'acheva point ; avant d'être accomplie,
elle avait cessé de plaire à ce prince aux prompts et courts désirs,
qui a commencé avec passion puis négligé tant de choses. De
cette entreprise il ne resta qu'un nom, le Heu où avait été l'atelier
continuant à s'appeler maison du cheval de bronze. Le cheval
sans cavalier s'en était allé je ne sais où ; le sculpteur avait cédé
la place, et le poète s'y installa.
298 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
425. Hoc erat in votis... Justement parce que la fatalité le
traînait, depuis déjà longtemps, le long des chemins de France
et d'Italie, valet de chambre trottant derrière son maître ou
bien rhapsode exilé, Clément ne souhaitait rien tant que d'avoir
un petit coin de terre où s'arrêter, un toit à l'abri duquel il lui
fût permis de s'asseoir. Ce rêve (car c'était un rêve) , il l'a exprimé
plus d'une fois. Tantôt il le traduit en langage bucolique, soit
qu'il demande à Pierre Duchâtel, lecteur du roi puis évêque de
Tulle (1539), de lui obtenir, par son influence, un domaine pareil
à celui « que Mecenas a Maro feit avoir », soit que, s'adressant
au dieu Pan, c'est-à-dire à François i^^, il le supplie de lui accor-
der non pas mille bœufs de race auvergnate, ni « deux mille
arpentz de pastiz en Touraine », mais simplem^ent une hutte
pour le garantir des loups et du froid, maintenant que s'appro-
che l'hiver de sa vie. Tantôt, renonçant aux symboles, il formule
son désir en termes clairs et directs. Lisez l'épître qu'il avait
envo37ée de Venise au roi, et vous y trouverez cette phrase :
un mois avant ma disgrâce, je me proposais
De te prier, Sire, sçais tu de quoy ?
De me donner un lieu plaisant et 003-
Ou a repos peust ma muse habiter,
Et la tes taictz et tes vertuz dicter...
La maison de la rue du clos Bruneau, bien qu'elle ne rappelât
guère, par sa situation, une cabane de pastoureau, fut néanmoins,
pour l'écrivain vo3'ageur, ce fo3/er qu'il avait longtemps attendu.
Sans doute il s'imagina, en y entrant, qu'il y resterait jusqu'à
la mort, et que toutes les œuvres qu'il produirait dorénavant
seraient fabriquées à l'enseigne du cheval de bronze, sous les
ombrages de ce jardin qu'on lui avait « octroyé, cédé, quitté,
transporté et délaissé... a tousjours ».
426. Marot avait promis de passer son temps, aussitôt qu'il
aurait un abri tranquille et sûr, à dicter les vertus de son bien-
faiteur. L'occasion de tenir cet engagement ne tarda pas à se
présenter, car, au mois de septembre 1539, le roi tomba grave-
ment malade à Compiègne. Sa maladie, à vrai dire, n'avait rien
à voir avec ses vertus, et s'il se sentait pcssimo ulcère venenatus.
c'était par un juste retour des choses d'ici-bas. Pendant quel-
ques jours on le crut perdu, et tous ceux qui l'aimaient furent
en émoi. On retrouve la trace de cette angoisse dans de trop
longues strophes de Marot intitulées Cantique de la Royne.
C'est Eléonore, en effet, que le poète met en scène, afin qu'elle
exprime, outre sa douleur propre, celle du pauvre « peuple
gémissant ». D'abord, elle se livre au désespoir, et ne prétend
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 299
plus à rien, sinon à passer, avec son mari, le « mortel fleuve » ;
puis la voilà pleine de confiance, elle compte sur une guérison
que la justice et la bonté de Dieu ne sauraient refuser à tant de
gens qui s'arrachent les cheveux et la barbe. Pour conclure, la
reine invite les Muses, qui eussent été bien confuses et même
« camuses » si Atropos avait emporté le père des arts, à inspirer
aux faiseurs de vers quantité de pièces où soit dépeinte la joie
qu'éprouvent Mars et Pallas à la nouvelle de la convalescence
du roi.
427. Il se rétablit assez vite, et la santé lui était revenue au
moment où il lui fallut recevoir Charles-Quint traversant la
France pour marcher contre les Gantois révoltés. Ces Flamands
si difficiles à soumettre, tellement actifs, industrieux, c'étaient
les amis, les aUiés naturels de François i^^. Tout récemment
ils lui avaient proposé, pourvu qu'il leur accordât la protection
qu'il leur devait en « souverain seigneur », de se regarder commi-
ses hommes, de se donner à lui désormais. Ils le connaissaient
mal, et ils furent, eux aussi, trahis et sacrifiés. François négligea
son intérêt, repoussa les mains tendues vers lui, et consentit à
la ruine de cette noble cité riche en biens et riche en âmes, parce
qu'il s'imaginait gagner, au prix de cette action noire, le Mila-
nais, l'Italie. Funeste obsession, rêve et chimère !
428. Donc, cet aveugle prince, se détournant des braves cœurs
qui s'offraient à lui, résolut d'accueillir d'une manière cordiale
et avec un luxe prodigieux son ennemi de toujours. Charles, la
bouche remplie de promesses qu'il s'était juré de ne pas tenir,
franchit la Bidassoa vers le 20 novembre 1539. Dans chaque ville
où il s'arrêtait, les gentilshommes et les bourgeois étalaient une
magnificence inouïe ; à Bayonne, -à Bordeaux, à Poitiers, on
rivaUsa de zèle, et ce fut, le long des routes, une pompe triom-
phale. Paris, où ce fastueux cortège entra le 1^^ janvier i540,se
distingua hautement. J'ai déjà dit un mot [I, § 455] des céré-
monies qui eurent lieu. A quoi bon insister ? Les fêtes publiques
tournent en un cercle étroit, et il me suffit qu'on sache que la
momerie d'Aigues-Mortes recommença ici de plus belle. On pro-
digua les serments et les présents ; on lutta de finesse et de
générosité ; on courut de la messe au festin, et les embrassades
ne se comptèrent point. Là-dessus, l'empereur s'en alla ravi, et,
un mois plus tard (6 lévrier), les Gantois le virent arriver, ter-
rible. La ville fut déchue de ses privilèges et condamnée à une
amende accablante ; la cloche du beffroi fut détiuite ; une cita-
delle s'éleva bientôt là où avait été la vénérable abbaye de Saint-
Bavon ; les principaux auteurs de la révolte eurent la tête tran-
chée sur la place du marché au poisson, et le bon citoyen qui
300 CLÉMENT .MAROT ET SON ÉCOLE
avait écrit au roi François pour implorer son secours fut au nom-
bre des victimes... Quant au duché de Milan, César ne songeait
guère à le rendre, et niait même avoir jamais parlé de cette res-
titution. Que faire, sinon éteindre les feux de joie et prendre
les armes une fois de plus ?
429. Pour célébrer le passage de l'empereur, Marot n'a pas
composé moins de quatre petits poèmes : il lui souhaite la bien-
venue aussitôt qu'il paraît à la frontière ; il le salue lorsqu'il arrive
à Paris ; il lui envoie encore, outre une épigramme et un rondeau
qui semblent avoir été rimes dans les premiers jours de janvier,
un compliment pour le remercier d'avoir, en subjuguant la Gaule
entière à force de confiance et de droiture, assuré la paix du
monde. J'aimerais à savoir si notre Clément qui s'est montré
ailleurs peu crédule, nullement gobe-mouches, a pu être dupe de
ces parades des rois, ou bien s'il en a connu le mensonge, la vani-
té. Mais qu'il fût ou non sceptique et sagace, il s'est résigné sans
efforts à jouer son rôle dans cet auguste batelage, à gagner ses
gages en conscience. Une lettre écrite, le 26 août 1559, par Ville-
mandon à Catherine de Médicis nous apprend que François I^^^"
commanda à Marot de présenter à Charles-Quint le recueil des
trente psaumes qu'il avait déjà « translatez », et que l'empe-
reur «receut benignement » cet ouvrage, et récompensa l'auteur
par un cadeau de deux cents doublons. Les largesses de ce genre
étaient prévues par le protocole qui réglait les entrées des souve-
rains dans les bonnes villes étrangères, et l'on se tromperait beau-
coup, en concluant des deux cents doublons, que Sa Majesté
Très Catholique approuvait qu'on traduisît la Bible en langue
vulgaire. Le même homme qui couvrait d'or à Paris l'interprète
français de David jugera convenable un peu plus tard que ceux
et celles qui chanteront en Flandre les vers sacrés du poète soient
les uns brûlés à petit feu et les autres enterrées vives.
430. La lettre de Villemandon atteste qu'à la fin de 1539 la
version de trente psaumes était déjà terminée. Il y avait alors
sept ans que Marot travaillait à cette œuvre, puisque nous pou-
vons lire en appendice, dans une édition du Miroir de l'ame
pécheresse, livre courageux mais peu sensé de la reine de Navarre,
le <( VI^ pseaulme de David translaté... selon l'hebrieu par Clé-
ment Marot ». Cette sorte d'annexé du Miroir, qui contient aussi,
paginées à part, diverses prières versifiées, porte la date du mois
de décembre 1533. Depuis cette époque, le traducteur de ces
prières et de ce 6^ psaume n'a jamais perdu de vue son dessein
de mettre en français tout le psautier, et, comme l'a bien montré
"SI. Becker. on relève, en trois épîtres rimées entre 1533 et 1539,
des passages qui marquent la continuité de cet audacieux et
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 301
vaste labeur. C'est ainsi que le poète, durant son exil, rappelle
à Marguerite les jours heureux où, « en sa chambre parée », il
chantait pour elle des « psalmes divins >' ; c'est ainsi que, s'adres-
sant à la duchesse Renée, il s'engage à « remémorer » bientôt et à
publier « en pseaulmes et cantiques » les dons et les grâces du
Seigneur ; et n'oublions pas non plus que Fripelippes lui-même,
de qui on attendait guère une cita.tion de cette espèce, jette une
phrase de David [IX, v. i6] à la tête du lâche Sagon, révélant
ainsi le genre d'études que son maître faisait à ce moment. Les
trente psaumes dont Villemandon parlait à Catherine de Médicis
furent le résultat de ces années de préparation. Ils parurent
chez Etienne Rofïet le 30 novembre 1541 (date du privilège),
avec une belle « certification » de trois docteurs en théologie qui
avaient « veu et visité » ce recueil, et déclaraient n'y « avoir rien
trouvé contraire a la foy , aux Sainctes Escriptures ne ordonnances
de l'Eglise )>.
431. Donc, tout semblait sburire à la tentative de Marot.
François I^r, Charles-Ouint, la cour, la Sorbonne même applau-
dissaient. Mais ce n'était là qu'une apparence ; cette feinte
faveur n'allait durer que bien peu de temps ; le poète, une fois
de plus, attirait sur lui des haines qui ne tarderaient pas à éclater,
et, en s'obstinant à rendre français le roi David, il s'acheminait
vers une catastrophe qu'il aurait dû prévoir. Son caractère, à
vrai dire, ne le portait pas à se tourmenter des orages lointains,
et, de fait, il avait encore au moins deux années paisibles devant
lui. Nous perdons sa trace pour quinze mois après ses adieux à
l'empereur, et il nous faut attendre, pour qu'il nous redonne
signe de vie, jusqu'au mois de juin 1541. A cette date eut lieu
le mariage [cf. §§ 52-3] de Jeanne d'Albret et de Guillaume de
La Mark, duc de Clèves. A cette occasion, Clément composa,
peut-être sans beaucoup d'entrain, plusieurs petites pièces desti-
nées, suivant une tradition romanesque, à être affichées sur les
K perrons « des princes et grands seigneurs qui illustrèrent par
un tournoi les si tristes noces de la petite Jeanne, et qui, étant
hommes d'épée, laissaient à un pauvre homme de plume le soin
de rédiger leurs défis ou d'interpréter leurs devises.
432. Après cette cérémonie plutôt fastueuse que joyeuse, le roi
s'éloigna de Châtellerault où elle avait eu lieu, se rendit d'abord
à Châteauroux, puis, par Moulins, Mâcon et Bourg, il se dirigea
lentement vers Lyon où il arriva à la fin de septembre. Marot l'y
accompagna ou bien l'y rejoignit. Le bref avis aux lecteurs qu'il
a placé en tête de son Histoire de Leander et Hero est daté u de
Lyon, ce 20^ jour d'octobre 1541 ». Irrité contre un « babouin
de parisien », homme dénué de conscience et trop (( avare libraire».
302 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
qui s'était jeté sur cette traduction du joli poème de Musée
'< tout ainsi qu'un loup affamé emporte une brebiz )), et avait
édité cet ouvrage tout de travers, Clément s'était adressé à
« maistre Sebastien Griphius, excellent... en l'art de l'imprime-
rie », et l'avait prié de donner un texte « bien correct », établi
^> sur la copie de l'autheur ». Ce qui fut fait. Et c'est, il me semble,
l'unique trace qui reste de ce nouveau passage de Marot à L\-on.
Pourtant il a dû voir Etienne Dolet : ils avaient tant de choses à se
dire !
433. La cour, par Bourg et Dijon, alla prendre ses quartiers
d'hiver à Fontainebleau. Clément, sans doute, retourna à Paris,
et, parce que cinq ans de sécurité lui avaient enlevé toute pru-
dence, il publia audacieusement et coup sur coup trois oeuvres
dont la moindre aurait suffi à réveiller les colères qui grondaient
sourdement autour de lui. D'abord, il mit au jour les Trente
pseaulmes dont il a été question un peu plus haut ; ensuite il fit
ou laissa paraître une sorte d'homélie satirique intitulée Scnnon
du bon et du maulvais pasteur. On devine sans peine que, dans
cette pièce où je ne sais combien de versets des deux Testaments
se trouvent soit cités soit paraphrasés, le mauvais berger, celui
qui tond la laine sur le dos des ouailles, et nourrit son troupeau
« d'ergo, à'utnwi, de quare », appartient à l'Église catholique,
tandis que le ministre qu'il faut écouter et suivre, inspiré par
Charitable Amour et véritable enfant de Christ, garde « son petit
nombre » d'agneaux à l'ombre de l'Évangile, et prêche les doc-
trines de la Réforme. Il enseigne que la foi seule est active, et
qu'elle est la source, la condition première et dernière du salut ;
que les oeuvres n'ont aucun prix ni rien d'efficace ; que, Jésus
ayant dit lui-même Je suis la voie et la vie, on ne peut sans crime
chercher une autre route ; qu'on prouve sa démence en s'imagi-
nant conquérir le ciel à force de brûler des cierges, et qu'on doit
se persuader que Dieu ne reconnaît pour son temple ni les cha-
pelles ni les cathédrales, mais le cœur de l'homme pur. Celui
qui s'écarte de ces principes, tenez-le pour un hypocrite, un mar-
chand de songes et de mensonges, un loup déguisé, un charlatan
à l'esprit u séditieux » : il vous tend, à la place du pain impérissa-
ble, un pain qu'il a pétri de ses mains, et qui va pourrir à l'ins-
tant.
434. C'était plus qu'il n'en fallait pour déchaîner la Sorbonne
et l'armée entière des cordeliers. Néanmoins, le poète, comme s'il
avait eu peur de manquer d'ennemis, jugea bon d'attiser aussi
la vieille rancune de messieurs les magistrats en s'entendant avec
Etienne Dolet pour qu'il publiât son admirable Enfer, qui n'avait
pas encore été édité en France. Le vaillant petit livre vit le jour
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 303
avec une lettre-préface de l'imprimeur à Lyon Jamet datée « de
Lyon, ce i^r jour de l'an de grâce 1542 ». Ainsi Marot n'avait rien
négligé de ce qui pouvait le perdre, et il ne lui restait plus qu'à
attendre les résultats de cette conduite non moins courageuse
qu'étourdie. Ils mirent assez longtemps à se produire, et l'année
1542 paraît (mais que de détails nous échappent à la distance
où nous sommes !) n'avoir pas, jusqu'à l'entrée de l'hiver, apporté
à l'écrivain trop hardi le malheur qu'il aurait eu raison de crain-
dre. Puis, sans être annoncée par aucun présage, du moins que
nous connaissions, la catastrophe tomba soudain sur lui. Force
lui fut de s'enfuir vite à Genève, de reprendre le chemin de l'exil,
et, cette fois, pour toujours.
435. On ne comprend pas bien les motifs qui poussent certains
biographes à vouloir expliquer une disgrâce tellement naturelle
par des causes imprévues et, si je puis dire, extérieures. Après
Colletet, le premier coupable, plusieurs se plaisent à penser que
si Clément a quitté la France, c'était pour avoir commis une ma-
nière de calembour très offensant pour la duchesse d'Etampes.
Partant de ce fait que le sable d'Etampes servait, dans les ména-
ges, à frotter le cuivre ou l'étain, Marot se serait moqué du roi
toujours épris, malgré son âge, et aurait observé en public :
(( qu'il n'y avoit rien de tel que le sablon d'Etampes pour faire
reluire les vieux pots ». Le mot est joli, quoique gras. Reste à
prouver qu'il a été dit, et dit par celui à qui on le prête. Alors
M. Georges Guiffrey exhume d'abord un très ignoble coq-à-l'âne
intitulé /é; G;-îf/), où la favorite de François pr, sans être, d'ailleurs,
explicitement désignée, est vouée au diable en seize vers obs-
cènes, puis il n'hésite pas, sur la foi d'un manuscrit, à attribuer
ce pam^phlet à Marot. De la sorte, aux yeux de cet érudit, tout
se tient, et la démonstration est complète. Mais je la crois, au
contraire, fragile, ruineuse. Appuyer sur le Grup un témoignage
de Colletet, c'est étayer une affirmation gratuite sur un texte sans
authenticité. La phrase relative au sablon d'Etampes a dû passer
mille fois de bouche en bouche, et bien fin qui en découvrira
l'auteur ! D'autre part, où en serions-nous s'il fallait rendre
Marot responsable de toutes les pièces que les contemporains
mirent à son compte ? Lui-même protestait là contre, et il n'a
pas, que je sache, réclamé le Grup.
436. Laissons donc là cette légende. Les vraies raisons de la
fuite du poète sont celles que j'ai indiquées plus haut, et s'il a été
contraint à s'exiler, ce fut pour avoir mis en lumière presque
coup sur coup trois œuvres qu'on estima téméraires, subversives.
Ajoutez qu'il avait très mal choisi son moment, car, tandis qu'il
bravait de la sorte les catholiques, la girouette royale était en
304 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
train de tourner. Le 30 août 1542, François I" avait envoyé,
donnant ainsi de nouveaux gages à Rome et à la Sorbonne, des
lettres patentes qui enjoignaient aux parlements de rechercher
avec diligence les luthériens et de lescondamnersans faiblesse. Le
texte de ce document justifiait d'avance la cruauté, le fanatisme
des tribunaux, et pourquoi auraient-ils fait preuve de modéra-
tion, puisqu'on les poussait, en leur montrant le progrès des
doctrines hérétiques, à « les destruire et abolir sans y perdre
heure ni temps, jusques a ce que le fonds et la racine de cette
peste soient exterminez et aboliz » ? Ces prescriptions très chré-
tiennes, Marot ne les a certainement pas ignorées, et comment
aurait-il pu, les connaissant, ne pas aussitôt comprendre qu'il
serait de la première charrette ? S'il avait gardé la moindre illu-
sion à ce sujet, il en aurait bien vu la folie, lorsque la Faculté de
Théologie condamna (entre le 25 décembre 1542 et le mois de
mars 1543) la translation des Trente psaumes ainsi que le Sermon
du bon et du maulvais pasteur.
437. D'ailleurs, quand il s'agit de savoir pourquoi Clément
a cru nécessaire de quitter la France, le mieux serait d'aller droit
à un texte essentiel (une lettre de Jean Calvin à Pierre Viret)
qui rend oiseuse, il me semble, toute discussion. Calvin explique,
en effet, le si brusque départ de Marot en affirmant qu'il s'atten-
dait, ayant été dûment averti, à être arrêté au premier jour par
ordre du parlement, [«. Haec causa adventus, quod... audierit
decretum fuisse a curia parisiensi, ut captus illuc quamprimum
adduceretur )^). Remarquez, dans les trois mots Haec causa
adventus, l'accent de la certitude. Calvin est sûr de ce qu'il
avance ; le poète lui a dit ou bien lui a fait dire les raisons de sa
fuite ; il n'aurait pu entrer dans la nouvelle Sion sans mettre le
consistoire au courant de sa récente aventure, et c'est lui-même
qui nous renseigne, en somme, par la plume du grand réformateur.
438. La lettre à Viret nous fournit encore une indication qui
a son prix : Marot était en vo3^age, et se rendait de la cour à sa
maison {i^cum ex aula domum se conferret »), lorsqu'on lui con-
seilla de prendre le large parce qu'il allait être incarcéré. Certains
veulent, se fondant encore sur un vers du Grup, que Clément ait
reçu à Orléans la nouvelle qui le décida bientôt à s'exiler. En fait,
comme nous ignorons d'où il venait, nous ne savons pas non plus
en quel endroit l'ont rencontré l'homme ou le message dont il
s'agit. La cour, au mois d'octobre, se promenait de Montpellier
à Béziers, de Béziers à Toulouse, de Toulouse à Nérac, puis,
au commencement de novembre, de Xérac à Angoulême. Clément
a pu partir d'une quelconque de ces diverses villes pour retourner
chez lui. Chez lui, très évidemment, ce n'était pas Cahors, hypo-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 305
thèse téméraire d'Herminjard, de Guiffrey ou de son continua-
teur. Le mot <( domum » est clair ; il ne laisse aucune place au
doute. La famille Marot, depuis près de quarante ans, n'avait
plus de maison, plus de foyer à Cahors. Chez lui, « domum »,
c'était à Paris, c'était au clos Bruneau. L'écrivain courait donc
vers son toit, vers ses entants. Mais, instruit du péril qui le mena-
çait, il renonça à revoir ce logis du cheval de bronze où il avait
compté finir ses jours, et, tournant bride sans hésiter (« flexit
iter alio )>), il alla droit vers Genève (« hue recta concessit »), et
s'y établit avec l'intention de n'en plus bouger, hic manere...
Toujours la même espérance, toujours le même besoin de repos !
Hélas, le chanteur errant n'était pas encore au terme de son
odyssée, et ce n'était pas en ce coin de terre où régnait Calvin
qu'il devait solidement planter sa tente, achever sa carrière de
pèlerin.
439. Tout nous invite à croire qu'il arriva à Genève vers la
fin du mois de novembre 1542. Il y était déjà depuis quelques
jours à la date (voisine du 8 décembre) de la lettre à Viret, et il
faut se souvenir que l'épître en vers, à lui adressée a a Genève »
par Mathieu 3Ialingre, se termine comme suit :
Escrit a Yverdon,
L'an mil cinq cens avec quarante et deux,
Le second jour de decemb'e froideux.
440. Ce Mathieu Malingre, qui saluait de loin le poète entrant
dans la cité sainte, et lui envoyait un mélange de flatteries et
de trop onctueuses exhortations, appartenait à une assez noble
race. Fils de Jean, seigneur de Morvillers-Saint-Satumin, et né,
par suite, sur les confins de cette Picardie qui a donné tant
d'apôtres à la Réforme, il commença par se faire moine, brilla
au tout premier rang parmi les jacobins de Blois, et prêcha dans
cette ville avec beaucoup de succès, mais d'une manière qui sem-
blait déjà séditieuse. Ayant jeté bientôt le froc aux orties, il
publia en 1533, sous l'anagramme Y me vint mal à gré, une Mora-
lité de la maladie de chrestienneté ainsi que deux recueils de chan-
sons nettement luthériennes, dont nous parlerons le moment
venu. Puis, comme il était fort savant, il travailla à Lyon chez
l'imprimeur Pierre de Vingle, et rédigea l'une des deux tables de
la Bible de Pierre Robert dit Olivetan. Chassé de Lyon sur ces
entrefaites, Pierre de Vingle se réfugia à Neuchâtel, et Malingre
partit avec lui.
441. Aussi est-ce à Neuchâtel que nous le retrouvons en 1535.
Il n'est plus prote ni correcteur : il est pasteur. Et quel pasteur
encombrant, aigre et bourru ! L'année suivante, il est expédié
Clément Marot ot son .''oole 20
306 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
à Yverdon, et il ne tarde guère à se distinguer, comme en fait
foi une plainte adressée, le 30 avril, au Conseil de Fribourg par
les catholiques du village de Peney. Ils racontent, sur un ton et
avec une orthographe lamentables, que, profitant de l'autorisa-
tion qu'on leur avait accordée de célébrer la messe, ils s'étaient
rendus à l'église le deuxième dimanche après Pâques, et qu'ils
attendaient le divin sacrifice, tandis que le curé mettait sa
chasuble. Mais voici qu'arrive d' Yverdon, escorté d'un grand
nombre de ses ouailles, Mathieu Malingre, tout furieux. Lui et
les siens accablent le pauvre prêtre de railleries, l'entraînent avec
eux violemment, puis lui plaquent, « en dérision de Dieu », droit
sur la tonsure « une fiunte de vache ». On ne sait ce que le Conseil
de Fribourg répondit aux gens de Peney ni comment il les con-
sola. Le prédicant ne fut pas inquiété, car sa réputation se trou-
vait encore entière, et son éloquence avait mis en fuite, le 1 7 mars,
tout le clergé catholique de Berne invité à argumenter contre
Jean Lecomte et contre lui. Mais le temps n'était pas loin où il
allait se rendre insupportable même à ceux de son bord. Au mé-
pris des règles établies par les synodes et de son autorité privée,
il présente aux « messieurs de Berne » quatre candidats au saint
ministère, et les fait agréer sans examen et au pied levé, ainsi
que nous l'apprend Jacques Le Coq dans une lettre à Guillaume
Farel du 19 juillet 1537. Pendant que Calvin, banni de Genève,
attendait à Strasbourg l'heure où il devait revenir en triomphe.
Malingre, au témoignage du même Farel (21 octobre 1539), cons-
pirait avec Pierre Caroli et Jean Lecomte contre l'absent. Celui-
ci ne se troubla nullement, et répondit (27 octobre) qu'il ne crai-
gnait pointu ces petites bêtes », et qu'il les écrasait de son dédain.
Il sem.ble qu'à son retour il ne songea pas à se venger. Malingre,
qu'on avait pensé à transférer à Orbe en remplacement d'Andri
Zébédée (juin-juillet 1542), finit par rester à Yverdon, et peut-
être s'y montra-t-il plus calme, le Conseil de Berne lui ayant
enjoint, le 29 mai, d'avoir dorénavant à ne se mêler que de ses
affaires.
442. Tel était l'homme. — Ami de Dieu mais rude au prochain,
toujours séraphique dans ses propos mais turbulent dans ses
actes, semant la zizanie sur la terre mais aspirant au royaume du
ciel, il recommandait volontiers aux autres d'être discrets et
pacifiques. L'épître envoyée par lui à Marot révèle ce côté de son
caractère. En effet, une partie de cette pièce est un pur sermon,
et qui semblerait quelconque, n'étaient les rimes équivoquées.
L'auteur se demande pourquoi Cle'ment a quitté la France, et,
mettant loi rdement le doigt sur la plaie, il s'écrie : Que cherches-
tu en ce pays où tu ne possèdes ( nul revenu », où tu 'c n'as rien »,
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 307
OÙ il te faudra vivre (il est prophète, le prédicant !) « en grande
povreté » ? Peut-être as-tu été forcé de t'enfuir pour avoir com-
posé quelque satire contre les mœurs lubriques des prélats, ou
pour avoir dit Facilité ^.u lieu de Faculté, ou inqiiinatcur au lieu
d'inquisiteur, ou corne de bélier (admirez l'ancien jacobin !) à la
place de cordelier ?... Mais non, ce n'est pas cela. Si tu as rejoint,
en ce triste « désert », notre petite troupe d'élus, c'est parce que
tu renonçais aux pompes de Satan, et que tu étais résolu à
« mourir aux vices », à « délaisser erreur »... Sois confiant !
Mieux vaut souffrir avec Christ qu'abonder en délices parmi
les méchants. Celui à qui Dieu reste n'a rien perdu. Glorifie-le,
ce Dieu qui t'a conduit dans nos montagnes, et achève à sa
louange « le psaultier davidique » : par là, tu sentiras allégresse
et réconfort ; tu soutiendras les cœurs de tes frères, et ton nom
sera redit par les fidèles aussi longtemps que restera debout la
maison du Père.
443. Perspective agréable, mais à longue échéance. Malingre
le sent bien, et c'est pourquoi il tâche de démontrer à Marot
qu'il va jouir, dans la Suisse romande, d'un avantage plus immé-
diat, et que, s'il a quitté courtisans et courtisanes, il trouvera
une très douce compensation dans la société d'un tas de pasteurs,
tous rempHs de vertu et de gravité. Suivent les noms de ces per-
sonnages avec qui il fait si bon vivre, et c'est une vraie liste de
l'émigration. Ah, déclare Malingre, tu n'auras que l'embarras
du choix ! Et il cite, avec beaucoup d'éloges et de calembours,
Laurent Meigret, qui mérite toujours son surnom de Magnifique ;
Jean Morand, mourant pour Christ ; Vincent Pennant, peinant
pour l'Évangile ; Pierre Monder, « nourry au mont cler de Par-
nasus » ; Balbus, qui n'est pas « bègue à parler » ; Etienne La Fon-
taine, fontaine de douceur ; Jean Lecomte, prédicant de Gran-
son ; Antoine de Marcourt ; Gabriel de Senarpont ; Antoine de
la Marlière ; Arnoul Clérembault, natif de Blois ; Jean Ménard,
enfant de Tours ; Claude Véron ; maître Etienne Le Vert et
Louis Treppereaa, né au diocèse de Tbérouanne, à Saint-Vincent.
Celui-là, dit Malingre à Clément, tu le connais bien : c'est même
« ton amy singuHer ». On remarquera que, dans ce passage qui
rappelle les énumérations homériques, Calvin n'est pas oubUé.
Bien mieux, il nous est donné comme « prescheur très amiable ».
Amiable ! Qui donc le croira ? Le poète huguenot aurait, je
pense, fait l'économie de ce gros mensonge s'il avait appris par
une bonne âme que, dans l'intimité, Calvin l'appelait « bestiola ».
444. Marot dut sentir un léger frisson à l'idée de rester j usqu'à
sa mort le compagnon de tous ces ministres, et je m'imagine
que l'épître venue d'Yverdon lui causa un plaisir bien modéré.
308 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Néa:.imoins, il répondit non pas une seule fois, mais deux. Il se
borna d'abord à déclarer (6 janvier 1543) que le loisir lui man-
quait pour écrire, attendu qu'il travaillait, selon le désir exprimé
par Malingre, à la traduction des psaumes ; puis, le 5 mai, il rima
un dizain qui évoquait les années de Blois, l'époque où le frère
Mathieu, jacobin dans cette ville, amenait à Jésus, par ses
homélies et sa « vie angelique >>, une multitude d'âmes, en sorte
que chacun le comparait, en l'écoutant, plus à saint Paul qu'à
saint Dominique.
445. A une date qu'on ne peut exactement établir, mais,
semble-t-il, tout à la fin de l'automne, en cette même année 1542,
Clément Marot, peu de jours après son arrivée à Genève, reçut
encore une lettre en vers. Elle lui était adressée par Eustorg de
Beaulieu, et je n'ai pas à présenter aux lecteurs cet écrivain
puisque j'ai déjà raconté la première partie de sa vie. On se
rappelle que nous l'avons laissé à Lyon où il gagnait son pain
en donnant des leçons de musique. Mais il ne se bornait pas à une
occupation si innocente, et se livrait, remuant et hardi comme
devant , à des travaux littéraires de nature à le rendre fort suspect.
Il traduisait l'un des ouvrages de Mélanchthon, chantait haute-
ment les louanges d'Erasme, et célébrait les mérites de la reine
de Navarre. Il paraissait donc ne rien négliger pour qu'on l'accu-
sât d'être hérétique, et il poussa même la témérité, à propos d'un
vol d'hosties commis au couvent des jacobins, jusqu'à se moquer
de ces malheureux moines lyonnais qui avaient perdu, égaré
leur Dieu, et promettaient récompense honnête à qui le rappor-
terait. Cette fois, la mesure était comble, et il fallut prendre le
large. Eustorg déménagea vivement, et s'en alla à Genève.
446. Un Dieu-gard dédié aux habitants de cette ville nous ap-
prend qu'il y entra le i^"^ mai 1537. Mais il n'y resta guère, et,
résolu à devenir prédicant, il se rendit probablement à Lausanne
où il s'initia, lui qui connaissait déjà la théologie -papistique,
à la théologie réformée. « Le 10 mai 1540, il se présenta, écrit
Herminjard, devant le consistoire de Berne, et, sur le préavis
favorable de ce corps, il fut élu, le 12, pasteur de Thierrens. »
Il a parlé au moins deux fois de cet agréable et joli village, situé
près de Moudon, dans l'un des plis si verts du Jura. C'était une
douce, une paisible retraite, et Eustorg l'a dépeinte avec com-
plaisance dans son épître à Marot et dans celle, aussi, qu'il rima
pour M^i^ Marguerite de Saint-Simon, «jadis son escollière ».
Le sacerdoce lui laissait des loisirs, et, quand il avait édifié les
âmes des gens de Thierrens, rien ne l'empêchait de courtiser,
fidèle à son ancienne passion, les deux muses qu'il préférait.
Dès cette époque il se proposait — noble ambition et très natu-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 309
relie — de fournir des hymnes à sa nouvelle Église, et s'il y a lieu
de douter qu'il soit l'auteur d'une translation des psaumes
publiée en 1539, il demeure certain qu'il approuvait ouverte-
ment les œuvres de cette espèce, et qu'il allait compter avant
« peu parmi les interprètes du roi David. En effet, au mois d'août
1540, il se déclarait en état délivrer au libraire MathiasAppiarius
« des psalmes a imprimer, tous corrigés ».
447. La lettre d'où l'on tire ce renseignement nous intéresse
encore pour un autre motif : nous y voyons, en effet, que le minis-
tre de Thierrens (mais nous ignorons à quelle date) s'était marié.
Au suj et d'un certain mandement qu'il doit rece\ oir des pasteurs
de Berne, il rappelle à son correspondant [Pierre Giron ?] que
la forme authentique et correcte de son nom est Eustorgius vel
Hector de Belloloco ; après quoi il ajoute : k Et le nom de ma...
femme est Rolleta, mais elle n'a point de surnom [de nom de
famille] pour ce que c'est une champisse qui fut trouvée à Genève,
qui ne sçait qui fut son père ne sa mère. » Quel détachement des
biens du monde ! Ce n'était pas une héritière qu'avait recherchée
l'homme de Dieu, et l'on a de la peine à concevoir que, plus tard,
il soit tombé dans l'avarice, ainsi que nous le verrons. S'il a cru,
en épousant cette champisse, cette enfant trouvée, honorer la
vertu toute nue et associer à sa vie une compagne que la grati-
tude lierait à lui pour jamais, son erreur, son illusion n'ont pas
été médiocres. Force lui fut, dès cette même année 1540, le
3 septembre, de faire citer par le consistoire sa femme qui,
depuis six semaines, l'avait quitté sans lui dire adieu. Ni la
musique de son mari, ni la gentille maison entourée « d'arbres,
feuille et ramage » n'avaient réussi à la retenir. Combien cette
absence dura-t-elle ? Toujours, peut-être. Eustorg, en terminant
sa lettre à Marot, lui offre une chambrette en son logis où, certes,
la place ne manquait pas, car « je suis seul )>, explique-t-il, et
il n'y a chez moi, outre un valet qui soigne mon cheval, qu'une
servante, « une vieille servante » d'âge canonique. Ainsi Rolleta
n'était pas revenue ou bien elle était repartie.
448. L'épître de de Beaulieu à Clément vaut mieux, à mon
sens, que celle du prêcheur Malingre. Sans doute elle s'ouvre,
elle aussi, par l'air de bravoure, le couplet inévitable sur les
délices de Chanaan et la joie qu'on éprouve à quitter « la cuisine
immunde » du diable et des catholiques pour courir là où sont
assemblés les saints : mais l'auteur n'insiste pas, et, une fois
qu'il a doublé ce cap, il laisse, sans prétendre à l'éloquence,
couler doucement ses vers prosaïques, étonnamment unis et
limpides. Si je m'adresse à toi, déclare-t-il à Marot, c'est parce
que nous sommes pays. Il n'y a que huit lieues de mon BeauUeu
310 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
à ton Cahors, et j 'espère que, lorsque tu écriras là-bas, chez nous,
tu seras assez clément pour donner de mes nouvelles à ma famille.
Tâche de faire savoir à mes parents que je les invite à me rejoin-
dre, à se convertir ainsi que moi, et dis leur qu'ils n'aillent pas
s'imaginer que je sois à plaindre dans ce petit trou de Savoie. >
Nullement, et au contraire ! Il est vrai que, du matin jusqu'au
soir, je n'entends que les voix des bœufs, des veaux, des brebis :
mais le rude concert de ces braves bêtes qui beuglent et qui
bêlent, je ne le changerais pas contre « toute la chantrerie » de
l'oiseau unique, l'oiseau de Rome, le Papegai. J'avoue aussi que
la nourriture n'est pas de premier choix à Thierrens. C'est de la
moelle des Évangiles que je me repais. Il n'y a rien de plus subs-
tantiel, et combien je préfère, comme régime, manger du pain
sec en Jésus-Christ que du faisan avec Satan ! Bref, mon « abj ect )>
village me semble un Paris ; je ne regrette pas les cours (et pour
cause). Et puis, n'ai-je pas mon manichordion ? Parfois j'en
joue puisque Dieu, dans sa bonté, m'a créé musicien, ou bien,
saisissant ma harpe qui pend à un croc, j'en tire des accords qui
accompagnent les beaux psaumes que tu as « confictz ». Voilà,
frère, de quelle façon mes jours se passent. Si le cœur t'en dit,
si ce genre d'existence te plaît, arrive ! Je partagerai avec toi.
Tu n'as qu'à parler... Ici se termine la lettre, mais le rimeur
ajoute encore un septain pour prier Marot, au cas où il rencon-
trerait à Genève le seigneur Pierre Gurin et Laurent le Magni-
fique, de les saluer en son nom, car il ne les a pas vus depuis trois
ans.
449. Clément ne paraît pas avoir répondu à cette épître, ou
bien, s'il a répondu, sa réponse n'a pas été conservée. Il était si
prodigue des hommages ou des aumônes de ce genre qu'on s'éton-
ne qu'il n'ait pas envoyé au prédicant de Thierrens le moindre
petit dizain. Le temps, peut-être, lui a manqué, car nous savons
qu'il eut beaucoup de besogne entre les mois de janvier et d'août
de l'année 1543. Les yeux toujours tournés vers la cour où lui
restaient encore quelques amis (Claude Chappuys,par exemple),
il joue, comme s'il n'était pas en exil, son rôle d'écrivain officiel.
C'est ainsi qu'il compose l'épitaphe de Guillaume Du Bella}',
seigneur de Langey, mort le 9 janvier 1543 près deSaint-Sympho-
rien-en-Laye, non loin de Tarare. Très brève est cette pièce
funèbre, mais il me semble qu'elle dit ce qu'il fallait dire, et
qu'elle est fort digne de ce grand homme, vaillant capitaine,
diplomate avisé, historien moins courtisan que ne prétend Mon-
taigne [Essais, II, x], vigilant patriote, ouvert aux idées nou-
velles, lié avec Lazare deBaïf, Sadolet et Jacques Colin, patron
de Jean de Boissonné, de Salmon Macrin, de François Rabelais.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 311
Je conviens que ce peu de vers, non plus que l'épitaphe ni l'ample
complainte consacrées au Général des finances, Guillaume Preud-
homme ^ ne suffiraient pas à prouver que Clément, à Genève
comme à Ferrare, s'accrochait avec force à son titre de poète
royal : mais, d'un côté, nous rencontrerons plus loin d'autres
œuvres analogues à celles dont il vient d'être question, et en
voici une, d'autre part, tellement significative qu'on doit la
tenir pour concluante. C'est une épigramme, datée du 15 mars
1543, que le banni, alors occupé à poursuivre la translation des
psaumes, adresse à François I^*". C'est vous, lui dit-il, qui m'en-
joignez d'achever ce travail ; c'est à vos ordres que j'obéis, et
donc, s'il y a des gens (ceci vise la Sorbonne) que cette traduction
irrite, tant mieux ! Il me plaît, en vous plaisant, de leur déplaire.
450. On demeure ébahi devant ce huitain. Comment, en effet,
croire que l'auteur ait inventé ce commandement, cette appro-
bation de son maître ? Et, s'il ne les a pas inventés, que nous
faudra-t-il donc penser de ce roi Chrysale qui, après avoir con-
senti à ce que son valet de chambre fût chassé, l'invite sous main
à persévérer dans la conduite qui a motivé son expulsion ? A
quoi bon, alors, être un dieu sur terre ? On hésite à admettre
une telle incohérence. Pourtant, si la chose est énorme, elle n'est
pas impossible... Quoi qu'il en fût, Marot ne mentait pas en se
déclarant absorbé par la version des psaumes. Tous, et Calvin
surtout qui voyait très nettement l'importance de cette entre-
prise, le poussaient à la mener à bien. Et lui, il jurait d'aller
jusqu'au bout, sentant que nulle œuvre n'agréerait davantage
aux gros bonnets de Genève, et méditant (car de quoi vivait-il ?
on n'en sait rien) d'implorer, à ce titre de translateur de David,
une pension, un subside. On le voit, presque coup sur coup,
pubHer trois volumes. Le 11 juillet 1543, le Conseil l'autorise,
dans son style sauvage qu'aggrave la plus hérissée et la plus
baroque des orthographes, à faire imprimer son Enfer. Moins
d'un mois plus tard, le i^r août, il termine une Épître aux Dames
I. Les poèmes funèbres relatifs à ce personnage [J. II, 23661268-273] doivent
être postérieurs de plusieurs mois à l'épitaphe de G. Du Bellay-Langey. Je ne
sais où les placer exactement. Guillaume Preudhomme était encore vivant le
23 août 1543, car, à cette date, il est cité dans un document [Catalogne des
actes de François I^^, t. IV, p. 486, n° 13.283) sous son titre de sieur de Fontenay-
Trésigny. Mais il est mort avant le 12 mars 1544, vu que des lettres données îi
Paris (sans indication de jour, mais la cour n'était plus là à partir du 13) le
mentionnent alors comme défunt [Ibid., t. VI, p. 745, n» 22.785). Dès le mois
d'avril 1544, son fîls Louis occupe sa place (Ibid., t. IV, p. 598, n° 13.793)- Je
dois ces renseignements à l'obligeance de M. V.-L. Bourrilly. — Notez que, dans
la Complainte de Guillaume Preudhomme, Marot a fait derechef [pp. 271-272]
l'éloge de Guillaume Du Bellay.
312 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
de France [J. IV, 64-66] destinée à servir de préface au livre
intitulé Cinquante fseaulmes en françoys ; puis il donne aussi,
vers cette même époque et chez Etienne Dolet, une nouvelle
édition de ses œuvres. Ce recueil fut préparé en des circonstances
si défavorables qu'on s'étonne qu'il ait vu le jour. D'une part,
se fondant sur l'Épigramme CCXXV et — témérairement et
sans grande preuve-- sur la pièce qui a pour titre Co;z^;'e l'inique
[J. III, 79], certains biographes affirment que Marot et Dolet
étaient brouillés à ce moment ; d'un autre côté, nous savons que
l'imprimeur Connais, jeté en prison à la fin de juillet ou au com-
mencement du mois d'août 1542, n'avait obtenu sa délivrance
que le 13 octobre 1543, et l'on ne devine pas, cela étant, comment
il a pu, le malheureux, diriger son atelier.
451 . L'espérance que Marot avait conçue de tirer un peu d'ar-
gent des conseillers genevois se trouva très vaine à l'heure où,
soutenu par Calvin, il essaya de la réaliser. Calvin lit loyalement
tout son possible pour aboutir, et présenta lui-même aux séna-
teurs la requête du poète ; mais les registres de l'assemblée, à
la date du 15 octobre 1543, attestent qu'il échoua, et qu'on lui
répondit nous verrons plus tard. Le texte vaut la peine d'être
cité : « Le sieur Calvin a exposé pour et au nom de Clément Marot
requérant luy faire quelque bien et ilz se perforcera de emplir
les seaulmes de David. — Ordonné de hiy dire que peregnent
passiance pour le presentz. » Prendre patience ! c'était là un
conseil moins facile à suivre qu'à donner. L'exilé, de nature,
n'était guère patient, et ce renvoi aux calendes grecques dut
le mettre de mauvaise humeur et l'irriter, je pense, contre des
gens si peu sensibles aux beaux vers et tellement économes.
452. Première raison, peut-être, de songer à s'en aller. Mais le
principal motif, le plus grave et le plus évident aussi, n'est pas
là. En vérité. Clément était incapable de se plier à l'horrible
discipline de Genève. On le comprendra sans peine si l'on se
figure cette république sacerdotale où les citoyens étaient écrasés
par la plus abominable tyrannie qui ait jamais pesé sur des
hommes. Il fallait vivre saintement, ou bien aller en prison, être
réduit au pain et à l'eau. Mais qu'est-ce donc que vivre sainte-
ment ? à quoi se mesure la sainteté ? à quoi se voit-elle ? com-
ment sonder les cœurs ? comment y descendre pour savoir
s'ils restent purs ? Hors d'état de les contraindre à ne battre que
pour Jésus-Christ, désespérant d'atteindre le fond inviolable
des âmes afin d'y planter leurs dogmes, leur morale inhumaine,
Calvin et son cénacle exigèrent avec férocité les gestes, les rites,
les formes, l'aspect extérieur de la religion. Dès lors, ce fut un
crime de manquer l'office, le catéchisme ou le sermon, de se
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 313
servir d'un outil, le dimanche, ou de balayer le seuil de sa porte,
d'entrer dans une auberge, de j ouer aux dés, aux cartes. Le résul-
tat de ce système fut double : d'abord, cette oligarchie de prêtres
exerça sur les consciences le plus intolérable, le pire des despo-
tismes, un despotisme quasi monacal, de chaque minute, installé
au foyer, régnant dans la rue et sur le marché, invitant à la
délation le valet et la voisine, et changeant chaque père de famille
en petit frère convers. Ensuite, cette nécessité d'avoir l'air dévot
et rempli d'onction, de ne jamais sortir de chez soi avant d'avoir
mis son masque d'élu, sa robe d'innocence, risquait d'instituer,
contre l'intention du fondateur, une métropole de l'hypocrisie,
un peuple de pharisiens... Maintenant, dans un pareil milieu,
parmi tous ces vrais ou faux lévites, imaginez notre Marot qui
arrive droit de Babylone, c'est-à-dire d'une cour brillante,
effrénée, et qui ne vit guère que pour les plaisirs. Lui-même, il
partage jusqu'à un certain point ces goûts déréglés. Ce n'est pas
un ascète. Il se mortifie le moins possible. La beauté des femmes
le ravit ; il boit quelquefois sans avoir soif [J. III, 54, Épigr
CXXXII] ; volontiers il joue aux cartes [G. III, 261, 313], et
paye avec des épîtres. Que voulez-vous qu'il devienne dans cette
morne Genève ? 11 regrette Paris, il s'ennuie, il bâille. Je prévois
qu'il va rompre ses vœux, et qu'il cherchera une taverne et un
bon compagnon pour se distraire.
453. Justement, il y avait, derrière la tour de l'école, au
quartier de Rive, près du lac, une auberge et rôtisserie que
tenaient maître Hugoneri (ou Hugonin) et sa femme. Cette
maison suspecte, où quelques joueurs se rassemblaient, fut signa-
lée à la vigilance des pasteurs, et, le 18 décembre 1543, l'un des
coupables fut appelé devant le Consistoire. C'était un pauvre
« tissotier » du nom de Tyvent Mathé, et il semblait très indigne
d'indulgence, car non seulement il aimait les dés, mais encore
il avait déclaré devant témoins que certains prédicants les
aimaient autant que lui. Par ailleurs, il n'assistait guère aux
offices. Dûment interrogé par le tribunal, Tyvent Mathé, ce
mauvais drôle, essaya de s'excuser en disant à ses juges que s'il
n'allait au temple que le dimanche, et non pendant la semaine,
c'était parce qu'il lui fallait « gagner la vie de deux bessons et
de deux aultres petis enfans » qu'il avait. Mais il s'entêtait à
soutenir qu'il connaissait des ministres qu'on aurait pu pour-
suivre aussi bien que lui, et, par exemple, celui d'Orbans qui
avait j oué, à cinq souslapartie, avec M. deSaint-Victeur, François
Bonivard. L'affaire devenait grave, et il fallait tirer cela au clair.
Deux jours après, le 20 décembre, le Consistoire convoqua
M. de Saint-Victeur, qui répondit d'un air dégagé, et le ménage
314 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Hugoneri. D'une seule voix le mari et la femme jurèrent que
jamais pasteur « ni de la ville ni de dehors » n'avait « joyé »
chez eux, et qu'ils ne recevaient que « gens de bien » ; puis, se
décidant à des demi-aveux, ils confessèrent qu'une fois « Mon-
sieur de Saint- Victeur joya », et « qu'il y a quelque temps mais-
tre Clément Marot il joya, et n'ont point joyé que au trictrac ».
C'est ainsi que s'exprime « messire Jehan Hugoneri ». Marie
Hugoneri, un peu plus bavarde, parle d'un» supper »qui(( n'estoit
pas prest », et ajoute : il n'y avait que deux personnes, « le sei-
gneur Curtel et Clément Marot ». Tout cela demeure assez obs-
cur ; on ne voit pas nettement quels sont ceux qui ont joué
ensemble : mais il demeure manifeste que le poète « joya ».
454. Et combien l'on aimerait que ce fût avec François Boni-
vard qu'il eût joué ! Ce serait, pour un dramaturge, la scène à
faire, et la partie de trictrac de ces deux hommes n'offrirait pas
un tableau banal. On connaît Clément et ses aventures. Bonivard
était de même trempe, et sa vie agitée et décousue fournirait la
matière d'un roman. Devenu, en 15 14, prieur de Saint-Victor
(Victeur), il se trouva aussitôt, parce que son abbaye était
comme l'un des boulevards de la ville, sollicité par les deux
partis : les bourgeois de Genève, le duc de Savoie. Celui-ci, en
1519, le fit enlever, puis, l'ayant relâché pour quelque temps, de
nouveau il s'empara de lui (1530), et l'enferma, cette fois, dans
ce château de Chillon qui doit à Byron d'être éternel. Il y resta
six longues années, d'abord dans une chambre, ensuite au fond
d'un souterrain, les pieds sur la roche nue, où, dit-il, « je emprei-
gnis un chemyn », à force de me promener, « comme si on l'eust
faict avec un martel ». Par bonheur, les Bernois conquirent cette
forteresse ; ils délivrèrent le captif, qui fut, le i" avril 1536,
ramené en grand triomphe à Genève. Là, on lui donna une
maison qu'il ne garda pas longtemps, une pension de cent qua-
rante écus d'or (18 février 1538), et on le nomma (31 octobre
1542) historiographe de la république. Il aurait pu vieillir douce-
ment, mais sa nature ardente s'y opposait.
455. Que de dettes ! Que de billets signés au premier venu !
L'étonnante succession de procès ! Jamais personne n'a changé
plus facilement de logis ni ne s'est marié aussi souvent. Tantôt
il épouse (1544) une femme antique, mère d'un ancien syndic et
déjà veuve de deux maris ; tantôt il conduit au temple (21 sep-
tembre 1562) une nonne défroquée qui a pénétré dans le cabinet
où(( il escripvoit et composoit ses vers », et qui se vante d'avoir
reçu de lui « ung huictain ou soyt neufvain ». Tout cela ne sem-
blait pas édifiant. Mais le pire, c'était que M. de Saint-Victeur
se montrait un fort tiède chrétien, et qu'il bravait les pasteurs.
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 315
Le 26 mars 1554, le Consistoire l'admoneste parce qu'il « se
abstient » de fréquenter la cène ; en 1562, il lui est enjoint de
se faire porter « tous les dimanches et les mercredis au presche » ;
le 25 mai 1563, on lui reproche de s'y rendre sans « grande con-
trition de cueur », attendu qu'il y va avec « un boquet sur l'au-
reille )', chose bien choquante chez un vieillard. Des personnes
très dignes de foi l'ont entendu jurer « par la mort Dieu ou par
la vertu Dieu », et enfin, le 29 août 1564, il est excommunié pour
avoir rimé ou, du moins, signé une chanson jugée offensante
pour les prédicants. Il mourut en 1570 ; sa femme, l'ancienne
religieuse, avait été (1565) accusée d'adultère et noyée.
456. Puisqu'il fut chroniqueur et poète, François Bonivard
appartient à l'histoire littéraire : mais ce qui nous intéresse prin-
cipalement, c'est son caractère. Il prouve que l'air de Genève
était irrespirable, et, dès lors, on comprendra que Marot ait
voulu se soustraire à une si cruelle oppression. Les Genevois
l'excédaient, et lui, il fatiguait les Genevois. C'étaient des
humeurs incompatibles, et une séparation s'imposait. Elle eut
lieu en décembre 1543, un peu avant ou un peu après (mais plu-
tôt avant) l'interrogatoire des époux Hugoneri. Clément se diri-
gea vers la Savoie. Depuis la rapide et facile campagne de 1536,
ce duché était une province française, en sorte que s'établir en
ce pays annexé depuis peu, c'était en quelque façon rentrer dans
la patrie, regagner les domaines du roi. Clément lui-même, dans
une épigramme [J. III, 75] qui doit dater des tout derniers
jours de 1543, note soigneusement cette idée d'un acheminement
vers son foyer, d'une étape sur la route du retour. Celui, écrit-il,
que la peur talonne irait jusqu'en enfer (à vous, Jean Calvin !)
chercher le salut ; puis le fugitif a ailleurs s'en va », dès que
diminue sacrainte. « Sire, j 'ay faict ainsi », et je vous demande de
me permettre de rester ici « a seureté » et de m'y employer à
votre service.
457. Bien que les pasteurs de Genève eussent désiré le départ
de Marot, ils sentirent qu'on leur reprocherait de n'avoir pas su
retenir cet homme éminent, et que l'on attribuerait sa retraite à
l'atmosphère si étouffante de la cité. En conséquence, il impor-
tait, afindejustifiercelle-ci, d'établir que Clément s'était éloigné
parce qu'il n'avait ni assez de religion ni assez de vertu pour se
plaire parmi les purs. Voilà ce que Théodore de Bèze a pieuse-
ment insinué non pas une fois, mais deux. Marot, dit-il avec un
soupir, « ayant esté tousjours nourri en très mauvaise escole, et
ne pouvant assujectir sa vie a la reformation de l'Évangile,...
s'en alla passer le reste de ses j ours en Piedmont . . . » Et il demeura
jusqu'à sa dernière heure trop frivole et mondain, bref, incorri-
316 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
gible. «... Mores parum christianos ne in extrema quidem aetate
emendavit. » Soit ! Il y a encore, en ces accusations du grand
prêtre huguenot, une part de vérité et quelque discrétion. Mais
les historiens catholiques ne connaissent pas de frein, et calom-
nient sans nulle mesure comme sans aucun discernement.
Florimond de Rémond, qui prétend avoir lu cette anecdote dans
une page de Victor Ca3^et que M. Guiffrey a recherchée en vain,
raconte que Marot fut, à Genève, atteint et convaincu d'adultère
pour avoir séduit la femme de son hôte, qu'on le condamna à
être pendu, mais que « Calvin fut d'avis qu'il eust seulement le
fouet » par les rues et carrefours de la ville. C'est un conte, un
grossier mensonge. Néanmoins, Victor Cayet ou Florimond de
Rémond n'avaient pas perdu leur temps ; l'imposture, ainsi qu'il
fallait s'y attendre, eut la vie dure, fit son chemin, et le jésuite
Maimbourg, celui-là même dont La Bruyère raille [I, 66] « le
style vain et puéril », s'empara avec joie de cette légende, et
affirma que le poète, « menant à son ordinaire une vie très licen-
cieuse », avait bel et bien déhanché son hôtesse, crime qui le
força à s'enfuir, à s'aller a cacher au delà des Alpes, dans le
Piémont ».
4:58. Non... De ce côté-ci des Alpes, dans la Savoie, d'abord...
Et ce fut à Chambéry qu'il se fixa pour un temps. Il avait là
d'anciens amis, et comptait, je crois, sur le patronage de Ray-
mond Pellisson, qui, marchant à pas très rapides vers les hon-
neurs, avait été nommé en 1538 président du Conseil de Savoie,
poste de choix et que pouvait à peine espérer un homme qui
était, en 1535, simple « esleu au pays d'Auvergne >. Il est vrai
que, dans l'intervalle (1536), on l'avait chargé d'une mission
en Portugal. C'était un magistrat éclairé ; il se plaisait dans la
compagnie des gens de lettres, et il s'était entouré d'humanistes
qu'il avait fait venir de diverses villes et, surtout, de Lyon. Les
deux Scève et Jean de Boissonné se trouvaient auprès de lui,
et le poussaient peut-être à bien accueillir, à protéger le pauvre
Clément. Celui-ci lui envoya une épître qui est, par malheur,
difficile à dater et même à comprendre. Ce fut seulement en
1549 qu'on jugea à propos de l'imprimer, et puisque l'auteur ne
l'avait pas publiée lui-même, on doit en conclure qu'il l'estimait
indigne d'être conservée. Il voyait juste, et n'avait que trop
raison. De toutes les pièces de ce genre composées par lui, celle-ci,
comme le remarque M. Becker, est la plus faible, la moins adroite,
la plus confuse. S'il faut la tenir pour authentique, elle nous for-
cera à admettre que Marot est allé à Chambéry non pas une fois,
mais deux ; que son premier voyage se place (mais comment
arranger cela ?) trois mois après son départ <> de France », e
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 317
que ce fut lors de ce premier voyage en Savoie qu'il écrivit à
Pellisson... Dans quel but ? Pour lui demander quoi ? Cette
œuvre si énigmatique nous renseigne fort mal là-dessus. Il n'y
a qu'une chose claire : le panégyrique du président, un Cicéron
quant à l'éloquence, un Salomon dans son tribunal, « un vray
Cresus », ce qui ne gâte rien. En continuant, on devine ou l'on
croit deviner que ces hyperboles tendent à obtenir je ne sais
quel poste, je ne sais quelle fonction. Le mot pourvoir joue ici
un rôle capital. En prononçant les quatre syllabes « pourveu
tu es », Pellisson comblera le rimeur nomade, et le tirera, doc-
teur sans rival, d'entre les morts. Mais quel était le sens de cette
formule magique ? A quoi s'appliquait-ellé ? A-t-elle été, ou
non, proférée ? Et, si oui, à quel moment ? Voilà autant de pro-
blèmes dont la clef s'est perdue, et que, pour ma part, je renonce
à résoudre.
459. Clément, si sa requête est bien accueillie, promet, d'abord,
de dédier « quelcques livres » à Pellisson [v. 28], puis de fabri-
quer à sa louange et gloire une foule de « quatrains, dixains,
rondeaux, ballades » [v. 59]. Mais soit qu'il ait subi un refus,
soit qu'il ait montré de l'ingratitude, il n'a pas rempli cet enga-
gement, et ce fut encore pour la cour de France qu'il composa
de beaux vers flatteurs. Le 19 janvier 1544 était né un enfant
longtemps désiré, François de Valois, fils du dauphin et de
Catherine de Médicis. Imitant non sans bonheur un chef-d'œuvre
de Virgile, Marot écrivit, à cette occasion, une tendre, émou-
vante et délicieuse .Eglogue. On ne peut regretter qu'une chose,
c'est que la consolante et sublime prophétie qu'elle contient
s'applique à un prince qui a si peu vécu, et dont la brève exis-
tence a été tellement effacée et même nulle. Eh non, ce n'était
pas François II qui allait ramener le siècle d'or en ce bas monde,
et l'on conçoit mal que les bonnes fées, la sibylle de Cumes et
une Muse charmante se soient dérangées pour ce baptême.
L'oracle a menti, mais comme il parlait admirablement ! Il
faut croire que ce poème était accompli puisqu'il a trouvé grâce
devant Du Bellay. D'autres contemporains ont aussi goûté
cette ro^^ale idylle, et Marc-Claude de Buttet se fonde sur ce peu
de pages, beau chant du cygne qui va mourir, pour établir que
les monts de la Savoie ont une influence heureuse, qu'ils soulè-
vent, qu'ils inspirent le génie, et ne valent guère moins que le
Parnasse ou le Pinde.
460. Né vers 1530, Marc-Claude de Buttet n'a pas dû, puis-
qu'il était encore enfant en 1544, compter parmi les compagnons
de Marot. Mais nous savons que celui-ci eut, soit à Chambéry,
soit dans les environs, un grand nombre d'admirateurs et d'amis.
313 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Lui-même, à la manière homérique, il a cité leurs noms dans une
épître tantôt souriante et tantôt si grave qu'elle semble dictée
par un noir pressentiment... Mais je me trompe : avec la mort
s'approche l'immortalité. Si le poète prévoit la fin de sa vie, il
ne voit nul terme à sa gloire, et c'est ce qu'il annonce, rempli de
confiance et d'orgueil, à l'un des Savoisiens qui se sont groupés
autour de lui. Il s'appelait, celui-là. Angelot de Bellegarde, fils
de Louis de Bellegarde, seigneur de Montagny-en-Genevois, et
il était alors ou bien devait devenir plus tard protonotaire et
doyen de Notre-Dame-de-Liesse, à Annecy. Il avait un frère
aîné, Claude, que Clément a fréquenté aussi, et qu'il regardait
[v. 40] comme destiné à produire de jolis ouvrages dans la langue
du cru. De fait, Buttet nous parle de ses vers qu'il trouve à la
fois sérieux et « plaisans ». Ainsi que la plupart des personnages
que notre épître mentionne, Claude de Bellegarde, seigneur de
Montagny, était un jeune homme en 1544. Tout ce que nous
savons de lui se place après cette date. Fidèle au parti du duc,
il fut emprisonné (1552) avec bon nombre de ses complices. Mais
cette épreuve lui fut utile, et, le 10 décembre 1559, il reçut, en
récompense de son loyalisme, la charge de chevalier du Sénat.
Lorsqu'il mourut (1566), il était, depuis le i^^ mars 1563, lieute-
nant du gouvernement de Savoie. Boissonné connut sans doute
les deux frères. L'un de ses dizains s'adresse à Angelot, et nous
montre le dieu ailé Mercure volant droit vers lui et i< luy baillant
l'art de rhétorique en garde >.
46L Sur plusieurs ce ceux avec lesquels Marot s'est lié à Cham-
bér}', nous avons peu de renseignements, et il faut donc se borner
à une nomenclature sans long commentaire. La liste de ces amis
qui n'ont presque pas laissé de traces comprend : Le Boys, infa-
tigable conteur d'historiettes ; Genton, « propre et loyal amant »;
de Marcossey, seigneur du Faucigny, un gaillard très rouge et
blond que vous auriez cru de race allemande ; Bordeaux ; Grufîy ;
Saint-Cassin ; Parvaus (?) ; Candie ; Regart, de Clermont-en-
Genevois, qui fut évêque (ou l'un de ses frères) ; Pierre Maillard,
seigneur du Bouchet, un gros homme affable, « rond de cueur et
de corps » ; de la Forest (Philibert ?), remarquable par sa pres-
tance ; Rougemont, « qui d'or la barbe porte », et Lampignan,
qui la porte grise. Il mourut, celui-là, avant juin 1547. Jean de
Boissonné le cite dans la deuxième centurie de ses épigrammes,
et lui reproche d'estimer trop les choses qu'il écrit, lui, Bois-
sonné.
462. Mais voici quelques Savoisiens qui ne sont pas entière-
ment oubliés. L'Aiguebelette, que Clément admirait surtout à
cause de ses goûts sportifs et comme alpiniste [v. 42], c'est
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 319
François de Seyssel, sieur d'Aiguebelette, peu riche, puisqu'il
est condamné (1560) à payer une ancienne dette, mais fringant
et robuste soldat au témoignage de Buttet. Il vivait encore en
1567, et était capitaine du château de Pont-d'Ain. — Celui que
notre épître [v. 31] appelle Chables était vraisemblablement
Louis de Challes de Belletruche, fils de Hugues de Challes et de
Marguerite de Cusinens. La première partie de sa vie fut très
orageuse. Il fut mêlé, dit M. Mugnier, à « toutes les affaires
d'excès et d'assemblées illicites ». Des « violences et batteries »,
dont lui et ses camarades se rendirent coupables la veille de la
Fête-Dieu (1549), ^^ forcèrent à s'enfuir, de sorte que ce fut par
défaut qu'on lui infligea l'amende honorable (15 février 1550).
Deux ans plus tard, incartade nouvelle et arrêt nouveau. Là-
dessus, empruntant dix écus pour le voyage, il rejoignit en
Flandre Emmanuel-Philibert, et passa le temps à guerroyer.
Les années vinrent ; il se rangea. Doublement ! D'abord, il
épousa (avril 1560) une demoiselle de Marcossey ; ensuite, il
demanda une bonne place, et fut, le 15 janvier 1561, nommé
gouverneur de Bourg. — Quant au « Ramasse «que Clément a
logé dans le même vers que l'aventureux Challes, c'était un gen-
tilhomme bressan, Jean de la Balme, sieur de Ramasse, fils ce
Sibuet de la Balme. Et son existence, à lui aussi, fut grandement
tourmentée. L'épître à Angelot nous dépeint, en ce Ramasse, un
adolescent chez qui la vertu croît et (pour la rime) s'amasse.
Mais, en dépit de cette vertu, il eut besoin de lettres de rémission
(avril 1550) pour voies de fait contre Amé de Piochet. Hostile,
au fond, à la France, suspect aux gens du roi et accusé de com-
plot, il protesta bien fort de son innocence, puis, dès que la for-
tune eut changé (traité de Cateau-Cambrésis, 1559), il réclama
le prix de sa résistance, fut officier de bouche à la cour ducale
(avant 1562), et obtint, le 3 décembre 1572, droit de haute et
basse justice sur la paroisse de Puygros, son fief. M. Mugnier
observe que les compagnons de Marot en Savoie « étaient d'assez
méchants garçons ». Il se peut. Mais ils aimaient les vers et la
musique. Jean de la Balme, sieur de Ramasse, était admis au
cénacle de Buttet, et il n'était pas le seul de sa famille à bien
accueillir le poète errant. Je n'en veux pour preuve que le si
délicat huitain adressé A Madame de la Barmc {sic), près de
Necy [Annecy] en Genevois.
463. Ainsi nous avons l'impression que Clément, dans cette
lointaine Savoie, ne traînait pas des jours pleins d'ennui, et
lorsque, formant le vœu de ne plus j amais quitter cette province,
il énumère les choses à quoi il s'occuperait — le chien, l'oiseau,
l'épinette. le deviser, le masquer, l'amour [G. III, 632], — on
320 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
devine que Chambéry lui a déjà offert ces distractions, et qu'il
se plairait à les prendre longtemps. Plaisirs non méprisables,
quoique légers. Mais une haute j oie, une de ces j oies qui inondent
le cœur entier, était réservée par le sort à cette vie déclinante.
Le lundi de Pâques, 14 avril 1544, ^^t lieu la bataille de Céri-
soles, et c'était là une journée dont semblait dépendre l'avenir
de la patrie. Cette fois, on ne pouvait jeter les dés sans frémir.
C'était la dernière armée de la France qui allait attaquer les
Impériaux, et, pour savoir s'il fallait jouer cette partie, le roi,
ôtant son bonnet de sa tête, avait imploré un conseil divin, con-
sulté pieusement la voix du ciel. Lisez le fameux récit de Monluc.
François i^"" eut raison de suivre l'inspiration reçue. Sous les
ordres de François de Bourbon, comte d'Enghien, tout jeune
capitaine (il était né le 23 décembre 1519), mais énergique et
clairvo3'ant, nos troupes remportèrent une complète, une écla-
tante victoire. Ce fut, chez nous, une allégresse unanime, et je
ne sais rien de plus honorable pour Marot banni que ses actions
de grâces tellement sincères et l'effusion de son enthousiasme.
Il a chanté deux fois le comte d'Enghien et ses soldats : d'abord,
dans une épigramme dont on ne peut pas dire si elle fut écrite
avant ou après la date glorieuse ; ensuite, dans une épître au
général triomphant. Que cette pièce est donc vigoureuse, émue,
aimable, et comme il serait juste qu'elle fût pour l'auteur, autant
que ses œuvres les plus populaires, un titre devant la postérité !
Ces vers devraient avoir leur place dans les anthologies. Le sen-
timent qu'ils expriment est magnifique et moral ; il remue nos
âmes profondément. Personne ne verra de sang-froid « le vieil
marquis » del Vasto s'enfuir « devant la jeune face » du héros,
que le poète couronne « de verd laurier ». Et, venant après tant
d'épreuves, vingt ans de misères, ce retour de fortune paraît
plus doux, plus consolant ; nous en comprenons le prix comme
nos pères le comprenaient, et nous découvrons une signification
historique, symbolique à cette phrase si brève et si simple :
Couraige, enfants, car la chance est tournée !
464. Peu de temps après la victoire de Cérisoles, Clément
quitta la Savoie pour le Piémont, et s'en alla à Turin. Nous ne
savons pas exactement ce qui l'attirait dans cette ville. Il y
avait des amis, sans doute, car des milliers de Français rési-
daient là, beaucoup de gens de guerre et de commis, des magis-
trats et des diplomates, une foule de seigneurs venus en poste
pour prendre part à la bataille. Il se peut aussi que Marot ait
voulu offrir lui-même son épître à François d'Enghien. Mais il
I
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 321
est sûr qu'il ne songeait pas à quitter définitivement Chambéry:
ily avait laissé, au témoignage de son fils Michel [G. III, 321, n.],
son mince bagage et ses papiers, et nous ne devons pas oublier
qu'il avait formé le vœu [Ihid., 631, v. 21-22] de terminer sa
carrière au milieu de ses compagnons savoyards. Donc, il ne
s'agissait, dans son esprit, que d'un court voyage, d'une excur-
sion... Mais c'était le suprême, le grand voyage, et il ne revint
jamais. Il mourut à Turin, vers le 10 septembre 1544, et fut
enseveli dans la chapelle de l'hôpital Saint- Jean-Baptiste. Ce
renseignement nous est fourni par l'épitaphe que composa
Lyon Jamet. Le marbre du tombeau portait la date du 12 sep-
tembre, mais nous ignorons si elle indique le jour du décès ou
celui des obsèques.
465. Il faut croire que la nouvelle de cette mort se répandit
très vite puisqu'un écrivain qui ne se nomme pas, mais dont la
devise était Non qu'à un seul, obtint à Paris, dès le i^'" octobre,
un privilège pour l'impression d'une sorte d'oraison funèbre.
Elle est en vers, et s'intitule Déploration de France. Les senti-
ments, certes, méritent d'être loués, mais c'est un rhétoriqueur,
hélas, qui les exprime. La pièce commence par les plaintes de
France : elle adresse les plus amers reproches à l'aveugle, à
« l'ineffugible » Atropos, et lui demande pourquoi elle a réduit à
néant « le decoreur des Muses », tandis qu'il lui aurait été si
facile de « choisir en quelque coin » d'autres victimes sans con-
séquence et dont la suppression n'aurait affligé personne. Suit
une invitation aux larmes : « Pleure avec moy, o N^-mphe caor-
sine ! » Et non pas toi seulement, mais Jupiter, Apollon, Vénus,
les Sylvains, les Faunes, les Néréides, bref, tout l'Olympe...
Là-dessus, prenant soudain la parole, notre mère commune, la
Terre, dit à la France des choses fort sensées : A quoi bon ces
cris ? Mieux eût valu ne pas proscrire ton fils lorsqu'il était en
vie que l'appeler « ton enfant chéri » à présent qu'il n'est plus.
D'ailleurs, tout passe, tout meurt ; nous mourrons tous. « Le
Supernel » a réglé ce point. Clément, du moins, ne disparaît pas
entièrement ; ses œuvres demeurent, et lui, « avec les anciens »,
les «gens de sçavoir », il habite les « champs elisiens »... En
terminant, l'auteur harangue les amis du défunt, et les invite à
honorer sa mémoire.
466. De fait, Marot ne fut pas oublié, et les épitaphes ne lui
manquèrent pas. Évidemment, je ne les connais pas toutes,
mais je puis en signaler quelques-unes. La meilleure, la plus sin-
cère et la plus touchante, c'est la première en date, celle du frère
d'armes, de Lyon Jamet. Il y a une vraie émotion et une pensée
très riche et qui va loin en cette phrase : « Cy gist celuy que peu
Clément .Marot et son école 21
322 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
de terre cœuvre ». Les vers qui annoncent que ce mort restera
vif « tant que la France en françois parlera » auraient charmé
celui qu'ils célèbrent, car, en termes différents, il a dit la même
chose [G. III, 638, V. 83-84]. — Ne les ayant pas lues, je me
borne à mentionner, sur la foi de MM. Douen et Guiffre}-, les
épitaphes que firent Gilles d'Aurigny, Saint-Romard, Du ^'al,
évêque de Séez, et ce sera assez de rappeler sans commentaire
celles qu'ont rédigées François Habert et je ne sais quel rimeur
(il signe M. G.) qui ne s'est pas montré original. — Au contraire,
le prédicant Malingre, qui a traité, en deux épigrammes funé-
raires, ce sujet tellement beau et tentant, a recherché la variété :
l'un de ses dizains, qui devrait s'intituler Apothéose, affirme que
les dieux, séduits par le « doulx parler » de Clément l'ont amené
à eux par une sorte d'assomption ; l'autre (chrétien et moral)
observe que nous mourrons tous, et fonde cette déclaration sur
l'exemple de Marot qui, après avoir couru « en maintz lieux »,
jouit maintenant du repos, « la sus au ciel ». — Atroposl'a donc
vaincu ? Charles Fontaine assure que non. Si vous jugiez d'après
l'apparence, vous croiriez que la Parque a triomphé du poète,
mais, à force de génie, c'est lui qui a surmonté la Parque. — Et
c'est pourquoi, remarque de son côté Etienne Forcadel, la vio-
lette et le romarin ne poussent pas seuls auprès du tombeau.
Admirez ce laurier cher à Phébus ! Là viennent pleurer les Muses,
mais celui pour qui elles versent des larmes est deux fois vivant :
ici-bas par la gloire, là-haut par la grâce. — 11 est agréable d 'avoir
à constater que, parmi les membres de la Pléiade, il s'en est
rencontré deux qui, malgré le mépris dont leur clan avait accablé
Marot, l'ont pourtant honoré d'une épitaphe. Celle d'Etienne
Jodelle, taillée sur un modèle qui avait servi pour ^'irgile, est
courte, compliquée, sj-métrique. Le dizain de Joachim Du
Bellay n'offre aucun élément nouveau. On croirait lire Habert
ou Fontaine. Le fatal, l'inévitable calembour (Marot-Maro) n'a
pas été oublié ici. Mais c'est l'intention qu'il faut peser. Bons ou
mauvais, ces quelques vers nous plaisent par leur caractère
expiatoire.
467. Clément ne nous a donné sur sa famille aucun renseigne-
ment bien précis. Elle ne paraît guère que trois fois dans ses
œuvres, et il nous la présente en termes si vagues et avec tant
de discrétion qu'une seule chose demeure évidente, à savoir qu'il
avait plusieurs enfants. On aimerait à les suivre dans la vie,
mais deux seulement ont laissé une trace. Le livre où Jean de
Frotté, secrétaire de la reine de Navarre, a consigné les dépenses
de cette princesse, porte cette mention : - La fille de Marot, reli-
gieuse à Essai, XXV livres. » Essai, à l'origine, abritait vingt
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 323
nonnes qu'on avait tirtes d'une maison de Repenties fondée, à
Paris, sous l'invocation de sainte Madeleine. ^Mais n'allons pas
confondre les pénitentes avec les pieuses femmes qui les gar-
daient ! Comme on le voit, dans ce monastère qu'elle avait
créé (1533), c'était Marguerite qui payait la pension de la fille
de Clément. Fille naturelle, affirment certains, mais O. Douen
se refuse à l'admettre.
468. Il y a lieu de croire que Marot a eu plus d'un fils : mais seul
le mélancolique Michel n'est pas mort jeune. Un billet que
l'ancien ami de son père, Antoine Couillard, seigneur du Pavil-
lon, lui envoie à la fin de 1544 offre une adresse ainsi libellée :
« A... maistre Michel..., fils unique du prince des poètes fran-
çois ressuscité. » Le mot « unique » est intéressant, et, davantage
encore, le titre de « maistre ». Celui à qui on le décernait ne devait
plus être ni un écolier ni un page [G. III, 324, v. 43-46], et l'on
devine qu'il se mêlait d'écrire. Effectivement, nous avons de
lui quelques vers : d'abord, la faible épître tendancieuse qu'il
prétend avoir découverte dans les papiers de son père, à Cham-
béry, puis, pour ne dire que l'essentiel, une Ode à la royne de
Navarre. Le titre de Complainte ou bien de Lamentation aurait
mieux convenu. L'auteur, qui ne demande pas « grosses rentes »,
mais une toute petite place, de modestes gages, juste de quoi
ne pas mourir de faim, chante, sur un rythme de barcarolle, les
misères dont il est accablé. Il déclare que le sort l'importune
« par plus de cent mille maux », qu'il se débat « dans le gouffre
d'une extresme extrémité », et que, si on ne se hâte pas de le
secourir, de lui accorder un humble emploi, sans se laisser arrêter
par la considération de son peu de talent, bientôt « la mer de
calamité » va l'engloutir. Il ne semble pas que cette requête ait
été entendue, et Michel fut abandonné de tous. Seul, Antoine
Couillard s'occupa de lui, et publia son œuvre si mince. Mais ce
patronage ne put suffire à arracher l'enfant du grand homme à
sa détresse, et c'est le moment de rappeler ce bref et très émou-
vant article qui figure (mois d'août 1574) dans les comptes de
Renée de France : « A ung pauvre gentilhomme passant, soy
disant filz de Clément Marot, 50 livres 16 sols. )> Vraiment, cette
phrase serre le cœur. Oui était donc ce « pauvre gentilhomme
passant » ? Un imposteur qui voulait se concilier la bienveil-
lance ? Michel en personne ? Si c'était lui-même qui passait,
recevant ainsi l'aumône, cette circonstance nous permet de
mieux comprendre sa devise : Triste et pensif.
469. Eh bien, il ne ressemblait pas à son père ! On aura beau
scruter le caractère de celui-ci, on n'y rencontrera jamais ces
deux traits, parmi tant d'autres si contradictoires. Clément ne se
324 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
laisse pas définir aisément ; il nous déroute, et il nous échappe ;
il abonde en fortes antinomies, et nous voyons en lui plusieurs
hommes. D'abord, il nous présente le cas sans exemple d'un
courtisan qui appartient à l'opposition. Et les deux choses —
la cour, l'opposition — l'inspirent très heureusement, et lui sont
aussi chères l'une que l'autre. De là, son inaptitude à respecter,
pendant qu'il vit auprès du souverain, les fondements, les
dogmes, les institutions de l'État, et à se résigner, durant l'exil,
à vivre loin de ce milieu brillant, spirituel. Braver la cour, lors-
qu'on l'y admet, puis la regretter dès qu'on l'en bannit, voilà,
assurément, l'un des rythmes de cette existence illogique, pleine
de véhémence, de passion, et Marot se révèle aussi téméraire aux
jours de faveur que pusillanime aux heures de disgrâce... En
second lieu, il aboutit moins encore à décider s'il sera catholique
ou protestant. Sa foi, purement cérébrale, ne le domine pas.
Ce qu'il approuve et goûte en la Réforme, c'est principalement
le noir chagrin qu'elle cause à la Sorbonne, la tentation qu'elle
donne au parlement d'étaler son iniquité, sa bêtise. Mais, pour
le poète, comme je l'ai déjà remarqué ailleurs, que de ménage-
ments à garder ! S'il ne professe pas le pur Évangile, que pense-
ront Marguerite de Navarre, Renée de France ? S'il attaque les
papistes ouvertement, que diront Anne de Montmorency et
ce roi incertain, énigmatique, qui change de credo chaque année ?
Par ailleurs, Clément ne tiendrait pas à être « rosti » ; les fagots
lui déplaisent, et il le proclame. Martyr, non ; soldat, oui. Et
quel étrange soldat ! Tantôt, loin d'imiter ceux qu'on avait
baptisés (( nicodémites », les sages selon le siècle qui tâchent de
concilier les ordres de la conscience avec les intérêts temporels,
il se lance à corps perdu au milieu de la mêlée, et ne compte
pour rien son repos, la place qu'il occupe, son foyer dévasté une
fois de plus, ni « l'enfer » même, le Châtelet ; tantôt, au contraire,
il montre une tardive circonspection, plus périlleuse que sa tur-
bulence. Sa main gauche retire doucement ce qu'avait donné sa
main droite. Ses discours hésitent, se démentent, éludent, et
il en résulte, en définitive, qu'il s'aliène les deux camps. C'est
un hérétique ! crie l'Église romaine, et Calvin murmure : il n'est
pas des nôtres ; c'est un mondain.
470. Et il a raison. Mondain avant tout, à fond et excellem-
ment. S'il diffère de l'homme du nionde, c'est seulement par la
qualité exquise de son intelligence et par une âme incoercible,
tournant au souffle de la fantaisie, rebelle au moindre joug,
prime-sautière, indisciplinée. Il n'a ni l'esprit de suite ni le goût
de suivre. Aussi voyez-le à Genève. Son désir serait de s'arrêter
là, d'y mener une vie calme sous une tente bénie du Seigneur,
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 325
comme au temps d'Abraham et de Jacob. Mais que fera-t-il
parmi les pasteurs ? Il aime la société, lui ; il aime la joie, il
l'estime bonne. La nature, mère du péché et source de la concu-
piscence, il ne la maudit, il ne la redoute nullement. Elle lui
apparaît déhcieuse, et il s'aperçoit que, dans la pratique, cette
sagesse des calvinistes, qui semblait acceptable de loin, s'avère
intolérable pour lui, et le réduit à la fuite. Alors il court à Cham-
béry, vers un groupe de joyeux garçons... Mais ne nous figurons
pas enfermer un personnage si multiple dans le cercle de ce
terme : « un mondain ». Il appartient, et ses œuvres le prouvent,
à plus d'un monde. Admis parfois dans la chambre parée et
nattée des reines [M. 241], il chante, pour elles, sur la tendre
musette d'Alain Chartier ; on croirait, à l'entendre, que l'amour
est, à ses yeux, un principe spirituel, une union métaphysique,
une occasion d'atteindre, avec les deux blanches ailes du philo-
sophe et du poète, la sphère des idées en soi. Et voilà un thème
élégiaque ; et voilà, en perspective, des dizains raffinés, délicats,
et des ballades ou des rondeaux qui exprimeront des sentiments
capables, par leur subtihté et par leur chaste douceur, de char-
mer un public aristocratique. Mais l'auteur de ces jolies choses
passe soudain du Louvre à la taverne ; il se souvient, alors, qu'il
a édité Villon ; il abonde en plaisanteries grosses et grasses ;
son platonisme se métamorphose en franche sensualité, et il
désigne par le mot propre (si l'on peut dire) tout ce qu'on évite
de nommer. Et c'est le même homme pourtant. Après avoir
rimé une pièce que Maurice Scève aurait signée, il conte une
bien sale anecdote, puis, tournant la page, il écrit un psaume.
471. Il faut le prendre comme il est.. La postérité n'a connu
qu'un Marot ; il y en a plusieurs. Évidemment, on ne saurait
prétendre que tous les aspects de ce caractère et de ce talent
méritent la même sympathie ; mais il existe, pour le moins, un
trait qu'on doit admirer sans réserve, et qui nous rend très cher
notre Marot : personne ne fut plus français, et, à certains égards ,
il incarne l'âme de chez nous. Laissons de côté, pour l'instant,
son style tellement clair, direct, sincère, loyal, et jetons sur sa
vie encore un coup d'œil. Oui ne voit que, par sa façon de sup-
porter l'infortune, ce poète, persécuté mais joyeux, représente
mieux que nul autre l'un des dons, l'une des vertus de la race ?
Au fond de son cœur vraiment indomptable le mot Espérance !
était gravé comme sur la monnaie gauloise. On pouvait le plier,
non le briser. Frêle arbrisseau, tant de fois battu par le vent,
les orages, il se relevait pimpant, couvert de fleurs. Ses chagrins
s'épanouissaient en fusées d'ironie, ea éclats de rire, et chaque
noire aventure finissait en chanson. A qui lui eût demandé :
326 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
« Oui t'a donné une philosophie aussi gaie ? » il aurait, je pense,
répondu, lui aussi : « L'habitude du malheur. » Rien n'est plus
émouvant que de le voir, malgré les catastrophes, tellement
confiant, allègre — et fidèle. Que sa patrie soit « ingratissime »,
il ne l'ignore point, et il ne le sent que trop. Pourtant, loin de
lui garder rancune, il la vénère, il la célèbre, il l'adore. Rejeté
par elle, il lui tend les bras, et il voudrait mourir dans son sein.
Quoique cette douceur lui eût été refusée, il aima son pays jus-
qu'à la tombe. Fort peu de mois avant de mourir, comme il
salue le camp de Cérisoles, l'armée royale, les lis, la victoire !
Avec quel transport il contemple cette glorieuse terre, ce « nom-
bre infiny de Germains » tués, fouldroyés [G. III, 642] !... Et
sa carrière se termine ici ; la plume échappe à sa main. S'il n'a
pas revu la France, du moins c'est à elle que sont allés — haute
consolation et sort enviable — ses derniers vœux et ses der-
niers vers.
BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES
419. G.l,423-6.—BeckeT,Zeitsc)!riftfurfr.Spr.undLit.,XLU, i66. — J. III, 52,
Épigr.CXXy. — M. 158-9.
420. G.1,426-430.— Becker, 166. — J. IV, 194-5.
421. G. 1,430.— Becker, 168.— J. 1,7; III, 59, Épigr. CXLIV. — StephaniDoleti...
Carminum libri quatuor, II, 61. — Copley Christie, Etienne Dolet, 228.
422. G. I, 431-434. — Becker, 169. — J. II, 105-107.
423. G. I, 437-438. —Becker, 170-171. — J. II, 107.
424. G. I, 449-452. — Becker, 171-172.
425. G. I, 446-448 et 451. — Becker, 172-173. — J. III, 65, Épigr. CLIX ;
I, 45-46. — M. 236.
426. G. I, 461-463. —Becker, 174. — J. II, 112-117.
429. G. I, 463-472. — Becker, 174-175. — Voici, dans leur ordre probable, les pièces
de Marot à l'empereur : J. II, 118 ; m ; no ; III, 68, Épigr. CLXVI ; II, 166, R.
LXVIII.
430. Becker, 176-177. — Pour les diverses prières traduites par Marot en vers français
puis imprimées dans le Miroir de l'ame pécheresse, cf. J. IV, 54-58. — M. 166, 241. —
G. III, 571, V. 29-34. — On trouvera ci-dessus (aux pp. 95-97 de la Bibliographie de
Clément Marot) de plus amples détails sur le volume du Miroir (1533) et sur l'édition
des Trente pseaulmes.
431. G. I, 482-486. — Becker, 181. — J. III, 66, Épigr. CLXII ; 106-107, Épigr.
CCLXII-CCLXV. Peut-être faudrait-il ajouter à cette liste VEpigr, XCIX, Pour une
mommerie de deux hermites (pp. 42-43). — On trouvera chez Alphonse de Ruble, Mariage
de Jeanne d'Albret, pp. 1 10-127, une description très complète des fêtes données à
Châtellerault.
432. G.I,4S6-488.— Becker, 182. — J. III, 247.
433. Becker, 184. — J. I, 74-86.
434. G. I, 494-497. — Becker, 184-185. — G. II, 155-158. — Cf. ci-dessus, p. 93,
n» VI.
435. G. I, 498-503 ; II, 439-478. Voyez, surtout, pp. 452-454, les v. 74-89 et les notes,
puis, p. 444, les V. 22-23 : « A tous les diables la mastine ! | Elle m'a chassé de la court. »
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 327
436. G. I, 500. — Becker, 187. — O. Douen, Clément Marot et le Psautier huguenot,
I> 358-359. — Du Plessis d'Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus, II, 134.
437. Heiminjard, VIII, 218.
438. G. I, 499 et 501 ; II, 478, V. 260 : « Escript a Orléans sur Loyre. « — Herminjard,
VIII, 219, note.
439. Herminjard, VIII, 208.
440. O. Douen, I, 392. — Bordier, Chansonnier huguenot, pp. XXV-XXVII. —
Herminjard, VIII, 202, note. — Moralité de la maladie de chrestienneté, a treize person-
nages, en laquelle sont monstrez plusieurs abuz advenuz au monde pour la poison de
péché et l'hypocrisie des hérétiques. Y me vint mal a gré. Nouvellement imprimé
a Paris par Pierre de Vignolle [Neuchâtel, Pierre de Vingle]. 1533. Plaquette ia-24 ;
goth. — La Bible, qui est toute la S"^ Escriture en laquelle sont contenus le vieil et le
nouveau Testament translatez en françois, le vieil de l'ebrieu, et le nouveau du grec. —
Aussi deux amples tables pour l'interprétation des propres noms et mots ebrieux,
chaldeens, grecs et latins (par H. Rosa et lo. Eutychus Deperius) ; l'autre en forme
d'Indice pour trouver plusieurs sentences et matières (par Math. Gramelinus). Achevé
d'imprimer en la ville et comté de Neufchastel par Pierre de Wingle, dict Pirot Picard,
l'an 1535, le 4e jourde juing.
441. Herminjard, III, 257 ; — IV, 45, n" 554 ; 262, n» 643 ; — V, 153, note ; — VI,
82, no83o; no, n<»832 ; — VIII, 49, n« ii28et68, n» 11 36.
442-443. L'Epistre de M. Malingre enuoyée a Clément Marot : en laquelle est demandée
a cause de son département de France. Auec la Res ponce dudict Marot. Icy trouuerez
vne louange de France et des Bernoys, auec vn noble rolle d'aucuns Francoys habitans
en Sauoye, et deux Epitaphes de Clément Marot. Nouuellement imprimé a Basle, par
laq. Estange, le 20 d'octobre 1546. Réimpression à 90 exemplaires, Harlem, 1868. D'a-
bondants extraits de cette épître ont été donnés par O. Douen (I, 392-394) et par Her-
minjard (VIII, 202-208). — Sur Louis Treppereau, élu diacre à Genève en 1542, cf.
Herminjard, VIII, 79, n. 5 ; 83, n. 1-2 ; 106. Dans ce dernier passage, Calvin, parlant
de Treppereau, écrit à Pierre Viret, le 19 août 1542 : « Ludovicus, quod semper verebar,
plus levitatis et incontinentiae habet in verbis et actione [on comprend alors que Marot
l'ait aimé !] quam ministermm nostrum deceat. »
444. O. Douen, I, 392, 394 ; Herminjard, VIII, 208-209.
445. France protestante, 2" édition, II, col. 35-36. — Becker, 190, n. 268. — Le Mémo-
rial de la perte du Dieu des frères Jacoppins de Lyon, le 22 juillet 1326 [1536 ?] se lit dans
la seconde partie de la Chrestienne resjouyssance.
446. Herminjard, VI, 286, n° 886, le texte et les notes. — C'est dans la Chrestienne
resjouyssance que se lisent i°le Dieu gard de Vautheur a la ville et aux citoyens de Genève,
la première fois qu'il y vint ; 2° l'Epistre a noble et chrestienne damoyselle Marguerite
de S. Simon en Xainctonge, jadis son escollière. — Les Psalmes de David translatez d'ebrieu
en langue françoyse ; 1539 ; sans lieu ni nom d'auteur. A la fin une « Exhortation au
lecteur fidèle » signée H[ector] D[e] B[eaulieu].
447. Herminjard, VI, 286-287.
448. 'L'Epistre a Clément Marot, poëte du Roy, pour lors résidant à Genève a été insérée
par Eustorg de Beaulieu dans sa Chrestienne resjouyssance. Cette curieuse pièce, depuis,
a été imprimée par Herminjard, VIII, 400-403, et par Guiffrey, III, 746-751. — Sur
Pierre Gurin [ne serait-ce pas le même que le Pierre Giron du § 447 ?], cf. Herminjard,
VI, 240, n. 36 ; VIII, 87, n. 6 et 403, n. 10.
449. G. I, 529. Claude Chappuys parle de Marot, et lui fait dire : « ...O roy sur tous
clément, | Ne soyez point rigoureux a Clément ! « — J. II, 237. De Mgr de Langey,
Guillaume Du Bellay. Cf. V.-L. Bourrilly, Guillaume Du Bellay, seigneur de Langey ;
thèse de Paris, 1904. On trouvera à la p. 401 l'épitaphe rimée par Marot et sa traduction
en latin élégant par SalmonMacrin. — J. IV, 64. Au Roy encores.
450. Sur l'autorisation donnée le 11 juillet 1543 par le Conseil de Genève, voyez
E. Doumergue, Jean Calvin, III, 169, n. i. On observera que cette édition genevoise
328 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
de l'Enfer semble n'avoir laissé aucune trace. — En ce qui concerne les Cinquante
pseaidmes en françoys et le recueil de 1543 imprimé par Dolet, cf. notre bibliographie,
pp. 91,98. — LetitreContreriniquelÉpigr. CXCYJ]estsmvide]ameixtion« aAntoine
Du Moulin, masconnois, et Claude Galland ».
451. Becker, 192.
453. O.Douen, 1,413-414. — G. 1,534-535. — Becker, 195.
454-455. E. Doumergue, Jean Calvin, III, 167-172. — Cf. J.-J. Chaponnière, Xolice
sur François Bonivard, prieur de Saint-Victor, et sur ses écrits. {Mémoires et documents
publiés par la Soc. d'hist. et d'archéologie de Genève, IV, (1845), pp. 137-304.) — Voici
(mais j'abrège leurs titres) les principales œuvres de Bonivard : de VA ncienne et nouvelle
police de Genève, et source d'icelles, iGenève, Jullien, 1847) ; Advis et devis de l'ancienne
et nouvelle police de Genève, suivis des avis et devis de noblesse et de ses offices... Genève,
I856) ; Advis et devis de la source de l'Idolâtrie et tyrannie papale... (Genève,
1856) ; Chroniques de Genève publiées par Gustave Revilliod, vGenève, Cherbuliez,
1868, 2 vol. in-8°.)
457. G. 1,5 36-540. — Becker, 194,1e texte et la n. 280.
458. G. I, 543 ; III, 625-629, le texte et les notes. — Bourrilly, Guillaume Du Bellay,
320. — Fr. !\Iugnier, la Vie et les poésies de Jean de Boissonné. pp. 64-66 et passim. —
Becker, 196-198.
ADDITION AU § 45S. — J'aurais aimé à insister davantage sur la vie de Raymond
Pellisson, car elle intéresse à la fois l'histoire des mœurs et l'histoire littéraire. En cette
ville de Chambéry — une bourgade, à cette époque — les esprits étaient profondément
divisés, les uns inclinant vers le roi de France, les autres demeurant ûdèles aux ducs de
Savoie. Perpétuelle cause de haine, de conflits. Le parlement, déjà agité et plein de
querelles pour ce motif, se trouvait, en outre, cruellement déchiré par un homme à
l'âme noire et fougueuse, qui réussit, durant de longues années, à persécuter les braves
gens, à leur attirer mille déboires. Ce mauvais génie s'appelait Julien Tabouet, un
manceau qui, après de fortes études faites à Paris, était devenu procureur général au
parlemeut de Savoie.
Les procès, interminables et si divers, que cet enragé magistrat a intentés à ses collè-
gues ont été racontés par M. F. Mugnier. Je renvoie à son texte ceux qui seront curieux
de connaître les tentatives que fit Tabouet pour perdre le conseiller Benoît Crassus que
Marot paraît avoir connu [J. III, 72, n° CLXXX].
Mais la belle bataille épique, ce fut entre le procureur général et le président Ra\-mond
Pellisson qu'elle se livra. Ce dernier n'était pas seul de son bord, et les accusations qui
pesaient sur lui s'étendaient à Crassus déjà nommé, peut-être à Guillaume Scève et,
sûrement, à Jean de Boissonné qui, en quittant Toulouse pour Chambéry, était tombé
de la poêle dans le feu.
Les péripéties de cette lutte déconcertent l'historien. Il paraît certain — l'un des
partis étant protégé par le duc de Guise et l'autre par Montmorency [Mugnier, op.
cit.l — que chacun triompha ou succomba à tour de rôle, suivant que brillait ou pâlis-
sait l'étoile de son patron.
D'abord, ce fut Julien Tabouet qui obtint gain de cause. Ajourné devant le parlement
de Dijon, Pellisson fut condamné (27 juillet 1551) à perdre son office, à payer dix mille
livres au roi, deux mille à sa partie ; à quoi s'ajoutaient la confiscation de ses biens,
l'amende honorable. Le vieux président — malade, brisé — dut se mettre à genoux
pour avouer des crimes qu'il n'avait pas commis ; il lui fallut ouïr une homélie outra-
geante de son ennemi sur le texte Haec est dies quam fecit Dominus, après quoi on le
remit en prison. Boissonné partagea ce même sort.
Complète victoire pour Julien Tabouet... Oui, mais, cinq ans plus tard, voici que tout
change. Le parlement de Paris a évoqué l'affaire, et, après une procédure riche en
incidents, dont M. Mugnier a donné le détail, le jugement de Dijon est annulé le 15 octo-
bre 1556. Pellisson et Boissonné rede\-iennent blancs comme neige ; les amendes pleuvent
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE 329
sur Tabouet, et c'est à lui, maintenant, à se mettre à genoux devant la table de marbre,
à proclamer ses torts, « nuds piedz et teste,... en chemise, la corde au col, tenant en ses
mains une torche de cire ardente du poids de deux livres ». Cette exposition aurait pu
suffire. Pourtant on alla plus loin, et le malheureux fut « prins en une charrette et conduit
au pillori des Halles... pour y estre tourné trois tours ». Enfin, on le ramena au château
de Chambéry où il fut incarcéré.
Raymond Pellisson ne survécut pas longtemps à cette réhabilitation, et il mourut le
II juillet 1558, laissant plusieurs enfants. C'est de sa famille qu'allait descendrel'histo-
rien de le Académie française, Paul Pellisson- Fontanier.
Quant à Tabouet, il publia, à la fin de sa vie, divers ouvrages tant en latin qu'en
langue vulgaire. Je n'ai rien à dire de sa Principum Sabaudiae genealogia (Lyon, i56o)ni
de son traité des Magistratures à partir du Déluge : mais je note qu'il a produit des vers
français. Ils sont à la fois rocailleux et plats. L'auteur, il est vrai, les composait en prison
et pour charmer ses loisirs forcés. Libre, il se fût occupé autrement,mais non pas mieux,
je le crains.
459. G. II, 479-484, le texte et les notes. — J. Du Bellay, Déf. et III. [Chamard],
pp. 227-228. — Marc-Claude de Buttet, Apologie pour la Savoie [Mugnier], p. 120.
460. G. III, 630-639. — Fr. Mugnier, Marc-Claude de Buttet, Poète savoisien (Paris,
Champion, 1896), pp. 121, 179, 184-186. — Poésies fr. de Jean de Boissonné, (Bibl.
mun. de Toulouse, ms. 836), i° 122 v».
461. Mugnier, op. cit., 166-167, le texte et les notes. — Boissonné, op. cit., i° 92 r".
462. Mugnier, op. cit., pp. 167, n., 171, 189-190, 209, 213-214. — J. III, 81, Épigr.
CCII. — Becker, 201.
463. Monluc, Commentaires [De Ruble], I, 241 sqq. — J. III, 76, Épigr. CLXXXVIII.
— G. III, 639-646.
464. Becker, 204-205.
465. Déploration de France sur la mort de Clément Marot, son souverain Poète. Une
plaquette de 12 ff. non ch... Après le titreet tout àla fin la devise: « Non qu'a un seul »
Le privilège, signé Séguier, est concédé « a Jean André, libraire juré de l'université
de Paris ». (Cf. Lenglet-Dufresnoy, V, 383-392.)
466. Lyon Jamet : G. I, 560 ; Becker, 205. — Gilles d'\urigny, Saint-Romard, Du
Val : G. I, 563. [Pierre Du Val, fils de Denis, docteur en théologie et chanoine de Rouen,
fut désigné par le roi lui-même comme évêque de Séez, et sa consécration eut lieu le
9 août 1545. Il joua un rôle assez brillant au Colloque de Poissy. Il mourut à Vincennes
en 1564. ( Gai. christ., XI, col. 702-703.) Ce personnage appartient à l'histoire de l'huma-
nisme et à celle, aussi, de la poésie française. Voici les principaux ouvrages qu'il a
publiés : Cri ton ou ce que l'on doit faire, trad. du grec en françois, parle commandement
du Roy, par Pierre Du Val, evesque de Sées, Paris, Michel Vascosan, 1547, in-4° ; De
la grandeur de Dieu et de la cognoissance qu'on peut avoir de luy par ses œuvres, Paris,
Vascosan, 1553 (c'est un poème en quatrains) ; De la puissance, sapience et bonté de
Dieu, Paris, Vascosan, 1558 (autre recueil de quatrains). Les deux poèmes de 1553 et
1558 ont été édités ensemble, Paris, Morel, 1569, in-S».] — Fr. Habert, le Temple de
Chasteté (1549). — La pièce signée M. G. a été publiée par M. Denais avec les Poésies de
Germain Colin Bûcher, p. 264. — Malingre : O. Douen, I, 444-445. — Ch. Fontaine,
la Fontaine d'Amour (1546) ; livre I des Épigr. : De la Mort et de Marot. — Poésie d'Es-
tienne Forcadel (1551), p. 180. — Jodelle [Marty-Laveaux], II, 338. — J. Du Bellay
[Marty-Laveaux], I, 207.
467. Famille de Marot : G. III, 394, v. 26 ; M. 238 ; J. I, 100. — H. de La Ferrière-
Percy, Marguerite d'Angouh'me. Son livre de dépenses, p. 31, n. i. — O. Douen, I, 445-
446. — Becker, 206.
468. O. Douen, I, 446. — Becker, 205-206. — Les quelques pages qui nous restent
de Michel Marot [Lenglet-Dufresnoy, V, 343-35i] ont été imprimées avec l'ouvrags
suivant : Contredictz aux faulses et abbusifues prophéties de Nostradamus et autres
330 CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
astrologues : adiouste quelques œuures de Mich. Marot. Paris, UAngelier, 1560. Petit
in-8<>. Le seigneur du Pavillon, auteur de ces « Contredictz », jouait volontiers le rôle
d'augure, et, sans doute, il jugeait bien meilleurs que ceux de Nostradamus les oracles
qu'il avait personnellement rendus (Rouen, 1556). Son érudition scrutait la terre, et
envahissait le ciel, car il faut être un savant de la première volée pour mettre au jour
un livre qui ait l'envergure de celui-ci : Les Antiquitez et singularitez du monde, aus-
quelles est traicté de la Science divine et des choses admirables, tant célestes que ter-
restres, par le Seigneur du Pavillon près Lorriz. Lyon, Ben. Rigaud, 1578. In-i6.
INDEX DES NOMS PROPRES
(Les numéros indiqués sont ceux des paragraphes ; les chiffres qui sont suivis
de la lettre b renvoient à la bibliographie ; ceux qui sont entre crochets se réfèrent
aux pages 89-106.)
Agrippa (Cornélius), 104.
AiGUEBELETTE (François de Seyssel, sei-
gneur d'), 462.
Akakia (Martin), 260, 261.
Alamanni (Battista), 32.
— (Luigi), 27, 32, 104.
Alciat (André), 6, 80.
Alençon (Anne d'), 245-255.
— (Marguerite d'), dame de Cany-
Canyel, 248, 252.
Allègre (François d'), seigneur de Prccy,
175-
Alphonse I", duc de Ferrare, 227.
Amboise (Charles J), 301.
— (Georges d'), 26.
— (Michel d'), 301.
Amomo [Jean de Maumont ?], 28.
Amyot (Jacques), 29.
Anacréon, 12.
Ango (Jean), 368.
— (Richard), 364.
Anne de Bretagne. 130, 131, 212, 227,
330.
Anne de Clèves, reine d'Angleterre, 96
Annebaut (Claude d'), 378.
Appiarius (Mathias), 446.
Arande (Michel d'), 188.
Armagnac (Georges d'), 335-337-
Arnoul (Nicole), seigneur de Saint-Simon,
309,310.
Aubigné (Agrippa d'), [104].
Aurigny (G lies d'), [99], 417, 466.
AuTON (Jean d'), 407.
Baïf (Lazare de), 29, 104, 449.
Baili.ehache, 169.
Balbus, prédicant, 443.
Balme (Jean de la), sieur de Ramasse, 462.
— (Sibuet de la), 462.
Balue (Germaine de), 248, 254.
Barberousse [Khair-ed-Din], 414.
Basselin (Olivier), 341.
Basset (Jean), 381.
Bayle (Pierre), [100].
Bazoges (M'"'' de), 357.
Beaulieu (Eustorg ou Hector de), [94,
note], 306-316, 350, 445-448.
Beaulieu (Jean de), 309.
Beauregard (Anne de), [106], 29.S.
Becquet (Robert), 169.
Béda (Noël), 39. 43, 108, 115, 188, 280,
341.
Bellay (Guillaume Du), seigneur de Laa-
gey, 107, 449.
Bellay (cardinal Jean Du), 35, 107-116,
295, 329, 348, 414.
Bellay (Joachim Du), 27, 60, 109, 114,
169, 337, 342, 344, 382, 418, 459, 466.
Bellay (Louis Du), seigneur de Langey,
449 note.
Bellegarde (Angelot de), 460, 462.
— (Claude de), seigneur de Mon-
tagny, 460.
Bellegarde (Louis de), seigneur de Mon-
tagny, 460.
Bellenger (François), 367.
Bembo (Pierre), 354.
Béraud (Nicolas), 354.
Bernay (Nicolas de), 254.
Bernuy, 271.
Béroalde (Philippe), 399.
Berouin (Louis de), 36-40, 57, rSS, 237-
243.
Bertrand (Jean), évcque de Comminges,
276 b.
Bertrand (Nicolas), 273 b.
Bessarion (le cardinal Jean), 42.
Bèze (Théodore de), 60, [99], [100], [loi
noie 3], [103], 191, 295, 457.
Blet (Antoine du), 188.
Bochetel (Guillaume), 306.
Boileau-Despreaux, [92].
332
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
BoiLEAU (Louis), seigneur de Centimai-
son, 233-237, 243, 244.
BoissoNNÉ (Jean de), 132, 135, 271, 274,
403, 449, 458 [et AdcLt on p. 328], 460,
461.
BoisY (Hélène de), 27.
BoNiVARD (François), 453-456.
Bonn (Hermann), 417 b.
BoNNivET (amiral), 410.
Bordeaux-, gentilhomme savoisien, 461.
BoRGiA (Lucrèce), 227.
BosREDON (Jeanne de), 307.
BoucHART (Nicolas), 192-193.
BoucHEFORT (Jean de), 286, 334, 335, 356.
BoucHET (Jean), 393, 403.
BouLLAY (Edmond du), roi d'armes de
Lorraine, 101-106Ô.
Bourbon (Antoine de), duc de Vendôme,
275.
Bourbon (le connétable Charles II, duc
de), '5, 160, 164, 256, 410.
Bourbon (François de), comte d'Enghien,
463. 464-
Bourbon (Nicolas), 76, 105, 115, 354, 403.
Bourg (Anne du), 81, 86.
— (Antoine du), 348.
— (Jean du), 283.
— (Jeanne du), 230.
Bourgeois (Louis), [loi], [102].
Boursault (Gillonne de), 93.
Braillon (Louis), 260, 261.
Brantôme, 28, 102, 103, 292, 293, 340.
Brice (Germain), 121.
Briçonnet (Guillaume), 35, 188.
Brie (Claude de), 413.
— (Félix de), abbé de Saint-Ebvroult,
341, 367, 371, 411-
Brie (Gilles de), 367.
Brion (Philippe Chabot de), 413.
Brodeau (Victor), 301, 391.
Bruccioli (Antonio), 336.
Bûcher (Germain Colin), 215, 393, 402,
403.
Bucyron (Françoise de), 295.
BuDÉ (Guillaume), 39, 43, 45, 96, 121,
238, 354-
BuLLANT (Jean), 91.
Bullinger (Henri), 339.
BuLLiouD (Antoine), 26.
BuTTET (Marc-Claude de), 459, 460, 462.
Byron (lord), 454.
Calcagnini (Celio), 292.
Calvin (Jean), 35, 36, 37, 60, [96], [97],
[99], [102], [104], 112, 195, 295, 339,
340, 437, 438, 443, 450, 451, 452, 456,
469.
Calvy de La Fontaine, 399.
Camillo (Giul o), 27.
Candie, 461.
Cano (Sébastien del), 7.
Carion (Jean), 417&.
Carle (Lancelot de), 90, 303.
Caroli (Pierre), 188, 192, 286, 441.
Carpi (Girolamo da), 294.
Carré (Jean), 356.
Castiglione (Baltha?ar), 27, 123.
Catherine d'Aragon, 108.
Catherine de Médicis ,115, [103], 312,
357, 429, 430. 459-
Cayet ^Victor), 457.
Cavret (G. de), 276 b.
Cèdre (Pierre du), 274.
Cellini (Benvenuto), 25, 31, 104.
Certon (Pierre), [100].
César, 77, 98.
Chalcidius, 104.
Challes de Belletruche (Hugues) 462.
— (Louis), 462.
Champier (Symphorien), 104.
Chaperon (Jean), 353Ô.
Chappuys (Claude), 6x, 93, 112, 121, 306,
449-
Charles VIII, roi de France, 213.
Charles IX, roi de France, 60.
Charles IV, duc d'Alençon, 50, 159, i5o,
161, 162, 164, 172, 248.
Charles, bâtard d'Alençon, 248, 252
Charles III, duc de Savoie, 117.
Charles-Quint, empereur, 52, 83, [96],
108, 109, 118, 119, 256, 258, 329, 345,
414, 415, 422, 423, 427-429, 431-
Chartier (Alain), 143, 250, 317, 393, 405,
470.
Chastellain (Georges), 317.
Chateaubriant (Françoise de Foix,
femme de Jean de Laval-Montfort, sei-
gneur de), 57, 409-410.
Chatillon (Gaspard i^' de Coligny, mare
chai de), 164.
Chissav (de), 153.
CicÉRON, 95, 104.
Claude de France, femme de Fran-
çois \", 144, 172.
Claudien, [94].
Clavier (Etienne), 202, 266-267.
Clément VII, Pape, 39, 40, 108, 187, 188,
269.
Clérembault (Arnoul), 443.
Clouet (François), 24.
— (Jean), 24, [97]-
CocT (Anemond de), 186.
CoLET (Claude), 398-399.
Colin (Jacques), 28-29, 3-2, 43, 115-127,
133, 262, 321,449-
Collerve (Roger de), 263.
Conrart (Valentin,) [100].
CoppiN (Florent), 169.
Cornes (Pierre de), 256.
CoRNiLLAU (Jean), 334-335-
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
333
CoRROZET (Gilles), 315, 416.
CossART (Thomas), 169.
CosTE (Léonard), 169.
CouiLLART (Antoine), seigneur du Pavil
ion, 279, 468.
CouppEL (Jean), 169.
Cousin (Jean), 91.
CousTURiER (Pierre), 188.
Crassus (Benoît), add t on a 458, p. 328,
Crespin (Jacques), 169.
Crétin (Guillaume), 141, 152, 156, 166,
175, 208, 374, 393, 395.
Cruche, prôtre, 54
CujAS (Jacques), 6.
CuRiONE (Celio Secondo), 339.
Cusinens (Marguerite de), 462 .
Dampierre (Jean), 354.
Danès (Pierre), 45, 354.
Dante, 63.
Darles (I.-N.), 301.
Deleau (Méry), 183.
Demont (Jeanne), 237.
Denisot (Nicolas), 399.
Des Périers (Bonaventure), 106, 120,
317, 350, 386, 391, 440&.
Diane de Poitiers, 59, 89, 92, 178
Diane, fille naturelle de Henri II, 87.
D1ODORE DE Sicile, 122 .
Disome (Jacques), 54.
Dolet (Etienne), 5, 6, 14, 29, 36, 57,
[89]. [90], [91], 105, III, 1236, 195,
350, 354, 302, 403, 420-421, 432, 434,
430.
Doria (André), 118.
Drusac (Grat an Dupont, se gneur de),
264, 274, 3IÏ-
Duchatel (Pierre), 104, 114, 119, 425.
Dufour (Jean), 169.
DupRAT (cardinal Antoine), chancelier
de France, 188, 208, 209, 213, 214, 217,
270, 348.
Du Val (Pierre), évêque de Séez, 466.
Eléonore d'Autriche, 258-259, 269,
284, 306, 362, 414, 423, 426.
Emmanuel-Philibert, duc de Savoie,
462.
Erasme, 37-38, 43, 45, 182, 239-240, 313,
354, 412, 417, 445.
Espine (Pierre), 424.
EsTAiNG (Charles d'), 312.
EsTiENNE (Henri), 12, 191.
— (Robert), 5.
EsTissAC (Geoffroy d'), 112.
EsTOUTEviLLE (Charlotte d'), 94.
ÉTAMPES (Anne de Pisseleu, duchesse d'),
25, 31, 435-
Euripide, 306.
EusFBE, évêque de Césarée, 122.
Fabri (Guillaume), [102].
Farce de Pathelin, 381.
Farel (Guillaume), x85, 188, 441.
pARNÈSElHoratio), duc de Castro, 87, 113.
Faur (du), 86.
Faye (Jeanne), 362.
Férières (Baron de), seigneur de Cham-
brays, 378.
Fernel (Jean), 6.
Ferrier (Arnoul du), 6.
Fichard (Jean), 295.
Filholi, capitoul de Toulouse, 270.
Finet (Oronce), 45.
Foix (Françoise de), voyez Chateaubriant.
Fonsèques (René de), seigneur de Sur-
gères, 294.
Fontaine (Charles), 106, 194, 215, 261,
293, 317, 386, 387, 391, 403, 407, 466.
FoNTAUCiER (Pierre de), 276 b.
Forcadel (Etienne), 466.
Franc (Guillaume), [loi], [102].
François \", roi de France, 20-74, 75,
78-9, 83-4, 96-98, [96], [97], [98]. 102,
109, 115-116, 118-123, 134, 139, 142,
144, 132, 154, 156-7, 159, 164-5, 188,
190, 199, 200, 203-5, 207-213, 218, 220,
222-3, 236, 238, 254, 256-8, 262, 266,
269, 270, 277-8, 281-2, 284, 287, 297,
306, 318, 321, 323-4, 326-329, 333-335,
342-3, 348-9, 353-4, 356-9, 361, 372-4,
378-9, 402, 410, 414, 415, 420, 422-7,
429, 431-2, 436, 449, 463, 469-
François de France, fils aîné de Fran-
çois I*-', 153, 269, 270, 344-6, 361, 378.
François II, roi de France, 459.
François de Paule, 77.
Frotté (Jean de), 71, 467.
FucHis (Robert de), 195.
Galien,26i.
Galland (Claude), 450 b.
Gaudin (Nicole), 169.
Genton, 461.
GiFFARD (Anne), 367.
Gilles (Pierre), 121.
Giraldi (Cinthio), 295.
— (Lilio Gregorio), 294-295.
Giustiniani (Agostino), 43, 104.
Glotelet (Nicole de), 132 b, 386, 388-390.
GoNDi (Antoine de) sieur du Perron, 312.
— (Hélène de), 312.
Gontier, lieutenant de Bourges, 264-265.
GouDiMEL (Claude), [loi], [102], [103].
Goujon (Jean), 22, 26, 92.
Gringore (Pierre), [104], 259.
Griphius (Sébastien), [qi], 432.
Grisson (Jean), 135, 138, 145.
Gruffy, 461.
Guasto [ou FasYo], (Alphonse dWvalos,
marquis de), 361, 463.
334
CLEMENT iMAROT ET SON ECOLE
GuiDACERius (Agathias), 45.
GuiLLARD (Louis), évêquc de Chartres,
197.
GuRiN (Pierre), 448.
GuNTHER d'Andernach (Jean), 121.
Habert (François), 16, 466.
Halluie (Jeanne d'), demoiselle de
Pienne, 87-88.
Hamel (Jean du), 169.
Haston (Hélène de), dite Trezay, 357.
Hennequin (Nicole), 266.
Henri II, roi de France, 26, 27, 59, 60,
84, 87, 88, 89, 92, [qg], 306, 339.
Henri III, roi de France, 60.
Henri II, roi de Navarre, 49, 52, 53, 57,
211, 2746, 354, 355, 358.
Henri VIII, roi d'Angleterre, 77, 96,
108, 109, 159.
Hercule II d'Esté, duc de Ferrare, 195,
227, 292, 294, 296, 297, 329, 330, 332-
335, 339-
Héroet (Antoine), 76, [io6], 301, 353 b.
HiscA (Charlotte d'), 28.
H0HENLOHE (Sigismond de), 35.
Homère, [97], 346, 389.
HoMMETS (Raoul des), 169.
Horace, [97], [loi, note 7], 359.
HosPiTAL (Michel de 1'), m.
Hubert (Guillaume), 188.
HuET (Charles) ou La Hueterie, 378, 387,
394, 395, 399, 401, 407.
HuET (Michel), 106.
HuGONERi (Jean et .Marie), 453, 456.
Idriard (Guillaume), 276 b.
ISABEAU DE NaVARRE, 2/8; 369.
Jamet (Lyon), [91], 112, 193-197, 201,
286,290,295,318,341-2,391,434,464,
466.
Janneouin (Clément), [103], 310.
Jeanne d'Albret, 50, 52, 55, 115, 358,
360, 431.
JoDELLE (Etienne), 466.
JOIN VILLE, 180.
JossE (Jean), 54.
Jules III, Pape, 339.
Jure (Alexis), 317-318.
La Barre (Jean de), 190, 191.
La Borderie (Bertrand de), 391.
La Bruyère, 457.
La Fayette (Aimée de), 53.
La Fontaine (Etienne), 443.
La Fontaine (Jean de), [92].
La Forest (Philibert ? de), 461.
La Forge (Etienne de), 284.
LAHET(Bernard de), 310.
La Mark (Antoine de), abbé de Beaulieu,
228-9.
La Mark (Guillaume de), duc de Clèves,
52-53, 55, 115, 431.
La Mark (Robert II), sieur de Sedan, 228.
La Marlière (Antoine de), 443.
Lambesc (François de), 259.
Lambin (Denis), 80.
Lampignan, 461.
Lamy, médecin, 260.
Langeac (Jean de), 112, 329.
L'Angelier (Charles), 417.
Langlois (Pierre), 169.
La Palisse (Jacques de Chabannes, sei-
gneur de), 164.
La Perrière (Guillaume de), 271-277.
Larcher (Benoît), 222.
La Rochefoucauld (Gilbert de), 413.
La Rozière (Clériadus de), 222.
Lascaris 'Jean), 43.
Lassus (Roland de), [loi, note 6], [103].
La Tour (François de), vicomte de Tu-
renne, 312.
Lautrec (Odet de Foix, vicomte de), 40,
116.
Laval (Jean de), sire de Chateaubriant,
90, 409.
Leblond (Jean), seigneur de Bran\'ille,
378-385, 393, 417-8.
Le Bovs,46i.
Leclerc (Jean), 188.
Lecomte (Jean), 441, 443.
Lecoo (Guillaume), 260-261.
Le Coo, conseiller au parlement de Paris,
54-
Le Coq (Jacques^ 441.
Lect (Jacques de), 132, 135.
Lefèvre (Guillebert), 166.
Lefèvre d'Étaples (Jacques), 35-37, 45,
93,188.
Le Jeune (Claude), [103].
Le Lieur (Isabelle), [105].
— (Roger), seigneur de Bois-Bes-
nard, [105].
Lemaire de BELGESÎJean), So, 133-4, 143,
330, 379, 407, 418.
Le Masson (Barthélémy), 45, 104.
LÉON X, Pape, 42, 44.
Le Picart (François), 280.
Leroy .André), 183.
— (Nicolas), 112..
Le Roy (Pierre), 169.
Lescot (Pierre), 26.
Le Vert (Etienne), 443.
Li.MOUSiN (Léonard), 92.
Lizet (Pierre), 120, 188, 191.
LoNGUEiL (Christophe de), 172.
Lorraine (Antoine, duc de), 10,5, 259.
— (Claude de), duc de Guise, 89
102, 105, ro6, 22S.
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
335
Lorraine (François de), duc de Guise, 59,
340.
Lorraine (le cardinal Jean de), 25, 27,
28, 101-106, 108, lie, 115, 210.
Lorraine (René, duc de), ici.
Louis XII, roi de France, 97, 160, 213,
227.
Louis d'Orléans, fils de Henri II, 113.
Louise de Savoie, 38, 48-9, 71, 73,75-80,
116, 187, 212, 213, 214, 256, 265.
LouvEL (Richard), 169.
Lucien, 139, 226.
Lucrezia d'Esté, fille d'Hercule II,
323.
Luther (Martin), 182.
Luxembourg (Charles de), comte de
Brienne, 94.
Luxembourg (Jean de), 94-99.
Macault (Antoine), 104, 328.
Macé (René), 99, 393.
Madeleine de France, 354, 378.
Madeleine de Savoie, 97.
Magellan, 7.
Magny (Olivier de), 337.
Maillard (Pierre), seigneur du Bouchet,
461.
Maillart (Guillaume ou Gilles), 191, 214,
216.
Maimbourg (Louis), 457.
Malingre (Jean), 440.
— (Mathieu), 439-444, 466.
Manardi, 112.
Mangin (Nicolas), 188.
Marcossey (de), seigneur du Faucigny,
461.
Marcourt 'Antoine), 282, 287, 443.
Marguerite d'Angouléme, duchesse
d'Alençon, reine de Navarre, 14, 16,
22, 24, 35, 38, 43, 45, 48-53. 55, 57,
60-61, 66, 71, 73, 75, 77-79. 81, 84, 95,
[96], 154-161, 165, 172, 174, 186, 188,
210, 211, 248, 252, 254, 256, 266-7,
280, 287, 289, 290, 296, 313, 324, 330,
332-335, 346-348, 353-355, 357-358,
360, 368, 374, 385, 402, 414-415Ô, 430,
44s, 468-469.
Marguerite d'Autriche, 256.
Marguerite d'Écosse, 250.
Marguerite de France, 337, 360.
Marguerite de Savoie, 94.
Marie d'Autriche, reine de Hongrie,
423-
Marmitta (GelliusBemardinus), 226.
Marot (Clément), 13, 14, 16, 27, 29, 31,
. 36, 41, 44, 45, 56, 57, 61, 76, 80, 93,
106, 112, I2I-I24, 127, [89-106], 128-471.
Marot (Jean), 130, 133, 141, 153, 160,
166, 203, 205, 207, 224, 268, 330.
Marot (Michel), [92], 289, 464, 468.
MARTELLifNircolo), 27.
Martial, 202.
Martin (Jean), 22.
I Masures (Louis des), 106, m
Maumont (Charlotte de), 312, 313.
Meigret (Aimé), 182, 186.
— (Antoine), 184.
— (Jean), 184.
— (Lambert), 184.
— (Laurent), 183,185,443, 448.
— (Louis), 183, 184.
MÉLANCHTHON (Philippe), 35, 81, 318,
354, 445.
Ménard (Jean), 443.
Meschinot (Jean), 393.
Michel-Ange, 91, [97].
Michelet (Jules), 9, 17.
MiNFANT (Jacques et Joachim), 169.
Minut (Jacques de), 214.
Molière, 150, 359.
MoLiNET (Jean), 154, 374, 379, 393.
Mollinet ( René et Robert du), [103].
MoLLON (Barthélémy), 283.
Monceau (Lancelot du), seigneur de Ti
gnonville, 248.
Moncler (Pierre), 443.
MoNLUc (Biaise de), 463.
Montaigne, 7, 449.
Montchenu (de), sénéchal de Limousin,
308.
MoNTECUcuLi (Sebastiano de), 345.
Montgommery (Jacques de), 162.
Montmorency (le connétable Anne de)
57, 59, 84-94, 96, 97-100, 109, 118, 204,
210, 214, 257, 269, 270, 335, 337-3386,
352, 361, 419, 469.
Montmorency (François de), 87-88.
Morand (Jean), 443.
Morel (François de), 339.
MoRiN (Guy), seigneur de Loudon, 412.
Morin (Jean), 191, 286, 287, 375.
MoRUS (Thomas), 417Ô.
MoscHUS, 226.
Moulin (Antoine du), [92], 313, 4506.
Moulin (François), 188.
MouY (Charles de), 162.
Museau (Morelet du), 134.
Musée, 432.
Musset (Alfred de), 150, 253, 268.
Nalot (Bernard), 270.
Nassau (comte de), 164.
Nepveu (Pierre), 21.
Neufville (Nicolas II de), 134.
— (Nicolas III de), seigneur de
Villeroy, 134, 135, 138, 142, 421.
NovES (Laure de), 277.
Oggione (Marco d'), 92.
Olivetan (Pierre Robert dit), [104], 440.
336
CLÉMENT MAROT ET SON ÉCOLE
Oppède (Jean Meinicr, baron d'), 58, 81,
Orfèvre (Jeanne 1'), 230.
Orme (Philibert de 1'), 22, 26, iio.
Orri, inquisiteur à Lyon, 8i.
OsMONT (Louis), 169.
Ovide, 123, 141, 203, 259, 348, 377-
Paget (William), 96.
Palestrina (Giovanni Pierluigi, dit),
[loi].
Palingenio Stellato, 292.
Palissy (Bernard), 91.
Paradis (Paul), 45.
Paris (Nicole), 96.
Parmentier (Jean), 171, 377.
Parthenav (Anne de), dame de Pons,
294, 322, 329.
Parthenay (Charlotte de), 294.
— (Renée de), 294, 329, 331.
Parvaus (?), 461.
Pasquier (Etienne), [95], [104], 132.
Patrizzi (Francesco), 417.
Paul III, Pape, 26, 31, 422.
Paul IV, Pape, 82, 336.
Pavanne (Jacques), 188.
Peletier (Jacques), 29, 303.
PELLissoN-Fontanier (Paul), addition à
458, p. 328.
Pellisson (Raymond), 458 (et addition
p. 328), 459.
Pennant (Vincent), 443.
Petit (Guillaume), 43.
Pétrarque, 143, 227.
Peyrat (Jean du), 312.
Picard (Martin), 169.
P1ERREVIVE (Marie-Catherine de), femme
d'Antoine de Gondi, 312.
Pii.LART (Laurent), 105.
PiNDARE, 388.
Pins (Jean de), 269.
Piochet (Amé de), 462.
Platon, 96, 104.
POEY DE Luc (Bernard de), 276Ô.
PoiNssoN (Antoine), 356.
Poitevin (Jean), [100].
P0LIGNAC (Anthonye de), 312.
Politien (Ange), 226.
Poncher (Etienne), 43,
— (Jean de), 318.
Pons (Antoine de), comte de Marennes,
294.
PoRART (Antoine), seigneur de Foignon,
[103].
Postel (Guillaume), 45, 104.
Pratin (Louis), 411.
Preudhomme (Guillaume), 209, 449.
Prévost (Jean), 188.
Primatice (Francesco), 23,
Quatre-Livres (Marie), fio6].
QuESNEL (Robert de), 4176.
Rabelais (François), 6, 8, 14, 15, iio,
112-114, 120, 131, 182, 195, 221, 231,
295, 311, 354, 382, 449-
Racine (Jean), 221.
Raffin (Antoine), dit Pothon, 157.
— (Jean), dit Pothon, 157.
Ramasse, voir Balme (Jean delà).
Raphaël Sanzio, 92.
Refuge (Charles de), 162.
Regart, 461.
RÉMOND (Florimond de), [104], 457.
Renan (Ernest), 15.
René, duc d'Alençon, 2^18.
Renée de France, duchesse de Ferrare,
194-5, 227, 291-297, 304, 321, 323-5,
328-330, 332-333, 334-7, 339-340, 346,
348, 373, 430, 468, 469.
RoBERTET (Claude), 209.
— (Florimond), 88, 223-225, 430.
RoFFET (Pierre), 26S.
RoHAN (René de), comte de Penhoët, 278.
RoLETTA, femme d'Eustorg de Beaulieu,
447-
Romain (Jules), 23.
Roman de la Rose, [95], 99, 143.
Rondelet (Guillaume), 80.
Ronsard (Pierre de), 24, 60, 996, 389
Rosso (le), dit maître Roux, 23, 92.
rougemont, 461.
Rousseau (J.-J.), 13.
Roussel (Gérard), 35-6, 188, 280.
RoYERs (Raymond de), baron de Four-
quevaux, 270.
RusTici (Giovanni Francesco), 424
RuzÉ (Isabelle) [106].
— (Jean), [105].
— (Louis), [106].
Sadolet (cardinal Jacques), 104, 354, 449.
Sagon (François), 130&, 132, 183, 186,
191, 278, 286, 298, 303, 341, 363-417,
430.
Sagon (Jean), 364.
Saint-Cassin, 461.
Sainte-Marthe (Charles de), 121, 264.
Saint-Gelays (Mellin de), 27, 28, 76, [94],
121, 123b, 234, 264, 304, 3786, 394, 430.
Saint-Gelays (Octovien de), 136.
Saint-Paul, seigneur de Brassac, 274.
Saint-Romard, 466.
Saint-Simon (Marguerite de), 310, 446.
Saint-Victeur, voir Bonivard.
Sala, 83.
Salel (Hugues), 28-29.
Salmon (Jean), dit Maigret (Macrinus),
93, 105, 114, 115, 121, 244, 354, 449.
Salviati, légat du pape, 39-40.
Sannazar (Jacques), 354.
Sarto (Andréa del), 24.
CLEMENT MAROT ET SON ECOLE
337
Saubonne (Michelle de), femme de Jean
de Partheiiay-Larchevêque, baron de
Soubise, 130, 294, 329-330, 334-
Saulnier ((iuillaume), 381.
Savalle fjean), 169.
Sber (Guillaume), 166.
ScARRON (Paul), 341.
ScÈVE (Guillaume), 350 b, 458 et addition,
p. 328.
ScÈVE (Jeanne), 362.
— (Maurice), [100], 277, 302-304,
350, 470.
Selve (Georges de), 334.
Senarpont (Gabriel de), 443.
Shakespeare, 391.
Semblançay (Jacques de Beauue, sei-
gneur de), 76, 212-218.
Senneton (Catherine), [103]-
Senynghen (Guillaume de), 169.
Serlio (Sébastien), 22.
Sermisy (Claude de), 150.
Sermonetta (le cardinal), 90.
Servet (Michel), 81.
Seyssel (Claude de), 29, 122.
S1ME0NI (Gabriello), 27.
Soliman II, le Magnifique, 414.
Strozzi (Robert), 113.
Stuart (Jacques V, roi d'Ecosse), 354.
Tabouet (Julien), addition à 458, p. 328.
Tagliacarne (Benedetto, dit Theocre-
nusj, 27, 121, 124.
Tebaldi (Giacomo), 296-297.
Thibault (Jacques), 313.
Thou (Jacques- Auguste de), [loi], 102.
Thucydide, 122.
TiBULLE, 377.
TiLLET (Louis du), 295.
Tiraqueau (André), 6.
TiTE-LivE, 392.
Tournon (cardinal François de), 58, 80-
83, 100, 113, 335, 349, 352, 414
Toussaint (Jacques), 45, m, 354.
Trémoïlle (Louis, sire de La), iGa..
Treppereau (Louis), 443.
Trivulce (cardinal), 335.
— (Pomponio), 312, 421.
— (Théodore), n8, 421.
Tronsson (Jean), 266.
Tyvent Mathé, 451.
Urbin (François- Marie de la Kov^re, duc
d'). 323-
UïENiiovE (Charles), 239.
Valère Maxime, 4.17b.
Vatable (François), 45, [104], irr.
Vaudemont (Louis de), 259.
Vauzelles (Jean de), 301, 316.
Vergerio (Paolo), évêque d'Istria, 336.
Veron (Claude), 443.
I Versoris (Nicolas), 215.
VÉSALE (André), 6.
ViGNALS (Etienne ?), 264.
ViLLARS, toulousain, 271.
ViLLEMANDON, 429-430.
Villeneuve (Martin de), i8^.
Villon (François), [94-95], 131, 155, 2176,
278, 380, 470.
ViMONT (Jean), 424.
Vincent de Lérins, 4176.
Vinci (Léonard de), 24, 31, 92.
Vingle (Pierre de), 440.
Virex (Pierre), [99 note], 437, J39.
Virgile, 12, 63, 106, 138, 323, 389, 401,
459, 466.
Visagier Ijaan, dit Vulteii(^), 105, m.
121, 348, 350, 351, 354.
ViTRUVE, 22.
VouLTÉ, voir Vimgier.
VuyarO (PieiTe), 2'J4.
XlMENrs de Cisneros le cardinal l'ran-
çois), 42, 44.
Zébi'.dée (André\ Jii.
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE QUATRIEME
Principaux caractères de la Renaissance.
Le roi François 1er. — La cour; les Mécènes.
I. - — Principaux caractères de la Renaissance 7
IL — Le Roi François 1er 18
IIL ^ — La cour et les Mécènes 51
LIVRE CINQUIÈME
La vie de Clément Marot.
Bibliographie de Clément Marot 89
L — Les années d'apprentissage 107
IL — Les prisons du poète et son entrée au service du l^oi . . . 133
III. — Du mois d'août 1528 au mois d'octobre 1534 166
IV. — L'exil à Ferrare et à Venise 199
V. — L'année 1537. — La querelle de Marot et de Sagon. . . . 247
VI. — Les dernières années 294
Index des noms propres 331
% 3t
Due Date Bookmark
Robarts Library
DUE DATE:
Jan. 5, 1994
For téléphone renewals
call
978-8450
Hours:
Monday to Thursday
9 am to 9 pm
Friday & Saturday
9 am to 5 pm
Sunday
1 pm to 5 pm
i''
4f
pPW||piwP|r